Qu'est-ce qu'une catégorie? Interprétations d'Aristote

409 Pages·2019·2.44 MB·French

by  J. Lemaire (editor)

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LOUVAIN-LA-NEUVE
PEETERS
2019
QU’EST-CE QU’UNE CATÉGORIE ?
INTERPRÉTATIONS D’ARISTOTE

ARISTOTE
TRADUCTIONS ET ÉTUDES
QU’EST-CE QU’UNE CATÉGORIE ?
INTERPRÉTATIONS D’ARISTOTE
ÉTUDES RÉUNIES PAR
VÉRONIQUE BRIÈRE
ET JULIETTE LEMAIRE
LOUVAIN-LA-NEUVE
PEETERS
2019
ARISTOTE
TRADUCTION ET ÉTUDES
COLLECTION DIRIGÉE PAR P. DESTRÉE ET PUBLIÉE PAR LE
CENTRE DE WULF-MANSION
RECHERCHES DE PHILOSOPHIE ANCIENNE ET MÉDIÉVALE
À L’INSTITUT SUPÉRIEUR DE PHILOSOPHIE
DE L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.
ISBN 978-90-429-3662-1 (Peeters Leuven)
ISBN 978-2-7584-0304-3 (Peeters France)
eISBN 978-90-429-3946-2
D/2019/0602/73
© 2019, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven
Tous droits de reproduction, de traduction ou d’adaptation,
y compris les microfilms, réservés pour tous pays.
TABLE DES MATIÈRES
Véronique Brière : Présentation .......................... 1
Leone Gazziero : « οἰκείως τῇ λογικῇ πραγματείᾳ (Simplicii in
Aristotelis categorias commentarium, 12.11). Contraintes disci-
plinaires – anciennes et modernes – de l’interprétation logique
des Catégories d’Aristote » ........................... 9
Francis Wolff : « Des genres de la prédication aux genres de
l’être »........................................... 59
Annick Jaulin : « L’usage aristotélicien des catégories dans la
Métaphysique ».................................... 81
Stephen Menn : « Métaphysique, Dialectique et traité des Caté-
gories » .......................................... 99
Richard Bodéüs : « La postériorité des relatifs selon Aristote » 131
Maddalena Bonelli : « Les relatifs dans les Catégories d’Aris-
tote » ............................................ 149
Jonathan Barnes : « Syllogistique et classification des prédi-
cats » ............................................ 169
Véronique Brière : « Catégories et enjeux du skhêma dans les
Réfutations sophistiques »............................ 191
Jean Baptiste Gourinat : « Les stoïciens et les catégories d’Aris-
tote »............................................. 231
Valérie Cordonier : « Problématique passion : les catégories du
changement selon Alexandre d’Aphrodise » ............. 261
annexe : traduction de la Question I, 21 ................ 313
Philippe HoffMann : « Les analyses de l’énoncé : catégories et
parties du discours selon les commentateurs néoplatoniciens » 315
Juliette leMaire : « Vers les catégories et au-delà. Porphyre et
les catégories » .................................... 363
Bibliographie .......................................... 379

PRÉSENTATION DU VOLUME
« QU’EST-CE QU’UNE CATÉGORIE ? »
INTERPRÉTATIONS D’ARISTOTE
Au point de départ de ce volume se trouve d’abord la volonté de
prendre la mesure d’études et de travaux consacrés depuis ces quinze
dernières années au traité aristotélicien, notamment grâce aux trois nou-
velles éditions et traductions du texte aristotélicien des Catégories
publiées depuis 2001 : Richard Bodéüs, Catégories (Les Belles Lettres)
en 2001, Frédérique Ildefonse et Jean Lallot, aux éditions du Seuil en
2002, Michel Crubellier, Catherine Dalimier et Pierre Pellegrin, Organon
I –II, chez Flammarion, en 2007. On pourrait citer aussi, à l’appui de la
motivation à réexaminer les thèses et interprétations majeures de la
notion aristotélicienne de « catégorie », les travaux d’Annick Jaulin,
consacrés à l’analyse des différents sens de l’ousia dans les textes aris-
totéliciens (Eidos et ousia, de l’unité théorique de la Métaphysique
d’Aristote, Paris, éd. Klincksieck, 19991), et l’ouvrage collectif coédité
par O. Bruun et L. Corti, Les Catégories et leur histoire, Vrin, 2005 qui,
fruit d’un colloque dirigé par Jonathan Barnes et Alain de Libera en
2002, faisait le point sur une longue tradition d’interrogations et d’inter-
prétations de la théorie aristotélicienne des catégories.
Les chantiers récents de traduction et d’interprétation des Catégories
d’Aristote n’avaient encore guère donné lieu, jusqu’à lors, à des discus-
sions croisées, en colloque de spécialistes, en France2. On peut cependant
aujourd’hui compter au dossier des études de fond récemment consacrées
à l’ouvrage et à la doctrine des dites « catégories » le volume paru en
italien en 2011 : Studi sulle categorie di Aristotele, sous la direction de
1 Réédité en 2016 chez Classique Garnier.
2 C’est pourquoi en 2007 Véronique Brière et Juliette Lemaire avaient organisé, avec
le soutien de J.-F. Balaudé, un colloque à l’Université de Paris X Nanterre, consacré à la
question « Qu’est-ce qu’une catégorie ? Interprétations d’Aristote ».
2 V. BRIÈRE
Maddalena Bonelli et Francesca Guadalupe Masi, A. Hakkert Editeur,
Amsterdam, 20113. Très récemment, nous devons à Michael J. Griffin
une précieuse étude approfondie de la réception des catégories d’Aristote
au premier siècle avant J.C. : Aristotle’s Categories in the Early Roman
Empire, Oxford, Oxford University Press, 2015.
La question « qu’est-ce qu’une catégorie ? » : une question
aristotélicienne
Ce dont témoignaient dès 2001 les nouvelles éditions et traductions du
texte, par la mise en perspective historique des discussions autour des
occurrences théoriques de la kategoria, c’était de la possibilité de refor-
muler et de se réapproprier les questions que les traditions de commen-
taires (néoplatonicien, médiéval, byzantin) avaient léguées à la lecture du
texte aristotélicien, et d’en renouveler les enjeux : les solutions d’inter-
prétations se jouent à la fois localement dans les textes, et d’une manière
générale dans l’articulation entre les différentes analyses d’Aristote, et les
différents types de logoi ou contextes théoriques.
S’intéresser à l’analyse de la notion de « catégorie » et aux aspects de
la problématique catégoriale dans les divers textes d’Aristote, c’est en
effet réengager un état des lieux des multiples difficultés théoriques liées
aux divers usages aristotéliciens de la kategoria — non seulement pour
réinscrire par exemple la notion de kategoria dans la diversité des champs
de recherche dans lesquels Aristote lui-même la mobilise ou la fait inter-
venir (dialectique, métaphysique…) mais aussi pour suivre éventuelle-
ment des glissements de sens, d’usage du lexème « kategoria », autant
que du concept de « catégorie », selon qu’il s’agit pour Aristote de clas-
ser des prédicats, de distinguer des étants, ou de décrire des schèmes de
l’unité. Lire les Catégories d’Aristote, c’est tout à la fois interpréter l’his-
toire des réflexions philosophiques sur l’énonciation, interroger une pré-
histoire de la sémantique, articuler la formalisation logique des déduc-
tions et les « formes » ou figures de chose que se donne le philosophe
qui interroge l’être en tant qu’être, les mesures même de tout ce qui « est
3 Traductions et commentaires inédits, de Jonathan Barnes, Maddalena Bonelli, Bar-
bara Botter, Lisa Bressan, Elisabeta Cattanei, Walter Cavini, Paolo Fait, Francesca Gua-
dalupe Masi, Stefano Maso, Carlo Natali, Cristina Rossitto, Rita Salis, Cristina Viano,
Diego Zucca.
PRÉSENTATION 3
cela même qu’il est », selon qu’on le considère en acte ou en puissance,
qu’on l’envisage du point de vue des choses en devenir ou des choses
prises selon leur définition (ti esti). Les catégories traversent ainsi autant
l’analyse de la Physique que les textes des ensembles « dialectiques » :
Topiques, Réfutations sophistiques, Analytiques, De l’Interprétation, et
irriguent toute la volonté aristotélicienne de refonder l’ontologie. La
Métaphysique quant à elle (les textes rassemblés sous ce titre) ne se
contente pas de chercher la substance, voire une substance « première »
parmi toutes ; la démarche fait jouer aux catégories le rôle des différences
premières de l’être, tantôt envisagées du côté du logos qui prédique,
décrit, attribue et tantôt prises par soi comme autant de modes d’être dont
chacun formule sa propre série d’oppositions, de contraires, de formes.
Réfléchir à ce que recouvre la notion de catégorie, c’est donc tirer un fil
qui traverse et articule toute la pensée aristotélicienne.
Ainsi les questions les plus difficiles que le texte posait depuis les pre-
miers commentateurs, jusqu’aux figures contemporaines les plus fortes
(telles que le dialogue entre J. Benveniste et J. Derrida par exemple le
montre4) se trouvent réactivées, et potentiellement éclaircies sous l’effet
des nouvelles traductions : comment faut-il saisir ce qu’Aristote appelle
« catégorie », et qu’il construit autant qu’il semble parfois se contenter
d’en donner un « recueil », une liste allant de soi ? quel est le sens de la
notion de kategoria, selon qu’on se situe dans une enquête dialectique, ou
métaphysique ? Dans la continuité de quel type de questionnement, ou
d’objet, faut-il situer ces kategoriai qui semblent tantôt renvoyer à une
analyse du sens des propositions, tantôt à une analyse des figures de l’être,
et / ou encore à une analyse des formes possibles de l’identité, des défini-
tions, mais finalement peut-être seulement des manières de parler et des
formes verbales ? Ne faut-il pas même aller les situer plutôt au cœur des
prôta, premiers concepts ou différences indivisibles de tout noème, dans
une étude de l’âme et des schèmes de la pensée ? En quoi les catégories
constituent-elles éventuellement une refonte radicale de l’ontologie, en rup-
ture avec une certaine tradition platonicienne, mais aussi contre les effets
sophistiques d’une certaine puissance sémantique du langage ?
Pour la tradition philosophique, le texte des Catégories d’Aristote a
ainsi représenté, à plus d’un titre, un défi pour l’interprétation : placé par
4 Voir J. Derrida, « Le supplément de copule — la philosophie devant la linguistique »
[1974] in Marges de la philosophie, Paris, éd. de Minuit, 1993.