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Réanimation et coma, soin et vécu psychique du patient, par Michèle
Grosclaude, 2e édition 2009, 264 pages.
Relations soignants - soignés :
prévenir et dépasser les conflits, par Claude Curchod, 2009, 224 pages.
Urgences Réanimation, Transfusion sanguine, par Jean-Pierre Carpentier,
5e édition, Collection Nouveaux Cahiers de I’Infirmière n˚ 21, 2002,
272 pages.
Le burn out à l’hôpital. Le syndrome d’épuisement professionnel des
soignants, par P. Canouï, A Mauranges, A. Florentin, 4e édition, 2008,
24 pages.
Douleur et soins infirmiers, par Ch. Metzger, A. Müller, M. Schwetta,
Ch. Walter, Collection Savoir et pratique infirmière, 2000, 272 pages.
Soigner… le premier art de la vie, par M.-F. Collière, 2e édition, 2000,
464 pages.
Infirmier en milieu carcéral, par Roch-Etienne Migliorino, 2009, 96 pages.
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Remerciements
Dans un premier temps, je veux remercier tout particulièrement Atika,
Axel, Catherine, Christiane, Christine, Danielle, Joëlle, Josseline, Loïc et
Richard, tous issus d’une même promotion de soignants paramédicaux en
formation. C’est grâce à vous si ce projet de recherche et de publication de
l’intimité du soin vécue par le soignant a pu naître et prendre vie.
Un autre grand merci à Anthony, Catherine, Marie, Sylvie et Viviane qui
ont accepté eux aussi de témoigner.
Et une pensée enfin aux précurseurs, c’est-à-dire à celles et ceux qui ont
osé dès l’origine de mon appel témoigner de leur vécu de soignant sur
Internet. Vous êtes et vous resterez le cœur de ce travail.
Dans un deuxième temps, je veux remercier ceux qui m’ont aidé à éclairer
ces témoignages soignants. Il y a des anonymes que je connais très bien, des
auteurs que je découvre et des professeurs en philosophie que je commence
à connaître.
Et puis, il y a – ceux qui sont pour moi – des personnalités qui ont accepté
de réagir à la lecture des témoignages soignants : M. Alain Coulomb, Mme
Christine Coquaz, Mme Ljiljana Jovic, Mme Sylvie Lopez-Robillard, Mme
Anne Rauzy, M. Michel Poisson. Soyez à votre tour remerciés.
Enfin, il y a les personnes qui m’ont accompagné un peu, beaucoup,
passionnément, à la folie… dans cette merveilleuse aventure de partage.
À tous : Merci.
Avant-propos de Michel
Poisson et Ljiljana Jovic
Quelle bonne idée d’inviter des professionnels du soin, infirmières pour la
plupart, à parler de leur métier ! C’est tellement rare qu’au début, on est
même surpris de l’abondance et de la fluidité du discours. Dans cette sorte
d’agora des temps modernes, une parole claire et vive se libère et résonne,
en écho à des moments de soins tirés de mémoires parfois lointaines. Ici,
les mots résonnent en effet plus qu’ils ne raisonnent. Car ce sont les émo-
tions et les sentiments qui sont convoqués au cours de cette gigantesque
conversation. Tranches de vie de soignants qui acceptent généreusement de
livrer une part d’eux-mêmes souvent gardée secrète, comme si dans notre
milieu, toute forme d’épanchement était tacitement proscrite. « À l’école,
on ne dit pas ses émotions » raconte A., étonnée de s’être senti le droit de
pleurer lorsque la petite Nancy, huit mois, a pris congé du monde. Étonnée
aussi, A., face à la dignité poignante de la maman de Nancy, endeuillée mais
lui offrant ses bras à son tour, pour la réconforter. Ailleurs, G. assure qu’au
fond, « le plus dur, c’est de faire semblant que tout va bien ».
Alors, quand le silence fait place à la vie qui se laisse raconter, le résultat
est nécessairement foisonnant. Souvenirs plus ou moins enfouis, surpre-
nantes réminiscences, jusqu’à cet engagement d’un corps qui se rappelle
comment il prenait une enfant de onze ans dans les bras pour une ponction
lombaire – art d’une « faiseuse de dos rond ». Tant de vécus, de ressentis sé-
dimentés, constituent la trame solide d’un témoignage collectif dont l’élo-
quence inspire nécessairement le respect. Si la dimension professionnelle
constitue sans aucun doute la toile de fond du récit, l’humanité occupe
l’essentiel du premier plan. « C’est plus une expérience humaine qu’une
expérience de soins » dit C. suivie en cela par J., dont la fonction essentielle
consista à maintenir ce qu’elle appelle joliment le « fil humain » qui relie
au monde. Lorsque les recours à la science et à la technologie sont épuisés,
l’éthique n’est jamais bien loin et c’est toujours l’humanité toute nue qui
prend le relais, jusqu’au bout des vies accompagnées. « Ce sont des femmes
et des hommes, dit S., seulement et simplement et c’est déjà beaucoup ».
Mais l’humanité, c’est aussi la fragilité et l’humilité des héros réduits à
rechercher des petits moyens pour s’accrocher et résister sur des chemins
parfois scabreux et souvent encombrés de multiples douleurs. Ici, le collec-
tif de travail, cocon improvisé tissé dans de discrètes solidarités, apporte un
chaleureux réconfort : « plein de choses sûrement efficaces pour soi mais
moyennement efficaces pour le patient » dit C. Enfin, ces moments d’hu-
manité sont tous marqués et traversés par les rencontres, sans que l’on s’en
VIII
étonne : soignants-soignés, parents-enfants-soignants, familles-soignants,
soignants apprentis et soignants plus chevronnés. De ces contacts naissent
parfois les étincelles qui allument les souvenirs les plus tenaces. Ainsi, M.
la rebelle se souvient lorsqu’elle était élève, des « abus de pouvoir » de mo-
nitrices pour qui « apprendre la vie, (c’était) apprendre à se résigner face à
l’injustice ». Elle en a retenu, semble-t-il, de salutaires capacités d’indigna-
tion, associées au magnifique souvenir de C., « l’humaine formatrice en
humanité » dont elle a sans aucun doute emprunté le sillage. Prix à payer,
peut-être, mais aussi cadeau reçu pour l’édification d’un solide appareil mo-
ral qui aide à y voir plus clair, comme un phare dans la tourmente.
Ainsi, ces souvenirs livrés par les professionnels, avec leurs mots, rappel-
lent ceux qu’on se raconte dans les salles de soins autour d’un café. Des
moments privilégiés durant lesquels on se remémore les situations vécues et
qui ont forcément marqué d’une manière ou d’une autre. Ces moments et la
similarité de situations vécues, même si ces dernières ne sont pas exprimées,
sont également des fils invisibles qui lient les professionnels entre eux. Cette
façon inhabituelle de raconter les relations de soins tient à l’expression des
ressentis, des observations, des interprétations, des lectures singulières des
situations. Le contenu des entretiens constitue une matière riche à explorer
et donne à voir une autre facette du métier de soignant.
Merci donc à tous ces professionnels de témoigner du caractère vivace,
profondément humain, de ces métiers qui consistent à soigner les hommes.
S’agissant des infirmières en particulier, elles ont, pendant longtemps, trop
sans doute, laissé confisquer leur parole par d’autres, s’excluant ainsi de
toute forme de délibération sur leur avenir. Oser dire, mettre au jour la réalité
du métier, c’est à la fois créer les conditions d’un nécessaire débat et y par-
ticiper. On ne peut que les inviter à continuer de solliciter encore et encore
ces fécondes mémoires. Dire et se dire, au service d’un projet collectif pour
une profession qui s’avère pleine de ressources à l’aube de ce nouveau siècle.
De ce point de vue, l’ouvrage de Philippe Gaurier ouvre une voie assurément
prometteuse.
Michel Poisson, Ljiljana Jovic, le 17 décembre 2008
Ljiljana Jovic, Directeur des soins, Conseillère technique régionale en soins /
DRASS Île-de-France, Présidente de l’ARSI (Association de Recherche en
Soins Infirmiers)
Michel Poisson, Cadre supérieur de santé, Formateur / Institut de formation
des cadres de santé / CHU Nantes
Avant-propos de Alain
Coulomb
Lire ces « témoignages d’un soignant » recueillis, mis en forme, commentés,
approfondis par Philippe Gaurier, c’est d’abord être surpris.
On semble bien loin en effet des mémoires classiques dans lesquels un
professionnel / étudiant synthétise avec plus ou moins de bonheur, les
« textes de référence », adaptés – dans le meilleur des cas – à l’expérience
de l’auteur.
Mais l’originalité de la démarche, la première surprise passée, n’est pas la
seule vertu du recueil de l’auteur.
Bien vite, l’émotion domine. Le choix de respecter le « verbatim » renforce,
s’il en était besoin, l’extraordinaire densité humaine de ces témoignages.
Ils nous rappellent, et avec quelle force, que soigner ce n’est pas seule-
ment appliquer des procédures, aussi pertinentes soient-elles. C’est d’abord
établir une relation à l’autre. Être responsable…
On est bien loin ici d’une conception judiciaire de la responsabilité pour
toucher à l’éthique des comportements, à l’irréductible de l’humain dans la
grandeur de la souffrance et des deuils partagés.
Plus « en creux » apparaît un troisième intérêt de l’ouvrage, qui met en
évidence la relation contradictoire inhérente au rôle des professionnels de
santé : techniciens / soignants. Ces deux visions apparemment inconcilia-
bles du soin ont sans doute donné lieu à quelques belles joutes oratoires,
mais peu de conséquences organisationnelles en ont été tirées, et qui pour-
tant auraient mérité de l’être.
En fait, que se passe-t-il ? D’un côté un extraordinaire foisonnement de
« machines » destinées à affiner le diagnostic, mais aussi à intervenir, c’est-
à-dire à soigner. Le développement de ces techniques a pris la place, ou en
tout cas une place importante, dans la relation singulière faisant reculer
l’aléa ou l’erreur vers l’inacceptable.
De l’autre, on a répondu « sans changer », ou si peu, l’organisation des
soins et la répartition des tâches, à l’exigence sécuritaire des malades en
surchargeant le soignant de tâches secondaires qu’il perçoit légitimement
comme des surcroîts de travail et dont l’utilité lui paraît bien faible au regard
de son savoir, de ses compétences et de son expérience. Et le tout dans un
contexte démographique tendu.
Il ne s’agit pas de nier l’un ou l’autre de ces aspects. La médecine tech-
nique comme l’« evidence based medicine » renforce incontestablement les
X
possibilités d’accès de tous à des soins de qualité, mais d’un autre côté, la
confiance demeure la valeur ajoutée essentielle de la relation médicale et
elle implique ce « supplément d’âme » qui répond à la spécificité de l’hu-
main.
En clair, à travers le travail de témoignage apparaît un modèle nouveau
qui, à côté du modèle biomédical dominant ces cinquante dernières années
est en train d’émerger et dans lequel seront valorisés :
• un patient plus actif dans une relation plus égalitaire,
• un traitement concentré sur le malade et pas seulement sur la maladie,
• l’organisation d’un « continuum », impliquant des acteurs coordon-
nés dans une organisation cohérente entre les différents intervenants des
équipes médicales mais aussi entre la ville et l’hôpital,
• la prise en compte de l’évaluation dans le processus de soins de di-
mension psychosociale et économique,
• un discours plus pédagogique et responsable que prescriptif.
Il reste, certes, des obstacles à franchir, mais Philippe Gaurier nous rap-
pelle opportunément et avec force qu’il est urgent de le faire.
Alain Coulomb
Ancien Directeur Général de l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et
d’évaluation en santé), puis de l’HAS (Haute autorité de santé).
Introduction
Depuis la publication de mon livre Être infirmier aujourd’hui, D’une ONG au
monde hospitalier, un parcours sans frontières, en mars 2006, dans lequel j’ai
essayé de décrire au mieux ma vie de soignant et les émotions humaines
que j’ai ressenties, j’appelle les soignants à en faire de même. Cela m’a sem-
blé tellement essentiel d’y être arrivé, qu’à la sortie du livre, j’ai créé un site
Internet www.etre-infirmier-aujourdhui.com où je propose aux soignants
de témoigner à leur tour :
Si vous êtes infirmier(e), aide-soignant(e), agent des services hospitaliers,
kinésithérapeute, assistante sociale, cadre de santé... bref, acteur paramédical de
santé, dans le secteur public, privé ou libéral, vous avez forcément vécu des
moments professionnels exceptionnels. Ce ne sont pas les mêmes que ceux décrits
dans Être infirmier aujourd’hui, mais je suis certain qu’ils méritent tout autant
d’être partagés.
Je souhaite que vous osiez les partager avec moi comme j’ai osé le faire avec
vous. Il vous suffit de cliquer maintenant sur [email protected] et de
vous autoriser à raconter ce qui est si merveilleux, mais aussi parfois si dur, dans
notre profession, ce qui est, ou ce qui a été, votre « intimité du soin ».
Je prendrai le temps de vous lire et de vous répondre.
Enfin, nous verrons ensemble, si vous le souhaitez, et seulement si vous le sou-
haitez, comment faire apparaître dans la rubrique « Témoignages », en tout ou
partie, de façon anonyme ou non, avec relecture ou sans, ce que vous m’aurez
confié, dans un premier temps à titre strictement personnel.
C’est ainsi que nous pourrons construire ensemble une facette de la mémoire
collective de la profession d’infirmière et participer à mieux accompagner celles et
ceux qui vivent les soins au quotidien ou qui s’y destinent.
Nous appellerons ensemble cette rubrique de témoignages : « Quelques soins
sans frontières ».
Afin d’amorcer le processus, je vous propose un témoignage personnel.
Mission humanitaire, 1981, Somalie, Camp de réfugiés, Bourdoubo A1
La journée commence. Il fait beau. Je viens de me lever et un traducteur
m’informe qu’il y a eu de l’activité cette nuit. Je n’aperçois pas mes quatre
collègues de mission (un médecin, une laborantine et deux infirmières).
Peut-être sont-ils encore sur le mini hôpital (qui comprend une salle de
1 Pour affiner le contexte, se référer à Gaurier P., Somalie, In Gaurier P., Être infirmier
aujourd’hui, Les éditions Ellébore, Paris, 2006, pp. 19-55.Publication du témoignage en
décembre 2007 sur infirmiers.com
2 Quand les soignants témoignent…
soins, une pièce d’hospitalisation, une petite réserve). Peut-être viennent-ils
de se recoucher s’ils ont – en tout ou partie – travaillé cette nuit.
Je parcours les cent mètres qui me séparent du dispensaire. Tout est calme,
apaisé. L’aube reposante de l’équateur dispense sa sérénité. Nur, ce jeune
infirmier somalien formé par les générations humanitaires précédentes et
par nous-mêmes, ne vient pas au devant de moi comme c’est l’habitude.
J’entre dans notre salle de soins qui nous sert aussi de consultation, de salle
de pansements et de salle de chirurgie au besoin.
Effectivement, ce n’était pas dans cet état hier soir. La salle n’est pas ran-
gée. Il y a juste devant moi, sur une table, une bassine en fer étamé, rem-
plie ; elle nous sert parfois de « poubelle à pansements ».
Le contenu est troublant. Il y a quelques compresses, plus ou moins san-
glantes, quelques pansements « américains » souillés, des traces de sang et
de liquide – sans doute – amniotique au fond de la bassine, et un placenta.
Et sur le grand rebord arrondi en fer, hors des déchets, incliné, la tête vers le
bas, les jambes vers le haut, pendantes vers l’extérieur, gît un fœtus.
Sa morphologie peut surprendre mais elle ne m’est pas inconnue. Cela fait
plusieurs mois, en France, que je participe à la prise en charge de prématurés
qui lui ressemblent, dans une unité de réanimation néonatale. J’ai même
choisi, il y a deux ans, de travailler en pédiatrie pour acquérir des connais-
sances et des compétences spécifiques qui, je l’espère, me seront particulière-
ment utiles, aujourd’hui dans ce pays en voie de développement.
C’est donc un accouchement qui a eu lieu cette nuit, dans cette salle.
Nous intervenons assez rarement pour les accouchements. Premièrement,
parce qu’il y a peu de couples. En effet, ce camp ouvert, de plusieurs mil-
liers de réfugiés, se compose essentiellement de femmes, d’enfants et de
vieillards. Presque tous les hommes valides ont été enrôlés pour combat-
tre. Deuxièmement, parce qu’une dénutrition majeure règne sur le camp,
créant un contexte très défavorable à une grossesse. Enfin, troisièmement,
parce qu’il existe parmi toutes ces femmes des « femmes accoucheuses ».
Ce n’est donc que dans les cas extrêmes que les parturientes viennent pour
accoucher, ou pour « finir d’accoucher » dans notre structure.
Puisque je suis là, ma participation à ce travail de nuit sera au moins de
ranger la salle. Peu importe le déroulement, il faut maintenant m’occuper
de la bassine… Et… il me semble que ce fœtus n’est pas mort. Il « gaspe »2.
Est-ce dû à un réflexe post-mortem parce que j’ai bougé la bassine ou est-
ce parce qu’il a bougé dans cette position instable ? Non, il recommence.
En fait, il évacue par spasme le liquide amniotique qu’il a inhalé. Ce fœtus
laissé pour mort est vivant. Ce nouveau-né est vivant. Il est « simplement »
2To gasp : Haleter, Dictionnaire de poche English-French, Éditions Larousse-Bordas, Paris,1999,
p. 136.
Introduction 3
noyé et sa position transversale, déclive, les pieds en l’air, la tête vers le bas,
orientée vers le centre de la bassine, draine le liquide amniotique qu’il a
inhalé vers sa bouche. À chaque soubresaut, il en expectore un peu. Mon
« coup » de stéthoscope ne changera pas grand-chose… Il oscille, seul, entre
l’arrêt cardiorespiratoire et la vie. Je l’emmaillote dans quelque chose, mon
tee-shirt peut-être et je l’emmène vers mes collègues, pour prendre conseil.
Le premier staff est en route. Il ne donnera rien. Il nous faut chacun ré-
fléchir à la situation et accomplir notre matinée de travail. Nous verrons un
peu plus tard, en fin de matinée ou cet après-midi. La question est entière
puisque la maman n’est plus, elle n’a pas survécu.
Avant d’aller « superviser » le centre de réalimentation dont j’ai la res-
ponsabilité, je lave cette petite fille. Je l’enveloppe dans du linge. Une petite
boîte lui servira de lit. Nous avons décidé de ne pas l’alimenter ce matin.
Elle a peut-être encore du liquide amniotique à expectorer. Elle est très faible.
Et bien que nous soyons dans un des pays les plus chauds au monde, sa
température est basse. Elle ne décolle pas de 35 °C. Son poids est d’environ
1200 g. Je la confie à Nur, dans le petit hôpital.
Plus tard, dans la journée, il nous faudra trancher, si elle vit encore…
Est-elle arrivée à terme ? Est-ce une prématurée ? Est-ce un très petit
poids ?
Les deux ?
Pour ma part, sa morphologie m’oblige à pencher pour une réelle préma-
turité qui se double peut-être d’un petit poids lié aux conditions extrêmes
de dénutrition de toute la population du camp.
J’ai la capacité technique de perfuser cette enfant mais nous n’avons pas
une réelle connaissance des apports qu’il lui faudrait. Nous ne possédons pas
les nutriments spécifiques nécessaires à son alimentation parentérale. Et nous
n’avons pas un stock de perfusion suffisant pour tenir plusieurs semaines. Car
même si les quantités sont minimes, les perfusions entamées devront être chan-
gées régulièrement. Nous décidons donc de ne pas la perfuser à long terme. Je
suis seulement chargé de lui administrer quelques millilitres de glucose…
Si nous réussissons à la garder en vie, ce qui est fort peu probable, que
deviendra-t-elle ? Sera-t-il possible de la faire élever par quelqu’un du camp.
Peut-être ? Mais est-ce vivre que d’être dans ce camp, qui plus est sans
famille, sans sa mère ? Est-ce à nous de décider ? Et si nous ne décidons pas,
qui décidera ?
De toute façon, elle pourrait rester auprès des personnels humanitaires
pendant un certain temps, voire même des années, le temps de la mission.
Mais est-ce une vie pour une enfant de devenir la mascotte d’une équipe
soignante, équipe dans laquelle les médecins et les infirmier(e)s changent
tous les six à huit mois ?