Table Of ContentUNIVERSITÉ PARIS 8 – VINCENNES-SAINT-DENIS
U.F.R. Langages Informatique Technologie
École doctorale : Cognition, Langage, Interaction
N° attribué par la bibliothèque
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THÈSE DE DOCTORAT
en vue d’obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS 8
Discipline : Sciences de l’Information et de la Communication
présentée et soutenue publiquement le 25 novembre 2008 par
Étienne Armand AMATO
Titre :
Le jeu vidéo comme dispositif d’instanciation
Du phénomène ludique aux avatars en réseau
JURY
Jean-Louis Weissberg, Maître de Conférences HDR, Université Paris 13 (Directeur)
Sophie Pène, Professeur des Universités, Université Paris 5 (Rapporteur)
Philippe Dumas, Professeur des Universités, Université du Sud, Toulon Var (Rapporteur)
Daniel Raichvarg, Professeur des Universités, Université de Bourgogne
Étienne Perény, Maître de Conférences, Université Paris 8
« Mais si faire l’expérience de l’interactivité, c’est passer de l’autre côté du miroir,
pourquoi ne s’intéresser qu’à ce qui se produit “derrière le miroir”, à l’intérieur de la
représentation, et non pas à l’expérience même de ce franchissement ? »
Isabelle Rieusset-Lemarié, La Société des clones à l’heure de la reproductibilité
multimédia, p. 203
Ce travail est dédié à tous ceux – amis, parents, compagnes et compagnons de vie,
camarades d’étude, collègues – qui ont encouragé cette recherche, comme aux institutions et
collectifs qui m’ont accueilli avec bienveillance et fait confiance.
Vivants ou disparus, proches ou lointains, réels ou virtuels, que chacun en soit
chaleureusement remercié, au nom de l’amitié et de l’esprit fraternel sans lesquels toute quête
intellectuelle risquerait d’être vaine.
2
Résumé long de la thèse
Est-il légitime de considérer le jeu vidéo en général et en tant que tel comme formant un
média à part entuère, malgré la variété des supports, genres et usages qui le portent ? Existe-t-il une
spécificité transversale de ce qui s’apparente bien à un dispositif médiatique singulier ? Si oui,
comment identifier et caractériser cette singularité ? Le travail doctoral restitué dans cette thèse a
consisté à s’emparer de cette problématique pour tenter de la résoudre.
Alors que l’attention des chercheurs des Sciences Humaines et Sociales, et en particulier ceux
des Sciences de l’Information et de la Communication, s’éveille aux jeux vidéo et aux nombreuses
thématiques qu’ils soulèvent, la première partie aborde sous un angle communicationnel un
phénomène longtemps négligé dans notre champ et qui méritait un réexamen : le jeu. Les jeux
semblent pouvoir eux-mêmes prétendre au statut de médium, dont l’originalité tient en ce qu’ils
s’offrent comme des dispositifs virtuels, qu’il faut activement mettre en oeuvre pour en saisir le sens.
Puis, en vue de comprendre l’émergence du jeu vidéo, nous avons examiné le devenir
cybernétique du jeu en jeu vidéo à travers les deux branches, électronique et informatique, qui ont
permis en parallèle sa mise au point. Cette investigation éclaire sous un jour nouveau le rapport à
l’image interactive ainsi que la nature cybermédiatique du jeu vidéo. Elle montre que l’interactivité
iconique a émergé sur un même terreau scientifique et technique, terreau défriché et fécondé par un jeu
expérimental qui satisfaisait en même temps des impératifs de promotion publique de l’innovation
technologique.
Pour aborder la diffusion et la formalisation des différents dispositifs matériels exécutant des
jeux vidéo, l’étude porte ensuite sur les appareils ludiques préexistant aux bornes d’arcade, telles que
les machines à jouer publiques. Comment grâce à elles un nouveau rapport aux machines s’est-il
institué, au cœur duquel s’est forgé un « geste interfacé » à la machine, qui ne soit plus seulement
productif, mais récréatif ? De là, les caractéristiques des principaux supports vidéoludiques pourront
être spécifiées.
Puis, le fonctionnement de l’image vidéoludique et des univers de jeu est discuté. Nous avons
choisi d’engager l’étude du mode de fréquentation du jeu vidéo à travers les métaphores d’usage que
sont la téléprésence, l’immersion et l’incarnation, qu’illustrent respectivement la télérobotique, la
Réalité Virtuelle et l’Avatar vidéoludique. Il en résulte une proposition de modélisation systémique
autour des notions de corporalité et de corporéité, chacune s’efforçant de tenir compte tant du vécu
humain que du conditionnement technologique.
Enfin, la notion d’instanciation, à la fois synonyme d’actualisation et de simulation, réévaluera
les différents vecteurs de présence préalablement dégagés. Il s’agit alors de rassembler les bénéfices
des métaphores auparavant étudiées, tout en tenant compte des ressorts de l’illusion vidéoludique, par
lesquels les vidéojoueurs se propulsent - entre télémanipulation, transport et téléportation - dans des
mondes à part entière et de plus en plus partagés.
3
Laboratoire Paragraphe, Equipe d’accueil 346, Université Paris 8,
2 rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis Cedex 02
Tél : 01 49 40 67 58 Courriel : [email protected]
Le jeu vidéo comme dispositif d’instanciation.
Du phénomène ludique aux avatars en réseau
Est-il légitime de parler du jeu vidéo en général, malgré la variété des supports, genres et usages ? Existe-t-il des
spécificités transversales permettant d'y voir un dispositif médiatique singulier ? Si oui, comment les identifier et
les caractériser ?
Pour répondre à ces questions, le jeu est analysé sous un angle communicationnel. De là est posée l'idée que le
jeu constitue l'un des premiers médiums et dispositifs virtuels, qu'il s’agit de mettre en œuvre pour en
comprendre la signification.
L’étude de l'émergence du jeu vidéo dans les laboratoires, en amont de sa commercialisation, permet d'en
dégager les principes fondamentaux. L'approche généalogique retenue distingue une lignée informatique et
électronique et identifie le jeu vidéo à un cybermédium ayant les mêmes racines.
Quant à la généralisation des usages publics et privés des jeux vidéo, elle est abordée à partir de l'histoire des
appareils de jeu populaires, de la diffusion des bornes d'arcade, afin de caractériser la communication s'instituant
avec les machines à jouer.
Enfin, le fonctionnement de l'image et des univers vidéoludiques est discuté. Le mode de fréquentation du jeu
vidéo est abordé à travers les métaphores d'usage que sont la téléprésence, l'immersion et l'incarnation,
qu'illustrent respectivement la télérobotique, la Réalité Virtuelle et l'Avatar. Il en résulte une proposition de
modélisation systémique intégrant le corps et l'activité subjective. Elle tente de tenir compte du vécu humain et
du conditionnement technologique, grâce à la notion d'instanciation, à la fois synonyme d'actualisation et de
simulation.
MOTS-CLEFS : JEUX VIDÉO – JEU – AUDIOVISUEL NUMÉRIQUE – SIMULATION – RÉALITÉ VIRTUELLE
Video Games as Devices of Instantiation.
From the game phenomenon to networked avatars
Is it adequate to refer to video games in general, despite the variety of devices, genres and uses? Are there any
transversal qualities that would allow us to define them as constituting a specific medium? And if so, how to
identify and characterize these qualities?
To answer these questions, our approach is to analyze games from a communicational perspective. From there,
we conclude that games constitute, in fact, one of the first virtual mediums or devices that has to be engaged
(played) successfully in order to uncover its meaning and internal logic.
Furthermore, the historic emergence of video games in laboratories, before they become commercial objects,
allows us to define a set of fundamental principles. The chosen genealogical approach distinguishes between two
strands – one properly concerned with computers, the other with electronics – that are both anchored in the same
problem space.
The generalization of public and private uses of video games is tackled via the history of popular game
apparatuses and the diffusion of arcade games in order to specify the particular type of communication instituted
by gaming machines.
Finally, the specific functions of the image and the game universe are discussed. Modes of encountering games
are characterized through a series of metaphors concerning practices of use, in particular the notions of
telepresence, immersion, and incarnation, which refer to, respectively, telerobotics, virtual reality, and the avatar.
From there, we present a systematic model that integrates the body as well as subjective activity. By means of
the notion of “instantiation”, which brings together the concepts of actualization and simulation, this model tries
to account for both human experience and technological conditioning.
KEYWORDS : VIDEO GAMES – GAME – DIGITAL BROADCASTING – SIMULATION – VIRTUAL REALITY
4
LISTE DES FIGURES
Figure 1 Problématique et parcours d’investigation................................................................26
Figure 2 De la sphère ludique au « cône » ludique finalisé.....................................................59
Figure 3 Les principes du Mastermind....................................................................................69
Figure 4 Une partie de morpion...............................................................................................87
Figure 5 Spacewar! : Image et contrôleur.............................................................................111
Figure 6 La Brown Box et ses périphériques, l’un de ses jeux télévisuels : Tennis...............128
Figure 7 Le premier jeu électronique.....................................................................................136
Figure 8 Comparaison entre l’habillage imaginaire de deux jeux vidéo de tennis................143
Figure 9 Comparaison entre les interfaces de SAGE et Spacewar!......................................152
Figure 10 Visions de jeux vidéo modernes et détails de leur mini-carte...............................156
Figure 11 L’écran comme surface d’effectuation et ses boucles de contrôle........................157
Figure 12 Les réflexivités et imputations intentionnelles autour de l’image.........................159
Figure 13 Les deux machines de visions payantes rencontrent le succès..............................174
Figure 14 L’hybridation des gestes interfacés aux machines récréatives..............................186
Figure 15 Illustrations de bornes d’arcade des origines à nos jours......................................189
Figure 16 Le circuit de communication de la console de salon.............................................205
Figure 17 Les machines à jouer portatives............................................................................209
Figure 18 Space Invader, Frog !, La linea : de la profondeur supposée de l’image.............248
Figure 19 La posture vidéoludique à la jonction entre trois postures....................................252
Figure 20 L’interface du jeu vidéo tactique Myth..................................................................263
Figure 21 L’image analogique et digitale, une simili-réalité augmentée...............................264
Figure 22 Les interfaces vidéoludiques immersives coupant du monde...............................269
Figure 23 Les exosquelettes réels et digitaux........................................................................315
Figure 24 Les interfaces du soldat et du stratège du jeu vidéo Savage.................................321
Figure 25 Savage : points de vue du soldat et du stratège pour une même action................323
Figure 26 L’image partagée de Baldur’s Gate (version PS2)...............................................325
Figure 27 Tableau récapitulatif des instances et formules corporelles..................................340
Figure 28 Schéma du modèle de l’instanciation vidéoludique« 3+1 » .................................349
Figure 29 Le joueur, un chaînon manquant ?........................................................................357
5
SOMMAIRE GÉNÉRAL
Résumé long de la thèse.........................................................................................................3
LISTE DES FIGURES...........................................................................................................5
SOMMAIRE GÉNÉRAL.......................................................................................................6
INTRODUCTION..................................................................................................................7
Partie 1 La communication ludique.........................................................................................32
CHAPITRE 1 : Le phénomène ludique................................................................................33
CHAPITRE 2 : Les traits communicationnels fondamentaux du jeu..................................49
CHAPITRE 3 : Le double statut communicationnel du jeu.................................................68
Partie 2 Généalogie des émergences vidéoludiques.................................................................83
CHAPITRE 4 : La branche informatique du jeu vidéo........................................................84
CHAPITRE 5 : L’origine électronique du jeu vidéo..........................................................124
CHAPITRE 6 : Les sources cybernétiques du jeu vidéo...................................................145
Partie 3 Le devenir machinique du jeu...................................................................................164
CHAPITRE 7 : Les filiations du geste interfacé................................................................166
CHAPITRE 8 : La sphère publique investie par les bornes...............................................187
CHAPITRE 9 : Diffusion et infiltration du jeu vidéo........................................................204
Partie 4 : Du mode de fréquentation du jeu vidéo..................................................................224
CHAPITRE 10 : Mondes d’images digitales et téléprésence............................................225
CHAPITRE 11 : La métaphore de l’immersion.................................................................267
CHAPITRE 12 : Le réseau et l’avatar : intersubjectivités.................................................303
CONCLUSION..................................................................................................................354
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................365
TABLE DES MATIÈRES.................................................................................................385
6
Introduction
INTRODUCTION
1) Approches communicationnelles et disciplinaires
En 1958, apparaît sans crier gare le premier système technique instaurant une relation
ludique similaire à celle qu’offre un actuel jeu vidéo sur console. A travers ce dispositif
techno-pragmatique, le public confidentiel venu visiter un centre nucléaire1 de recherches
civiles aux États-Unis découvre alors un rapport inédit avec la machine et avec l’image, qui
sera appelé à se généraliser dans les décennies suivantes. De ce point de vue, le jeu vidéo fête
en cette année 2008 son demi-siècle d’existence.
En 1971, la commercialisation d’abord artisanale puis industrielle, du jeu vidéo
débute, alors que par ailleurs est mis au point le premier microprocesseur2. Incidemment, il se
trouve que l’auteur de ces lignes prend place parmi les vivants cette même année. Trente-sept
ans plus tard, le microprocesseur s’intègre banalement dans de nombreux objets
communicants utilisés au quotidien, exécutant entre autres, mais de façon quasi-systématique,
des jeux vidéo.
En 1978, l’interdiscipline des Sciences de l’Information et de la Communication (SIC)
organise son premier congrès en France. En 2008, le XVIe congrès scientifique de la Société
Française des Sciences de l’Information et de la Communication (SFSIC) salue le 30e
anniversaire d’un champ académique qui s’est constitué entre-temps comme discipline à part
entière. Plusieurs interventions portent sur le jeu vidéo et sur les pratiques ludiques en ligne.
À la table ronde rassemblant les enseignants-chercheurs autour des « recompositions
professionnelles, organisationnelles et sociétales », un jeune maître de conférence, Sébastien
Genvo, l’un des rares spécialistes français du jeu vidéo investi par les SIC avec Vincent
Mabillot, est invité à prendre la parole sur les nouveaux rapports aux nouvelles
technologiques induits par la pratique massive et généralisée des systèmes vidéoludiques.
La veille, y était chaleureusement accueillie une communication co-écrite par l’auteur
de cette thèse et par Étienne Perény, Maître de Conférences au département Hypermédia de
l’Université Paris 8. Fruit d’une collaboration soutenue, elle offrait un regard
intergénérationnel rétrospectif et documenté sur l’évolution du champ disciplinaire SIC
français, en prenant les jeux vidéo comme analyseurs3.
1 Il s’agit du Brookhaven National Laboratory d’Upton, New York
2 Le premier microprocesseur est l’Intel 4004, lancé le 15 novembre 1971
3 AMATO Étienne Armand, PERÉNY Étienne, Comment le premier cybermédium a pu un temps échapper aux
7
Introduction
Il nous paraît utile de restituer ces dernières analyses afin d’expliciter tant la place du
jeu vidéo dans notre discipline que le mouvement intellectuel auquel se rattache notre
recherche. En voici la teneur.
« Depuis trente ans, les Sciences de l’Information et de la Communication
(SIC) françaises s’efforcent de comprendre, voire d’anticiper, les profonds
changements que vit notre civilisation post-industrielle, notamment sous
l’influence des « nouvelles » technologies. Parmi leurs nombreux objets de
recherche privilégiés, figurent en bonne place les Machines à Communiquer que
sont devenus les ordinateurs. Or, une innovation d’apparence anodine, le jeu
vidéo, devint l’un des principaux vecteurs de cette révolution technoculturelle qui
a, sous nos yeux, bouleversé notre rapport aux images et aux écrans, pour le
placer sous le régime de l’interactivité et de la simulation. En pleine ère
électronique triomphante des années 70, sphères publiques et privées sont
pénétrées par ces contenus d’un genre jusqu’alors inconnu. Tandis que les bornes
d’arcade s’imposent en nouvelles reines des bars et salles de loisir, les consoles
électroniques détournent pour la première fois le sacro-saint téléviseur familial de
son usage habituel, pour en faire un véritable « terminal-écran multifonction.
Malgré cette émergence concomitante, les SIC ont très irrégulièrement
étudié la puissante pénétration des jeux vidéo dans la banalité des interstices
récréatifs du quotidien. Ainsi le dépouillement d’une revue emblématique des
SIC, Réseaux, montre une éclipse d’une décennie entre 1983 et 1994, d’autant
plus étonnante que le « dossier du séminaire du jeu » de son premier numéro
posait parfaitement les problématiques de fond et dressait une prospective
frappante de justesse4. Pour qu’il en soit de nouveau question, il faudra patienter
jusqu’au n° 65 où un point sur le marché français du jeu vidéo5 laisse présager le
conséquent dossier du n° 67 dédié aux jeux vidéo. Patrice Flichy l’ouvrait avec
une pointe d’ironie en soulignant combien « il est toujours surprenant de
constater qu’un média radicalement nouveau ait pu apparaître sans crier gare,
sans convoquer à son baptême quelques médiologues » [Flichy 94 : 5]. Faisant
office de véritable coup d’envoi, qu’est-il advenu d’un tel programme de
rattrapage, et comment les SIC ont-elles répondu à ce défi ?
Il semble qu’il ait fallu passer le cap de l’an 2000 pour voir les retombées
de cette ouverture6. En 2001, la revue Médiamorphose n° 3, sous l’impulsion de
Geneviève Jacquinot-Delaunay, relance le chantier, bientôt suivie de quelques
initiatives qui favorisent enfin la progressive mise en place d’un champ autonome.
Fin 2002 ont lieu les journées d’étude « Internet, jeu et socialisation » du GET7
aux actes peu après publiés [Auray, Craipeau 03]. Quelques articles ponctuels
apparaissent dans les colloques hypermédia [HT2PM’03]8 ou SIC [14e congrès de
SIC : De la dynamique structurelle du jeu vidéo au Réseau, XVIe Congrès de la Société Française des Sciences
de l’Information et de la Communication, Université Technologique de Compiègne, 2008.
4 Notamment [Querzola, Verebelyi 83]
5 [Chevaldonné 94]
6 Même le nº 100 récapitulatif de la revue Réseaux « Communiquer à l’ère des réseaux », Hermès, 2000, passera
sous silence tant le jeu vidéo que la question de l’image interactive.
7 Interventions disponibles sur : http://www.institut-telecom.fr/archive/156/colljeu.html
8 Le jeu vidéo n’est pas encore abordé frontalement, mais il sert de toile de fond à des réflexions centrées sur
l’interactivité, le récit et la posture de l’interacteur. [Balpe et al.03]
8
Introduction
la SFSIC de 2005] jusqu’à y bénéficier d’un axe spécifique [H2PTM’ 05 et 07]9.
La dynamique de production semble lancée, avec des ouvrages traitant du sujet
dans la sphère francophone, parus annuellement au sein de prestigieuses
collections scientifiques [Genvo 05 ; Szilas, Réty 06 ; Lafrance 06]. Sur le plan
universitaire, trois thèses SIC sont parues à ce jour [Mabillot 00 ; Genvo 06,
Bonfils 07], qui témoignent des délais académiques incompressibles pour aboutir
de telles sommes. En parallèle, de 1999 à 2004, le séminaire SIC « L’action sur
l’image : pour l’élaboration d’un vocabulaire critique10 » s’emploie à analyser
œuvres et dispositifs numériques. Les jeux vidéo y occupent une place importante,
en raison de problématiques centrées sur l’image actée, l’interactivité et la
narrativité [Barboza, Weissberg, 06]. Face à la rareté de contextes aussi tolérants
et stimulants, de jeunes chercheurs de tous horizons fondent en 2002
l’Observatoire des Mo ndes Numériques en S ciences Humaines 11, qui fédère
depuis des recherches vidéoludiques multidisciplinaires et les vulgarise auprès
d’un public de parents, de professionnels, d’institutionnels de plus en plus en
demande. Aujourd’hui le jeu vidéo semble devenu un objet d’étude de plein droit,
dans un contexte socioculturel et scientifique enfin décomplexé, voire favorable.
Cependant la recherche française aura accumulé ainsi une à deux décennies de
retard sur la production scientifique internationale, et principalement anglo-
saxonne, dont elle est grandement tributaire. » [Amato, Perény 08]
Or, de notre point de vue et d’après nos travaux, la dimension communicationnelle
dépasse les pronostics des scientifiques visionnaires pour rejoindre ce qu’annonçaient
certaines œuvres de science-fiction, littéraires ou cinématographiques. Car songeons-y
rétrospectivement, il y a déjà vingt-cinq ans, le film Tron (Lisberger, 1982) mettait en scène
l’absorption par la machine d’un passionné de jeu vidéo d’arcade. Téléporté parmi les
« robots » logiciels, réduit à la taille des circuits électroniques, le héros de Tron était aux
prises avec une intelligence artificielle plus perfide et manichéenne que l’ordinateur humanisé
et fou de 2001 l’Odyssée de l’espace (Kubrick, 1968). La métaphore d’une angoissante
téléportation, vécue par des joueurs qui, vus de l’extérieur, paraissent hypnotisés par la
représentation où ils se sont mis à exister, avait de quoi interroger. L’année suivante,
l’adrénaline du public grimpe avec Wargames (Badham, 1983), dont le suspens est centré sur
le détournement accidentel du système de défense nucléaire américain par un jeune joueur
agissant à travers les réseaux. Est mise au cœur des fantasmes collectifs la thématique du
réseau autant que celle des applications sérieuses du jeu vidéo et du transfert de compétences,
transfert en l’occurrence inattendu et incontrôlable. Entre-temps la thématique du jeu vidéo
continue de nourrir quelques scénarios plus ou moins inspirés. 1999 enfin vérifie que le
9 Respectivement [Saleh, Clément 05] et [Saleh et al. 07]
10 Textes de séance et comptes rendus de recherche disponibles sur : http://hypermedia.univ-
paris8.fr/seminaires/semaction
11 http://www.omnsh.org
9
Introduction
cinéma est en phase avec son époque, autant qu’à l’époque charnière de 1982. D’un côté le
génie créatif d’un Cronenberg, dans son eXistenZ (1999), renouvelle la vision des machines
hypersophistiquées en montrant combien elles tiendraient aussi de l’organique et du
biologique. L’hallucination produite par les molècules de synthèse psychédéliques a laissé
place à des rêves éveillés et consensuels en réseau local. Pour en sortir, il faut crier « pause »,
avec pour conséquence de soudain débarquer dans un nouveau niveau de réalité dont il est
difficile d’établir s’il est réel ou simulé [Meaglia 01]. Le réalisateur Cronenberg, dans
Vidéodrome (1984), avait déjà parfaitement diagnostiqué les effets psychopathologiques de la
diffusion des émissions de téléréalité. Il y mettait en image une fusion de l’homme avec un
écran cathodique de télévision, lequel était déjà à l’époque contaminé par le magnétoscope,
cet appareil affirmant le contrôle sur l’image et causant en retour une attraction irrésistible.
Pendant que Cronenberg poursuivait de la sorte une véritable enquête médiologique avec les
moyens d’investigation propres au cinéma, la trilogie Matrix propulsait la même année sur le
devant de la scène des questions techno-existentielles si centrales qu’elles firent l’objet en
France d’un livre collectif interrogeant cette « machine philosophique », livre patronné par
une des grandes figures intellectuelles contemporaines qu’on n’aurait pas attendue là [Badiou
et al. 03]. Les passerelles et tensions entre univers réels et simulés, entre plans de virtualité
concrets et de réalité abstraits, se dévoilent dans ces fictions cinématographiques, dont les
dérivés vidéoludiques ne tardent pas à convoquer un public désireux d’être toujours plus actif
et immergé. A ce jour, les univers de jeux vidéo, au départ simples micro-mondes aisément
identifiables, ont fini par s’étendre en de si vastes territoires numériques que de nouveaux
véhicules (voitures, vaisseaux, etc.), à la fois simulés, imaginaires et efficaces, doivent être
empruntés pour parvenir à les traverser. Cette expansion des territoires virtuels aurait justifié à
elle seule une recherche sur leurs fondations. Ici la métaphore de la conquête territoriale, de la
colonisation [Benedikt 92] laisse à penser que l’humain, ayant achevé de s’approprier sa
petite planète, a fini par s’inventer ses propres terra incognita pour continuer à explorer des
zones exotiques et mystérieuses en vue encore une fois de les dominer et régenter.
2) Problématique de recherche : des configurations et logiciels à foison
De la sorte, au sujet du jeu vidéo, les thématiques de recherche ne manquent pas. S’en
emparer sans plus de préalables est une tentation relevant trop souvent de la passion ou de
l’angoisse, toutes deux justifiées par d’importants enjeux sociétaux, communicationnels,
10
Description:Figure 26 L'image partagée de Baldur's Gate (version PS2) . réflexe), ou du personnage (« hack'n slash »12), d'autres la nature de .. domaine de la sécurité incendie et de la prévention des risques, j'ai appris la façon de gérer.