Sémantique et recherches cognitives

130 Pages·1991·38.31 MB·French

by  François Rastier.

FRANÇOIS RASTIER
FORMES SÉMIOTIQ.UES
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COLLECTION DIRIGÉE PAR
ANNE HÉNAULT
Sémantique
et recherches cognitives
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Il ···.:t:: .'
Presses Universitaires de France
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F
DU MÊME AUTEUR
L. Hjelmslev, Essais linguistiques, édition et préface, Paris, Minuit, 1971. À lamémoiredePierre-MarieLavorel
Idéologie et théorie des signes - Ana(yse structurale des E1éments d'Idéologie de Destutt
de Tracy, La Haye, Mouton, 1972.
Essais desémiotiquediscursive,Tours, Marne, 1973.
L. Hjelmslev, Nouveaux essais,édition et préface, Paris, PUF, 1985.
Sémantique interprétative,Paris, PUF, 1987.
Sens ettextualité, Paris, Hachette, 1989.
ISBN 213043825
ISSN 0767-1970
Dépôt légal-Ire édition 1991,JUin
© Presses Universitaires de France, 1991
r08, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
SOMMAIRE
Introduction.................................................... 9
PREMIÈRE SECTION:HISTOIREETÉPISTÉMOLOGIE
CHAPITRE1:LES RECHERCHESCOGNITIVES
1.Positions..................................................... 19
2.GéographiedeIa recherchecognitive.............................. 21
3.Historiographiede larecherchecognitive.......................... 25
3.1.Naissanced'uneproblématique............................. 26
3.2.Périodisation............................................. 29
4.Les postulatsde larecherchecognitive............................. 34
5.Les deuxparadigmes........................................... 37
CHAPITREII:LES ENJEUXPOURlALINGUISTIQUE
1.Quellelinguistiquepourlarecherchecognitive? ................... 49
2.Cognitivismeorthodoxeetgrammairesuniverselles. ................. 52
3.Directionsde recherche. ........................................ 60
4.Lacroiséedes chemins.......................................... 62
CHAPITREIII:Du CONCEPTAUSIGNIFIÉ
1.Problématique................................................. 73
2.Lesmodèlesde lasignification :. 74
2.1.Latriade................................................. 75
2.2.L'indice.................................................. 80
3.Deuxrelationsfondamentales: référenceetinférence................ 82
3.1.La référence. ............................................. 82
3.2.L'inférence............................................... 84
4.Universalisme,relativismeetdéterminisme. ........................ 88
5.Ladifférence. .................................................. 97
6.Pourunesémantiqueunifiée..................................... 107
7.Épilogue...................................................... 112
DEUXIÈMESECTION:SÉMANTIQUEETINTELLIGENCEARTIFICIELLE
CHAPITREIV:LASÉMANTIQUE DESRF..sEAUX
1.Problématique................................................. 121
2.Quereprésententlesréseaux? .................................. 123
2.1.Extensionsetintensions...................................... 123
2.2.Conceptsetsignifiés....................................... 125
2.3.Surlestatutsémantiquedesliens. ............................ 128
3.Sémantiqueetconnaissances..................................... 128
4.Lesréseauxsémantiquesont-ils unniveausémantiquede représentation? 133
5.Delasémantiqueformelleàlasémantiquecognitive................. 135
Sémantiqueetrecherchescognitives
CHAPITREV :FORMALISMESDEL'IAETREPRÉSENTATIONSDUSIGNIFIÉ LEXICAL
1.Objectifs..................................................... 139
2.Analyse componentielleetstructuredusémème.................... 140
3. Contenustypesetcontenusoccurrences........................... 148
4.Problèmesdu contexte......................................... 154
CHAPITREVI:DIALOGUEHOMME-MACHINE ETREPRf:SENTATIONDEL'INTERLOCUTEUR
1.Le testde Turingou ledialogueidéal............................. 163
INTRODUCTION
2.Objectifsdu dialogueetfacultésdialogiques. ....................... 166
3.Pertinencedialogiqueet représentationde l'utilisateur............... 169
4.Lareprésentationdu systèmeparl'utilisateur....................... 174
TROISIÈMESECTION:DELAPSYCHOLOGIEAUX NEUROSCIENCES
CHAPITREVII :CATÉGORISATION,TYPICALlTf:ETLEXICOLOGIE
1.Lacatégorisation . 180
1.1.Uneproblématiqueuniversalisteen psychologiecognitive . 180
1.2.Lahiérarchiedes catégorieset la « dimensionverticale»de la
catégorisation . 184
1.3.Lesrelationsentrecatégoriesde mêmeniveau . 189
lA. Lesrelationsinternesauxcatégoriesde base . 190 1. Au cours des cinq années pendant lesquelles fut rédigé ce livre, la situa
2.Du psychologiqueau linguistique . 194 tion des recherches cognitives aura évolué assez rapidement. En France
3.Peut-ondéfinirsémantiquementleprototype? . 197 commeailleursenEurope, elles seserontinstitutionnalisées,aussi biendans
3.1.Lessubordonnésgénériques . 197 la recherche que dans l'enseignement.Les décideurs auront été si séduits
3.2.Lesparangons . 198 qu'à présentbien des chercheurs, pour s'assurer des crédits, sont amenés à
3.3.Lesmoléculessémiques . 202 s'enrecommander.
3.4.Conclusion . 203 Indépendant de ce succès, notre projet initial n'aura pas changé :éclai
rer les enjeux de la recherche cognitive pour les sciences sociales, notam
CHAPITREVIII :L'\PERCEPTIONsf:r\'fANTIQUE
ment la linguistique ; en contrepartie, évaluer la recherche cognitive du
1.Sémantiquelinguistiqueetreprésentationsmentales . 207
point de vue de la linguistique.Cette double perspective a permis d'ordon
2.Parcoursinterprétatifset processusperceptifs . 212
nerune matière surabondante, touchantplusieurs disciplines, etd'y choisir,
2.1.Du figuratif . 214
sans prétendreàl'exhaustivité,des thèmesrévélateurs.
2.2.Ladissimilation . 216
En cinq ans, les relations entre les disciplines qui participent à la re
2.3.L'assimilation . 218
cherche cognitive ont sensiblement évolué. L'essor de la problématique
2.4.Lesisotopies . 220
connexionniste (cf. chap. II) s'accompagne d'une prépondérance des neu
CHAPITREIX:LES SUBSTRATSANATOMIQUF$DESCULTURESETDESlANGUES rosciencesetde la physiquedes réseaux. Cesdisciplinesontconnudes déve
1.L'épigenèse . 228 loppements décisifs. Dans les neurosciences, on les doit aux progrès de la
2.Lastabilisationsélectivede lalangue . 230 biochimie d'une part, de l'imagerie cérébrale d'autre part. En physique des
3.Difficultésde l'innéismeet philogenèsedeslangues . 233 réseaux, à l'application nouvelle de la mécanique statistique! et au dévelop
pementde lathéoriedesverresdespin.
ÉPILOGUE••....••...•....••.••.................•.•••......•.•.. 237
Ces domainesévoluenttrès rapidementetpourraientconduireà des dé
GLOSSAIRE....••..•.••••••....•..•...•....•..••.•.......••••.... 247 couvertes majeures. Gérard Toulouse a esquissé à ce propos un parallèle
SYMBOLESETABRÉVIATIONS.....•......................•.•.......... 249
BIBUOGRAPHIE...••••.....••.•.••••..•............••.•••••....... 251
1Pouruneintroduction,cf.MézardetNada! (1990), Meunier(1990).
10 Sémantiqueetrecherchescognitives Introduction 11
prometteur: commejadisla mécanique classique, développée pourrempla
isole un niveau du réel.Deux sciences peuvent occuper le même terrain
cer la force humaine et animale, a imprévisiblement donné naissance à la
ou, en termes husserliens, décrire la même couche de l'Être - mais non le
mécanique quantique, la physique des réseaux, développée aujourd'hui
mêmedomaine.Lesformations théoriques transdisciplinairessontaumieux
pour seconder l'intelligence humaine', pourrait conduire à des bouleverse
desontologiesrégionales, entoutcasdes philosophiesetnondessciences.
mentsthéoriquesdemêmeampleur.
Bref, la première section de cet ouvrage traitera d'épistémologie pour
aborderces questionsconvergentes:
(i) La recherche cognitiveestinterdisciplinaire; quelssontles modesde
2. Toutefois, ces développements ne concernent pas directement la séman soninterdisciplinarité?
tique. Notre objectif nous incite à demeurer dans cette mince couche de .(ii) Elle prendpourobjetla connaissance,un des objets traditionnelsde
l'Être, le symbolique (cf. infra, chap. J, 3etépilogue). C'estenreconnaissant la philosophie. Unegnoséologiepeut-elleêtrescientifique?
son autonomie relative que l'on peutséparer les mots des choses et décrire (iii) Quel est le rôle du langage et des langues dans la connaissance?
la spécificité du langage et des langues, sans s'associer aux programmes ré Subsidiairement, cettequestionrelève-t-elledela linguistique?
ductionnistes qui voudraient aborder la linguistique dans une psychologie, (iv) Comme le problème du sens a longtemps été détenu parla philoso
dansunebiologieoudansunephysique', phie, et qu'il le reste pour une bonne part, à quelles conditions la séman
Dans le symbolique, la linguistique voisine avec la psychologie et avec tiquepeut-elleseconstituerendisciplinescientifique?
cette partie de l'Intelligence Artificielle qui manipule des symboles linguis
tiques. C'est pourquoi les deux dernières sections de cet ouvrage leur sont
consacrées, même sinous nous permettons des incursionsdansd'autres dis 4. Aborder ces questions exige du recul. Pour comprendre ce qu'apportent
ciplines. en la matière les recherches cognitives, ilfaut apprécierles résultats récents
à la lumière des problématiquesqui les ontproduits, etparrapportà celles
qu'ils périment. Ce n'est pas seulement l'affaire des années quatre-vingt, ni
3. La conception de l'interdisciplinarité que nous mettons alors en œuvre même du demi-siècle pendant lequel le cognitivisme moderne.s'est déve
diffère selon les disciplines. Quand il s'agit d'une technologie comme l'lA, loppé :par bien des aspects, les recherches cognitives poursuiventou récu
nous cherchons d'une part comment ses formalisations et procédures peu sentune traditionphilosophiquemillénaire.
vent être utilisées en sémantique, et d'autre part comment la sémantique Nous aurons donc fréquemment recours à l'histoire des idées. Certes,
peutcontribueraux traitementsautomatiques du langage. Dansles sciences l'histoire de la sémantique linguistique est encore brève, et les recherches
comme la psychologie ou la neurologie, nous cherchons les corrélats de cognitives prétendentvolontiers n'en pas avoir, ou du moins inaugurerune
phénomènes sémantiques qui puissent corroborer ou affaiblir nos hypo ère nouvelle. On gagne cependant à replacer dans une perspective histo
thèses, sans attendre pour autant qu'ils les valident ou les infirment.Quoi rique les questions qu'elles suscitent.En outre, l'histoire des sciences, loin
qu'ilensoitdesconceptionsfusionnelles del'interdisciplinarité,unescience de se limiteraux phénomènes intra-théoriques, tientcompte defacteurs so
ne peuten effetenvaliderune autre, car, sielles peuventpartagerle même ciologiquesetd'enjeuxidéologiquesquenoussouligneronsaubesoin.
objet empirique (comme la linguistique, la psycholinguistique, la neurolin ·Hors de l'épistémologie, nous éviterons la philosophie générale, bien
guistique),elles n'ontpas le mêmeobjetdeconnaissance. qu'on aitjustement présenté la philosophie comme la première des disci
On pourrait admettre l'image d'un libre échange entre les sciences si plines cognitives. Et nous serons injustement discret sur la philosophie qui
leurs frontières se touchaient. Mais elles les modifient sans cesse, sans par s'estdéveloppée spontanémentautourde la recherche cognitive, la philoso
venir au contact des disciplines voisines, car chacune définit son objet et phiedel'esprit (Philosophy ofMind) :souventvétilleuse,spéculativemais sans
dimension réflexive, détaillant des expériences de pensée gratuites, elle a
hérité bien des péchés mignons de la philosophie analytique, etnous nous
résigneronsàn'enplusguèrereparler.
1 Lesréseauxconnexionnistesserventbien entendulesobjectifsdel'IntelligenceArtificielle (dé
sormaislA).
Z Cf.le programme de la sémiophysiquede Thom, repris par Petitot (1989, p. 218): ..comme
sciencemathématiquedeslanguesnaturelles,lalinguistiquethéoriqueestunesciencenaturelle, 5. Ces restrictions faites, notre matière demeure vaste et diverse.Nous l'or
une physiqueplus qu'une logique », L'anglicisme langues naturelles,que Petitotse propose de donnonsdedeuxmanières.
prendreausérieux(p.206)nesuffitpourtantpasàoblitérerleurcaractèreculturel.
12 Sémantiqueetrecherchescognitives Introduction 13
En premier lieu, nous n'avons pas cherché à paraître exhaustifni même niedes objetsempiriquesquesontles textes, etdouterqu'elle puisseêtreré
équitable- etnous ne rivaliserons pas avec les bons ouvragesd'introduction duite àdes universaux.
aux disciplines abordées'. Nous préférons choisirdes thèmes qui ontvaleur Surtout (particulièrement en sémantique), le contexte linguistique et
d'exemple pouréclairerles relations complexesentre la sémantiquelinguis non linguistique est, en tantqu'interprétant, constitutifdu « message », On
tique et les disciplines connexes. Cela s'accorde avec notre conception de doitconvenirdu moins que, globalementcommelocalement, le texte enre
l'interdisciplinarité.
çoitde multiples déterminations. Bref, la performance linguistique consiste
Au-delà, le choix comme le traitement de ces thèmes illustrent quatre à s'adapterà une situationdontles paramètreséchappentau paradigmecal
thèsesuniesqui traversentl'ouvrageetlui confèrentsa tension. culatoire'. Le pire, pour lui, reste que cette faculté d'adaptation (choix des
(i) La linguistique (et la sémantique qui en relève) est une discipline genres, des tons, etc.) appartient à la compétence linguistique - ou en est
descriptive, etpartiellementprédictive. Ce caractèredépend dela nature de tellementindissociable qu'on ne peutexhiberd'actelinguistique « pur» qui
son objet", Comme toutes les sciences sociales, elle peut bien entendu utili n'en procèdepas",
ser les mathématiques et la logique, mais elle ne peutviser l'axiomatisation En tenantcompte de cette adaptation, nous nous plaçons dans une pers
(pas plus d'ailleurs que les sciences physiques et les sciences de la nature). pective écologique (au sens de Gibson) plutôt que logique. Une telle pers
Les tentatives contemporainesdans ce sens ontconduità une prolifération, pective est d'ailleurs requise avec une insistance croissante par des cher
certes intéressante, de modèles partiels, sans répondre au besoin partout cheursquise réclamentde larecherchecognitive, notammentenergonomie
formulé d'une théoriedescriptiveunifiée. et en anthropologie (disciplines pour lesquelles le contexte n'est pas une
(ii) Si l'on admet ce qui précède, un rationalisme empirique estla posi simplevariable"). .
tion philosophique qui convientle mieuxà l'activité théorique dulinguiste'. (iv) La phylogenèse des langues et des significations qui leur sont atta
Il permeten effet de penserla multiplicité des déterminations propres aux chées n'empêche pas qu'elles soient des formations historiques (de même
faits culturels, dontles échanges linguistiquessontl'exemple même.Certes, que la phylogenèse du social n'annule pas l'historicité des sociétés). Rappe
l'enviable désir d'absolu qui travaille le rationalisme dogmatique lui fait re lercelapermetd'intégrerlalinguistiquehistoriquepourpouvoirla dépasser
chercher, voire imposer, partout, des universaux et des archétypes divers. dansunelinguistiquepanchronique.
Mais l'ultra-nominalisme, qui seul selon nous permet à la sémantique de
s'émanciper de la métaphysique, nous conduit à ne voir là que des univer
saux de méthode, simples créations des théoriciens qui les inventent et les 6. Les sciences de ce siècle auront été marquées par unfondamentalismegé
réifientens'admirantde lesdécouvrir. Notrescepticismes'accorded'ailleurs néral,dontle cognitivismeclassiqueestunedes expressions.
avec la tradition empiriste qui a toujours souligné le caractère relatifde la Il faut citer pour les mathématiques les PrincipiaMathematica de Russell
connaissance (alors que le rationalisme dogmatique prend pour parangon etWhitehead, les Fondements dela géométriede Hilbert. Pour la physique, la
lesvéritésmathématiques- etparextension ces tautologiesque sontlesvé recherche de lagrandeunification.Ces mouvementsdans les sciences dures
rités analytiques - pour conclure de leur caractère nécessaire qu'il peut at ontpeut-êtreinfluencélesautres.
teindredes véritésabsolues). Quoi qu'il en soit, dans les sciences de la vie, on remarque l'essor de la
(iii) On peut certes chercher à fonder en nature (dans le cerveau, puis biologie moléculaire et le relatifdiscrédit de la cladistique et du répertoire
danslesgènes) lesrégularitéslinguistiques, maisle problèmescientifiquene toujours inachevé des espèces'. On peutrapporter cette évolution à des en-
réside pas moins- ou pas tant- dans l'unité des langues etde leurs séman
tiques que dans leur diversité.Au-delà, il faut considérer la diversité indéfi-
1 Pouren tenircompte,Montagueaméritoirementforgélanotiond'index. C'est unensemble
ordonné<lieu,temps,locuteur,locuté,gestesdéictiques,mondespossibles>.O.LewisetStalna
kerontélargi cetteliste.Maisilnesuffitpasdereconnaîtrel'existencedecesvariablespourpou
voirlesinstancier...
1 Quantaux traitementsautomatiquesdu langage,cf.Sabah (1989-90) pourlepointdevuede Z Même- ousurtout- l'exempledelalinguistique.
l'lA;pourlapsycholinguistique,cf.Caron1989. 3 Pourl'anthropologie,cf.Suchman (1987) etlesenjeuxdesathéoriedansVisetti (1989). Cette
Z Lagrammaire,disciplinefortancienne,aussivieillequel'écriture,a toujoursété descriptive. perspectiven'apasde rapportnécessaireaveclapragmatique,puisqu'ilexiste despragmatiques
La grammaire historique et comparée que les savants allemands de la fin du xvnr siècle ont universalistes;cf.l'ethnocentrismede Griceetdesauteursquis'en réclament,commeSperberet
nomméeLinguistik (1777) n'estpassortiesoudaintoutarméedeleurcerveau.Elleen estl'héri Wilson, quandilsn'hésitentpas àécrire: «Tous leshumainsviventdanslemêmemondephy-
tière,mêmesisonobjetdelaconnaissancen'acessédes'étendrejusqu'ànosjours. sique» (1989,p.64). -
3 Pourdespropositionstouchantlasémantique,cf.l'auteur1987a,1989aetb. 4 CequerésumeexcellemmentlamaximeprêtéeàJacquesMonod: « Cequi estvrai pourla
4 Cf.Auroux1989,l'auteur1989b. bactérieestvraipourl'éléphant.»
14 Sémantiqueetrecherchescognitives Introduction 15
jeuxéconomiques :une molécule peutse breveter. Maisondoitaussi rappe Cette situation paradoxale nous a permisdegarderquelque recul, etde
lerquele nombredes espècesvivantes se restreintdrastiquement. formuler des questions qui ne sontpas posées d'ordinaire dans ce domaine.
Les di:ersit~s i.nterne~ à notre espèce subissent une évolution compa Notamment, il convient de discuter la réduction du sémantique au mental,
rable:uniformisationsocialeetculturelled'aprèsunnombrede modèlesde et les rapports des signifiés linguistiques avec les concepts d'une part, les
plus en plus restreint, disparitionchaqueannée de dizainesdelangueset de images mentales d'autre part.Introduire ou maintenir ces distinctions fon
dialectes. damentales permetde définirl'autonomierelativedusymbolique.Cetenjeu
La recherche fondamentale est certes une excellente chose.Maisle fon dépasse d'ailleurs la sémantique proprementdite, et intéresse la sémiotique
d~~entalisme f~voris~ évi~emme~t le réductionnisme théorique (qui, à la toutentière.
differe?ce d~ reduct~o?msmemethodologique, n'a aucune justification). .Maislasémiotiqueparaîtêtreledomaineparexcellenceoùsejouel'arti
Enfin, Ilreflete et anticrpe un monde dont la richesse qualitative aurait dis culation entre les recherchescognitivesetla linguistique commescienceso
paru. ciale. Ilyvasans doute de l'avenir des sciencessociales dans leurensemble,
. Or, le v~ritable d~fi ~our les sciences (et particulièrement pour les mais aussides recherchescognitiveselles-mêmes.
sCIe~cessO~Iale~).~onsisteane~assesatisfairede l'universel, où uneantique En plusieurs endroits, nous serons conduit à formuler des critiques sur
maxime aristotéliciennevoudrait les cantonner, mais à rendre compte aussi les postulats du cognitivisme orthodoxe, voire sur ceux des recherches co
des diversités. gnitives, là où leur triple éloignement des langues, des situations concrètes
d'interaction, des culturesenfin,ne leura pas permis de s'affranchirdes tra
ditionsmétaphysiques.
7.,De tous les secteurs de la linguistique, la sémantique est sans doute celui Nous nous plaçons en effet à un point de vue différent, et parfois éloi
ou le problèmede ladiversitése posede lafaçon laplus crucialeetlamoins gné : celui d'une sémiotique des cultures (dont la sémantique des langues
nette. Ondispose pourl'essentielde théoriesgénéralesouuniverselles, mais nous paraîtun pôle essentiel). Nous n'entendons cependantpas le détailler
non de sémantiques spécifiques à des langues, encore moins à des discours ici.La sémiotique des cultures reste d'ailleurs à développer, et ne s'est pas
o~ à d~s g~nres. Pourtant, quiconque a pratiqué la traduction a dû se satis constituée encore en discipline autonome. Ses rudiments résident, tant à
faire ~eqU1valen~es~~e:~ctes~ ~~iconqueaanalysé des textesn'apuqu'être l'état pratique qu'à l'état théorique, dans la plupart des sciences sociales.
frappe par la variabilité imprévisible et indéfinie des relations sémantiques Pour esquisser ses contours, il faudrait réétudier en anthropologie les tra
encontexte. vaux de Lévi-Straussetde MarshallSahlins,enphilosophieceuxde Cassirer,
~?usavons adopté la problématique sémantique la plus sensible aux di en mythologie comparée ceux de Dumézil et de Charachidzé, en histoire
v~rsites, la sémantique différentielle (cf. chap.III). De tradition saussu ceux de Carlo Ginzburg, en iconologie ceux de Panofsky, Saxl, Gombrich,
nen?e, el~ea intégré certains acquis de la sémantique componentielle' des enphilologieceuxdeSegre,ensémiotiqueceuxdeLotmanetd'Uspensky.
annee~ s0o:-ante:n:ais.l'a dé.passée - à nos yeux - en récusant précisément Pour le moment, nous soulignerons simplement que les recherches co
ses pretentions a 1universalisme', pour pouvoir rendre compte de la com gnitives gagneraient à tenir compte des facteurs culturels, ne serait-ee que
plexitétextuelleetcontextuelle. pourrendre compte des spécificitésde la cognition humaine ;etqu'une sé
O.r, de toutesles problématiquessémantiques, c'estla moins représentée miotique des cultures ne devraiten revanche évoquerqu'avec une extrême
au ~emdes recherchescognitives- bienquelesdébatsactuelssurlesubsym prudence l'esprit humain. Nous souhaitons donc engager le débat entre re
bohque y transposent au plan des représentations mentales certains de ses cherches cognitives et sémiotique des cultures, non pour ouvrir une polé
thèmes majeurs sur la variation contextuelle et la non-eompositionalité du mique, mais pour qu'elles s'affermissent réciproquement. Nos conclusions
sens. surles substrats anatomiques des culturesvont par exemple dans ce sens. Il
s'agit précisément de maîtriser, pour les dépasser, les oppositions entre na
ture et culture, inné et acquis. Bien entendu, cela exclut les périodisations
hâtives, lesquerellesd'école,etlesconflitsjournalistiquesentreparadigmes.
J,Cettedénom!n.ation n'est~u'unraccourci:lasémantiquecomponentiellen'ajamaisété uni Il nous faut procéder dans un espritde recherche, en espérantétendre en
fi~e.E~le~reflete, au contraire, touteslescontradictionsentrelesproblématiquesqui s'affron coreunpeulecercledenotreignorance.
tarental'epoque.
z ~ed~b~taporténotammentsurlestatutdes traits sémantiques.Ledoutes'estépaissisurcer
~esIdees re~ues, notammentqu'ils soienten petitnombre, minimaux, ultimeset, bien sûr,
universels (cf.1auteur,1987a,chap. 1).
16 Sémantiqueetrecherchescognitives
Plusieurssectionsdecetouvrageontétépréfiguréespardiversespublica
tions, notamment dans des numéros spéciaux de revues: Langages, 87, et
Histoireépistémologielangage,XI, 1.Aux remerciementsquej'adresseàleurré
daction,jejoins ceux queje destine à L'informationgrammaticale, Intellectica,
les Qy,adernidi semantica, le Bulletin dela sectiondelinguistiquedelafaculté des
lettresdeLausanne. Enfin, le chapitre VI reprend en partie ma contribution
au volume collectif Échanges sur la conversation, dirigé par J. Cosnier et
C.Kerbrat (cf. infralabibliographiegénérale).
J'ai plaisir à remercier mes collègues et amis du Laboratoire d'informa
tique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur, de l'Institut des
sciences de la cognition et de la communication, du Laboratoire d'ergono
mie physiologique etcognitive, de l'École nationale supérieure des télécom PREMIÈRESECTION
munications, de l'Association pour la recherche cognitive, et de la Société
d'histoire et d'épistémologie des sciences du langage. Sans eux,je n'aurais
HISTOIRE ET ÉPISTÉMOLOGIE
pu mener à bien cette étude interdisciplinaire- et parfois indisciplinée.Je
souligneenparticulierma detteenversYVes-MarieVisetti.
Un excellent usage veut enfin que l'auteur admire la patience de son
épouse ; il faudrait, à mon égard, parler en outre d'une bienveillante man
suétude, qui confineàla magnanimité.
CHAPITRE 1
LES RECHERCHES COGNITIVES
Lorsque l'on considère un sujetnouveau, on afré
quemmenttendanceà toutd'abord surestimercequi
paraîtdéjàintéressantouremarquableetensuite, par
unesortederéactionnaturelle,àsous-estimerl'étatréel
delasituationquandnousdécouvronsquenosidées
ontdépassécellesquiétaientréellementréalisables.
LadyAdaLovelace
1.POSITIONS
a) Existe-t-il unescience cognitive?C'estceque laisserait entendrel'usage
américain (cf. la revue CognitiveScience, le titre de Gardner, 1985 : TheMind's
New Science). Ou encore cette définition de la science de la cognition (Le
Moigne, 1986b, p. 239) :«champdisciplinairedéfini (depuis 1977) de façon
autonome parson objet- l'étude des processus cognitifs en général, naturels
etartificiels- etparson modede constitution;l'interactionorganiséeet orga
nisanted'uncertainnombrede disciplinesayantàconnaîtredes processus co
gnitifs (disciplines relevant tant des " sciences dures " que des " sciences
douces ") :sciences de lacomputationetinformatique, logique, linguistique,
psycholinguistique, psychologie cognitive, neuropsychologieetneurosciences,
psychologies sociales [sic]et sciences de lacommunication,socio-anthropolo
gie, économie,systémique, épistémologie.Lacognition,l'actede connaîtrese
définit par l'ensemble des processus cognitifs, naturels et artificiels, obser
vables.Ellene seréduitpasàlaconnaissance (laquellesedéfinitcommelerê
sultat produit par un processus cognitif. » Cette définition ambiguë appelle
plusieursremarques.
20 Sémantiqueetrecherchescognitives Lesrecherchescognitives 21
(i) Un champ interdisciplinaire ne se confond pas avec une science. Les 2.GÉOGRAPHIEDELARECHERCHE COGNITIVE
sciencessocialesontnaguère payé assez cherune conceptionfusionnelle de
l'interdisciplinarité. Toute l'histoire des sciences montre qu'ellesvonten se
différenciant, non enfusionnant. En somme, ilconvientd'écartercetusage La géographie, dirait-on, détermine l'histoire. Précisons du moins com
relâché du mot science; du moins croyons-nous plus prudent d'employer mentl'onreprésente aujourd'hui l'interrelationentre disciplinesauseinde
l'expression recherchescognitives). la recherche cognitive. Le rapport sur l'état de l'art commandité en 1978
(ii) La liste des disciplines mentionnées estpourle moins hétérogène et parlafondationSloanproposaitle diagrammesuivant:
suscitebiendes questionsquantàleurinterrelations.La systémiqueetl'épis
témologie sont-elles des sciences ou des secteurs de la philosophie? Quelle
est la fonction cognitive de l'économie ?La linguistique ne relève-t-elle pas
des sciencesde lacommunication? Philosophie
(iii) L'insistance sur la cognition naturelleet artificielle, fréquente dans le ~'\~
milieu des recherches cognitives, laisse entendre que les vivants et les ma
chines pourraient connaître de manière comparable. Ce postulat, ditfonc
tionnaliste, paraît avoir un rôle fondateur : il est le seul qui puisse assurer Psychologie / \ Linguistique
l'unité du champ interdisciplinaire. Il suppose une conception maximaliste
de la simulation :ce quise passe dans le vivant, etdansla machine qui le si
mule,appartiendraitau mêmeordrederéalité.
b) S'il n'existe pas unescience cognitive unique, tournons-nous vers les
sciences cognitives. Dans la liste citée, existe-t-il une science cognitive, au
sens oùelle auraitpourobjetspécifiquela cognition?Ce n'estpas le cas.La
cognition reste un objet dont aucune science n'a encore su déposséder la
philosophie. Précisons alors en quoi consiste le caractère cognitifdes disci
plines centrales, c'est-à-dire, toujours citées, l'informatique, la psychologie
cognitive,la linguistique.
Les aspects cognitifs (au sens large, d'après Le Moigne) de l'informa
tique ne concernentqu'une des technologies qui lui sont associées, l'Intel Neuroscience
ligenceArtificielle",
La psychologie cognitiveest une branche de la psychologie, non une disci
plineautonome.Au demeurant,ellene traiteévidemmentpas de touslesas :liensinterdisciplinairesforts
:liensinterdisciplinairesfaibles
pectsdelacognition (parexemplele niveauneuronallui échappe).
Avant de chercher à quelles conditions la linguistiquepeut être mise au
nombre des sciences cognitives, il nous faudra préciser le rôle du langage
danslacognition.
Naturellement, cet harmonieux « hexagone cognitif» posa plus de pro
blèmes qu'il n'en résolut. Les auteurs résumaient toutefois une opinion ré
pandue en le commentantainsi : « Ce qui a fait exister le champ, c'estun
1 Nous risquons toutefois le singulier (recherche cognitive)quandnousconsidéronsle regroupe objectifde recherche commun: découvrirles capacitésreprésentationnelles
mentdedisciplinesdanssonunité.
L'IntelligenceArtificiellen'estmalgrétoutpasunetechnologieparmid'autres.Lesambitions et computationnelles de l'esprit et leur représentation structurelle etfonc
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théoriquesdesesinitiateurs,commelesdébatsphilosophiquesdontelleatoujoursétéentourée, tionnelledansle cerveau» (1978, p. 8, d'aprèsGardner, 1985, p. 37).
luiconfèrentuneplaceàpart,defaitsinondedroit.