Table Of ContentSTALINGRAD
Collection CAMPAGNES & STRATÉGIES
dirigée par
Philippe RICALENS
Jean LOPEZ
STALINGRAD
La bataille au bord du gouffre
49, rue Héricart, 75015 Paris
© Ed. ECONOMICA, 2008
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution
réservés pour tous les pays.
Fabrication numérique : I-Kiosque, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Ean numérique : 9782717862843
À mon épouse, Valérie, pour son patient soutien.
INTRODUCTION
L’a-t-on répété : la destruction de la 6e Armée à Stalingrad signe l’arrêt
de mort de l’Allemagne nazie. La Wehrmacht ne s’en remettra pas ;
l’Armée rouge, elle, commence à rouler sur le plan incliné qui mène à
Berlin. Cette antienne est à ranger au rayon des mythes et légendes de la
Seconde Guerre mondiale. Certes, Hitler perd une Armée à Stalingrad, mais
sa campagne stratégique de l’été 1942 s’avère un échec AVANT
l’encerclement du général Paulus. Quant à la Wehrmacht, en termes de
pertes, elle a autant souffert en 1942 qu’en 1941, autant à Stalingrad que
devant Moscou, ni plus ni moins.
En réalité, c’est l’Armée rouge que l’attaque contre Stalingrad a poussée
au bord du gouffre. C’est elle, et l’État des Soviets, qui ont le plus à perdre
dans cette bataille : ils jouent leur peau. Psychologiquement, après les
désastres de l’été 1942, Staline ne peut plus se payer le luxe d’un nouveau
recul. Il y va du moral d’une Armée dominée, battue, humiliée, qui donne
des signes de désagrégation durant la grande retraite vers la Volga et le
Caucase. Il y va de l’effort de millions de citoyens soviétiques qui se tuent à
la tâche dans les usines d’armements de l’Oural, et dont on peut douter
qu’ils continuent longtemps à tenir à flot une économie exsangue si une
bonne nouvelle ne vient ouvrir une fenêtre dans leur bagne.
Telle est la perspective générale de cet ouvrage.
Pour autant, si elle n’a pas constitué le tournant de la guerre, Stalingrad
n’est pas une bataille comme les autres.
Pour la première fois dans l’histoire militaire, le combat se mène en
terrain urbain et même, en grande partie, dans une zone industrielle. Un
mouchoir de poche, à l’échelle des batailles antérieures. Les Allemands y
engagent la meilleure de leurs Armées et leur plus puissant Corps aérien. La
troupe et ses chefs y montrent la science, le courage et la détermination qui
ont fait de la Wehrmacht le plus bel outil guerrier du XXe siècle. Les
Soviétiques, inférieurs en presque tout, jouent d’abord de leur vieil atout,
leur capacité à mourir. Le sang contre le feu. Mais, dans la fournaise d’une
grande ville dévastée au-delà de l’imaginable, les deux Armées vont se
transmuer. L’une perd sa résilience et son ascendant ; l’autre découvre sa
supériorité dans le combat urbain, tandis qu’un mouvement profond
transforme la mentalité de ses cadres, du chef suprême, Staline, jusqu’au
petit lieutenant qui traverse la Volga avec 48 heures d’espérance de vie dans
son étui à cartes. Cette transformation dans le laboratoire mortifère de
Stalingrad est l’acte de naissance du remarquable instrument professionnel
qui tiendra un tiers du monde jusque dans les années 1980. Rien qu’à ce
titre la bataille vaut qu’on la reconsidère d’un œil neuf.
Le paradoxe de Stalingrad, c’est sa faible valeur militaire initiale. La
ville ne constitue pas, au départ, un objectif de la grande offensive
stratégique allemande de l’été 1942. Du point de vue des intérêts de la
Wehrmacht, la bataille n’aurait jamais dû avoir lieu ; elle est, selon toutes
les règles opérationnelles, selon le simple bon sens, et d’après le général
Halder lui-même, une « véritable impossibilité militaire ». Hitler essaie de
trouver dans sa conquête une compensation, de nature politique, à l’échec
de son offensive vers le Caucase. Il ne pouvait choisir pire enjeu ! Pourtant,
cet ouvrage veut montrer que les Allemands, malgré des conditions
globalement défavorables, ont eu plusieurs occasions non seulement
d’empêcher l’encerclement de la 6e Armée mais encore d’emporter la ville.
Si jamais défaite pouvait être évitée, c’est bien celle de Paulus à Stalingrad.
Hitler est-il donc si inapte militairement de n’avoir pas compris qu’il
fallait renoncer à un tas de ruines ? La réponse, facile, est sans doute oui.
Mais l’explication de fond de son entêtement est ailleurs que dans son – très
relatif – dilettantisme militaire, d’ailleurs en partie compensé par une bonne
tête stratégique. Hitler tient à Stalingrad parce qu’il sent son pouvoir
vaciller sur ses bases. La nature très particulière de ce pouvoir exige qu’il
nourrisse le peuple allemand d’une victoire à un moment où le sort de la
guerre se tient en bascule. Stalingrad est le seul trophée à sa portée, et son
aveuglement tient à cela. Le lecteur voudra bien nous accompagner ici dans
l’examen du « mythe du Führer », indispensable à la compréhension de la
campagne de l’été 1942.
Outre une analyse complète de cette campagne et de ses prolégomènes,
on trouvera dans les pages qui suivent des vues nouvelles sur
l’encerclement de la 6e Armée, ses perspectives de percée, son drame
logistique, ses efforts d’adaptation à la guerre urbaine. Il faudra ici
abandonner quelques clichés qui encombrent les ouvrages sur Stalingrad.
Côté soviétique, nous nous sommes particulièrement penché sur
l’intégration des règles de la maskirovka – l’art russe du secret – à la
préparation de la contre-offensive parce qu’elle est une première pour
l’Armée rouge, et une éclatante réussite. Nous nous sommes aussi attaché à
comprendre comment et pourquoi les soldats soviétiques ont accepté les
immenses sacrifices qui leur ont été demandés. Tous les trois jours,
l’équivalent d’une division est jeté dans les ruines de Stalingrad, où elle se
consume à 90 % en 72 heures. Les chefs soviétiques ont alimenté la bataille
comme on alimente un feu, en y lançant des bûches. L’analyse des
techniques de la guerre urbaine, de la psychologie du combattant, forment,
nous l’espérons, une part novatrice de cette étude.
Si l’on ajoute à l’analyse des opérations des considérations
économiques sur l’équation pétrolière posée par le Reich et sur la fragilité
de l’effort de guerre des Soviets, on comprendra que notre objectif a été de
tenter une « histoire politico-militaire » de la bataille sur la Volga.
La matière première de ce livre provient de travaux spécialisés,
produits, pour l’essentiel, par des historiens allemands, britanniques et
américains, non traduits en français. Il a semblé à l’auteur que le
rassemblement de leur contenu, aux thèses parfois divergentes, pouvait
intéresser les publics francophones.
Pour ses suggestions précieuses, nous tenons à remercier Laurent
Henniger, chercheur au Centre d’études d’histoire de la défense, et qui y
anime notamment la commission « Nouvelle histoire bataille ». Davy Lopez
a signé les 38 cartes qui illustrent ce Stalingrad.
PREMIE�RE PARTIE
Deux rêves de victoire
pour 1942
CHAPITRE 1
Les choix limités du Reich
En 1941, l’opération Barbarossa a échoué, malgré une Wehrmacht au
sommet de sa forme. En 1942, comment faire plier l’Armée rouge, cette
fois avec des moyens limités ? La réponse allemande à ce dilemme
stratégique est contradictoire. Elle consiste à réduire le FRONT d’une
nouvelle offensive tout en lui conservant une PROFONDEUR considérable.
Les règles de la géométrie étant ce qu’elles sont, apparaît un énorme
problème de flanc mis à découvert qui, dès la conception des plans
d’opérations, angoisse les généraux. Hitler balaie les doutes en prescrivant,
d’une part, une série de batailles d’anéantissement supposées brûler la
substance biologique de l’Armée soviétique et la mettre hors d’état de
réagir ; d’autre part, en enlevant à Staline la base de son économie de
guerre, les pétroles du Caucase. L’ensemble se cimente d’un mépris
persistant de l’adversaire. Contrainte supplémentaire, l’entrée en guerre des
États-Unis amène le Führer à se donner six mois pour réussir. Dans un élan
« héroïque » qui ravit et terrorise son chef, le Reich part au combat à la fois
contre l’espace et le temps.
I. Hitler à la recherche d’une nouvelle stratégie
La semaine du 5 au 12 décembre 1941 ouvre une période de crise pour
le Troisième Reich, par l’irruption de deux surprises majeures. Le 5
décembre, l’Armée rouge lance sa contre-offensive d’hiver sous les murs de
Moscou, signant l’échec de l’opération Barbarossa : la guerre à l’est va
durer. Le 7, le Japon attaque la flotte américaine du Pacifique à Pearl
Harbor ; le 11, l’Allemagne déclare la guerre aux États-Unis. Un nouvel
acteur entre dans le conflit, élargissant sa dimension géographique,
inclinant la balance des moyens matériels et humains vers les Alliés. La
crise de l’hiver 41-42 va durer quatre mois, secouant la troupe et ses chefs
