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RÉATION
Du Malheur
d’avoir de l’esprit
DOSSIER
PÉDAGOGIQUE
D
OSSIER PÉDAGOGIQUE
Du Malheur
d’avoir de l’esprit
d’Alexandre Griboïedov
mise en scène Jean-Louis Benoit
Du Malheur d’avoir de l’esprit
mise en scène Jean-Louis Benoit
traduction André Markowicz
décors Alain Chambon
costumes Marie Sartoux et Alain Chambon
lumières Joël Hourbeigt
son Jérémie Tison
perruques et maquillages Cécile Kretschmar
assistante à la mise en scène Raphaëlle Spencer
stagiaire à la mise en scène Kéti Irubetagoyena
Avec
Philippe Torreton Tchatski Catherine Herold La Comtesse Khrioumina
Roland Bertin Famoussov Jézabel d'Alexis La petite fille de la Comtesse
Jean-Paul Farré Répétilov Véronique Dossetto Une domestique
Ninon Brétécher Sofia Dominique Pacitti Une domestique
Chloé Réjon Liza Stéphane Bientz Un domestique
Louis-Do de Lencquesaing Moltchaline Jacques Dupont Le Prince Tougooukhovski
François Cottrelle Skalozoub Marie Albe Une invitée
Jean-Marc Roulot Platon Mikhaïlovitch Marius Cavallini Un invité
Emilie Lafarge Natalia Dmitrievna Jean Duvert Un invité
Martine Bertrand La vieille Khliostova Louis Franco Un invité
Suzy Rambaud La Princesse Denise Giullo Une invitée
Jean-Marie Frin Zagoretski Catherine Manent Une invitée
Louis Merino Un domestique
Production › Théâtre National de Marseille La Criée en coproduction avec le Théâtre National de Chaillot
Spectacle créé au Théâtre National de Chaillot du 9 mars au 7 avril 2007
REPRÉSENTATIONS PHOTOS RENSEIGNEMENTS CONTACT
du 10 mai au 10 juin 2007 Des photos libres de droits RÉSERVATIONS Rébecca Piednoir
Grand Théâtre pour la presse régionale 04 91 54 70 54 Tel : 04 96 17 80 30
mardi, mercredi à 19H sont disponibles par téléphone, [email protected]
jeudi, vendredi, samedi à 20H sur notre site au Théâtre, Anne Pirone
dimanche à 15H www.theatre-lacriee.com du mardi au samedi billetterie groupes
ATTENTION: de 12H à 18H Tel : 04 96 17 80 20
pas de représentation AUDIO-DESCRIPTION Tarifs de 9 à 21€ [email protected]
le dimanche 27 mai Pour les déficients visuels
samedi 2 juin 20h
Durée du spectacle : 2H30 dimanche 3 juin 15h
DOSSIERPÉDAGOGIQUEDu Malheur d’avoir de l’esprit- 26/04/2007 page 2
Autour du spectacle
•Rencontre
avec Jean-Louis Benoit et les comédiens
SAMEDI12 MAI17H- CENTREBOURSE/ FORUMFNAC
•Rencontre avec les comédiens
tous les mercredis à l’issue de la représentation
•Exposition photo
au restaurant Le Pain quotidien
Place aux Huiles - Marseille
VERNISSAGEMARDI15 MAI18H- EXPOSITIONJUSQU’AUDIMANCHE3 JUIN
•Sur www.theatre-lacriee.com
mise en place d’un forum, espace de dialogue et d’échange autour du spectacle,
photos et extraits vidéo à télécharger
L
ECTURE
Pouchkine, poèmes en russe et en français
commentés par André Markowicz, traducteur
Entrée libre sur réservation 0496178031
ou [email protected]
JEUDI24 MAI20H- PETITTHÉÂTRE
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En quelques mots
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›››Dominique Pacitti, Philippe Torreton, Monique Murawsky, Suzy Rambaud, Guy Faucher, Ninon Brétécher
Un matin, Tchatski revient à Moscou peut être Moltchaline, ce petit intri- Tchatski serait devenu fou! Après la
après une absence de trois ans, brû- gant silencieux et servile ! Pourtant, réception, voulant à tout prix résou-
lant de retrouver une amie d’enfance, le spectateur le sait, c’est Moltcha- dre l’énigme, il se cache derrière un
Sophie, fille d’un haut fonctionnaire, line qui est aimé : Sophie, blessée pilier et entend des propos sur sa
Famoussov. On l’accueille froide- par le départ de Tchatski, l’a paré de «folie » qui mettent le comble à son
ment. Avec l’impatience - et la naï- vertus imaginaires, et il joue docile- exaspération. Mais voici le coup de
veté - des amoureux, il doute encore ment son rôle d’amoureux respec- grâce : une déclaration à Lise de
de son malheur et veut aussitôt tueux, tout en lutinant la servante Moltchaline, que surprend aussi
savoir la vérité : Sophie aime-t-elle Lise. Le soir, lors d’un bal chez Sophie. Tchatski laisse là Sophie en
un rival ? Serait-ce Skalozoub, cet Famoussov, Tchatski retrouve le larmes, et avec elle Moscou, allant
officier bête et avantageux ? Ce ne Tout-Moscou : vieilles dames tyran- «chercher par le monde un refuge
niques, parasites, tricheurs, filles à pour le sentiment offensé ». « Ma
marier stupides, maris abrutis. Plai- voiture ! Ma voiture!» seront les der-
santant Moltchaline, il provoque la niers mots du voyageur condamné
contre-attaque de Sophie qui ne à l’errance.
dément pas un bruit absurde :
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A propos du Malheur d’avoir de l’esprit
Nous ne connaissons pas Griboïedov. Pouchkine, Lermontov, ses contemporains, Gogol un peu plus tard, ont
été et sont encore représentés – rarement - sur nos scènes. Autant que je le sache, Du Malheur d’avoir de
l’espritn’a jamais été joué en France. Pourtant, dans la dramaturgie russe, cette œuvre est un « classique»
d’une importance capitale : achevée en 1823 (elle sera représentée pour la première fois en 1831, deux ans
après la mort de Griboïedov), elle est la première pièce moderne du théâtre russe : pour la première fois,
dans une langue « parlée », en vers libres, un auteur dédaigne les types traditionnels conçus a priori, pour
créer des types universels observés dans la vie et l’actualité même de son temps. Griboïedov « lance » le
théâtre réaliste russe sans lequel Le Revizorde Gogol n’aurait jamais vu le jour.
Je ne sais pas exactement pourquoi demment, et la comparaison du Mal- Nous nous proposons de produire
cette pièce n’a jamais été jouée en heur d’avoir de l’esprit avec Le avec Le Théâtre National de Chaillot
France. Certainement que ses réfé- Misanthropefut faite à l’origine par Du Malheur d’avoir de l’esprit. Il est
rences à l’actualité du temps, au les russes qui venaient enfin de trou- temps que le public français
Moscou « d’avant l’incendie » (de ver là leur Molière. L’étude de cet connaisse Griboïedov et son unique
1812), « prédécembriste », gonflé homme seul et buté, qui se heurte à comédie. Cette pièce est écrite en
des aspirations de la jeune généra- une société qui le refuse, qui lance vers libres rimés, vers qui à l’épo-
tion en révolte contre les conserva- haut et fort ses certitudes et ses que ne faisaient pas très sérieux et
tismes, peuvent créer pour nous un convictions, cet homme blessé, n’existaient que dans l’opérette ou
certain éloignement, mais au-delà empêché, amoureux trahi et délaissé, les genres mineurs. André Marko-
des allusions et des références au emporté, agressif et moqueur, insup- wicz a retraduit pour nous la pièce,
Moscou d’avant 1825, le problème portable parfois, est d’une portée souhaitant « rendre » le langage
que pose Griboïedov dans sa pièce évidemment universelle et dépasse familier tout en restituant la versifi-
est somme toute le suivant : quelle de loin le seul cadre moscovite des cation d’origine.
peut être la place d’un homme intel- années 1810. Comédie, tragédie, JEAN-LOUISBENOIT(2005)
ligent dans une société d’imbéciles? pamphlet, Du Malheur d’avoir de
La question ne mérite-t-elle pas l’espritest tout cela, et plus encore,
d’être posée dans la France d’au- un poème « scénique».
jourd’hui ? Le vrai intérêt de cette
pièce est psychologique et tourne Œuvre lyrique, Du Malheur d’avoir
autour du personnage central qu’est de l’espritest un avatar du drame
Tchatski (ce nom connote en russe romantique de l’homme incompris
les fumées du rêve) homme pas- de la société, une tentative de har-
sionné, railleur, qui, vaincu au sein diesse insurpassée pour montrer le
d’une société de médiocres, passe drame à sa naissance même, son
vraiment pour un fou et se voit surgissement et sa fatalité.
contraint de se retirer dans un Il faut entendre ici « esprit », non
«désert » où personne n’ira le cher- comme la simple pose à se montrer
cher. Nous pensons à Alceste évi- « spirituel », mais comme la faculté
d’être « intelligent », homme de
savoir faire, compétent, maniant la
raison et le bon sens appliqué au réel.
Tchatski serait ainsi un «homme des
Lumières » selon le XVIIIèmesiècle. Un
homme éclairé.
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L’intelligence, cet enfer
Du Malheur d’avoir de l’esprit, clas- Farce tragique et comédie politique, Amoureux passionné, il retrouve
sique capital du théâtre russe pré- la pièce unique de Griboïedov (1823) Sophie après trois ans d’absence à
senté pour la première fois en dépeint un monde d’ambitieux et de Moscou. Mais la jeune femme, par
France, réunit notamment Philippe magouilleurs dans lequel s’égare dépit, s’est tournée entre temps vers
Torreton et Jean-Louis Benoit, près Tchatski, homme clairvoyant et un autre, un vaniteux servile. Le soir
de dix ans après le triomphe des révolté, l’espace d’une seule journée. même, un bal rassemble la haute
Fourberies de Scapinà la Comédie- L’homme rappelle l’Alceste du Misan- société moscovite, où défilent les
Française. Pour le metteur en scène thrope de Molière. « Il est doté de ridicules parasites, les hargneuses
et directeur du Théâtre de La Criée, l’intelligence que décrit le Siècle des cacochymes, les belles idiotes à
à Marseille, l’acteur et le héros de lumières, explique Jean-Louis marier, les mères tyranniques et
Griboïedov ont en commun « cet air Benoit: c’est un homme éclairé, ou leurs coureurs abrutis de maris.
d’être toujours en colère… Torreton, un honnête homme. » Progressiste, Tchatski provoque la haine et se
comme son personnage, est un Tchatski se réfère aux idées libérales défend mal. Il surprend les conver-
homme entier, habité, plein d’éner- de son temps. Il veut reconstruire la sations, entend les rumeurs qui le
gie. Même dans ses silences, on le Russie, mais se heurte aux traditio- concernent, et observe avec une luci-
sent toujours au bord de l’explo- nalistes. dité impitoyable la communauté des
sion». Publiée par fragments, inter- hommes, ces barbares mondains. Il
dite par la censure, l’œuvre dénonce part en quête d’un « refuge pour le
le népotisme et le conservatisme. sentiment offensé », comme Alceste
fuit le monde et rejoint le désert.
PIERRENOTTE
BROCHUREDESAISON06-07
THÉÂTRENATIONALDECHAILLOT
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Une comédie russe
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››› Roland Bertin, Philippe Torreton
ALEXANDREGRIBOÏEDOV, Après des études très brillantes, il qu’il côtoie mais ne fréquente pas),
ÉCRIVAINBRILLANTETÀCONTRE-COURANT se lance dans la vie mondaine de la se range parmi les « archaïstes »,
Alexandre Griboïedov est né à Mos- jeunesse dorée de son époque, pia- hostiles à l’influence des nouveaux
cou, dans une famille de noblesse niste brillant et mauvais garçon ; tou- auteurs français ou anglais. En cela
ancienne, cela, c’est sûr, mais dès sa tefois, quand Napoléon envahit la encore, il est à contre-courant.
date de naissance, les difficultés sur- Russie en 1812, il se porte volontaire, Une querelle mondaine va changer
gissent. Lui-même indiquait le 4 jan- mais ne se retrouve pas dans l’ar- sa vie. En novembre 1817, il parti-
vier 1795 ; cela le faisait entrer à mée combattante, contrairement à la cipe à un duel à quatre, qui l’oppose,
l’Université de Moscou à treize ans plupart de ses amis pour lesquels aux côtés du prince Chérémétiev, au
(1808), et en sortir avec un diplôme l’expérience de la guerre, puis de comte A. Zavadovski et à A. Iakou-
donnant droit d’enseigner à quinze l’invasion de la France, sont fondatri- bovitch, pour les beaux yeux d’une
ans... Des recherches récentes éta- ces. La guerre terminée, Griboïedov actrice. Le comte Chérémétiev est
blissent que si ses parents se sont se tourne vers le théâtre, et écrit avec tué et Griboïedov, qui venait juste
bien mariés en 1791, il est né en le poète Pavel Katénine une première d’entrer dans la carrière diplomati-
1790, hors mariage, et s’était trouvé comédie en prose, L’Étudiant, en que, est envoyé servir de secrétaire
obligé de mentir pour ne pas être 1817, qui se présente comme une auprès du général Iérmolov, com-
déclaré bâtard. attaque contre le sentimentalisme. mandant de l’armée russe qui était
Car Griboïedov, contrairement à la en train d’envahir le Caucase — il
plupart des jeunes gens rassemblés s’agissait là du début d’une guerre
en sociétés littéraires comme La sanglante qui devait durer jusqu’aux
Lampe verte ou L’Arzamas (auxquel- années 1860 et a repris après l’écrou-
les appartient le jeune Pouchkine, lement de l’URSS. >
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››› Philippe Torreton, Ninon Brétécher
Griboïedov y écrit ses Lettres du Cau- Reçu par le tsar Nicolas Ierqui sou- En 1829, Pouchkine s’était échappé
case, non destinées à la publication, haite le remercier de ses services, il de Saint-Pétersbourg pour rejoin-
où il dépeint la réalité de la guerre, lui demande la grâce de ses amis, dre l’armée du Caucase. Il écrit, dans
débarrassée de ses oripeaux et la réponse est immédiate : c’est lui son magnifique Voyage à Erzeroum,
«patriotiques ». qui, en disgrâce, est nommé ambas- décrivant la traversée d’une route
Après l’écrasement des décembris- sadeur à Téhéran. Là, en janvier montagneuse : Deux bœufs, attelés
tes (14 décembre 1825) qui avaient 1829, l’ambassade russe est prise à une arba(1), gravissaient un chemin
tenté d’imposer par la force une d’assaut par une foule de fanatiques escarpé. Quelques Géorgiens
monarchie constitutionnelle, il passe chiites qui massacrent tous les Rus- accompagnaient l’arba. « D’où
six mois en prison et ressort libre, ses présents dans le bâtiment. Le venez-vous ? » leur demandai-je. —
mais sous surveillance constante de corps de Griboïedov ne sera reconnu De Téhéran. « Qu’est-ce que vous
la police : même s’il n’avait pas par- que par sa main difforme : Iakoubo- transportez ? » — « Griboïed(2)». —
ticipé au complot proprement dit, il vitch et lui s’étaient retrouvés au C’était le corps de Griboïedov, assas-
connaissait personnellement la plu- Caucase et ce dernier avait, inten- siné, qu’ils convoyaient jusqu’à Tiflis.
part des insurgés. Renvoyé au Cau- tionnellement, visé sa main, pour Je ne pensais plus revoir notre Gri-
case, il suit souvent les combats et qu’il ne puisse plus jamais jouer du boïedov ! Je l’avais quitté l’année der-
fait de fréquents séjours en Perse, piano. nière, à Saint-Pétersbourg, avant son
pays contre lequel la Russie mène départ pour la Perse. Il était triste
une guerre qui s’achèvera par un et avait d’étranges pressentiments :
traité victorieux en février 1828, traité « Vous ne connaissez pas ces gens-
auquel sa contribution est décisive. là ; vous verrez qu’il faudra jouer des
couteaux. » (3)[...] Il est mort sous les
poignards des Persans, victime de
l’ignorance et de la perfidie. >
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››› Louis-Do de Lenquesaing, Ninon Brétécher, Chloé Réjon
Son cadavre défiguré, jouet depuis La vie de Griboïedov fut assombrie LESDÉBOIRESDETCHATSKI, JEUNEHOMME
trois jours de la canaille perse, ne de nuages : conséquences de pas- CAUSTIQUEETPLEIND’ESPRIT
put être reconnu que par sa main, sions fougueuses et de circonstan- L’intrigue du Malheur d’avoir de l’es-
jadis trouée d’une balle de pistolet. ces puissantes. Il avait senti la pritest simple et pourrait se résumer
J’ai connu Griboïedov en 1817. Son nécessité de régler ses comptes une en un vers : « Où sommes-nous le
caractère mélancolique, son esprit fois pour toutes avec sa jeunesse et mieux ? Où nous ne sommes pas.»
aigri, sa bonhomie, ses faiblesses et de faire prendre à sa vie un tournant Après un voyage de trois ans à travers
ses vices mêmes, inévitables compa- brutal. Il fit ses adieux à Saint- le monde, Alexandre Tchatski, un jeune
gnons de l’humanité — tout en lui Pétersbourg et à la distraction oisive, homme caustique et « plein d’esprit»,
irradiait un charme extraordinaire. partit en Géorgie et y passa huit ans porteur de généreuses idées de
Né avec un amour-propre qui égalait de travail solitaire et constant. Son réforme, revient à Moscou, chez
ses dons, il fut longtemps pris dans retour à Moscou en 1824 fut le tour- Famoussov, un notable corrompu, dont
les rets des misères mesquines et de nant de son destin et le début de suc- la fille unique, Sofia, est demeurée son
l’anonymat. Ses capacités d’homme cès ininterrompus. Sa comédie grand amour. Mais « qui va à la
d’Etat restaient inutilisées ; son manuscrite Du malheur d’avoir de chasse perd sa place » : alors que
talent de poète non reconnu ; même l’espriteut un effet indescriptible et Famoussov voudrait lui faire épou-
sa bravoure froide et étincelante fut le plaça d’un coup au premier rang ser le colonel Skalozoub, un militaire
un temps soumise au doute. Quel- de nos poètes. [...] Je ne connais rien riche et stupide, Sofia est amoureuse
ques amis connaissaient sa valeur de plus enviable que les dernières de Moltchaline, le veule secrétaire de
et se voyaient opposer un sourire de années de sa vie. Sa mort elle-même, son père. Tchatski refuse d’y croire, et
méfiance, ce sourire imbécile et qui le frappa au milieu d’un combat finit par blesser celle qu’il aime. >
insupportable, quand il leur arrivait courageux et inégal, n’eut pour Gri-
de parler de lui comme d’un homme boïedov rien de terrifiant, rien d’an-
extraordinaire. [...] goissant. Elle fut instantanée,
splendide...
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Une soirée réunit une assemblée d’in- de copies manuscrites, qui circulè- pas : J’étudie d’après vous les
vités tous plus monstrueux les uns rent, dès 1824-25, à travers toute la Tchatski de notre temps.) Rien n’était
que les autres, et Sofia fait courir le Russie. Du coup, si la pièce elle- plus gratifiant que de s’identifier à
bruit que Tchatski est fou. Le jeune même ne fut autorisée à la repré- ce personnage flamboyant, aux tira-
homme voit chacun se détourner de sentation qu’en 1861, il n’existait pas des assassines, dans un monde où le
lui. La nuit, sans savoir que Tchatski une seule personne lisant le russe moindre écart, la moindre parole
est involontairement témoin de la qui ne fût pas en état d’en citer des pouvaient avoir des conséquences
scène, Sofia surprend Moltchaline phrases isolées, sinon répliques tragiques. Rien n’était plus noble,
faisant la cour à sa suivante, Liza. La entières. Il s’agit là d’un phénomène bien sûr, que de lancer sa révolte à
pièce finit par un quiproquo général: unique : des poèmes révolutionnai- la face du monde.
Famoussov prend Tchatski pour res de Pouchkine avaient déjà cir- ANDRÉMARKOWICZ
l’amant de Sofia et le chasse, tandis culé à des centaines d’exemplaires TRADUCTEUR
que Sofia et Liza sont envoyées au manuscrits, mais ce n’étaient que
fin fond de la Russie, et Moltchaline, des poèmes isolés, jamais des livres.
qui a réussi à s’éclipser dans la Ici, il s’agit bien d’exemplaires com-
cohue, échappe à toute poursuite. plets, de copies du texte de toute la (1) L’arba est un genre de charrette.
(2) Il y a là un jeu de mots terrible :
pièce(4).
«Griboïed » signifie « mangeur de
RETENTISSEMENTDUTEXTE champignons ».
ETREPRÉSENTATIONSCONTRARIÉES TCHATSKIETSESAVATARS (3) En français dans le texte. On notera que
Du Malheur d’avoir de l’esprit, DANSLALITTÉRATURERUSSE les deux plus importants poètes russes
de l’époque se parlent naturellement en
achevé en 1824, fut interdit dès le Depuis 1825, le nom de Tchatski ou
français.
mois de mai 1825, au moment où un son influence apparaissent dans la (4) La « Maison Pouchkine » à Saint-
groupe d’étudiants voulut le repré- plupart des romans, d’Eugène Oné- Pétersbourg, bibliothèque où sont
senter sur scène, et l’on voit mal guinede Pouchkine au Bal masqué regroupées la plupart des archives du
romantisme russe, possède à elle seule
comment il aurait pu en être autre- et au Héros de notre tempsde Ler-
une centaine de ces copies.
ment : les attaques de Tchatski montov, des romans de Tourguéniev
contre les courtisans, en particulier, à ceux de Dostoïevski, comme si Gri-
sont d’une violence telle qu’on se boïedov, peignant le premier «homme
demande comment, dans le contexte étrange », le premier «homme de
de l’époque, elles ont pu même être trop» du romantisme russe, avait
simplement écrites. Mais le texte de lancé un débat fondateur : quelle
Griboïedov fut diffusé par centaines place pour l’individu dans une société
corsetée et construite sur la peur ?
Le dernier avatar de Tchatski est >
sans doute le Platonovde Tchekhov
(le fils Vénguérovitch ne lui dira-t-il
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Description:Pouchkine, poèmes en russe et en français commentés par André . donnant droit d'enseigner à quinze ans. Orden de Bourgeade et Arrigo, mise.