Table Of ContentVillage et villageois au Moyen Âge
XXIe Congrès de la SHMES (Caen, juin 1990)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public
(dir.)
DOI : 10.4000/books.psorbonne.25433
Éditeur : Éditions de la Sorbonne
Année d'édition : 1992
Date de mise en ligne : 21 juin 2019
Collection : Histoire ancienne et médiévale
ISBN électronique : 9791035102388
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782859442200
Nombre de pages : 218
Référence électronique
SOCIÉTÉ DES HISTORIENS MÉDIÉVISTES DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PUBLIC (dir.). Village et
villageois au Moyen Âge : XXIe Congrès de la SHMES (Caen, juin 1990). Nouvelle édition [en ligne]. Paris :
Éditions de la Sorbonne, 1992 (généré le 29 août 2019). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/psorbonne/25433>. ISBN : 9791035102388. DOI : 10.4000/
books.psorbonne.25433.
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1
D'entrée de jeu, comme le souligne Adriaan Verhulst, se pose le problème des origines et de la
formation du village, entendu comme un ensemble fonctionnel et communautaire, et non comme
la simple juxtaposition géographique de bâtiments d'exploitation et de maisons rurales. Faut-il,
en l'absence de sources écrites, attendre le Xè siècle pourvoir naître un village stable, avec un
terroir ordonné et articulé ? ou plutôt anticiper, en étant sensible au « frémissement »
carolingien ? Problème d'origine donc, mais aussi de lien avec le cadre des paroisses, avec le
château ou la motte. Rien, ou presque, n'est définitivement acquis.
Mieux vaut, par modestie, s'intéresser à des cas concrets, à des régions restreintes, bien éclairées
par un faisceau de sources : les husun de la marche supérieure d'Al-Andalus, les casaux et les
bastides de Gascogne, les villages du Nord ou du diocèse de Coutances. On y voit vivre les
villageois, périr ou se développer leur milieu de vie, s'épanouir les convivialités ou les violences
quotidiennes. On y voit surtout une diversité extrême, qui oblige à refuser toute synthèse
globalisante, toute généralisation hâtive.
D'autant que les historiens des textes ne peuvent se passer de l'archéologie et d'une iconographie
bien comprise. Elle seule restitue le cadre de la maison, la quotidienneté des villageois dans leur
labeur et les liens étroits qu'ils entretiennent avec la terre.
2
SOMMAIRE
Avant-propos
Michel Balard
Villages et villageois au Moyen Âge
Adriaan Verhulst
Le village byzantin : naissance d’une communauté chrétienne
Michel Kaplan
Peuplement et habitats ruraux dans la marche supérieure d’Al-Andalus : l’Aragon
Philippe Sénac
Les sources et leurs limites
Le peuplement rural
Les habitats ruraux
Village et espace villageois dans la Bretagne du Haut Moyen Âge
Noël-Yves Tonnerre
La société rurale gasconne au miroir des cartulaires (XIe-XIIIe s). Notables du fisc ou
paysans ?
Benoît Cursente
L’aspect fiscal et aristocratique : indices et présomptions
L’hypothèse fiscale s’avère cependant réductrice
Du casal aristocratique aux casaux paysans
Les hommes des casaux
Du pagensis au caslan : quelle continuité ?
Paysans et seigneurs dans le duché de Normandie : quelques témoignages des chroniqueurs
(Xe-XIIe siècles)
Mathieu Arnoux
L’histoire du paysan
Le soulèvement de 996
Les paysans du Nord : habitat, habitation, société
Alain Derville
Habitat et communauté rurale
Habitation
La société
Bastides de Gascogne toulousaine. Un échec ?
Mireille Mousnier
Une floraison disparate
Des implantations parfois difficiles
Un maintien laborieux
Conclusion
La hiérarchie des paroisses dans le diocèse de Coutances au Moyen Âge
Henri Dubois
Grandes et petites paroisses
Localisation des populations
Hiérarchie des paroisses
Étude des densités du peuplement
Permanence des centres de peuplement
L’évolution récente
Conclusion
3
Vivre au village à la fin du XVe siècle
Pierre Charbonnier
L’outil
Le village
Les grandes tensions
La vie quotidienne
Villages et villes de Normandie à la fin du Moyen Âge : le cas des villages entre Caen, Bayeux
et Falaise
François Neveux
Images de la vie des villageois
Perrine Mane
Archéologie de la maison paysanne
Jean-Marie Pesez
Iconographie et sources écrites à l’épreuve de l’archéologie : recherches sur le castrum
d’Essertines
Françoise Piponnier
Villages et villageois
Robert Fossier
Table des Abréviations
4
Avant-propos
Michel Balard
1 Le XXIe Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur
Public s’est tenu à Caen en juin 1990. Nul ne s’étonnera que dans cette ville universitaire
renommée, berceau de l’archéologie médiévale en France, notre Société ait choisi pour
ses débats un thème que les archéologues médiévistes ont profondément renouvelé au
cours des dernières décennies : « Villages et villageois au Moyen Age ».
2 D’entrée de jeu, comme le souligne Adriaan Verhulst, se pose le problème des origines et
de la formation du village, entendu comme un ensemble fonctionnel et communautaire,
et non comme la simple juxtaposition géographique de bâtiments d’exploitation et de
maisons rurales. Faut-il, en l’absence de sources écrites, attendre le Xe siècle pour voir
naître un village stable, avec un terroir ordonné et articulé ? ou plutôt anticiper, en étant
sensible au « frémissement » carolingien ? Problème d’origine donc, mais aussi de lien
avec le cadre des paroisses, avec le château ou la motte. Rien, ou presque, n’est
définitivement acquis.
3 Mieux vaut, par modestie, s’intéresser à des cas concrets, à des régions restreintes, bien
éclairées par un faisceau de sources : les husun de la marche supérieure d’Al-Andalus, les
casaux et les bastides de Gascogne, les villages du Nord ou du diocèse de Coutances. On y
voit vivre les villageois, périr ou se développer leur milieu de vie, s’épanouir les
convivialités ou les violences quotidiennes. On y voit surtout une diversité extrême, qui
oblige à refuser toute synthèse globalisante, toute généralisation hâtive.
4 D’autant que les historiens des textes ne peuvent se passer de l’archéologie et d’une
iconographie bien comprise. Elle seule restitue le cadre de la maison, la quotidienneté des
villageois dans leur labeur et les liens étroits qu’ils entretiennent avec la terre.
5 Avons-nous traité le sujet, à tout le moins dressé l’inventaire des problèmes et apporté
quelque élément de réponse ? Au lecteur d’en juger. Après tant de colloques sur le village
médiéval, qui rassemblait, faut-il le rappeler, plus des quatre cinquièmes de la population,
notre Congrès aura permis au moins d’approcher ce qui constituait l’essentiel du Moyen
Age.
6 Que tous nos collègues de Caen soient remerciés pour cette rencontre fructueuse, qu’ils
ont su organiser avec minutie et cordialité !
5
AUTEUR
MICHEL BALARD
Président de la SHMES
6
Villages et villageois au Moyen Âge
Adriaan Verhulst
1 Villages et villageois, particulièrement au Moyen Âge, est un thème à l’ordre du jour,
comme en témoignent plusieurs congrès et colloques des quinze dernières années. Il y a
eu, en 1976, le congrès à Varsovie de la Société Jean Bodin, dont les volumes des actes ont
finalement paru avec beaucoup de retard, le cinquième et dernier en 1987. En 1973 et
1974 les colloques organisés à Göttingen sous les auspices de l’Académie de Göttingen par
la commission archéologique de cette institution dirigée par l’archéologue H. Jankuhn,
furent consacrés au village à l’âge du Fer et pendant le haut Moyen Age. Les journées
internationales d’Histoire organisées par feu Ch. Higounet à l’abbaye de Flaran furent
consacrées en 1982 aux communautés villageoises de l’Europe occidentale du Moyen Age
aux Temps Modernes, tandis qu’en cette même année 1982 la Société académique de
Saint-Quentin publia un volume de conférences sous le titre « Les chartes et le
mouvement communal ». En 1986 le 13e Colloque international organisé à Spa par le
Crédit Communal de Belgique eut comme thème « Les structures du Pouvoir dans les
communautés rurales en Belgique et dans les pays limitrophes (XIIe-XIXe siècle) ». Au 17e
Congrès International des Sciences Historiques à Madrid enfin, dans la section
chronologique du Moyen Age, la journée du mardi 28 août prochain sera consacrée, sous
l’impulsion de M. Peter Blickle de Berne, au mouvement communal dans le monde rural.
2 Dans ce domaine apparemment très vivant de la recherche, l’accent est mis d’une part sur
le village dans le sens très concret du mot, c’est-à-dire sur l’aspect matériel et
géographique du village, abordé principalement par la voie de l’archéologie ; d’autre part
sur son support humain, les villageois, principalement sous l’angle de la communauté
rurale, c’est-à-dire la formation, les compétences et l’activité des institutions qui sur le
plan social, juridique, économique et religieux unissaient et représentaient l’ensemble
des habitants d’un village.
3 En ce qui concerne levillage dans son sens géographique et matériel, sa définition large,
généralement acceptée de nos jours, comme un ensemble fonctionnel, transcendant la
simple juxtaposition géographique de quelques fermes et maisons, aussi peu nombreuses
qu’elles soient – un ensemble dont la fonctionnalité se manifeste dans des éléments
communautaires comme des parcs de rassemblement pour le bétail,tels les trieux, (flam.
dries) en Belgique, ou des communaux ou encore l’église et le cimetière – cette définition
7
large du village dépasse l’approche archéologique et rend difficile l’application de celle-ci
en dehors des éléments purement matériels et géographiques. Si l’approche
archéologique suffit pour rendre probable l’existence de villages dans le sens matériel,
dès l’époque de la Tène et notamment pendant l’époque mérovingienne, comme le
prouvent les exemples célèbres de Warendorf en Westphalie, Kirchheim en Bavière ou
Eketorp dans l’île d’Ôland, la discussion s’ouvre sur un premier grand problème dès que
l’on s’interroge sur la stabilité et la continuité du village pendant le haut Moyen Age, dont
l’archéologie a démontré le caractère ambulant ou souvent éphémère.
4 Malgré le témoignage des lois « barbares » sur le rôle du voisinage (lat. vicinitas, germ.
burscap) dans la fonctionnalisation du village, par exemple à l’occasion de l’usage des
communaux pour le bétail qu’attestent également d’autres sources écrites pendant le VIIe
siècle, certains auteurs, notamment Robert Fossier, invoquant l’argument archéologique
du déplacement du village ou de sa disparition comme « Wüstung » d’une part, sollicitant
d’autre part certaines descriptions dans les polyptiques – source dont ils contestent par
ailleurs la valeur – nient l’existence avant le Xe-XIe siècle de villages dans le sens
fonctionnel, dont la stabilité matérielle et géographique leur paraît une des conditions
essentielles. Fossier trouve des alliés dans ceux qui, plus que lui, affirment la primauté du
grand domaine au haut moyen âge et font naître le villageseulement après la dislocation
de celui-ci, à partir de la fin du IXe siècle. D’autres historiens, par contre, comme par
exemple Schwind à propos du Sud-Ouest de l’Allemagne, démontrent à l’aide de
nombreuses chartes et notices de tradition, que même au sein d’un grand ensemble
foncier d’une abbaye, existaient en pleine époque carolingienne des villages sans
structure seigneuriale, plus stables que des « Grundherrschaften » ou seigneuries
foncières voisines, dont beaucoup, à la suite et à la mesure des progrès du régime
domanial, étaient en perpétuelle évolution. Malheureusement la nature de la
documentation de Schwind ne lui a pas permis d’y déceler les traces d’activités
communautaires des habitants, bien qu’il en admette l’existence à cause de l’attestation,
dans ces villages et dès cette haute époque, de la rotation triennale des cultures.
5 Fossier a évidemment raison lorsque, comme le fait également Léopold Genicot, il situe la
naissance du village, comme groupement ayant une personnalité juridique et une
conscience collective, après l’époque carolingienne, au Xe siècle au plus tard. Cette
deuxième naissance du village, si l’on peut s’exprimer ainsi, cette fois véritablement dans
le sens fonctionnel, certains ne la croient possible qu’après la disparition du grand
domaine qui aurait éclipsé le village du haut Moyen Age, tandis que d’autres, notamment
Genicot, pensent au contraire que le grand domaine a précisément joué un rôle décisif
dans la naissance de la communauté rurale, en créant un lien entre des hommes soumis à
un même maître. S’ouvre ainsi la discussion sur le deuxième grand problème après celui
des origines, celui des facteurs ayant contribué à la formation de la vraie communauté
villageoise, leur chronologie, leur importance.
6 De ce point de vue plusieurs auteurs, parmi lesquels Genicot, citent en premier lieu,
également du point de vue chronologique, le rôle de la paroisse, depuis le VIIIe siècle pour
certains, depuis le IXe au plus tard pour la plupart des auteurs. Il est curieux de noter que
Fossier ne se trouve pas parmi eux, car il ne situe lerôle de la paroisse qu’au début du ΧΙΙI
e siècle, lorsqu’en 1214/15 le Concile du Latran décréta l’appartenance du fidèle à une
seule paroisse. Ceux qui connaissent l’allergie de Fossier pour tout jugement positif sur
l’époque carolingienne, ne s’étonneront pas de son silence à propos de la paroisse
carolingienne comme facteur de cohésion pour la communauté rurale naissante.
8
7 Malgré le fait que Fossier situe néanmoins, lui aussi, l’origine de la communauté
villageoise au Xe siècle « au plus tard », vraisemblablement en relation avec sa théorie
bien connue de « l’encellulement », il attribue l’importance la plus grande dans cette
formation du village au sens fonctionnel, à des facteurs qui ont surtout été à l’œuvre du
XIe au XIIIe siècle : à part l’implantation de la seigneurie banale, notamment à partir de la
construction de mottes, Fossier cite des facteurs d’ordre juridique, comme les
constitutions de « paix » et les franchises rurales, d’ordre économique comme les
remaniements du terroir à la suite de l’introduction de l’assolement triennal ou la défense
des droits des villageois sur les communaux, surtout pendant la dernière phase des
grands défrichements, au XIIIe siècle, d’ordre social enfin comme la modification de la
texture familiale par suite de l’éclatement de la famille large, à l’existence de laquelle
avant le Xe-XIe siècle Fossier semble croire toujours, ou l’apparition d’artisans au sein du
groupe villageois, si ce n’est là aussi un phénomène que des textes carolingiens
permettent de dater beaucoup plus haut dans le temps. Il y a donc encore matière à
discussion, même à propos de facteurs sur lesquels l’unanimité des historiens est
beaucoup plus grande que sur les graves problèmes évoqués au début de notre exposé.
8 Ainsi à propos des franchises, la discussion porte sur la question de savoir qui en a pris
l’initiative : la communauté villageoise ou le seigneur, ou la discussion porte encore sur
l’éternelle question des jurés mandataires élus de la communauté rurale, concurrents des
échevins ?
9 À propos des facteurs d’ordre économique aussi, tout n’est pas clair non plus. Les
défrichements des ΧIe-ΧΙΙIe siècles ont-ils eu pour effet une concentration de la
population dans le village ou la dispersion ? L’assolement triennal a-t-il vraiment envahi
partout l’ensemble du terroir villageois et a-t-il donc été un facteur important de
cohésion ? Ou est-il au contraire resté limité à certaines parties du terroir seulement,
notamment celles ayant auparavant fait partie de la réserve seigneuriale ?
10 Même pour la troisième période qu’il est possible de déterminer dans l’histoire de la
communauté rurale, après celle des origines lointaines et celle de sa formation (Xe-XIIe
siècles), à savoir la période où, à partir du XIIIe siècle, les sources écrites sur la
communauté rurale proprement dite deviennent beaucoup plus explicites, sans être
encore abondantes, les problèmes sont nombreux et aussi plus diversifiés. Tandis que les
finances de la communauté rurale restent pratiquement inconnues avant la fin du Moyen
Age, faute de sources, ses gestionnaires apparaissent dans les sources, mais souvent avec
le seul qualificatif de meliores : les meilleurs, les plus riches, les plus anciens, les plus
sages. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, quelle est leur condition économique et sociale,
comment sont-ils désignés ou ont-ils, comme certains historiens le pensent, enlevé à un
certain moment le pouvoir à des mandataires élus ? Autant de questions importantes et
néanmoins encore généralement sans réponse, comme le suggère notamment le
questionnaire établi par le congrès international de Madrid, où l’on trouve formulées la
plupart des questions que pose l’activité de la communauté rurale à partir du ΧΙΙIe siècle.
Parmi celles-ci je cite encore : les conditions pour être membre à plein droit de la
communauté, en relation avec l’évolution du statut personnel des villageois ; les
compétences de la communauté et leur délimitation vis-à-vis du pouvoir seigneurial :
comment ces compétences sont-elles définies, par qui ; est-ce qu’elles s’étendent jusqu’à
certains aspects de la justice ou est-ce que celle-ci reste en grande partie seigneuriale ? Le
questionnaire de Madrid pose aussi à juste titre le problème des fonctionnaires de la