Sécurité. 25 ans de réflexion

304 Pages·2014·20.88 MB·French

by  Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice

Cahiers
de la
sécurité
Sommaire
justice
et de la
Premier semestre 2014 - n° double 27/28
Directeur de la publication:
Cyrille Schott 3 Editorial – Cyrille Schott
rédacteur en chef :
Manuel PalaCio
Dossier
Comité de rédaction :
aMadieu Jean-Baptiste, Agrégé de lettres, chargé de recherches au
CNRS L’Institut
Berlière Jean-Marc, Professeur émérite d’histoire contemporaine,
Université de Bourgogne 5 La gauche, la sécurité et la justice. La création de l’IHESI
Bony lucie, Géographe, Centre de recherche sur l’habitat, CNRS
Pierre JoxE
CoolS Marc, Professeur en criminologie, Université libre de Bruxelles,
Université de Gand 8 Penser la sécurité : l’Institut national des hautes études de la sécurité
de Beaufort Vivianne, Professeur à l’Essec, co-directeur du CEDE
et de la justice – xavier LEGAY
de Maillard Jacques, Professeur de Science politique, Université de
Versailles Saint-Quentin
37 L’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales,
diaz Charles, Contrôleur Général, Inspection Générale de la Police
Nationale 10 ans après – Alain BAuEr, Christophe SouLLEz
dieu françois, Professeur de sociologie, Université Toulouse 1 Capitole
eVanS Martine, Professeur de droit pénal et de criminologie, Université de 45 L’IErSE – Angélique LAFoNT
Reims
Hernu Patrice, Administrateur INSEE
latour Xavier, Professeur de droit, Université de Nice
Des Cahiers (1990) aux Cahiers (2013). Bonnes feuilles
louBet del Bayle Jean-louis, Professeur émérite de Science politique,
Université de Toulouse I, Capitole
PiCard Jean-Marc, Enseignant-chercheur à l’Université de Technologie de
Compiègne 47 Des Cahiers aux Cahiers – Manuel PALACIo
renaudie olivier, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine,
Nancy 49 La sécurité intérieure. Défis et enjeux – Allocution de Pierre JoxE
reVel Claude, Déléguée interministérielle à l’Intelligence économique
52 Aux origines de l’Institut – Entretien avec Jean-Marc ErBÈS
ridel laurent, Directeur interrégional de l’ Administration pénitentiaire
de la roBertie Catherine, Professeur des Universités, Rennes I, Présidente 56 Prévention-répression : éloge du pragmatisme – Jacques DoNzELoT
de l’AFUDRIS
roCHe Jean-Jacques, Directeur de la formation, des études et de la 66 Sur les bandes de jeunes – François DuBET
recherche de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN)
Sauron Jean-luc, Professeur de droit à l’Université Paris Dauphine 73 La crise comme facteur de changement social ? – Entretien
teySSier arnaud, Inspecteur Général de l’Administration, Professeur avec Michel CrozIEr
Associé à l’Université Paris I
Vallar Christian, Doyen de la Faculté de droit, Nice Sophia Antipolis 78 Secret et indiscrétion – Edwy PLENEL
WaruSfel Bertrand, Professeur agrégé des facultés de droit, Université
Lille 2 82 Le modèle français de police – Dominique MoNJArDET
VeltCHeff Caroline, Agrégée de Lettres, inspectrice d’académie, conseil-
lère du directeur de l’INHESJ 94 L’histoire orale : les récits de vie de policiers – Jean-Marc BErLIÈrE
101 Vers une redéfinition des rapports police-justice ?
responsable de la communication : Axelle de FoNTGALLAND
Conception graphique et fabrication : Laetitia BÉGoT, Marine oSTA- Le poids de l’histoire – rené LÉVY
PoWICz, Daniel VIzET
107 1968 aux origines de la sociologie de la police
Vente en librairie et à la librairie de la documentation française
29-31, quai Voltaire – 75344 Paris Cedex 07 – Tél. : [phone] Jean-Louis LouBET DEL BAYLE
Par correspondance – La Direction de l’information et administrative (DILA),
Service Abonnements, 29-31, quai Voltaire – 75344 Paris Cedex 07
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tarifs : Prix de vente au numéro : 22,50 € – Abonnement France (4 numéros) : Hier et demain. La sécurité en perspectives
67 € – Abonnement Europe (4 numéros) : 72,00 €
abonnement doM-toM-CtoM :72,00 € (HT, avion éco) – Abonnement
hors Europe (HT, avion éco) : 76,00 € 116 Vingt-cinq ans après. retours sur la (l’in)sécurité – Manuel PALACIo
impression : DILA
tirage : 1 000 exemplaires 125 L’hétérogénéité du concept de sécurité : ses implications sur
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2014 les politiques publiques, la justice et la durabilité des pratiques
Conditions de publication : Les Cahiers de la sécurité publient des articles,
Adam CrAWForD
des comptes rendus de colloques ou de séminaires
et des notes bibliographiques relatifs aux différents aspects nationaux et
135 Souveraineté nationale, État et Sécurité au xxIe siècle. Plaidoyer pour
comparés de la sécurité et de ses acteurs. Les offres de contribution sont
à proposer à la rédaction pour évaluation. Les manuscrits soumis ne sont pas une relecture dépassionnée de Walter Lippmann et Friedrich Hayek
retournés à leurs auteurs. Toute correspondance est à adresser à l’INHESJ Gérard PArDINI
à la rédaction de la revue. Tél. : [phone]
Fax : [phone] – [email protected] 142 Projet sur vingt-cinq ans : une analyse du système de libération
www.cahiersdelasecuriteetdelajustice.fr
conditionnelle du Tribunal spécial pour la Sierra Leone
INHESJ róisín MuLGrEW
École militaire - Case 39
75700 Paris 07 SP
Tél : [phone]
Fax : [phone]
www.inhesj.fr
154 La légitimité de la police : conclusions de l’Enquête Sociale Européenne – Mike HouGH,
Jonathan JACKSoN et Ben BrADForD
171 Les 25 dernières années dans le domaine de la probation. Évolutions et nouveaux enjeux
Ioan DurNESCu
179 25 années de juridiction résolutives de problèmes aux États-unis – Kevin SMITH
189 L’entrée de l’union européenne dans les champs de la défense et de la sécurité
Bertrand WAruSFEL
199 Les violences scolaires en France des années 1970 à nos jours. De la naissance d’une nouvelle
catégorie à sa prise en charge ? – Ismail FErHAT
207 Dans l’esprit de la prévention situationnelle Victimation à répétition, modélisation et cartographie
prospective – Bilel BENBouzID
217 Service interne et entreprise prestataire : deux notions fondamentales du droit de la sécurité
116
privée – Christophe AuBErTIN
226 La codification du droit de la sécurité nationale – olivier GoHIN
233 L’intelligence informationnelle comme outil cognitif du processus décisionnel
olivier CHArDAVoINE
242 L’enseignement du juste en école de police et de gendarmerie. Quelles stratégies
pédagogiques ? – Anne WuILLEuMIEr
256 Catastrophes et crises écologiques : place et rôle du droit européen – Christian HuGLo
International
171
265 Le paradoxe sécuritaire vénézuélien – Paula VASQuEz LEzAMA,
David WEINBErGEr
278 originalités du modèle espagnol de contrôle des services de
renseignement – Floran VADILLo
285 La création du premier réseau intergouvernemental d’éducation
dans les prisons en Amérique latine. un enjeu pour la justice, un
enjeu pour l’éducation – Caroline VELTCHEFF
En débats
291 un regard belge sur le débat sur la criminologie en France – Marc CooLS
298 Sécurité intérieure : une affaire d’État ? – Alexandre JEAuNAux
Note de lecture
301 Histoire et dictionnaire de la gendarmerie. De la Maréchaussée à nos jours – xavier LATour
217
256 179
Éditorial
La demande de sécurité s’est exprimée
particulièrement au sein de territoires urbains
E
ayant connu une expansion qui s’est révélée
n 1989, Pierre Joxe, alors ministre de source de problèmes inédits, en même temps
l’Intérieur, créa l’Institut des hautes qu’elle a imposé aux pouvoirs publics de garantir
études de la sécurité intérieure les conditions d’un nouveau « vivre ensemble ».
(IHESI). Sa mission était d’impulser la réflexion et La fin des « Trente glorieuses » a créé des
la recherche sur les questions de sécurité et d’en déséquilibres (chômage de masse, précarisation
diffuser les résultats auprès des cadres policiers de certaines parties de la population) qui ont
et des hauts fonctionnaires en charge des fragilisé le « vivre ensemble » précédemment
politiques publiques. Cette création symbolisait construit. Ces déséquilibres ont généré des
l’entrée du thème de la sécurité comme objet formes d’existence inédites de la délinquance et
à part entière de l’action politique et de de la criminalité, lesquelles ont encore aggravé
l’administration de l’État. Elle reflétait également le nouveau malaise social.
un fait de société dépassant les frontières de la
France, à savoir la place croissante prise par la Ce que l’on va appeler le sentiment d’insécurité
demande citoyenne de sécurité. s’est installé comme une donnée structurante
et durable des préoccupations sociales, au
Les sociétés occidentales, depuis la fin de la point de devenir un élément incontournable
Seconde Guerre mondiale, ont connu une phase du discours et de l’action politiques. À partir
de développement économique et technologique des années 1980, garantir la tranquillité de
sans précédent, rendant effectif dans nombre la population face à la délinquance sous
d’aspects de la vie de leurs membres (santé, toutes ses formes est devenu un objectif aussi
emploi, éducation…) l’idéal de progrès humain. important que garantir l’emploi, la santé ou
Cette amélioration a généré, dans le même l’éducation. Le champ politique s’est emparé de
temps, une exigence de protection envers tout la sécurité, pour le meilleur, agir, et parfois pour
ce qui pouvait la mettre en danger. Le seuil de le pire, instrumentaliser et coller à l’opinion. Ces
tolérance face aux risques et menaces de toutes décennies ont vu le développement de discours
sortes a baissé significativement et la sécurité et de programmes politiques, ainsi que la mise en
est devenue une valeur à part entière, qui s’est place d’organisations institutionnelles novatrices
affirmée parmi les premières dans la hiérarchie et l’apparition de pratiques professionnelles
des demandes de ces sociétés en progrès. nouvelles.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°27/28
Cette évolution s’est confirmée de manière durable et a Ces réflexions ont été relayées par la revue les Cahiers de
dépassé la seule prise en compte des manifestations de la sécurité intérieure, devenue les Cahiers de la sécurité,
la délinquance traditionnelle, pour s’étendre aux risques et désormais, les Cahiers de la sécurité et de la justice.
et aux menaces susceptibles de compromettre non
seulement l’équilibre interne des sociétés, mais également En 2014, le vingt-cinquième anniversaire de la création
l’ensemble de leur environnement. La perception de de l’Institut offre l’occasion d’interroger cette période à
la sécurité a évolué et opéré un retour à son acception travers un va-et-vient, historique et prospectif, à l’intérieur
originelle, l’état de tranquillité, de l’individu comme de des publications de la revue, va-et-vient qui montre la
la collectivité. Les sociétés sont devenues plus réactives permanence de thèmes fondamentaux structurant le
à des menaces ne naissant pas exclusivement en leur sujet de la sécurité. L’IHESI avait, à l’origine, vocation à
sein, mais provenant de l’extérieur. Les épidémies ou rassembler, en un lieu unique et bien identifié, des savoirs
les catastrophes naturelles, pour prendre cet exemple, dispersés sur les questions de la sécurité. Sur ce socle, sa
ne sont plus perçues comme relevant du domaine de la mission s’est élargie à l’objectif de suivre au plus près les
fatalité mais, rançon du progrès technique, comme les évolutions du phénomène, de produire des connaissances
objets d’une maîtrise possible par l’intervention humaine. nouvelles et de les diffuser auprès des responsables qui,
Prévoir les risques, endiguer les menaces, gérer les crises sur le terrain, menaient, ou étaient appelés à mener, les
sont devenus autant d’objectifs, qui ont été intégrés aux actions qui allaient concrétiser les politiques de sécurité.
nouvelles formes de gouvernance. La prise en compte de
la sécurité a basculé d’un champ restreint à la sécurité L’objectif de diffuser l’information la plus objective
intérieure à un champ élargi à l’ensemble des domaines possible au sujet de l’évolution de la criminalité s’est
où l’action et la gestion peuvent empêcher des menaces élargi à l’ensemble des citoyens à travers la création de
d’advenir et réduire celles qui se sont matérialisées. Cette l’observatoire national de la délinquance et des réponses
extension de son domaine initial a ainsi donné naissance pénales. Cet observatoire occupe une place spéciale au
à la notion de sécurité globale, ce dont témoignent les sein de l’Institut : indépendant, sous l’égide d’un conseil
principales évolutions de l’Institut, qui d’Institut des hautes d’orientation, dans ses travaux et la diffusion des données
études de la sécurité intérieure (IHESI) devient Institut et des analyses sur l’évolution des phénomènes criminels ;
national des hautes études de la sécurité (INHES), puis, acteur d’échanges fructueux, dans les deux sens, avec les
en 2010, Institut national des hautes études de la sécurité autres départements de l’Institut.
et de la justice (INHESJ).
En définitive, les vingt-cinq années passées ont été riches
L’apparition du mot « justice » dans le nom de l’Institut d’explorations et de questionnements pour consolider, sur
a constitué, en soi, une évolution significative. Elle le plan des savoirs et des idées, la volonté politique et
correspond à la façon dont la société perçoit aujourd’hui l’engagement sur le terrain.
la Justice : comme garante de l’État de droit et des libertés
attachées à sa forme démocratique et comme l’un des Ce numéro est donc spécial à deux titres au moins : par
acteurs de la sécurité. Les citoyens attendent de l’État la perspective, qu’il présente sur près de trois décennies ;
qu’il « produise de la sécurité » mais cette production par le nouveau titre, qui prend acte de l’élargissement
de sécurité, sans prise en compte de l’intervention d’une de la notion de sécurité à des champs nouveaux, de la
justice garante des droits et libertés, resterait étrangère sauvegarde de l’ordre public à la protection globale
aux valeurs de la démocratie. de la société, cela dans un cadre de droit garant de
la dimension de liberté inhérente à la vie d’une société
La notion de sécurité va devenir un objet de recherches, démocratique n
de questionnements et de production de connaissances
susceptibles d’éclairer les politiques concrètes. Les études
et les recherches menées par l’Institut pendant les vingt- Cyrille SCHoTT,
cinq ans de son existence, les échanges et les rencontres
Préfet de région
en son sein, notamment à travers ses sessions annuelles
Directeur de l’Institut national des hautes études
et ses colloques, ont contribué à l‘enrichissement du
de la sécurité et de la justice
concept de sécurité, tel que nous l’avons vu plus haut.
DoSSIEr I L’INSTITuT I 5
La gauche, la sécurité
L’IERSE
et la justice
La création de l’IHESI
Angélique LAFFONT
Pierre Joxe
l’Intérieur un an avant ma nomination
effective. Après la « fronde » de 1983 au
cours de laquelle des fonctionnaires de
police étaient allés déposer leurs képis
devant la chancellerie, Place Vendôme,
François Mitterrand m’avait convoqué
et annoncé que je remplacerais Gaston
Defferre à l’Intérieur. Je n’y tenais pas
particulièrement mais il a insisté. J’étais
alors président du groupe parlementaire
et à la rentrée je suivis de très près les
débats concernant le budget du ministère
de l’Intérieur pour être bien informé de
la situation. L’automne et l’hiver passent
et c’est seulement après la grande crise
autour de l’école qui amènera le départ
de Pierre Mauroy et la constitution du
L’
gouvernement de Laurent Fabius, que
idée de créer un Institut, et plus Mitterrand me nommera ministre de
précisément au départ un centre l’Intérieur.
de documentation, une base de
Pierre JoXe
données, une bibliothèque, ne m’est pas Mais pendant un an et dans le plus grand
Premier président honoraire venue d’emblée. secret, me préparant à cette hypothèse,
de la Cour des comptes. j’avais beaucoup étudié et beaucoup
Pierre Joxe a été ministre Pourquoi ce projet voit-il le jour en 1989, voyagé. J’avais alors constaté avec
de l’Intérieur en 1984 et en pourquoi pas en 1984 lorsque je suis stupéfaction qu’il n’existait aucun centre
1988, puis ministre de la nommé ministre de l’Intérieur ? Dans le de documentation, aucune bibliothèque,
Défense en 1991. Avocat
contexte de l’époque, la critique faite à aucun centre de recherche, spécialisés
au barreau de Paris, il a
la gauche en matière de sécurité était de dans les questions de sécurité, de police,
publié récemment Pas de
suivre des théoriciens, des rêveurs… de « policing » comme l’on disait dans les
Quartier ? Délinquance
pays anglo-saxons. La France constituait
juvénile et justice des
mineurs, Fayard, 2012 et de Or, phénomène rare dans l’univers une exception, car cela existait en
Soif de justice. Au secours politique, j’avais personnellement été Angleterre, en Allemagne, en Suède et tout
des juridictions sociales, prévenu que je serai nommé ministre de particulièrement au Québec où je m’étais
Fayard, 2014.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°27/28
6 I DoSSIEr
rendu. Lorsque je suis nommé ministre de l’Intérieur, Sur le plan théorique, il s’agissait d’affirmer qu’il ne peut y
nous sommes en 1984, deux ans avant les élections avoir d’action politique qui fasse l’impasse sur une réflexion
législatives qui allaient changer le paysage politique et sur l’histoire, le temps, les structures. Sur le plan pratique,
amener la première cohabitation. Je me dis alors que si en l’occurrence très pratique, il s’agissait de monter une
je commençais à parler de bibliothèques, de chercheurs, bibliothèque ; et c’est ce que nous avons fait en achetant,
de sociologues, d’intellectuels, j’ouvrais grande la porte en rassemblant les ouvrages existants sur les questions de
à l’habituel procès en idéalisme fait à la gauche. J’avais sécurité. Il n’existait alors rien de tel en France. J’avais
donc prévu une stratégie qui passait par un préalable, la vu ce qui se pratiquait en la matière en Allemagne et
mise en place d’un plan pluriannuel de modernisation de également au Québec où j’ai beaucoup appris. Nous avons
la police. Cette approche était aussi concrète que le projet démarré avec une équipe de sociologues et de juristes.
d’un centre d’études pouvait paraître abstrait. Sur le plan symbolique, l’événement le plus important
a été la grande réunion que nous avons organisée à la
Chose très rare, j’avais obtenu l’accord de François Cité des Sciences, dans le grand amphithéâtre, au cours
Mitterrand pour lancer un plan de cinq ans, un peu sur de laquelle Jean Delumeau, historien, professeur au
le modèle des lois de programmation militaire. Dans un Collège de France, a fait une leçon introductive. Il venait
premier temps cela m’avait été refusé mais j’avais fait valoir de publier un ouvrage intitulé « Rassurer et protéger ».
que je ne voulais pas être nommé ministre de l’Intérieur Pour introduire la réflexion sur la sécurité, ce n’était
deux ans avant les élections pour ne rien faire de marquant. pas « surveiller et punir » mais « rassurer et protéger ».
Je voulais réaliser un projet nous engageant au-delà des C’était un ouvrage particulièrement intéressant sur le plan
élections de 1986, car celles-ci seraient suivies des élections de l’histoire des idées. Il y avait un millier de personnes
présidentielles en 1988. Le plan de modernisation sur dans cet amphithéâtre, de tous horizons professionnels,
5 ans signifiait un élan pour une longue période. J’ai donc rassemblées pendant une matinée pour écouter un
obtenu les crédits et le plan de modernisation a été une professeur d’histoire.
réussite. Il a permis de lancer dans la police à la fois une
action de formation et un programme d’équipement, en C’était une façon de montrer que la recherche scientifique,
immobilier, en matériel, avec également la création d’une les sciences sociales constituent un préalable fondamental
police scientifique et technique… Ce programme a ainsi aux politiques concrètes, aux politiques publiques.
crédibilisé notre action et Robert Pandraud, qui avait été Le projet IHESI s’est matérialisé et a prospéré avec
auparavant directeur général de la Police nationale, m’avait un certain nombre de personnes qui ont joué un rôle
dit lorsqu’il est devenu le ministre délégué de Charles éminent, comme Dominique Montjardet et bien d’autres
Pasqua après mon départ du ministère de l’Intérieur en chercheurs de talent.
86 : « votre programme est bon, je le poursuivrai ».
Par la suite, l’Institut a connu des hauts et des bas et la
Lorsque, deux ans après, François Mitterrand a été réélu fonction recherche y a perdu de son importance. J’espère
président de la République, je suis revenu comme ministre qu’avec l’arrivée du Préfet Cyrille Schott un nouveau
de l’Intérieur. Après la passation de pouvoirs avec Charles départ va avoir lieu qui permettra une relance de cette
Pasqua, Robert Pandraud me confirme que le plan de fonction recherche. L’Institut est devenu maintenant,
modernisation avait bien été poursuivi. Ce plan a donc eu l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice.
le mérite d’enjamber la fin d’une législature, une période Il se trouve que j’ai découvert le fonctionnement de la
de cohabitation et le début d’une autre législature. C’est justice judiciaire sur le tard. J’ai passé une grande partie
à ce moment-là que j’ai pensé que j’étais crédible pour de ma vie dans une juridiction administrative, la Cour des
poser le problème de la réflexion, de la recherche, de comptes, et dans une juridiction, qui n’en est d’ailleurs pas
l’approche scientifique des problèmes de sécurité et de une, le Conseil constitutionnel mais je suis passé à côté de
police. L’idée m’est venue d’un I-H-E-S-I évidemment la justice judiciaire.
alors inspiré d’un I-H-E-D-N dont j’avais moi-même été
auparavant auditeur en 1983 en tant que député. J’avais Contrairement au champ de la sécurité à l’époque de la
donc ce modèle en tête d’une structure s’adressant à des création de l’IHESI, la justice ne manque pas de travaux
officiers de rang de colonel ou lieutenant-colonel destinés de recherche importants. Je me suis intéressé récemment
plus ou moins à obtenir des étoiles et à un nombre égal de à la justice des mineurs, sur le terrain en tant qu’avocat,
civils, policiers, magistrats, parlementaires, universitaires ce qui m’a permis d’entrer dans les tribunaux pour
dans une démarche de formation et de diffusion d’une enfants. J’ai écrit un ouvrage sur la justice des mineurs
culture sur les problèmes de défense. L’IHESI est donc pour témoigner d’une évolution préoccupante. Il y a
né sur une double base, théorique et pratique. eu une production théorique extrêmement importante
La gauche, la sécurité et la justice. La création de l’IHESI – Pierre Joxe
DoSSIEr I 7
entre le début et le milieu du XXe siècle, de 1906 à 1945, qu’il y a une situation d’état d’urgence pour la justice
sur la justice des mineurs, en France et ailleurs et cette française, urgence qui impose d’agir sur trois volets
production a profondément influencé les lois en vigueur. différents.
J’ai découvert à cette occasion que l’on faisait marche
arrière, que les différentes lois qui se sont succédé depuis En premier lieu il y a eu une abondante production
2002 découpaient en rondelles la fameuse ordonnance législative ces dernières décennies qui, du point de vue
du 2 février 1945 ou plutôt en retranchaient des parties des principes fondamentaux, a constitué une formidable
fondamentales. C’est ce que j’ai voulu montrer dans ce régression du droit pénal et sur laquelle il faudra revenir.
livre qui est à la fois une enquête de terrain et une réflexion Il y a également et surtout un retard français qui n’est pas
historique et politique sur cette justice très particulière. J’ai admissible en matière de moyens. La justice en France est
compris, un peu tard, ce que me disait un vieux policier, dotée d’un budget largement inférieur à celui d’autres pays
François Le Mouel, inspecteur général de la police, à européens, tout particulièrement l’Allemagne et l’Espagne.
savoir : « tous les grands voyous ont été des petits voyous mais tous Pour parvenir à une situation digne de notre pays, il faut à
les petits voyous ne deviennent pas des grands voyous »… C’est ce la fois une volonté politique et une stratégie sur le très long
qui justifie la nécessité d’une action coordonnée au sein terme, sur le modèle du plan pluriannuel de modernisation
de la justice, justice qui se compose ici non seulement de la police que j’avais mené en 1984 comme ministre de
de magistrats spécialisés appliquant un droit spécifique, l’Intérieur et dont j’ai fait état ci-dessus, ou encore sur le
mais aussi d’ éducateurs de la Protection judiciaire de modèle ancien des lois de programmation militaire.
la jeunesse, de personnels pénitentiaires exerçant en
quartiers mineurs ou en établissements spécialisés ou Cette stratégie doit être menée avec l’objectif de doubler
encore d’enseignants qui s’occupent des mineurs en milieu les effectifs du service public de la justice, ce qui suppose
carcéral et qui obtiennent des résultats encourageants. Il d’entreprendre un effort supportable pour le budget de
y a une grande méconnaissance de ce qu’est cette justice, la nation mais mené à son terme sans interruption, ce
car il n’existe pas de « chroniques judiciaires » sur ce qui impliquerait de lancer un plan de modernisation et
sujet, les journalistes n’entrent pas dans ces juridictions de renforcement de la justice sur une durée de vingt ans...
et le grand public n’est pas informé. Ce sont de « petites Enfin, le dernier volet constitue le socle indispensable
affaires » au regard de celles qui concernent les grands de ce projet d’avenir pour la justice, à savoir la création
criminels ou les grands thèmes comme la fraude fiscale, d’un pouvoir judiciaire indépendant qui mette la France
mais elles concernent chaque année des dizaines de milliers au niveau des grandes démocraties en Europe et dans le
de personnes qui vivent des situations de détresse. Elles monde. La sécurité, qui a constitué l’objet de la réflexion
concernent des jeunes qui, selon que la société parvienne et de l’action de l’institut pendant plus de 20 ans, ne peut
ou pas à les remettre dans le droit chemin, deviendront être concrétisée dans une politique publique capable de
des « grands voyous » ou au contraire sortiront de la « protéger et rassurer » nos concitoyens que si elle repose
délinquance. Cette justice a une efficacité qui n’est pas sur une justice forte et crédible en laquelle ils puissent
négligeable puisque 80 % des enfants et adolescents qui avoir confiance.
passent une fois devant une juridiction pour enfants n’y
remettront jamais les pieds. Il y a là un nouveau champ de réflexion et d’action pour
le nouvel Institut n
J’ai poursuivi cette exploration de la justice avec les
juridictions sociales. J’y ai découvert, comme pour la
justice des mineurs, l’existence d’une justice des pauvres
qui est une justice pauvre et cela m’a amené à constater
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°27/28
8 I L’INSTITuT I DoSSIEr
Penser la sécurité :
La grande mutation
l’Institut national des hautes études
de l’économie criminelle
de la sécurité et de la justice
Noël PONS
Xavier LEGAY
Occupant une place à part dans le paysage institutionnel français, l’Institut national des hautes études de la sécurité
et de la justice a su s’imposer comme un opérateur de référence en matière de réflexion et de formation des
acteurs publics et privés sur les enjeux de la sécurité. Ayant entamé son existence en tant que service ministériel
chargé de donner une cohérence à la recherche en matière de sécurité, l’Institut a connu des transformations
successives qui en ont fait désormais une institution de premier plan. Cet établissement public administratif a connu
une montée en puissance institutionnelle corrélée à l’influence de ses travaux, irriguant les politiques publiques,
ayant fait du concept de sécurité globale un référentiel en matière de recherche et d’action publique.
Appréhender la question
divers pour les autres. Entendue de cette
de la sécurité façon, l’insécurité serait alors « une situation
Xavier leGay
dans laquelle quelqu’un ou quelque chose est
L
a notion de sécurité, dans son exposé à des dangers, à des risques, en particulier
acception la plus courante, d’agressions physiques, d’accidents, de vol, de
s’entend généralement comme détérioration », ou encore « une situation de
« une situation dans laquelle quelqu’un qui ne se sent pas à l’abri du danger,
quelqu’un ou quelque chose n’est exposé à aucun qui n’est pas rassuré ».
danger, à aucun risque, en particulier d’agression
physique, d’accidents, de vol, de détérioration », ou Bien que le terme de sécurité soit
encore comme une « situation de quelqu’un polysémique et puisse désigner une
Diplômé de droit public
qui se sent à l’abri du danger, qui est rassuré 1». multitude d’objets, son utilisation a souvent
et science politique
Prise en ces termes, cette conception de été liée, de manière limitative, à la notion (universités Paris ouest
la sécurité renvoie immanquablement à d’insécurité relative à la délinquance et à - Nanterre et Paris II
sa négative, l’insécurité, présentée selon la criminalité, en particulier depuis la loi Panthéon - Assas). Il a
les orientations idéologiques comme un sécurité et liberté de 1981 dite « Peyrefitte 2 » consacré son mémoire
sentiment pour les uns, ou comme une du nom du garde des Sceaux de l’époque, de fin d’études à la
montée en puissance
réalité affectant la société à des degrés du fait notamment de la fameuse formule :
du concept de sécurité
globale dans les
politiques publiques au
travers de l’évolution
(1) Sécurité, nom féminin (du latin securitas), dictionnaire Larousse.
(2) Loi n°81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes. de l’INHESJ
Penser la sécurité : l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice – Xavier LEGAY
DoSSIEr I 9
« la sécurité est la première des libertés ». Par la suite, avec la loi
UnE dÉmocrAtIE n’EXIstE PAs
d’orientation et de programmation relative à la sécurité
de 1995 3 (LOPS), la notion de sécurité s’est définie d’une sAns sÉcUrItÉ. mAIs AU-dELà dE
façon certes régalienne en étant une obligation incombant
LA qUEstIon dE LA sÉcUrItÉ
à l’État, tout en restant néanmoins relativement vague.
L’article 1 de la LOPS 4 disposait en effet que « la sécurité est En tAnt qUE tELLE, c’Est toUt
un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés
LE ProbLèmE dE LA rÉfLEXIon
individuelles et collectives. L’État a le devoir d’assurer la sécurité en
veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense sUr LA sÉcUrItÉ qUI s’Est
des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au
ProGrEssIvEmEnt PosÉ AUX
maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes
et des biens ». Reprise en annexe de la loi d’orientation et de dÉcIdEUrs PUbLIcs.
programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) du 29
août 2002 5, cette définition portait en elle une vision de la
sécurité liée à la protection individuelle et matérielle ainsi En étant au cœur des attentes de la population, la sécurité
qu’au maintien de l’ordre. est pour les pouvoirs publics un devoir majeur : pour
un gouvernement, aucune fonction ou obligation n’a
L’approche de la sécurité par les pouvoirs publics a évolué plus d’importance que celle d’assurer la protection des
à l’occasion de la loi d’orientation et de programmation citoyens. Et si les exigences de sécurité peuvent varier
pour la performance de la sécurité intérieure de 2011 selon de multiples paramètres (populations, situation
(LOPPSI 6 ). Le rapport sur les objectifs et les moyens de géographique, contexte économique), il n’en reste pas
la sécurité intérieure à horizon 2013 7 figurant en annexe moins qu’il s’agit d’un sujet que tous les décideurs doivent
appuie cette fois la nécessité d’« assurer la sécurité partout et prendre en compte puisqu’il en va à la fois du maintien de
pour tous grâce à une approche globale de la politique de sécurité », l’ordre public et de la cohésion sociale, de la continuité des
en facilitant l’articulation de tous les acteurs de la sécurité institutions et de l’exercice des libertés. Une démocratie
et leur adaptation à une évolution de leur cadre d’action. n’existe pas sans sécurité. Mais au-delà de la question de
la sécurité en tant que telle, c’est tout le problème de la
Cette vision de la sécurité s’inscrit dans la lignée du Livre réflexion sur la sécurité qui s’est progressivement posé
blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2008, mentionné aux décideurs publics. L’État a été amené à se remettre
dans ce rapport, initiant une nouvelle vision de la sécurité en cause et à repenser son rôle, dans un contexte à la fois
devant faire face à l’imprévisibilité d’un monde instable de mondialisation accélérée et d’intégration européenne.
au sein duquel les menaces et les risques se développent L’exigence de sécurité s’est accrue, amenant à la nécessité
et interagissent. Ce Livre blanc a permis la formalisation de réfléchir, de repenser cette notion pour lui donner
d’une idée émergente depuis quelques années, consistant un contenu, de faire de la sécurité à la fois un objet de
en une remise en cause progressive de la distinction entre recherche et d’étude, mais également un paradigme de
« intérieur » et « extérieur », dans le cadre du concept politiques publiques et de l’inscrire dans une dynamique
globalisant de « sécurité nationale » recouvrant à la fois la institutionnelle, pour que ce sujet ne soit plus source de
politique de la défense, la politique de sécurité intérieure, division mais permette le consensus et le rassemblement.
la politique de sécurité civile ainsi que d’autres types de
politiques comme la politique économique ou la politique S’adapter à la réalité du monde contemporain et aux
étrangère. Cette évolution conceptuelle qui voit la sécurité nouveaux enjeux auxquels il faut faire face dans un souci
être traitée en tant que globalité est ainsi traduite par une de garantie de sécurité est l’affaire des pouvoirs publics,
évolution législative consécutive à un travail en amont qui mais ceux-ci ne peuvent agir efficacement s’ils n’ont
a amené cette nouvelle vision, notamment par le biais de pas les moyens de la production de ces recherches et
la production de recherches et d’analyses ayant contribué analyses, ni la possibilité de faire émerger des savoirs et
à penser la sécurité autrement. de les transmettre à ceux qui ont pour mission d’assurer la
(3) Loi n°95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, modifiée par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité
intérieure.
(4) Abrogé par l’ordonnance n°2012-351 du 12 mars 2012 - art.19.
(5) Loi n°2002-1904 du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. L’article 1 de la loi approuve le rapport sur les
orientations de la politique de sécurité intérieure figurant en annexe, qui reprend dès ses premières lignes la définition de l’article 1 de la LoPS.
(6) Loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
(7) rapport n°2271 du 27 janvier 2010, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la république sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure par le député Eric Ciotti.
Cahiers de la sécurité et de la justice – n°27/28
10 I DoSSIEr
sécurité, dans toutes ses acceptions. Donner aux pouvoirs « policiers » de la sécurité, mais également les facteurs
publics, et plus largement à tous les acteurs concernés environnementaux, sanitaires, économiques et judiciaires,
par cette question, les moyens d’agir et de comprendre ainsi que les interactions avec les questions de défense.
comment penser la sécurité est précisément le rôle d’une
institution publique chargée d’étudier cet objet, telle que Cette évolution institutionnelle illustre de quelle façon
peut le faire l’Institut national des hautes études de la la question de la sécurité est devenue un sujet de
sécurité et de la justice, et qu’ont pu le faire ses formes préoccupation majeur pour les pouvoirs publics, et la
antérieures depuis la création de l’Institut des hautes dynamique de l’Institut concrétise la montée en puissance
études de sécurité intérieure en 1989. d’une réflexion concertée et raisonnée sur ces enjeux. Lors
de ses premières années, et comme l’indique son intitulé,
Dès lors, l’interrogation va porter sur un double aspect l’Institut a été à l’origine du concept de sécurité intérieure,
de cette réflexion. Comment et par quels moyens les né du constat de l’évolution des champs de la sécurité, de
aspects à la fois institutionnels et conceptuels de la la nécessité d’intégrer de nouveaux acteurs à la réflexion
sécurité vont s’alimenter mutuellement ? Dans quelle générale, et d’appréhender les phénomènes d’une manière
mesure la mise en place d’une institution chargée de différente et plus englobante.
penser cette problématique va, en s’inscrivant dans le
paysage administratif, être le centre de conception d’une En prenant de l’ampleur, l’Institut a permis la constitution
grille de lecture particulière donnant les outils nécessaires d’un espace de dialogue entre les acteurs de la sécurité, mais
à l’action publique ? L’originalité d’une telle structure est il a surtout créé un « milieu de la sécurité 9 » non seulement
de démontrer que « les concepts qui ne sont pas relayés par des par les interactions qui ont eu lieu mais, également, par
institutions n’ont guère d’impact et que des institutions sans message les cadres qui ont été formés et les études qui ont été
n’ont guère d’audience 8 ». produites. À ce titre, il n’a pas été simplement une réussite
institutionnelle, il peut aussi se voir, par sa vocation
Une vision concertée de la sécurité a appelé une évolution interministérielle et multidimensionnelle, comme le centre
des points de vue. Aussi, les années 1980 ont été une de développement de nouvelles approches de la sécurité.
période clé en la matière puisqu’elles ont été marquées, Cette démarche a permis de mettre au point un véritable
au début de la décennie, par une volonté modernisatrice référentiel en matière de sécurité, qui, en évoluant, donnera
qui a exploré un champ jusque-là peu étudié qui est naissance au concept de sécurité globale. La sécurité globale,
celui de l’institution policière. De ces accumulations en étant une façon d’appréhender les nouveaux problèmes
de connaissances nouvelles est née une ouverture de la au travers de l’hybridation des compétences et des moyens,
police à la recherche qui a conduit, en 1989, à la création reflète la philosophie de l’INHESJ qui articule les champs
de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure de la sécurité dans une dimension pluridisciplinaire. De
(IHESI) par Pierre Joxe, alors ministre de l’Intérieur. Cette plus, la fin d’une séparation entre sécurité intérieure et
structure, intégrée au ministère, a été fondée dans le but sécurité extérieure a permis une sorte de continuum entre
d’assurer la formation des hauts fonctionnaires de la police les politiques de sécurité et de défense dans le cadre de
nationale et d’approfondir les connaissances en matière de la sécurité nationale, qui est une approche globale de la
sécurité intérieure par l’étude en commun des problèmes sécurité telle qu’entendue par les travaux de l’INHESJ.
qui se posent dans ce domaine, ainsi que de conduire et
diffuser des études et des recherches dans le champ de la
sécurité intérieure. Devenu en 2004 l’Institut national des La genèse d’une réflexion
hautes études de la sécurité (INHES) et voyant son statut
sur la sécurité
évoluer en établissement public administratif, toujours
sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, l’Institut a connu
une nouvelle évolution en 2009 en s’appelant désormais Dès 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir à la suite
Institut national des hautes études de la sécurité et de de l’élection de François Mitterrand, la nouvelle majorité
la justice (INHESJ), devenant cette fois un service du en place a affiché une volonté de réforme de l’institution
Premier ministre. En passant de l’IHESI à l’INHES policière et constaté à cette occasion la quasi-absence de
puis à l’INHESJ, l’Institut a diversifié ses domaines travaux de recherches, notamment en sciences sociales,
d’études en prenant en compte non seulement les aspects sur le monde policier. Mais le constat, à cette époque, d’un
(8) Entretien avec Jean-Marc Berlioz, ancien directeur de l’Institut, l’Essor, n°362, octobre 2004.
(9) Gleizal (J.-J.), 1999, « recherches et actions dans le champ de la Police et de la sécurité », Les cahiers de la sécurité intérieure, n°37, Paris,
IHESI, La documentation Française.
Penser la sécurité : l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice – Xavier LEGAY