Table Of ContentBLACK ROSE
Un amour incognito
GAYLE WILSON
Paysage : © SREEDHAR
YEDLAPATI/ROYALTY
FREE/FOTOLIA
Femme : © BEAUTY
ARCHIVE/JUPITER IMAGES/GETTY
IMAGES
© 2003, Mona Gay Thomas. © 2011,
Harlequin S.A.
PIERRE VANDEPLANQUE
978-2-280-23978-3
Prologue
Depuis deux semaines, le phénomène se produisait
de façon récurrente. L’impression étrange et
angoissante d’être épiée. Assez souvent pour que,
chaque fois qu’elle se retrouvait seule en ville, elle doive
lutter contre une irrépressible envie de regarder par-
dessus son épaule.
Nicola Carson était incapable de dire quand ni à
quelle occasion cela avait commencé. Tout ce qu’elle
savait, c’est qu’auparavant elle ne rechignait pas à
travailler tard, même si l’immeuble abritant les bureaux
du Sénat était presque désert à l’heure où elle finissait.
A présent, elle devait s’armer de tout son courage pour
affronter les rues de Washington à la nuit tombée.
« C’est ridicule », se raisonna-t-elle en descendant les
marches à la hâte, serrant de sa main gantée le col de
son manteau.
Il y avait dans l’air de décembre un soupçon de neige
qui lui donnait la nostalgie des frimas vigoureux des
Rocheuses du Colorado de son enfance.
« Ridicule, encore. » Alors qu’elle vivait son rêve, celui
d’appartenir au staff permanent d’un des hommes les
plus puissants de la capitale, elle ne songeait ces
derniers temps qu’à la vie qu’elle avait été jadis si
impatiente de laisser derrière elle.
Malgré ses paroles d’auto-encouragement, et tandis
que le cliquetis de ses talons ponctuait son pas rapide
sur le trottoir, son malaise s’accrut. « Ne te retourne pas,
ne te retourne pas », se répéta-t-elle en boucle, résolue
à ne pas céder à sa paranoïa.
Elle ne se serait pas trouvée dehors aussi tard si, en
sortant, le sénateur Gettys ne l’avait chargée d’une
commission, déposer un CD à sa permanence de
campagne avant de rentrer chez elle.
Elle ne comprenait pas pourquoi la livraison de ce
disque ne pouvait attendre le lendemain, mais ce n’était
pas son rôle de poser ce genre de questions. Son rôle
était de se rendre le plus utile possible. Elle avait donc
obtempéré.
En temps normal, elle n’avait aucun problème à
remplir les missions qui lui étaient assignées. Elle ne se
faisait aucune illusion sur la place qu’elle occupait dans
le schéma global des choses. Pour avoir grandi dans
une ferme, où l’on n’a d’autre choix que de participer à
toutes les tâches, même les moins ragoûtantes, elle
n’avait jamais considéré la moindre corvée comme
indigne d’elle.
Elle pouvait remercier le ciel d’être là. D’avoir été
sélectionnée parmi tous les postulants. De la chance qui
lui avait été offerte de vivre dans la capitale et de
participer au travail du gouvernement.
Alors qu’elle se répétait sa litanie, tentant de noyer son
malaise dans l’énumération de toutes les raisons pour
lesquelles elle devait s’estimer heureuse, l’écho d’un
bruit de pas se fit entendre derrière elle. Son rythme
cardiaque s’accéléra, son ventre se noua et un flot
d’adrénaline coula dans ses veines.
La bouche du métro était à une cinquantaine de
mètres. Malgré le froid et les rues désertes autour d’elle,
il y aurait sûrement du monde. Au moins plus de lumière.
Rien n’était plus effrayant qu’une mauvaise rencontre
dans l’obscurité.
Elle accéléra le pas. En arrivant à l’escalator qui
descendait vers la station, elle courait presque. Et
aucune des stratégies censées juguler son absurde
panique ne semblait fonctionner.
Elle voulait entrer dans la lumière d’une rame, se
fondre parmi les autres passagers qui quittaient tard leur
bureau pour rentrer chez eux.
La main sur la rampe, elle fit un tel bruit en dévalant les
marches d’acier en mouvement qu’il lui fut impossible
d’entendre autre chose. Une fois au pied de l’escalator,
elle se retourna pour jeter un coup d’œil derrière elle.
Rien. Personne ne la suivait. Son pas seul résonnait.
Elle poussa un soupir de soulagement, puis,
resserrant sur elle son manteau, se dirigea vers le quai.
Sans même y penser, elle plaqua sa carte sur le rond
rouge magnétique autorisant l’accès. Elle y était
presque. La rame allait arriver. Avec elle les gens. La
sécurité.
L’écho de ses pas se répercuta sur le carrelage
hexagonal et sur les murs tandis qu’elle s’avançait vers
la voie. Cette fois, elle n’y prêta pas attention. Après tout,
elle savait qu’il n’y avait personne derrière elle. Sa
panique n’avait absolument aucune raison d’être.
Elle respira à fond, s’efforçant de refouler l’hystérie qui
menaçait. Une rame approchait. Dieu merci, malgré
l’heure tardive et la fréquentation secondaire de cette
station, quelques autres usagers attendaient sur le quai.
Elle n’était plus qu’à une dizaine de mètres de la voie.
Le grondement s’amplifiait dans le tunnel. Son attention
se porta sur les autres passagers. Tous avaient les yeux
tournés vers l’ouverture par où allait déboucher la rame.
Elle capta un mouvement dans l’angle de son champ
visuel.
Avant qu’elle n’ait le temps de tourner la tête,
quelqu’un la saisit brutalement par les cheveux. Le geste
fut si puissant qu’elle se sentit tirée en arrière.
Le temps qu’elle comprenne ce qui lui arrivait, une
main gantée s’était plaquée sur sa bouche, étouffant le
cri qui lui montait à la gorge. Non qu’il eût changé grand-
chose : le bruit du train croissait à chaque instant.
Les larmes aux yeux à cause de la douleur, elle tenta
de se dégager de l’emprise de son agresseur. La main
qui lui agrippait les cheveux glissa le long de son corps
et un avant-bras solide se cala sous ses seins.
Submergée par la panique, elle se tortilla pour se
libérer. En vain. Les coups de pied qu’elle lança au
hasard derrière elle ne rencontrèrent que le vide. Son
agresseur était un homme, cela ne faisait aucun doute.
Non seulement il était plus fort qu’elle, mais vu l’angle
dans lequel il la tenait, il devait dépasser son propre
mètre soixante-dix-huit d’une bonne dizaine de
centimètres. Elle savait maintenant qu’il ne cherchait pas
à la voler : dès le début de l’attaque, son sac avait glissé
de son épaule, et son contenu s’était répandu au sol.
L’agresseur l’avait ignoré.
Redoublant d’efforts, elle se mit à marteler de ses
poings le visage de son agresseur. Elle ne le voyait pas,
bien sûr, et les coups assénés à l’aveuglette n’eurent
guère plus d’effet que ses coups de pied.
Bon sang, mais où était la sécurité ? Le métro était
censé être un endroit protégé, avec des caméras dans
chaque coin pour prévenir les agressions. Elle chercha
des yeux celle qui devait couvrir l’endroit où elle se
trouvait, et découvrit qu’elle était orientée dans une
mauvaise direction. Par accident, ou
intentionnellement ?
La rame arriva, emplissant la station du sifflement des
freins. Les doigts plaqués sur sa bouche remuèrent. Son
agresseur s’apprêtait-il à serrer ses deux mains autour
de sa gorge ? A se saisir d’une arme ?