Table Of ContentKANDINSKY
© Sirrocco, Londres (Edition française)
© Confidential Concepts, worldwide, USA
© Estate Kandinsky / Artists Rights Society, New York, USA
/ ADAGP, Paris
ISBN : 978-1-78042-680-8
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Vassily
Kandinsky
4
I
l y a peu de temps, il semblait que notre siècle avait non seulement commencé, mais
s’achevait avec Kandinsky. Pourtant, quelques fréquentes qu’aient été les occasions
offertes aux amateurs de nouvelles interprétations à la mode de prononcer le nom de
l’artiste, ce dernier appartient à l’histoire, au passé et à l’avenir, bien plus sans doute
qu’au présent.
L’art de Kandinsky ne révèle pas les stigmates qui marquèrent la création des autres
représentants de l’avant-garde russe. Il quitta la Russie bien avant que l’esthétique
officielle soviétique n’ait banni l’art contemporain. Il choisit lui-même son lieu de séjour
et sa manière de créer. Il ne dut pas lutter contre le sort ni conclure de marcher avec lui.
Il fut toujours un homme libre. Il ne connut pas les persécutions dont furent victimes en
Russie les artistes de « la gauche ». En revanche, il ne peut prétendre à la couronne
d’épines dont furent gratifiés les illustres peintres de l’avant-garde qui ne quittèrent pas
la Russie. Il doit sa réputation à son art, et non à sa destinée.
Kandinsky connaissait et honorait la culture du passé. Nullement obsédé par l’idée de
renverser les idoles, il se donna entièrement à la création de quelque chose de nouveau.
Ainsi, ne fut-il ni iconoclaste ni esclave d’un public qu’il faut impressionner. Toutefois,
son art n’est pas privé d’audace, mais c’est une audace chargée d’une profonde réflexion,
une audace argumentée par un art de haute qualité. Homme de culture européenne,
musicien, théoricien, peintre et dessinateur, il était enclin à la réflexion, obéissant à une
logique sévère quoique teintée de romantisme ; sans faire de tapageuses proclamations,
il conserva la sage noblesse du penseur et ne se mêla pas aux vaines querelles qui
agitaient le milieu artistique.
On a dit plus d’une fois, et non sans raison, qu’il faut chercher, en Russie (à Moscou
essentiellement) et en Allemagne, les racines de l’art et de toute la conception du monde
de Kandinsky. L’orientation intellectuelle de Kandinsky est avant tout philosophique et
allemande. Malgré tout l’intérêt et le respect qu’il montra à l’égard du passé, il n’en devint
pas l’otage, découvrant dans la sagesse de ce passé les moyens de concevoir et de
construire l’avenir. Les premières toiles connues de Kandinsky sont datées de la limite des
deux siècles; nous pouvons citer le Lac de Montagne de 1899 (collection M.G.
Manoukhina, Moscou), Munich, Schwabing de 1901 (Galerie Trétiakov, Moscou), Achtyrka,
Automne de 1901 (Galerie Lenbachhaus, Munich) et Kochel vers 1902 (Galerie Trétiakov,
Moscou). Kandinsky a déjà trente-cinq ans. À cet âge, il n’est pas facile de se sentir un
novice. Déjà, le tableau intitulé Le Port d’Odessa (fin des années 1890, Galerie
Trétiakov,Moscou) avec lequel commençait la fameuse rétrospective de Kandinsky qui eut 1. Gouspiar, Galerie
lieu en 1989, contenait quelque chose de magique. Trétiakov, Moscou.
55
2. Lac de Montagne,
1899, Huile sur toile,
50 x 70 cm, Collection
M.G., Manoukhina,
Moscou.
66
3. Munich, Schwabing,
1901, Huile sur carton,
17 x 26,3 cm, Galerie
Trétiakov, Moscou.
77
4. Esquisse pour
Achtyrka,Automne,
1901, Huile sur toile,
23,6 x 32,7 cm,
Städtische Galerie im
Lenbachhaus, Munich.
88
5. Kochel (Le Lac et
l’Hôtel Grauer Bär),
v.1902, Huile sur
carton, 23,8 x 32,9 cm,
Galerie Trétiakov,
Moscou.
99
S’étant trouvé -à l’occasion de cette rétrospective -aux côtés des travaux abstraits de
l’artiste et de ses révélations picturales de Murnau, Le Port d’Odessaaurait pu passer pour
le travail d’un dilettante presque digne d’être signé par un membre de la Société des
Ambulants. Mais à côté du tableau de Kandinsky, n’importe quel paysage « ambulant»
n’aurait semblé rien de plus que le rendu passif d’une impression de la nature. Certes,
personne ne nous défendra de chercher des traits de génie dans l’ouvrage naïf d’un
novice: on en trouvera infailliblement !
Et pourtant, les taches sombres et rutilantes sont trop indépendantes à l’égard du
monde de la réalité objective: elles renferment beaucoup trop de tension latente
nullement liée avec le motif réel; le dessin purement décoratif est beaucoup trop
énergique à côté des formes perçues d’une manière naïve et traditionnelle. Il est évident
que l’intellect rigoureux et puissant de Kandinsky possédait également une forme
émotionnelle d’existence.
Certes, Kandinsky était déjà bien âgé pour apprendre le métier. De plus, il possédait
de larges connaissances, lisait et réfléchissait beaucoup. Il visita Paris et l’Italie et, dans
ses premiers travaux, il rendit même un certain hommage à l’impressionnisme. Mais c’est
à l’Allemagne qu’il donna sa préférence pour y étudier. Choisissant Munich et non Paris,
il optait pour l’école au détriment du milieu artistique. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il entra
dans la célèbre école d’Anton Azbe, le peintre russe Grabar écrivait à propos de Kandinsky
(faut-il croire non sans raison) qu’il « ne sait absolument rien faire » et qu’«en ce qui
concerne l’art décadent, ses connaissances sont très vagues ». Ne « rien savoir faire » et
n’être même pas « décadent », cela peut paraître paradoxal lorsqu’on est prodigieusement
doué et cultivé.
Cela signifiait simplement que l’on préférait se tenir à l’écart des tendances à la mode
aussi bien que des routines du métier; en un mot, cela signifiait disposer du plus haut
degré de liberté. Les leçons de dessin qu’il obtint chez Azbe ne lui apportèrent pas grand-
6. Esquisse de l’affiche chose. Mais, agissant selon le dicton chinois : «ayant appris les règles, tu pourras en
pour la première disposer facilement», il apprit assidûment les éléments du métier avant de tenter
exposition du groupe délibérément « à chercher l’expression de ce que l’on ressent, à organiser la sensation
Phalanx, 1901, dans une esthétique personnelle » (Cézanne).
Lithographie en Il est difficile de deviner pourquoi, après avoir reçu l’enseignement de Azbe, Kandinsky
couleur d’après le se laissa attirer par Franz von Stuck. Parce qu’il enseignait à l’Académie des Beaux-Arts,
dessin de Kandinsky, et non pas dans une école privée ? Parce qu’il était reconnu comme le meilleur dessinateur
47,3 x 60,3 cm, en Allemagne ? Parce qu’il était plus réputé que les autres ? Quoi qu’il en soit, l’art de
Städtische Galerie im l’Allemand ne pouvait lui servir de modèle ni par son bon goût ni par son originalité. Il y
Lenbachhaus, Munich. a lieu de croire que ce fut le système d’enseignement de Stuck qui intéressa Kandinsky.
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