Table Of ContentCOLLECTION DES ETUOES ANCI ENNES
publiee sous le patronage de I'ASSOCIATION GUILLAUME BUDE
JACQUELINE DE ROMILLY
ANCII!NNE ELi;:VI! DE L'IiCOLI! NORMALI! SUPERIlIURI!
AGREGEE DES LETTRES
DOCTEUR ES LETTRES
~rHUCYDIDE
ET
1~'IMPEltIA[~ISME ATHENIEN
LA PENSEE DE L'I1ISTORIEN ET LA GENESEDE L'(EUVRE
1947
SOCIET£ D'£DITION « LES BELLES LETTRES »
95, BOULEV.-\RD RASPAIL;· PARIS VI.
A LA MEMOlREDE MONPERE,
MAXIME DAVID.
Au COUl'S de mon travail, j'ai rencou tre des aides uornbreuses. L'une
. d'entre elles n'a cesse de se manifester it moi de la facon la plus
large et la plus fidele ;c'est celie dc M. Louis Bodin, Professeur hono-
raire it la Faculte des Lettres de Dijon. II n'est pas de page de eet
ouvrage ou I'on ne puisse retrouver l'influence des conseils qu'il m'a
constamment prodigues, II a en efI'et tenu, avec une genereuse amitie ,
a mettre a ma disposition toute I'exper-ience qu'il a de Thucydide. Je
voudrais ici lui dire ma reconnaissance, ma gratitude. - En cela, j'as-
socierai etroitement son nom it celui de mon maitre M. Paul Mazon,
Membre de l'Institut, qui m'a orientee vel'S ce travail, et a hien voulu
diriger mes recherches.
Je dois aussi de vifs remerciements a M. Louis Sechan, qui, avec une
bienveillance attentive, m'a fourni beaucoup d'indications sur des cor-
rections it faire.
a
Enfin je tiens dire que cet ouvrage n'aurait pu prendre corps, dans
les dillicul tes mater ielles de I'heure presentc, sans l'aide financiere infi-
nirnent precieuse que m'a apportee l'Association All Service de la Pensee
Francaise, presidee pal' M. George.s Duhamel. Je ne saurais assez I'en
remercrer.
INTRODUCTION GENERALE
Plus qu'aucun autre historien peut-etre, Thucydide compose et orga-
nise la matiere de son recit ; et c'est Iii ce qui donne au lecteur Ie
sentiment d'une main sure, qui, du commencement it la fin de l'reuvre,
Ie guide vers un but precis. II est cependant invraisembiable de penser
a
que cette osuvre ait pu Mre elahoree d'un trait: tout porte croire au
contra ire qu'elle a ete engendree par des etapes successives et des
mouvements divers, n'excluant ni les faux-departs ni les retours en
arrier-e , Et siI'on trouve dans des ouvrages comme ceux d'Isocrate des
a
traces de corrections et Ia preuve de redactions faites des dates diffe-
rente's il y a encore beaucoup plus de chances pour que les memes
j,
conditions se presentent dans l'oeuvre de Thucydide. II s'agit en effet
d'une guerre de vingt-sept ans, et dont I'historien n'a pas attendu la
fin pour se mettre au travail 2; il s'agit aussi d'une guerre double, qui a
fort bien pu lui paraltre finie au bout de dix ans, puisqu'apres la paix
definitive il considere encore comme une originalite d'avoir reuni en un
tout les deux periodes de guerre separees par un temps de paix 3; il
s'agit enfin d'une ceuvre laissee inuchevee ; et ce seul fait invite it y voir
non pas un resultat definitif et degage des contingences, mais un effort
encore vivant, rattache it I'existence d'un homme, et soumis it ses fluc-
tuations
4.
Et de fait on a trouve dans I'histoire de Ia guerre du Peloponnese
a
les preuves d'un certain manque d'homogeneite. Ainsi ctJte de pas-
a
sages qui font allusion toute la suite des evenerne nts jusqu'en 404
J. cr. pour IePIl..egyrique, Mathieu, These, p. 67 el 68; pour Ie Philippe, les paragraphe.,7 et56,
qui revelent, .inon des corrections dans uneoeuvre deja redigeo, du moins des modification. auplan
primitif, ameneea par Iederoulement de. circonstances extericures,
2. II indique hii-msme au dehut de son amvre (I. J. I) qu'il commsnea son trnail de. Iedebut
deIa guerre (cip!;dtl'l!vOCE;Va"c; oc:cxBLa"tIXl'tvou)M.emea'il ne s'.gilla que d'un travail prepara-
loire[ci-de••ous:Le Seail deqoi), il n'en e,1 pas moina vraisemblable que Thucydide aitcherche,
sanlallendre vingt-.ept ans, ametlre en formesesdocuments, c'est-a-dire it rediger sonhistoire,
3. cr. V.• 5. Le ca. de laGuerre du Peloponnese n'est pas Ires different de celuidela « Guerre
deIrenle an. ))doni parlent ceus qui considerent Ia guerre de '939-'945 comme la replique, I.
suite,et le complement de celiede 191~-1918.
4. En particulier, s'il e81vrai que toute ceuvre d'une certaine extension comporte au coursde son
elaboration, deselements disparales, qui trahissenl sagenese01sont appeles pins tard II. disparaitre,
eeux-cisubsislent dans une oeuvreInachevee comme celledeThucydide,
10 INTHOLlUCTIOl'\
(comme le grand jugement de II. 65), on a releve d'autres passages,
a
comme celui sur Ies « phenomenes naturels », I. 23, dans Iesquels
certaines omissions et meme I'inspiration generale semblent impliquer au
contraire que cette suite des evenernents n'est pas connue ', Enfin, dans des
passages qui ne comporteraient par eux-rnemes aucun element de data-
tion, on a signale des contradictions, des desaccords, parfois aussi des
repetitions, qui suggerent du moins l'hypothese de moments divers
2.
Par consequent, que I'on adopte une interpretation simple comme celie
qu'UlIrich a presentee en 1846, ou des interpretations plus com plexes ,
comme cellcs qui ont ete envisagees apres lui, il parait evident que lu
genese de I'oeuvre de Thucydide pose un problerne , dont la solution
serait susceptible d'eclairer lesens du texte, et qui mer-ite itce titre d'etr e
considere. Nous dirons meme qu'ilne peut pas ne pas I'etre ,
Mais, ceci pose, I'existence d'un tel problerne ne pouvait que frapper
a
de paralysie toutes Ies etudes relatives Thucydide : il devenait impos-
a
sible en effet de traiter aucune question fond sans avoir au prealable
resolu ce problema: - et impossible aussi de Ie resoudre directement
sans avoir au prealable trnite les autres questions .
.On a assur-ernent consa ore ,des travaux it des points de methode ou
d'opinion, it l'analyse de tel 011 tel discours.; et dans I'ensemble, les
conclusions de ces travaux sont souvent pleines d'interet. Mais s'il est
vrai qu'a des passages diflerents peuvcnt correspondre des methodes,
des opinions ou des intentions sou mises il une evolution, I'on ne saura
pousser un peu loin aucune question sans chercher dans quelle
mesure ce mode d'cxplication doit intcrvenir. L'etude tres interessante
et tres fine qu'Ed. Lange fait des idees politiques de Thucydide est
mise en question par I'ouvrage d'Ed. Schwartz: Iii OU I'un faisait entre
divers jugements une moyenne et un equilibre, I'autre etablit en eflet
une distinction chronologique. De merne une etude comme celie
d'Abbott peut paraitre sommaire au lecteur de Schadewaldt: lit· oil
I'un etablit Ies regles d'une methode, I'autre en montre I'elargissement
progressif, Enlin des etudes precises comme celles de R. Zahn sur Ie
premier diseours de Pericles ou de Landmann sur Ie premier discours
d'Hermocrate ne peuvent eviter de poser une question de datation rela-
tive, qui suppose toujours plus ou moins une solution d'ensemble au
probleme de la genese de I'ceuvre , On s'explique ainsi l'attitude de
Patzer, qui, se proposant d'etudier la valeur de certaines idees chez
Thucydide, a ete arnene a se debarrasser en quelque sorte de ce pl'O-
I, La nature decet indios ne serait pasde nature aetayer une theorie, s'il se presentait seul. On
peuttoulefois remarquer que la dramatique eclipse (de lune, il est vrai) qui empecha Ie depart de
Niciasa VII. 50, & ne figure m~mepas dans ce catalogue; inversement, quand Thucydide la men-
tionne. ilen signale seulement l'inOuence Bur les evenements, et ne semble plus y voir un « eigne ))
interessant par lui-msme. O'autre part en 404, apres l'efTondremenl general. Ie role de la peste
d'Athimesaurait pu, semble-t-il, passer au secondplan: orThucydide dit a I..3.3: ~ oux ijICLaora
I3A1ul'aaa ICal fltpoc; "CLcpBELpaaa ~ AOLflclI81]c; voaoc;.
2, L'edifion deSteup relevelinnombre infini deces contradictions et de ces dcsaccords ; ils sontiI
la hasedu systeme d'Ed, Schwarta. La principale repetition doni on se soit etonne est (avcc los
« doublet. »'du livre VIII) celledu meurtre des tyrans. aur livres I .1VI.
INTlIOIIUCTlO1'i" II
blerne dans un ouvrage prelirninair e ; et l'on sexplique de merne que
presqne toute la bibliographie relative ;1 Thucydide ait ete au xx· siecle
orientee avant tout en ce sens ',
Cependant, depuis un siecle environ que Ie debat est ouvert, et mal-
gre la multiplicite des recherches faites dans tous les pays et en parti-
culier en Allemagne, aucun progres n'u ete accompli, et I'on pourrait
meme dire: au contraire. II semble que la question, au cours des
annees , n'ait cesse de s'embrouiller, au point de ne presenter aujour-
d'hui, apres tant d'efforts, aucune base sure ni aucun point veritablement
acquis Ullrich, en 11:;46, ne reconnaissait dans la gen ese de I'oeuvre
2,
que deux etapes , separees pal' un seuil purement materiel: Thucydide
commencait it ecrire en 42 I l'histoire de la guerre, qui etait alors une
guerre de dix ans. Lorsque les host.ilites reprenaient et que la guerre
lui paraissait se poursuivre il attendait qu'eIIe flit finie, en 404, pour
apporter quelques corrections il cette premiere partie de son oeuvre, et
pour rediger la seconde. - Mais apres Ullrich, on commence it deeou-
vrir des remaniements de plus en plus nombreux et de plus en plus sub-
tils, Cwiklinski, en 1877, suppose que l'epi sode sicilien a etc ecrit et
publie it part, Schwartz admet en 1886que Ie livre I est fait de pieces
et de morceaux. Prenzel et Wilamowitz montrent coup sur coup Ie
merne desordre dans Ie livre VIII, Puis en 1919 parait Ie grand livre
d'Ed . Schwartz, qui rend compte de l'ceuvre entiere : il signale partout
ce meme desordre ; et I'on aurait affaire d'a pres lui, bien souvent , it une
serie de notes ou d'essais, inspires par des intentions ct des opinions
diverses, et reunis par un editeur maladroit , Mais tout Ie monde se
dresse alors. Schwartz, declare Pohlenz, coupe trop facilement dans
I'reuvre ; il y introduit des separations trop brutales; il faut couper
autrement et ce ne sont pas les opinions de Thucydide qui ont
change, ce ne sont pas les faits, mais leur appreciation generale et la
facon de les mettre en lumiere. Dans I'ensemble tous s'ussocier ent iI ce
mouvement de resistance: Kolbe, Wilamowitz Iutterent comme Pohlenz
contre ce morcellement; Aly, Momigliano, rendirent autrement compte
a
de l'evolution de Thucydide: Ie systerne, peu peu, s'effritait, tout
comme celui d'Ulirich. - Parmi les nouvelles hypotheses forrnees au
cours de cette reaction, celie de Schadewaldt est la plus interessante; il
part du recit de l'expedition de Sicile; celui-ci se distingue par son
unite et son achevement ; et ccs deux caructeres s'expliquent selon
Schadewaldt par I'evolution qu'a subie, dans I'esprit de Thucydide,
l'idee de verite, C'est Iii encore un principe qui per met de distinguer
dans I'rnuvre des couches differentes ; mais il souleva aussitot autant de
I. cr, ci-dessoua : Reperloire biblioqrapbique . II reste natnrellernent I. possibilite, dune pari
d'apporter sur Iespoints que nOUBavons vusdes renseignements deja precieux, eldautre pari d'etu-
dier on eur-msmes des faits Ires generaux delangue ou de composition. Nous ne pretendons pasdire
que Ie problema deI. genese aentierement paralyse lesetudes sur Thucydide, maioseulement quil •
ell dans I'ensemble pour efTeldeles gener etde les decourager ,
" cr, J, David, Rapport sur l'Elal presen! des eludes relatives a Thuc),dide, Actes du Congr,s de
Slrarbourg de /'Associalion G, Bud«.
12 INTRODUCTION
diflicultes que les precedents. Rehm et Pohlenz ne furent pas d'accord ;
bientot Grosskinsky se proposa de saper I'ensemble du systeme par
son interpretation du chapitre I. 22, dans lequel Thucydide expose
sa methode, et la forme de verite qu'il se propose d'atteindre. De
tant d'efforts, il ne restait alors qu'un fatras d'hypotheses de toute
nature, des opinions battues en br-eche, des arguments retournes entout
sens , La these unitaire, brillamment soutenue par Ed. Meyer en 1899,
gardait des adeptes, comme Patzer en 1937; et la merne annee, les
explications genetistes, it force d'eplucher Ie texte, n'en laissaient rien
subsister, chez Laqueur par exemple. Ecrasante par sa bibliographie,
nulle par ses resultats, Ia question de la genese de I'oeuvre peut donc
actuellement passer pour Ie type meme du problema vain et desespere,
Le fait s'explique; et la pauvrete des resultats correspond it l'impuis-
sance des methodes. Sur quoi peut-on s'appuyer, en effet? Sur des
indices '? - mais tout montre que ce sera fort difficile ; ceux-ci seront
presque toujours extrernernent imprecis : s'agira-t-il de prouver I'an-
ciennete d'un passage, il faudra avoir recours en general it I'argument
ex silentio. II peut yavoir beaucoup de passages anciens, rnais iln'y en aura
ussurernent qu'un petit nombre OU une omission concernant I'avcnir se
fera vraiment remarquer, presquc pas un Oil une telle omission prendra
a
coup sur Ie caractere d'une erreur ou d'une ignorancc. -- S'agira-t-il
au contraire de prouver qu'un passage donne est poster ieur a telle ou
telle date, la chose sera plus nette ; mais si Ie passage cn question figure
dans un discours, Thucydide aura pris soin de deguiser l'allusion pour
accorder la pen see aux circonstances; il n'y aura done d'indice reelle-
ment sur que dans les remarques introduites par Thucydide en son
nom personnel: et on sait qu'il s'est efforce d'en limiter Ie nombre et la
portee , en guide autoritaire mais dissimule . Enfin s'il arrive que I'on
puisse fixer avec certitude pour un passage un terminus ante quem ou
post quem, I'on ne sera guere plus avance, car il faudra encore deli-
miter I'extension d'u developpemerit qu'il entraine: ce pourra etre
un groupe de 'mots, une phrase, un developpement, un livre ..• Ainsi
dans les livres siciliens, la mention des Eginetes « alors instal'les a
Egine» (VII. 57. 2) indique une date poster ieure a 405; mais tandis
que cette datation vaut aux yeux de Schadewaldt pour tous les livres VI
et VII, elle ne vaut it ceux de Schwartz que pour le catalogue des allies
(VII. 57-8), a ceux de Rehm que pour Ie membre de phrase relatif aux
Eginetes. On entre ainsi dans des contestations sans fin relatives il la
composition. L'on peut donc dire que pour Mre a merne de decel er un
indice et dedelimiter sa poi-tee, ilfaudrait ~tre tres exactement renseigne ,
d'abord sur les idees qui pouvaient ou ne pouvaient pas Mre expi-imees
a
tel ou tel moment, ensuite sur les habitudes qui president chez Thu-
eydide a la composition et it l'enchainement des idees, et sur la forme
que cet enchainement affecte dans chaque cas particulier. M~me ainsi,
a
il resterait difficile d'affirmer; plus forte raison est-cc impossible
autrement.
iNTRODUCTION
Mais, dira-t-on, I'on peut du moins s'appuyer sur ces fameuses contra-
dictions, qui, sans comporter de datation absolue, permettent du moins
des distinctions assez rigoureuses, c'est-a-dire en somme une forme de
datation relative. - Elles ne valent pas mieux ; et elles sont necessai-
rement, quoi qu'en pense Schwartz, aussi irnprecises et aussi incer-
taines.
Que l'on reflechisse, en effet. Si c'est un editeur qui a reuni, parfois
I
malencontreusement, divers brouillons de Thucydide, il a dli vouloir
avant tout les souder de son mieux. Mettons que sa sottise l'ait ernpeche
d'y parvenir , il n'a du chercher en tout cas qu'a adoucir les transitions,
il pallier les contradictions; et ce ne sont pas des ruptures brusques ou
des omissions flagrantes que l'on rencontrera: ce ne sera en tout eas
rien daussi net que Ie pense Schwartz. - Et si au contraire la soudure
entre les divers elements a ete l'ceuvre de Thucydide, elle a ete effec-
tuee comme elle devait I'etre , sans que puissent coexister des elements
destines a se remplacer. IIy a meme des chances pour que Thucydide
ait alors opere ses remaniements en tenant compte du contexte et en
etablissant avec lui des relations de fond et de forme qui ont pour effet
de nous tromper , Ajoutons enfin que rneme la ou une difliculte appa-
raitra de facon certaine, il faudra encore Hre sur que la contradiction,
si contradiction il y a, ou la maladresse, si maladresse il y a, s'explique
par des raisons chronologiques. Ed. Meyer a releve dans I'ceuvre de
Thucydide toute une serie d'inconsequences de detail qui ne peuvent
en aucune man iere Mre mises sur Ie compte des circonstances de sa
genese On voit qu'ici encore une large matiere s'ouvre aux contes-
2.
tations. Et l'on ne peut aborder la question, une fois de plus, que si
I'on a des idees tres precises sur la pensee de Thucydide, sur ses precedes
d'exposition, sur les habitudes historiques qu'il montre dans Ie recit,
et sur les habitudes dialectiques qu'il montre dans Ies disc ours . C'est
sur de telles notions que s'opposent les differ-entes theses; et il importe
avant toute autre chose de les tirer au clair.
Telle nous a paru Hre la situation qui attendait Ie chercheur: acca-
blante evidemment, puisque chaque forme d'etude supposait l'autre et
a a
sernblait, isolernent, vouee I'echec ou la vanite ,
Le probleme que nous nous proposons de traiter a ete determine par
la connaissance de cette situation.
Puisque chaque forme d'etude impliquait necessairement l'autre, it
nous a semble necessaire de les reunir, et de poser des I'abord l'exis-
I. II Ya stir.ment eu uo editeur de Thucydide ; la derniere phrase de I'eeuvre Buffirait a le
prouver. Mai. oelle-ci semble indiquer enmeme temp. qu'il n'entend pas toucher a l'reuvre de Thu-
cydide, L'indication chronologique qu'il donne ne tenle nullemeot de o'as.imiler aulexte. Certains
manuscrits la presentent msmecommey etant tout afait etrangere. C'estInune desraisons qui nous
fontpenser queeet editeur n'apas eu, dans Ie corps memo de l'cauvre, Ie rOleque certains ont cru.
Lesautre. raisons eetiren! descaractere. memesde I'osuvre, et delasubtilite de sastructure.
a, Forsch., II, P: .86-7' En particulier ilcite certaines difficulteeeo rapport avecleo textes de.
traitee, les relations entre Alhenes etd'autree pay., leeehilTresdes navires. II y aassurement bien
desimperfection. de cette nalure dans des ouvrage. qui ont pourtanl etO<lcrit, " a la suite •.
INTRODUCTION
tence d'une double inconnue; ainsi les deux ordres d'etudes, menes
a
par allelernent, etaient destines se rendre des services reciproques :
ce que l'on degagerait relativement it I'esprit de Thucydide devait
permettre d'arriver It un resultat plus precis concernant la genese de
l'reuvre, et ce resultat , inversement, devait permettre de fixer les idees
ainsi degagees dans la realite vivan te de leur deveuir. Autrement dit, il
nous a semble qu'il conve nait d'etudier la genese de I'rsuvre i. propos
d'une idee, d'une habitude ou d'un principe de Thucydide, ou, si I'on
prefere, d'etudier cette idee, celte habitude. ce principe en faisant
intervenir it son sujet la genese de I'oeuvre.
a
Encore fallait-il que Ie theme choisi se prHflt une etude de ce genre,
c'est-a-dire que I'on put en trouver la trace en des endroits divers de
I'reuvre de Thucydide: cette consideration eliminait toute une serie
d'analyses portant sur des parties de l'reuvre. Des etudes comme celles
de R. Zahn sur Ie premier discours de Pericles, de Landmann sur Ie
premier discours d'Hermocrate, ou de Grosskinsky sur Ie pro'gramme de
I.22 se proposent en effet de faire servir it I'etablissernent d'une theorie
sur la genese de l'reuvre I'analyse tres rigoureuse de certaines idees;
et les resultuts auxquels elles sont ar-rivees sont certainement pr-eci eux ;
il n'est cependant pas possible que leurs conclusions aient la moindrc
valeur, tant que la theorie qu'elles supposent n'est pas applicable it
I'ceuvre entier e ; et ainsi apparait la necessite d'une synthese, peut-etre
hative, mais indispensable: quitte it paraitre imprudente toute recherche
doit tenir compte de I'reuvre dans son ensemble; toute conclusion doit
etre aussitot generalisee. En ne retenant qu'un probl erne isole , mais
portant sur des passag'es divers, cet inconvenient semblait devoir Hre
reduit au minimum.
II restait seulement une derrrier-e condition it remplir, qui etait que le
theme choisi offrit une prise au changement. De toutes les etudes faites
sur la langue et Ie style de Thucydide, il ressort que ceux-ci demeurent
en principe identiques tout au travers de I'osuvre \ et de meme sans
doute sa methode en general, dans la mesure oil elle correspond it une
disposition profonde de son esprit Au eontraire Ie domaine des juge-
2,
ments politiques cst Ie plus propre it appeler Ie changement.
Dans cc dornaine , un grand fait s'offrait it nous, present, plus
qu'aucun autre, dans toutes les parties de I'ceuvre , - soumis plus
qu'aucun autre, aux ~ariations d'opinion, puisque, changeant lui-merne
de forme avec Ie temps, il reclarnait it chaque instant, en merne temps
qu'un nouveau jugement, une nouvelle interpretation: ce fait etait
I'imperinlisme athe nien.
IIpresentait en outre par lui-memo l'avantage de soulever une question
aussi mal debrouillee qu'importante: par les formes diverses qu'il a
affectees suecessivement, et par la multiplicite des circonstances qu'il
I. cr, Jan Ros. S.J" Die IJI!'IQ6oA,1..'.j,p, 457,
2, C'est pourquoi de telles eludes ont pu seulesdonner leur fruit sans etre g~nee. par le problem.
de I. genesede I'ceuvre.
I,NTRODUCT10N
a
met en jeu, I'imperialisme atherrien ne pretait pas Ull jugement
simple. L'attitude generale de Thucydide a ete inter pretee de facons
differentes; les uns ont fait de lui un partisan zele de I'imper-ial isme ,
d'autres son adversaire. Et ceux qui ont voulu trouver dans I'histoire de
la genese de I'oeuvre la clef de ces apparentes contradictions ont par
suite insiste, mais en des sens tres divers, sur I'evolution qu'aurait sous
ce rapport subie sa peusee , Pour Ed. Schwartz l'reuvre inachevee aurait
tendu a devenir , apres 40i, nne apologic de I'jmper-ia lisme anparavant
reprouve :pour A. MOllligliano, l'reuvre comrnencee comme une apologie
a
de la puissance athenien ne aurait plus tard cherche en expliquer la
ruine, venue brusquement surprendre l'historien. Toutes ces hypotheses
representent autant de questions auxquelles cette etude s'efl'orce de
repond re.
Or ces questions sont d'une importance primordiale , s'il est vrai que
toute la pensee historique, politique et philosophique de Thucydide est
centroe autour de ce grand fait.
II va sans dire que traiter une telle question dans ses rapports avec
lagenese de l'reuvre constitue une tache lourde ,Nous avons dit pourquoi
if ne nous avait pas paru possible de la diviser , Du moins est-il bien
a
evident que cette tache se sullit elle-merne, et que nous 11esaurions
avoir la pretention d'epuiser iei Ie problerrie de la genese de I'reuvre.
Bien des questions, qui se poscnt, ne seront meme pas eflleurees
t ;
bien des problemas seront laisses sans solution. Nous ne nous effor-
cerons de traiter que ceux qui sont directement en rapport avec la
penseo de Thucydide sur l'imper-ialisme atheuien , En eherchant iI.
a
preciseI' ee problerne, nous esperons apporter une contribution utile
l'etuda de la genese de I'reuvre, et l'ebauche d'une solution; mais cette
etude restcra subordormee au prohleme precis des rapports entre
Thucydide et I'Imperialisme , et cc problerne seul sera traite integra-
lement.
a
Cette hierarchie correspond, aussi bien, celIe qui doit exister dans
les esprits, puisque en definitive I'histoire de la genese de l'eeuvre ne
nous interesse que dans la mesure OU elle nous permet de mieux
eomprendre I'reuvre , et, en mettant les accents Iii.ou il faut, de saisir
la pensee dans sa vie meme, - conforrnement ilia fonction normale de
I~philologie, qui demeure en touto circonstanco une branche de I'huma-
msme ,
I. Ainsi I. question des textes de traites, ..elle de I. chronologie, celie des « doublets n, Ces
diverses questions ne permettent pas d'arrive r :i des solutions valables : mais nous n'avons pas a le
prouver ici.
