Vers la pensée unique: La montée de l'intolérance dans l'Antiquité tardive

178 Pages·2010·7.135 MB·French

by  Polymnia Athanassiadi

POLYMNIA ATHANASSIADI
VERS LA PENSÉE UNIQUE
La montée de l'intolérance
dans l' Antiquité tardive
PARIS
LES BELLES LETTRES
2010

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© 2010, Société d'édition Les Belles Lettres
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ISBN: 978-2-251.:38100-8

To John,
despite his misgivings

Gratiarum actio
Mes plus vifs remerciements sont dus à Michel Tardieu, ami dévoué
et hôte généreux, sur la proposition de qui je fus invitée au Collège de
France. Le livre, issu des conférences prononcées en 2006, a bénéficié
de la lecture critique faite - en partie ou in toto - par Nicole Belayche,
Pierre Chuvin, Constantin Macris et Alain Segonds. À ces chers collègues
et.amis je dis ma profonde gratitude, ainsi qu'à cet autre lecteur particu
lièrement exigeant, John_Avgherinos, dédicataire du livre malgré lui.
Par une poignante coïncidence, les dernières touches de ce texte, qui
traite du cheminement de la théocratie dans le monde du Moyen Orient,
étaient ajoutées alors que j'attendais, jour et nuit, le retour de mon fils de
Téhéran. S'étant rendu en Iran pour couvrir les élections présidentielles
de juin 2009, le journaliste Iason Athanasiadis fut arrêté par des gardes
révolutionnaires au moment où il s'apprêtait à quitter le pays. Incarcéré
à la redoutable <<E vine », il subit un interrogatoire mené par différen
tes personnes. Au bout de vingt jours d'ardentes prières et de négocia
tions diplomatiques, dans lesquelles le rôle du Patriarche œcuménique
de Constantinople, Bartholomaios, se révéla aussi crucial que celui du
go~vernement grec, Iason fut restitué à son foyer pour nous régaler avec
des histoires dignes d'un conteur tarde-antique.
Ce qui m'a frappée au cours de ces intenses négociations entre
la Grèce et l'Iran, c'était la communauté - et la permanence - des
attitudes mentales des deux côtés, culminant avec la citation par
12 VERS LA PENSÉE UNIQUE
laquelle, le soir du 6 juillet, notre ambassadeur m'a annoncé au télé
phone que 1' avion dans lequel se trouvait mon fils venait de décol
ler del' aéroport Imam Homeini : T~ :fnt:Qµax<tJ Ï:'TQct'TT]y..ë. ;J
a-t-il entonné, reprenant le début de l'hymne dit Akathistos avec lequel
les Constantinopolitains auraient remercié, en 626, la Vierge de les avoir
sauvés de l'ennemi avaro-perse.
Même si Iason ne trouve pas le temps de lire cet ouvrage du début à
la fin, j'espère qu'il sera toujours en état de tirer des écrits de Procope,
chroniqueur astucieux du règne de Justinien et connaisseur avisé des
affaires iraniennes, des leçons utiles pour sa carrière.
Athènes, le 9 juillet 2009

INTRODUCTION
D'Alexandre à Mahomet
La période qui, dans le monde méditerranéen et proche-oriental,
s'étend de la mort d'Alexandre le Grand à la météorique apparition de
Mahomet a, depuis mon plus jeune âge, exercé sur moi une forte fas
cination. Ayant une idée très vague de sa forme et de sa trajectoire, je
la considérais pourtant comme une parfaite unité et la désignais par le
qualificatif « hellénistique >>q, ue j'entendais intuitivement dans le sens
d'une irréductible synthèse entre l'élément grec et l'élément oriental ou,
plutôt, comme quelque invasion libératrice de l'espace grec par tout ce
qu'il y avait de plus beau, voire de plus profond, en Orient.
Mais, à mesure q~e je m'occupais d'Histoire, les maîtres de la pério
disation venaient classifier mes concepts, superposant leurs propres crité
riums à cette vision unitaire. Et tandis que celle-ci reculait, intacte, vers
mon subconscient, j'apprenais qu'après la période hellénistique propre
ment dites' étendait un terrain vague qui prolongeait, en mutant leur subs-
...
tance, l'héritage de Rome et celui de la Grèce orientalisée. A cette entité
batj.olée, qu'on nommait le « Haut Empire», succédait ce qui s'appe
lait dans le jargon des historiens l' « Antiquité tardive>>, monstre protéi- l.
!!
forme qui ne cessait de s'étendre dans le temps et dans l'espace. Selon ..
les estimations les plus conservatrices, cette ère tampon entre l 'Antiquité
et le Moyen Âge se terminait avec le règne de Justinien mais, pour les