Table Of ContentAuteur : [email protected] août 2021
AVERTISSEMENTS
L’histoire du Chambon-sur-Lignon des années 1940 se réfère essentiellement aux témoignages écrits
d’André et Magda Trocmé, maintes fois recopiés sans esprit critique. L’accueil des persécutés et le pacifisme
sont ainsi devenus les emblèmes médiatiques de ce village.
Mais qu’en est-il donc des autres sources peu diffusées ? Une étude comparative s’impose, en s’appuyant
notamment sur plus de 20 000 documents numérisés venant d’une vingtaine de centres d’archives. De quoi
complexifier une vérité qui se basait sur des sources univoques.
Et que serait cet accueil des réprouvés sans étudier l’appareil répressif local ? Pour éclaircir ces
questions, notre fil conducteur sera le jeune inspecteur de police, Praly, qui fut en poste au Chambon-sur-
Lignon d’août 1942 au 6 août 1943, date de son assassinat dans ce village par la Résistance. Son itinéraire
nous dévoile d’autres facettes pour approcher cette époque troublée.
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Je proposais en 2005, un ouvrage intitulé : La Montagne protestante1 dont le sous-titre « Pratiques
chrétiennes sociales dans la région du Mazet-Saint-Voy, 1920-1940 » résumait l’intention initiale. Son
ambition était d’approcher l’esprit des lieux pour comprendre l’originalité de ce terroir oriental du
département de la Haute-Loire, à même d’expliquer ce qui allait y advenir pendant la Seconde Guerre
mondiale.
Une main tendue à d’autres approfondissements similaires sur le village voisin, et combien plus
célèbre, du Chambon-sur-Lignon, que j’avais négligé volontairement par un vilain attachement à ma
commune d’adoption. Aujourd’hui, je constate que ce flambeau est toujours à terre, et je me désole de ce
manque de curiosité qui n’aide pas à la compréhension. Ainsi, la saveur de la complexité nous échappe
peu à peu, hélas, à tout jamais perdue dans les nimbes du temps.
On assiste plutôt à un ancrage dans un conformisme éditorial, certes plaisant à une lecture superficielle,
mais assez éloigné de ce que les archives dévoilent. Ce constat est porté par d’autres, minoritaires, mais se
noie dans un océan de faciles certitudes. En 2009, à la suite de la venue du président Jacques Chirac au
Chambon-sur-Lignon2 (8 juillet 2004), le professeur de l’Institut d’études politiques de Strasbourg, Michel
Fabréguet, en tirait ce bilan laconique.
« Lieux communs, raccourcis, déformations et inexactitudes historiques se répétèrent donc
inlassablement, jusqu’à satiété, dans les différents organes d’information. Antidote à la mémoire du
Mal et à la France coupable de Vichy, les Justes du Chambon-sur-Lignon avaient constitué une
communauté singulière et incomparable en son genre : Le Chambon-sur-Lignon avait été le village
refuge, isolat parfaitement circonscrit et unique de “la conspiration pour le bien” dans une France
entièrement coupable et hostile, abstraction faite en particulier de toute référence à un
environnement régional que la plupart des organes d’information négligèrent à peu près
complètement. »3
Plus récemment, Marianne Ruel-Robins, professeure à la prestigieuse université de Westmont
(Californie, USA), mais tout autant enracinée dans notre région que Michel Fabréguet, s’interrogeait sur
les rouages de cette vérité historique4. Elle s’appuyait cette fois sur l’allocution d’un autre président,
Barack Obama, lors de la cérémonie de souvenir de l’Holocauste de 2009, à Washington.
« We also remember the number 5 000 – the number of Jews rescued by the villagers of Le
Chambon, France – one life saved for each of its 5 000 residents. Not a single Jew who came there
was turned away, or turned in. »5
« Souvenons-nous du chiffre de cinq mille – le nombre de juifs sauvés par les habitants du
Chambon, en France – une vie pour chacun des cinq mille habitants. Aucun des juifs qui se présenta
ne fut éconduit ou livré. »
Je reviendrai sur ces chiffres qui sonnent comme un slogan publicitaire trop vif pour être juste. Ce
dénombrement douteux est évidemment à mettre en perspective avec les 80 000 juifs victimes du génocide
en France entre 1940 et 1945, soit environ 25 % de cette population ostracisée. Si cette tragédie fut moins
catastrophique qu’ailleurs en Europe, la question fondamentale reste toujours d’étudier les dispositifs
initiaux d’extermination. Viennent ensuite les solutions empiriques de fuite, fluctuantes au gré des
circonstances, si bien traitées par Jacques Sémelin pour expliquer ce « paradoxe français6 ».
1 Christian Maillebouis, La Montagne protestante : pratiques chrétiennes sociales dans la région du Mazet-Saint-
Voy, 1920-1940, Lyon, Olivetan, 2005.
2 www.youtube.com/watch?v=Nzxu9ytSW_Q .
3 Michel Fabréguet, « Histoire et Mémoires en confrontation. L’exemple du Chambon-sur-Lignon à l’occasion du
déplacement du président Jacques Chirac (8 juillet 2004) », Histoire, mémoire et médias, 2009, coll.« Médias,
Sociétés et Relations Internationales », p. 79-92.
4 Marianne Ruel Robins, « Les Justes, une autre « histoire périlleuse » : histoire et mémoire protestantes sur le
Plateau Vivarais-Lignon », Revue d’Histoire de l’Eglise de France, vol. 101, no 1, janvier 2015, p. 95-120.
5 Barack Obama, Remarks at the Holocaust Days of Remembrance Ceremony, Washington, 23 avril 2009,
obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/remarks-president-holocaust-days-remembrance-ceremony.
6 Jacques Sémelin. « Le paradoxe français », Le débat, 2015, n°183, p. 186-192. hal.archives-ouvertes.fr/hal-
01475742v2/document.
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« Comment expliquer que près de 90 % des Français juifs, 60 % des étrangers juifs et 86 % des
enfants juifs (français et étrangers) aient pu survivre ? »7
S’interroger donc sans jamais sombrer dans des discours convenus sur l’histoire chambonnaise pendant
la Deuxième Guerre mondiale, répétés à l’envi au point qu’ils en deviennent des axiomes insensés8.
Mon intention sera donc de prendre un peu de recul, en faisant un pas de côté. Ce chemin de traverse
proposera d’autres réflexions propres à infléchir des affirmations d’autorité guère étayées. Sans jamais
m’illusionner sur mes capacités à convaincre le grand nombre, et encore moins les gouvernants.
Seulement par souci de subtilité pour satisfaire des curieux exigeants.
Cette démarche consistera à analyser les forces de coercition, voire de répression qui s’exercèrent au
Chambon-sur-Lignon, pendant une année cruciale au milieu du conflit, moment où les positions basculent
et annoncent la fin des hostilités. Mon fil conducteur sera l’itinéraire d’un jeune inspecteur des
Renseignements généraux, Léopold Praly, qui a été en poste dans ce village d’août 1942 jusqu’à son
assassinat par la Résistance, le 6 août 1943. À côté de la simpliste étiquette de « milicien » qu’on lui
attribue si rapidement, il est instructif de saisir comment Praly fut utilisé par ses employeurs ou perçu par
ses contemporains.
Il s’agira finalement de mieux cerner les forces antagonistes à l’accueil des proscrits au détour d’une
synthèse en deux grandes parties. La première, à l’attention d’un lectorat non spécialiste, portera sur le
contexte pour introduire les principaux acteurs qui scanderont cette année charnière. La seconde reprendra
la chronologie des faits jusqu’aux deux drames ultimes : l’arrestation de 18 (et non 19 comme l’affirme
notre légende !) personnes au foyer des Roches (29 juin 1943), suivie un mois plus tard par la liquidation
de Praly, en guise de représailles. De nombreuses révélations, parfois surprenantes, fendilleront quelques
certitudes.
Malgré les 80 années qui nous séparent de ces événements, notre étude portera à polémique dans les
amicales attachées à cette histoire. La mythologie chambonnaise est si bien constituée qu’il est difficile
d’émettre un regard distancié. Aussi quelques préliminaires s’imposent pour dissiper tous malentendus qui
pousseraient à de vils procès d’intention.
Un texte est toujours le reflet de son auteur et je n’échappe pas à ce principe. Pour être clair, même si
j’habite la commune du Mazet-Saint-Voy depuis plus de 40 ans, je n’ai aucun ancrage familial dans la
région ni de lien de parenté avec un acteur de ce temps. Mon athéisme raisonné m’éloigne d’une
quelconque Église. Point de chapelle à valoriser, si ce n’est une quête illusoire de vérité mémorielle,
inaccessible dans sa plénitude. Dois-je aussi avouer que mes engagements sont nettement à l’opposé des
idées politiques de droite ? Dans ces conditions, loin de moi tout esprit révisionniste pour réhabiliter les
uns au détriment des autres. Libre à vous de remonter mes pistes documentaires pour critiquer mes
développements, mais faites-le avec un aussi grand souci d’objectivité, et pointez concrètement mes
erreurs.
Le vocabulaire est primordial et les mots employés ne sont jamais innocents dans cette recherche d’un
passé révolu. Certains sont lourds de sens, favorisent les amalgames, et les employer sans réflexion fausse
la compréhension. Albert Camus qui vécut ces années-là au Mazet-Saint-Voy, nous a légué une maxime de
circonstance : « Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde »9. Ainsi les termes de
« Gestapo », « Milice », « Renseignements généraux », etc. représentent des entités bien cadrées, avec
des rouages propres à des moments précis. Les confondre perturbe l’analyse par des impressions hâtives
ou mal fondées. De même pour des notions juridiques comme « dénonciation », « terrorisme »,
« meurtre », « assassinat », etc., qui évoluent au gré des circonstances, des législations et des institutions
en place. D’autres prennent aujourd’hui des sens péjoratifs comme le vocable d’« israélite » dont l’usage
était alors courant. Enfin dans mon impossibilité de jauger exactement les convictions des acteurs, je
n’entrerai jamais dans les fines distinctions entre « pétainisme » (adepte de la Révolution nationale) et
« maréchalisme » (attachement au vainqueur de Verdun) vulgarisées par Jean-Pierre Azéma. Je
7 Jacques Sémelin, La survie des juifs en France. 1940-1944, Paris, CNRS éditions, 2018, p. 21.
8 Sylvain Bissonnier « Des mémoires au Lieu de mémoire » dans Jacqueline Sainclivier (dir.), Pierre Laborie (dir.)
et Jean-Marie Guillon (dir.), Images des comportements sous l’Occupation : Mémoires, transmission, idées
reçues. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 139-148. books.openedition.org/pur/46599 .
9 A. Camus, « Sur une philosophie de l’expression », Poésie 44, n°17, p. 22, 1944.
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simplifierai, là encore, mes propos en évoquant simplement leur « pétainisme » pour montrer leur
adhésion à la politique de Pétain, compris de tous même si des nuances seraient nécessaires afin d’éviter
l’enchevêtrement des concepts.
Mes bases sont précises et mon parcours s’appuie sur des prédécesseurs éclairants. La bibliographie en
fin de volume vous permettra de vous y référer, et cela sans aucune discrimination géographique pour les
habitants du canton. Pratiquement tous les ouvrages cités sont accessibles dans le réseau des médiathèques
de notre cher Pays-Lecture (payslecture.fr). Par l’intelligence professionnelle de nos bibliothécaires
locales (profession ici, pour l’instant, totalement féminine), nous pouvons nous abreuver à ces sources
comme dans une université citadine. Ma totale gratitude, et c’est peu dire, leur est acquise.
Parmi ces auteurs inspirants, il y en a trois incontournables sur le plan local. D’abord feu l’universitaire
Pierre Bolle (1923-2010), spécialiste de la Seconde Guerre mondiale qui avait dirigé un colloque au
Chambon-sur-Lignon en 1990, organisé par la Société d’histoire de la Montagne. L’ouvrage de 700 pages
qui en a résulté, est le fondement à toutes réflexions sur cette histoire. Un jeune étudiant, François Boulet,
y intervenait et présentait les premières bribes de sa future thèse de doctorat. Depuis, il nous a transmis de
nombreux autres textes sur ce sujet, aussi fouillés qu’essentiels. Enfin l’historien du protestantisme
français, Patrick Cabanel, qui s’active au sein de l’actuel comité scientifique du Lieu de Mémoire.
J’ai toujours mesuré la difficulté d’apporter un nouvel éclairage dans cet environnement savant. Mais à
force de consulter des documents de première source, de les analyser, les comparer, une vision différente a
quand même émergé. Si j’en crois ma mémoire, informatique celle-là donc plutôt digne de confiance, je
me suis appuyé sur environ 20 000 documents numérisés. Ceux-ci proviennent d’une vingtaine de centres
d’archives, privés ou non, français pour l’essentiel mais aussi allemands, suisses, espagnols, états-uniens
ou israéliens. Plus de 12 000 copies sont issues des Archives départementales, principalement de Haute-
Loire (AD43). La sélection pour rédiger un texte lisible a été frustrante et donne un brouillon qui ne
demande qu’à être amendé. L’idéal aurait été de verser toutes ces archives en libre accès sur un serveur
internet approprié, avec une indexation correcte pour faciliter les recherches. Ce travail exhaustif me
semble inaccessible faute de moyens, cependant tous les rapports existants de Praly à sa hiérarchie sont
rendus public dans un espace réservé sur le site des AD43 (www.archives43.fr/…), avec leurs permaliens
référencés à chacune de leur évocation. Les plus exigeants pourront les consulter en toute quiétude et en
tirer leurs propres conclusions.
L’opposition entre « Histoire » et « Mémoire » doit aussi présider à nos réflexions. La première exige
une neutre distanciation sur les événements, en les contextualisant, alors que la seconde relève du
subjectif, souvent imprécis et narcissique. Je montrerai à plusieurs reprises combien de fragiles
témoignages, malléables au gré des trajectoires personnelles, ont perturbé la transmission des faits, quand
ce n’est pas par volonté délibérée du récipiendaire d’influer sur la légende qui se forgeait.
Nous privilégierons donc toujours l’écrit du temps aux souvenirs tardifs. Cependant des textes
autobiographiques sur cette tranche d’histoire sont incontournables pour peu de les lire avec
circonspection.
Le premier d’entre eux est celui du pasteur André Trocmé* (1901-1971), écrit dans les années 1960. Il
a été la trame de l’ouvrage à succès du professeur états-unien Philip Hallie10 en 1980 qui a largement
contribué à la réputation internationale du Chambon-sur-Lignon. Ce tapuscrit11 initial de Trocmé, alors à
diffusion marginale, a soulevé de nombreuses polémiques en 199012. Après le décès de ces protagonistes,
10 Philip Hallie, Lest innocent blood be shed, New York, Harper colophon, 1980 ; Traduit Le sang des innocents :
Le Chambon-sur-Lignon, village sauveur, Paris, Stock, 1980.
11 Initialement de 565 pages puis remanié en 546 pages par sa veuve Magda, titré alors : « Mémoires. Souvenirs
autobiographiques », déposé aux Archives du Conseil œcuménique des Églises à Genève et à la bibliothèque de
Swarthmore College (Pennsylvanie USA).
12 Roger Debiève, « Réalités 1941-1944 », Rougiers, 1992 ; Mémoires meurtries, mémoire trahie, Paris,
L’Harmattan, 1995 ; Pierre Fayol, Le Chambon-sur-Lignon sous l’Occupation 1940-1944, Paris, L’Harmattan,
1990 ; Jacques Trocmé, « Message posthume du pasteur Trocmé à ses amis du Chambon, du Plateau et
d’ailleurs », Perpignan, 2003. Résumé dans François Boulet, Histoire de la Montagne-refuge, Polignac, Éd. du
Roure, 2008, p. 307-311 et ; Emmanuel Deun, Le village des Justes : le Chambon-sur-Lignon de 1939 à nos
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ce texte a fait l’objet d’une heureuse publication très peu expurgée en 202013. André Trocmé y exposait
déjà ses embarras rédactionnels dans plusieurs pages avec beaucoup de réalisme :
« Je demande, depuis quelques années, que la critique historique ait pitié des Évangélistes,
auxquels on se plaît à reprocher le vague de leur chronologie. »14
Malgré ses défauts, exagérations ou erreurs, ces souvenirs d’un des principaux acteurs du Chambon-
sur-Lignon des années 40 sont inévitables à condition toujours de les confronter à des sources
complémentaires. L’admiration pour André Trocmé ne doit pas nous rendre aveugle pour autant.
D’autres écrits personnels recèlent des informations instructives, avec les mêmes précautions d’usage.
Celui des années 1980 de Lesley Maber* (1906-1999) est de ce registre. Ses confidences sont importantes
si l’itinéraire de Praly nous préoccupe un tant soit peu. Comment les ignorer quand elle le compare à un
jeune Dragon du roi, envoyé après la révocation de l’édit de Nantes en 1685 pour disperser les assemblées
protestantes interdites, sacrifié au bénéfice d’un mythe ?
« La légende chambonnaise de l’occupation a trouvé aujourd’hui son dragon dans la personne du
jeune inspecteur de police de Vichy qui fut abattu en 1943. Comme je l’ai connu, comme je compte
parmi mes amies celle qui fut sa fiancée, je suis en mesure de répondre à quelques-unes des questions
que nous nous posons en vain au sujet du dragon [qui s’enlisa, dit-on, dans un marécage du chemin
du Dragon au Chambon-sur-Lignon…] L’inspecteur Praly est devenu le symbole de la collaboration.
Ce fut aussi un jeune homme de vingt-deux ans qui a été abattu devant les yeux de la jeune fille qui
l’aimait. »15
Dans son documentaire16, Pierre Sauvage, né au Chambon-sur-Lignon en 1944 au sein d’une famille
juive réfugiée, s’interrogeait sur l’implication réelle de Praly au détour d’une photo de ce policier entouré
par ses amis juifs en sortie du village. Cette séquence lui valut maintes critiques acerbes des tenants de la
vérité chambonnaise, relayées dans la presse nationale d’opinion17, que le cinéaste eut du mal à
circonscrire. Mais ce cliché, ainsi que d’autres pris le même jour, existent bel et bien, et soulèvent au
moins quelques questions.
Pourquoi les propos péremptoires a posteriori des uns seraient plus justes que ceux des autres ? Parce
que leurs auteurs sont courtoisement reconnus et leurs textes largement répandus ? Parce que certains
s’intègrent dans la tradition locale, alors que les autres en sont éloignés ? Vastes débats que nous ne
résoudrons pas ici. Ces oppositions mémorielles apparaissent souvent et font émerger des erreurs
factuelles ou des hypothèses incongrues que nous ne manquerons pas d’évaluer. Ainsi en écho au titre
original, un peu ésotérique, des souvenirs de Maber : « Le fagot chambonnais », il est plaisant d’évoquer
ici un proverbe du Burkina Faso bien pesé : « Quand la mémoire s’en va ramasser du bois mort, elle
rapporte le fagot qui lui plaît ». À nous d’analyser ces écrits avec méthode pour séparer les bonnes
brindilles de l’ivraie. Quelques surprises vous attendent.
Après ce nécessaire préambule, il est temps d’aborder notre sujet.
Le Chambon-sur-Lignon est situé à 30 km à vol d’oiseau, à l’est de la ville préfecture du Puy-en-Velay,
dans le département de la Haute-Loire, en bordure de celui de l’Ardèche. Pendant la période qui nous
occupe, d’août 1942 à août 1943, la Haute-Loire vécut sous deux réalités administratives différentes, à
bien mémoriser pour ne pas commettre d’amalgame anachronique. Jusqu’à la mi-novembre 1942, la
Haute-Loire était en zone dite « libre » avec une relative autonomie départementale, par exemple dans la
jours, Paris, Imago, 2018.
13 André Trocmé, Mémoires, Genève, Labor et Fides, 2020.
14 Ibid., p. 396.
15 Lesley Maber, « Le faisceau des vivants. Le fagot chambonnais », 1982, p. 112. Le titre initial était « Le fagot
chambonnais », puis vers 1990 l’autrice l’a rebaptisé en « Le faisceau des vivants ». Nous garderons les deux
titres associés.
16 Pierre Sauvage, Les armes de l’esprit, Association Chambon Foundation, Los Angeles (USA), 90 mn,
1989/2020. www.memoireduchambon.com/retrospective-de-loeuvre-de-pierre-sauvage-15-16-et-17-juin-2018/.
17 Par exemple : Georges Wellers (dir.), « Le mythe du commandant SS protecteur des juifs », Le Monde Juif,
no 130, 1988, p. 61-69. www.cairn.info/revue-le-monde-juif-1988-2-page-61.htm. Pierre Bolle (dir.), Le Plateau
Vivarais-Lignon : Accueil et Résistance 1939-1944, Chambon-sur-Lignon, SHM, 1992, p. 567.
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gestion policière. Après l’occupation du sud de la France par les troupes de l’Axe, la présence militaire
allemande en Haute-Loire introduisit de nouvelles contraintes, notamment au Chambon-sur-Lignon.
La continuité de l’administration départementale pendant cette année de bascule, s’est exercée par le
truchement des préfets et de leurs cabinets. Ces hauts cadres de l’appareil d’État, et leurs fonctions bien
plus prégnantes qu’aujourd’hui, doivent être survolés.
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