Table Of ContentT A B L E A U X A L L E M A N D S D U X V I S I E C L E
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D A N S L E S C O L L E C T I O N S H O N G R O I S E S
Musée des Beaux-Arts
Collection de la ProvinceProtestante
de la Région Danubienne, Budapest
Musée Chrétien, Esztergom
Musée Dobó István, Eger
TABLEAUX
J á n o s V é g h
ALLEMANDS
DU XVIe SIECLE
Corvina Kiadó
Titre original : századi német táblaképek
XVI.
Corvina Kiadó, Budapest, 1972
Traduit par
JÁNOS GYÖRY
Revu par
ANNE-MARIE DE BACKER
Maquette et typographie par
JÁNOS LENGYEL
Planches en couleur provenant des archives de Corvina Kiadó, Budapest
Photos de ALFRÉD SCHILLER, n 26, 28, 29, 47 de KÁROLY SZELÉNYI
os
Deuxième édition revue
© JÁNOS VÉGH, 1972
ISBN 963 13 1281 X
«Dan dy kunst des molens würt geprawcht jm
dinst der kirchen ynd dodurch angetzeigt der
leiden Christi, behelt awch dy gestalt der menschen
nach jrem absterben. »*
Dürer
D
ans ce texte Dürer, à l’apogée de sa maturité, résume tout ce que ses longues médita
tions lui ont appris sur la tâche de l’artiste. Cinq cents ans après sa naissance, quand nous
sommes riches d’une littérature abondante sur l’artiste et son époque, nous ne saurions mieux
résumer la plus haute source d’inspiration des peintres allemands du début du XVI siècle.
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Les profondes convictions religieuses qui, en Allemagne, devaient bientôt aboutir à la Ré
forme, imprègnent aussi l’art de Dürer. L’élément essentiel de celle-ci est la passion du
Christ. Or, Dürer a représenté la passion christique dans des suites remarquables dont trois
entièrement achevées, les deux autres étant conservées sous forme d’esquisses. Fait plus
surprenant encore, c’est que la Passion exerce sur son imagination une véritable hantise. Un
dessin daté de 1522 prête sa propre physionomie à un Christ supplicié, tenant deux cravaches
dans la main (Brême, Kunsthalle). Par contre, un tel accent mis sur l’importance du portrait,
puis, l’idée d’éterniser l’homme après sa mort témoignent d’une conception qui à l’époque
de la Renaissance cherchait à prévaloir. Cette pensée conçue par Dürer remonte aux modèles
italiens. La phrase que nous avons citée plus haut est donc tout à la fois susceptible de nous
faire sentir les liens de sa peinture avec le passé qu’incarne la forte religiosité du Moyen Age,
comme avec le présent, ce XVI siècle tourné plutôt vers le monde d’ici-bas.
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Cette constatation ne concerne pas seulement Dürer, mais les autres peintres allemands
de son époque; lui, cependant, le plus important d’entre eux, assume un rôle de chef de file.
L’art de Grünewald, abstraction faite de son portrait présumé, se place presque toujours
sous l’égide de la religion, alors que les tableaux de Holbein, en dépit de leurs thèmes reli
gieux, montrent bien que leur auteur n’a pas attribué d’importance au caractère des sujets
qui l’inspirent. Seul entre ses contemporains, Dürer offre l’exemple d’une préoccupation
profondément religieuse liée à une curiosité intense dont les objets, la beauté, la forme ar
tistique constituent les éléments terrestres.
Cette génération mérite, par ailleurs, notre attention. Elle parvient à un accomplissement
que la peinture allemande n’a jamais réalisé ni avant ni après. Cette magnifique floraison du
panneau peint fut l’épanouissement d’une seule génération. Nous pouvons constater, en
généralisant un peu, que si la plupart des artistes sont nés aux environs de 1470, les années
1540 ne furent atteintes que par quelques-uns d’entre eux. Leur activité qui se signale par un
*«C'est que l’art du peintre est mis au service des églises afin de témoigner de la passion du Christ. Le tableau
préserve pourtant le visage de l’Homme après sa mort. »
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véritable acharnement au travail s’atténue assez vite. Dürer est le seul à nous offrir des
créations significatives effectuées encore au XV siècle, mais, dès 1528, année de sa mort, le
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magnifique élan des premières décades se ralentit dans de f ortes proportions.
Si l’on envisage le XV siècle du point de vue de l’activité déployée par Dürer et ses
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contemporains, on a l’impression que tout conduit à eux, comme si le passé les avait, pour
ainsi dire, préparés. Toutefois, après les prédécesseurs immédiats, après la génération précé
dente, et selon l’exemple de l’Italie où le cinquecento succéda au quattrocento, apparut
brusquement une époque de génies, obéissant à des normes toutes différentes. La trans
formation se manifeste par le grand nombre des créateurs de talent ainsi que par le niveau
exceptionnellement élevé des créations. Sous ce rapport, impossible de ne pas penser à la
situation générale en Allemagne. Le pays divisé en nombreuses parcelles, chacune indépen
dante, est incapable d’influer sur la politique européenne dans la seconde moitié du Moyen
Age ; il en est de même dans le domaine des arts, il devient territoire d’emprunt plutôt
que point de départ. Mais cette situation subit un brusque changement. La rénovation con
fessionnelle, ce mouvement important de l’époque, prend son point de départ en territoire
allemand. Dans les décades précédentes, le chemin qui conduisait à la Réforme exigeait de la
part des énergies spirituelles une tension qui, entre autres résultats, finit par augmenter le
prestige de l’art allemand. Pour l’Allemagne, la Réforme déclencha les mêmes forces qu’avait
déclenchées l’humanisme pour l’Italie. En la personne de Dürer, la génération nouvelle fut
dotée d’un chef de file nimbé d’une réputation internationale — Raphaël lui offrit un de ses
dessins — et dont les gravures exercèrent sur un grand nombre de maniéristes italiens une
influence facile à retrouver.
Il va de soi que cette chute rapide d’une floraison aussi spontanée préoccupe tous ceux
qui s’intéressent à l’époque dont nous parlons. La guerre paysanne acharnée contre un
présent pire que le passé dont elle voulait abolir jusqu’au souvenir eut de fâcheuses consé
quences. Les représailles qui s’ensuivirent ne furent pas moins désastreuses. Nous devons
penser ici non seulement au sort cruel réservé à Jôrg Ratgeb et à Tilman Riemenschneider,
mais encore, et à plus forte raison, à l’affermissement des principautés territoriales et, par
conséquent, de la situation des forces féodales. Ceci marchait de pair avec un certain recul
des villes. Or, les peintres, dans leur majorité, contribuèrent à la formation d’une culture
nettement citadine et bourgeoise, de sorte que la diminution de l’importance des villes
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influa, certes, sur leur situation. Tout ceci se déroula à un moment où l’influence exercée
par l’art italien, comme le rapide changement des styles, plaça une grande partie des artistes
dans une sit uation difficile.
Une autre cause importante de la décadence doit être aperçue dans l’iconoclasme de la
Réforme. La peinture de l’époque, ne l’oublions pas, connut sa floraison en particulier dans
le domaine des autels à volets, ce superbe du gothique flamboyant. Ainsi,
Gesamtkunstwerk
quand la nouvelle confession, rapidement propagée et déjà raffermie (confession à la genèse
de laquelle contribuèrent les feuilles graphiques dues à l’inquiétude religieuse que leurs
nombreux tirages, leur popularité ne firent d’ailleurs qu’aviver), inclinait de plus en plus
vers la condamnation du culte des tableaux et des statues, qualifié d’idolâtrie papiste, un
grand nombre de peintres ressentirent à juste titre l’absurdité de toute leur activité anté
rieure. Les représentants ultras de la Réforme, dans leur fureur iconoclaste, écrasèrent et
brûlèrent jusqu’aux trésors conservés dans les églises. Même en territoires catholiques, la
peinture des tableaux d’autel accusa un recul pendant plusieurs décades. En Allemagne, la
religion, le mobile religieux des actes, jouait un rôle de premier plan. Autrement, comment le
mouvemen t de Luther, de ce réformateur confessionnel, aurait-il pu amener des changements
politiques aussi graves? Ce qu’on peut constater au sujet des artistes du cinquecento d’Italie,
mais sans doute aussi d’un e grande partie du public de ce pays, c’est que l’art pour eux
comptait beaucoup plus que la religion. En Allemagne, au contraire, la prise de position
adoptée par un mouvement confessionnel pouvait paralyser presque toute la peinture, ainsi
que la sculpture.
La décadence a une autre cause importante. Pour la tirer au clair, il n’est que d’examiner
le rôle joué par les sujets étrangers dans le style des autels, au temps où la peinture des autels
à volets fut reléguée à l’arrière-plan. Deux genres, le portrait et la peinture historique,
continuèrent à prospérer. (Celui-là n’avait guère, en territoire allemand, qu’un passé de
cinquante ans, tandis que celle-ci, quelques décades auparavant, était uniquement représentée
par des miniatures.)
Ces symptômes nous permettent de préciser à quel point l’ébranlement de l’idée de
l’Église, prise au sens médiéval du terme, pouvait atteindre la peinture religieuse, presque
toute-puissante encore durant les générations précédentes. Avec la disparition d’une Église
qui semblait être la seule possible et qui jusqu’alors absorbait toute pensée religieuse, une
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relation plus intime, plus consciente s’est établie entre Dieu et les fidèles. Même ceux qui
persistèrent dans leur foi ancienne appartenaient à l’Église catholique onn puls à la manière
spontanée de leurs parents ou grands-parents, mais par le résultat d’un choix plus ou moins
conscient. Une telle liberté ainsi accrue rendait les artistes plus libres, mais la disparition de
l’univers traditionnel, les prises de positions de jour en jour renouvelées, l’obligation d’affir
mer ou de nier, pesaient énormément sur eux, en aboutissant à une crise qui semblait sans
issue.
Enfin, pour exprimer les idées les plus importantes de l’époque, les moyens dont dispo
sait le peintre paraissaient peu opportuns. L’importance de la p a r o l e fut puissamment
soulignée par l’invention de Gutenberg, mais plus encore par les débats passionnés entre
propagateurs et adversaires de la Réforme ; ceux-ci marchaient de pair avec la dévaluation
de l’image. Ce phénomène explique sans doute en partie qu’il nous soit permis de saluer en
Luther et ses compagnons d’éloquents orateurs donnant une nouvelle impulsion à la littéra
ture allemande, alors que même les plus grands peintres de la nouvelle génération furent
incapables de se montrer les dignes héritiers des géants auxquels ils succédaient.
Rien ne montre mieux l’importance de la parole que le chef-d’œuvre tardif de Dürer,
les Malgré leur immobilité, ces figures humaines sont si expressives qu’en
Quatre Apôtres.
parlant d’elles, nous évoquons volontiers le célèbre critère de la création artistique : l’impossi
bilité d’ajouter ou d’enlever quoi que ce soit. Or, Dürer lui-même les trouvait à tel point
imparfaites sans l’aide de la parole — les textes bibliques — qu’il a fait copier sous leurs
pieds, par un calligraphe, de longues citations qui, par ailleurs (conformément au goût de
notre époque), disparaissent des reproductions illustrant les livres d’art. Les premières
décades du XVI siècle furent très significatives au point du vue de l’évolution des artistes qui
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acquirent alors l’autonomie de leur personnalité. Ce fut là que disparut l’anonymat, si
fréquent encore au siècle précédent, quoique, comme le montre l’exemple du Maître de la
Vita Friderici et Maximiliani, il se trouve encore quelques anonymes même parmi les créateurs
du premier ordre. La majorité des artistes, cependant, appose déjà sa signature sur ses
tableaux, souvent même sur ses dessins. C’est surtout la signature des dessins qui prouve la
conscience que les maîtres ont prise de leur propre valeur. Enfin, avec Dürer, nous nous trou
vons en face d’un peintre à qui la chronique de sa famille, émigrée de Hongrie à Nuremberg,
ainsi que les menus événements de son voyage dans les Pays-Bas, semblent assez importants
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pour qu’ils soient couchés par écrit et légués à la postérité. Cela correspond, évidemment, aux
autres manifestations du culte de la personnalité si caractéristique à l’époque. Les donateurs,
eux non plus, n’ont plus l’ambition de figurer à l’angle des panneaux, sous forme d’orants,
de dimensions modestes. «La Madone du bourgmestre Meyer» (Darmstadt, Hessisches
Landesmuseum), ce célèbre tableau de Holbein, montre le bourgmestre et sa famille ins
tallés avec la Vierge dans une intimité qui, pour la conception médiévale rigoureuse, semble
rait sacrilège. Sur les volets du retable Paumgartner, Dürer a portraituré saint Georges et
saint Eustache sous les traits des deux hommes appartenant à la famille qui avait commandé
le tableau (Munich, Ancienne Pinacothèque). Bien sûr, ce serait une erreur d’exiger des
artistes d’alors une conduite qui caractérisera les siècles postérieurs. C’étaient des personnes
œuvrant non pas dans des ateliers d’artistes mais d’artisans, en tant que membres d’une
communauté bourgeoise. Leurs ambitions visaient en premier lieu à l’exécution soignée,
voire même durable du travail. Elles sont généralement connues, ces phrases par lesquelles
Dürer, le premier de tous les peintres allemands, explique à l’intention de Jacob Heller les
raisons pour lesquelles l’autel commandé par ce dernier avait exigé tant de travail, entraînant
un grand nombre de frais supplémentaires. Ce qu’il souligne tout particulièrement, c’est le
«tatillonnage» inséparable du travail consciencieux, ainsi que l’utilisation
(fleissig Kleiblen)
abondante de matières extrêmement coûteuses (comme, par exemple, l’outremer). Il ne
manque pas d’ajouter que les couleurs garderont longtemps leur netteté, par suite de ce
travail consciencieux. Voilà une mentalité nettement artisanale, et ce fut en artisans qu’ils
furent considérés par ceux qui leur avaient passé leurs commandes. Le cas de Lucas Cranach,
qui, en 1508, a reçu un blason de son seigneur, ou, plus tard celui de Dürer doté par l’empereur
Maximilien d’une rente annuelle, se rangent encore, et pour longtemps, parmi les exceptions.
Du reste, le geste de l’empereur Maximilien caractérise toute sa conduite. Afin de
perpétuer sa gloire et celle de sa famille, il eut recours aux peintres et aux sculpteurs. Par
chance, il réussit à s’entourer généralement des meilleurs. Sans les mentionner tous, citons
Albrecht Dürer, Albrecht Altdorfer, Hans Burgkmair, Hans Schâufelein, Leonhard Beck.
Leurs principales créations, notamment les suites graphiques chargées d’allégories humanistes
complexes, témoignent d’une certaine force, et si de constants embarras financiers n’avaient
limité les prédilections du souverain, il aurait pu fournir à ses artistes un programme plus
vaste et plus efficace, servant encore mieux ainsi le progrès de l’art allemand. Même dépourvu
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