Table Of ContentPhysiologie de la perception et de l’action
M. Alain B, membre de l’Institut
(Académie des sciences), professeur
C
Fondements cognitifs de l’identité:
entre mémoire du passé et anticipation
Ce cours est disponible en audio sur le site Internet du Collège de France.
introduction
Le cours de cette année a été consacré à la notion d’identité. Nous avons tout
d’abord donné un aperçu des multiples acceptions de cette notion depuis Aristote
en recommandant des lectures et, entre autres, le livre de Stéphane Ferret sur ce
sujet. Nous avons toutefois accordé un intérêt particulier aux réflexions de Paul
Ricoeur dans son ouvrage «Soi même comme un autre». Pour lui, l’identité peut
se décliner de deux façons: a) l’identité comme mêmeté: «L’idem » implique la
«permanence dans le temps» (Sameness [angl], Gleichheit [all.]); et b) l’identité
comme «ipséité». «Soi-même comme un autre suggère…que l’ipséité du soi-
mêmeimpliquel’altéritéàundegrésiintimequel’uneneselaissepaspensersans
l’autre...»(p.14)(«l’ipse»[latin],self[angl.],selbst[all.],se[it],simismo[esp]).Il
distingue aussi l’«identité narrative»: «C’est dans l’histoire racontée, avec ses
caractèresd’unité,d’articulationinterneetdecomplétude,conférésparl’opération
de mise en intrigue, que le personnage conserve tout au long de l’histoire, une
identité corrélative de l’histoire elle même» (p. 170). Cette analyse nous intéresse
carellemetaucentredelanotiond’identitélarelationavecautrui,l’intersubjectivité
et son caractère multiple. Nous avons dans le cours développé ces deux aspects.
Aprèscettebrèveintroductionnousavonsformulédeshypothèsesquiontguidé
notre analyse: 1) l’identité n’est pas être identique, c’est être unique; 2) on ne
doit pas confondre appartenance et identité; 3) il y a des niveaux multiples
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d’identité; 4) l’identité est un processus dynamique tendu entre la mémoire du
passé, la prédiction du futur et la création d’un présent; 5) l’identité est fondée
sur une intersubjectivité; 6) l’identité n’est pas basée sur ce que le langage déclare
que je suis, mais sur l’action que j’ai faite (mémoire rétrospective, mémoire
épisodique) ou que je peux faire. C’est le concept de puissance d’agir (Dun Scot).
La question de l’agentivité est donc centrale.
le corps propre
Nousavons,danslecourssuivant,défini,grâceauxdécouvertesdesneurosciences
cognitivesmodernes,lesnotionsde«corpspropre»,d’imageducorps,deschéma
corporel. Le «corps naturel» est déjà organisé dans les gènes. Les gènes de
développement desparties du corps,et enparticulierlafamilledes4gènesHOX,
sontdisposéssurlechromosomedefaçonordonnée«co-linéaire»avecl’organisation
spatiale qu’auront les parties du corps. C’est un «homonculus génétique». Ce
corpsnaturelapeut-être,commelesuggèrentdesobservationsfaitessousanesthésie,
une posture archaïque, ou canonique.
Leschémacorporelestmodifiable.Denombreusesexpériences(voirparexemple
les travaux de M.Merzenich) ont montré des modifications par l’entraînement
(cortex moteur, prémoteur, hippocampe etc.), ou la manipulation d’outils. Il est
aussi modifiable sous l’influence de facteurs liés à la préférence: l’influence de la
dopamine à été démontrée lors d’expériences faites chez l’animal par stimulation
de l’aire tegmentale ventrale en même temps que l’application d’un stimulus
sensoriel. Un autre exemple est donné par le paradigme dit de «la main de
caoutchouc»: on dispose une des mains du sujet derrière un écran de façon à ce
qu’il ne la voie plus. On dispose aussi une main de caoutchouc devant le sujet. Si
on touche simultanémentla maindusujetetcelledecaoutchoucilal’impression
que la main de caoutchouc est devenue sa propre main. Le cortex prémoteur
ventral,lecerveletetlecortexintrapariétalsontactivéslorsdel’illusiondelamain
de caoutchouc. L’intensité de l’activation change avec l’intensité de l’illusion. Elle
ne dépend pas de la vision. L’activité dans l’insula postérieure est corrélée à la
déviation de la main perçue. Nous avons décrit un nouveau paradigme développé
dans notre laboratoire pour l’étude de l’illusion de déplacement du schéma
corporel: «le piston virtuel». Le sujet appuie sur un piston. Une caméra projette
dans un casque de réalité virtuelle l’image de sa main décalée. Ce travail est en
cours (thèse de I. Olive).
L’activitéestdoncnécessairepourlamodificationduschémacorporel.Mais,en
fait, la contribution du corps propre à l’identité ne devrait pas être examinée du
seul point de vue du sujet solipsiste. P. Ricoeur écrit aussi «Ma chair n’apparaît
commeuncorpsparmilescorpsquedanslamesureoùjesuismoimêmeunautre
parmi les autres».
Nous avons ensuite précisé la notion de «soi» en comparant les théories de
S. Gallagher, A. Damasio, P. Piolino et nous avons particulièrement insisté sur le
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rôle de la mémoire autobiographique et de ses deux composantes principales,
épisodiqueetsémantique,danslaconstructiondusoi.Enfin,d’emblée,nousavons
introduit un des thèmes essentiels du cours, le rôle prospectif du cerveau qui, à
partir des événements passés, projette sur l’avenir des prédictions. D.Shacter, par
desexpériencesd’imageriecérébrale,montrequelasimulationmentaled’événements
futurs active à peu près les mêmes réseaux que l’évocation des événements passés.
la pathologie de l’identité
Le deuxième cours a été consacré à la pathologie de l’identité. Nous avons
examiné plusieurs aspects de cette question après un très bref rappel des théories
deS.Freud, A.Damasio etW.Penfield. Encequiconcernelapathologieducorps
propreetdelaconsciencedesoi,nousavonstoutd’abordrappelélefaitquepeut
exister une conscience de soi sans cortex cérébral, ce qui est attesté par des
pathologies, décrites par B.Merker, d’enfants sans cortex. Ceci correspond sans
douteàcequeA.Damasio définitcomme«proto-soi»etimpliqueessentiellement
des structures sous corticales. Des données récentes donnent un fondement
scientifique nouveau à des phénomènes décrits depuis longtemps par les
neurologues, mais restés sans explication. Par exemple, O.Blanke a récemment
documenté les bases neurales de l’autoscopie, l’héautoscopie et, de façon générale,
les phénomènes de sortie du corps qui sont une des pathologies de l’identité.
L’IRM fonctionnelle a révélé le rôle important d’aires pariéto-temporales dans ces
phénomènes, comme l’avait prédit Penfield. Nous avons décrit des expériences
réalisées par notre équipe en coopération avec P.Kahane et J.-P.Lachaux sur des
patients épileptiques à Grenoble, qui ont permis d’identifier des aires du cortex
pariéto-temporal impliquées dans la construction de l’unité du corps propre et de
ses relations avec l’espace.
Unautreaspectimportantdel’identitéestl’agentivité,c’est-à-direlaconscience
d’êtrel’agentdesespropresactions.Denombreusesthéoriesdesbasesneuralesde
l’agentivité et de sa pathologie ont été proposées. Nous avons présenté celle de
S.Gallagher qui distingue:
a) le «soi minimum» (the minimal self) qui n’a pas d’extension dans le temps.
Il distingue agentivité (self-agency) et propriété (self-ownership for actions);
b) le soi narratif (the narrative self) qui implique l’identité personnelle et la
continuitédansletemps.Ilproposedeuxmodèlesdu«soinarratif»,l’unsuppose
que le soi est centralisé et unique, l’autre qu’il est distribué et multiple. Gallagher
reprendàsoncomptedesidéesdeC.Frith eninsistantsurlerôledufeed-forward
comme un des éléments importants de ce qu’il appelle le «minimal self».
Pour interpréter des pathologies de l’agentivité, L.Schwabe et O.Blanke
(Cognitiveneuroscienceofownershipandagency.ConsciousnessandCognition,2007)
proposent de distinguer, «ownership» (propriété), intégration multisensorielle et
«agentivité », prédiction des conséquences sensorielles des actions motrices. Leur
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modèle prédirait ainsi deux pathologies différentes. On trouve aussi, dans la
littérature, des données attribuant au cortex pariétal et à la jonction pariéto-
temporale un rôle important dans l’agentivité. En réalité la notion de «soi»
suppose l’intégration de processus divers et nous avons accordé une attention
particulière à la mémoire autobiographique. Comme le précisent Eustache et
Piolino,onpeutdistinguerdeuxcomposantesimportantes:lamémoireépisodique
etlamémoiresémantique.Ilsproposentqu’unréseaud’airesestimpliquédansces
deux composantes pour, respectivement, l’imagerie mentale (precuneus-cuneus
occipital),lareviviscence(hippocampe),laréférenceàsoi(cortexpréfrontallatéral,
dorso-médial, orbito-frontal), la sémantique personnelle (temporal latéral) et
l’amygdale pour la composante émotionnelle. Nous avons ensuite passé en revue
plusieurspathologiesdelamémoireautobiographiqueetdelaconstructiondusoi
chez des patients psychiatriques. Une des idées directrices du cours était de
démontrer que l’identité est un processus dynamique inscrit dans le flux du passé,
duprésentetdel’anticipationdufutur.Ayantmontrél’importancedelamémoire
autobiographique,nousavonsensuitedécritdesdonnéesrécentessurl’anticipation
des actions futures. Il s’agit essentiellement de travaux de D. L. Shacter, qui a
montré que la mémoire autobiographique et l’imagination d’actions futures (ce
qu’il appelle le «cerveau prospectif») activent, pour partie, un réseau d’aires
commun. Ceci nous a permis d’introduire la notion de «voyage mental», qui lie
passé et futur, et d’introduire la suggestion de Squire qu’il y aurait, pour
l’anticipation du futur, des modules cérébraux similaires à ceux qui contribuent à
la mémoire épisodique. Nous avons terminé ce cours par un examen des bases
neurales de la pathologie de la reconnaissance de l’identité d’autrui (autisme,
personnalité «borderline», etc.)
l’ontogenèse de l’identité chezl’ enfant et son l’évolution au cours de la vie
Dans le troisième cours, nous avons cherché à élaborer plusieurs thèses.
1) L’identité corporelle change au cours de la vie. 2) Les changements du soi sont
liésauxchangementsdepointdevue.3)Lamémoireautobiographiquesemodifie:
on filtre les mémoires du passé pour inhiber ce qui n’est pas pertinent ou ce qui
est douloureux; on construit avec la mémoire narrative des scénarios du passé.
4) L’anticipation du futur augmente avec l’apparition des fonctions exécutives et
deschangementsdeperspectivechezl’enfant,puisdiminueaufuretàmesureque
ces fonctions se dégradent chez la personne âgée. On tend à projeter sur le futur
des mémoires anciennes qui ne sont pas nécessairement pertinentes.
Le«corpsnaturel»estdéjàorganisédanslesgènes.Lesgènesdedéveloppement
des parties du corps sont disposés sur le chromosome de façon ordonnée
«co-linéaire» avec l’organisation spatiale qu’auront les parties du corps. C’est un
«homonculus génétique». Malgré la grande pertinence des théories piagetiennes,
on assiste actuellement à une critique radicale des modèles néo-piagétiens de
psychologie du développement: ce sont des modèles de coordination-activation
d’unités structurales et non des modèles de sélection-inhibition. Seul le modèle de
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Pascual-Leone (1988) fait exception. Une analyse alternative de l’attention-
inhibitions’estrécemmentimposée(cf.O.Houdé,«L’enfance del’identité»,dans
L’identité: qui suis-je?, Le Pommier, 2006).
Très schématiquement, chez le bébé (de 0 à 2 ans), la genèse de l’identité passe
d’abord par l’imitation, comportement essentiel au développement de
l’intersubjectivité soi/autre. Ces processus utilisent sans doute les aires connues
sous le nom de «système miroir» qui sont des aires pour partie communes à
l’imitation et l’observation des actions d’autrui. Puis, à 12 mois, l’enfant partage
l’attention et peut «désigner» (selon la terminologie de J. D. Degos qui a décrit
l’«hétéro-topo-agnosie»). À 12 mois les enfants pointent de façon déclarative et
comprennent que les adultes ont des états psychologiques qu’ils peuvent partager.
Ensuite, un peu avant 2 ans, advient une étape fondamentale: la conscience de
soi, attestée par la reconnaissance dans le miroir. En fait on peut distinguer cinq
niveaux de conscience de soi qui se construisent au cours des cinq premières
années (cf. P. Rochat, «5 levels of self-wareness as they unfold early in life»,
Consciousness and Cognition, 2003). J’ai formulé une triple hypothèse à ce sujet:
a)l’imagedanslemiroirregardel’enfantquilaregarde(commelamaintouchante
et touchée); b) la conscience de cet aller et retour est le premier mécanisme du
«changement de point de vue » lié à la direction du regard (cf. mon chapitre sur
le regard dans Berthoz et al., L’Autisme, O. Jacob); c) la constitution de l’identité
est liée aux bases neurales de la manipulation mentale de l’espace (cf. A. Berthoz,
«Esquisse d’unethéoriedel’empathie»,dansA.BerthozetG.Jorland,L’empathie,
O.Jacob,etaussiC.Lévi-Strauss,L’identité,PUF,1977).Entre2et6ansl’enfant
doit élaborer une «théorie de l’esprit» à partir de ses propres pensées, croyances,
désirs et de ceux des autres. On assiste à une progression de l’engagement
réciproque au cours de l’ontogenèse. De l’imitation, au partage des intentions, de
l’attention, de l’affect.
Une question importante concerne le stade au cours duquel l’affect est intégré.
Est-il, par exemple, associé à l’apparition de l’attention conjointe? Deux théories
différentes ont été proposées. Pour la première, l’affect n’est inclus que après
12mois;pourlasecondeilestintégrédès2moisavecl’établissementdel’identité
dusoicommeobjetpourautrui.V.Reddyadonnéunethéoriedudéveloppement
conjoint de la conscience de soi et de différents aspects de l’affect. Nous avons
comparécesthéoriesaveccellesquiconcernent,plusgénéralement,ledéveloppement
des capacités cognitives de l’enfant. À savoir: a) maturation d’une région, par
exemple le cortex frontal dorsolatéral (capacité de retrouver un objet);
b) changement dans l’interaction de plusieurs régions (par exemple, l’interaction
entre le cortex dorsolatéral frontal, le cortex pariétal et le cervelet donnerait une
capacité à identifier et retrouver un objet); c) acquisition de nouvelles habiletés
parl’apprentissage(parexemple,l’additionducortexpariétalinférieuràunréseau
donnera une capacité nouvelle pour des tâches visuo-motrices). Ces trois théories
ne sont pas exclusives.
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l’extension du soi dans le temps
Un soi (self) «étendu» dans le temps implique une mémoire autobiographique
et une conscience de la continuité du soi. L’enfant doit lier les événements en
utilisant les outils cognitifs à sa disposition, à tous les stades du développement.
L’enfant de 3 ans+ peut construire un «soi futur» dans lequel il est impliqué.
Nous avons examiné plusieurs théories sur ce sujet et en particulier celle de
M.Wench-Ross. LemodèledeP.D. ZolazoetJ.A. Sommervillemetl’accentsur
le fait que l’enfant doit élaborer une capacité de relier les événements personnels
avec ceux du monde extérieur. Il distingue 5 étapes: a) 0-1 an; b) 1-1,5 an;
c) 1,5-3 ans; d) 3-4 ans; e) plus de 4ans. Ce n’est qu’à 4 ans que l’enfant peut
avoir acquis non seulement un soi inscrit entre passé et futur, mais avoir aussi la
capacité de se décentrer, en tenant compte de son histoire personnelle et de celle
du monde extérieur. À partir de 4 ans, les enfants ont une compréhension causale
de la stabilité du soi. Le développement de la mémoire épisodique se produit plus
tard que la mémoire sémantique, entre 7 et 13 ans. À 4 ans les enfants peuvent
étendre leur «soi» vers leur futur mais aussi celui d’une AUTRE personne. Le
développement de l’identité narrative suit ces processus: les enfants peuvent se
rappelerdeshistoires(«narratives»),mêmeàpartirde3ans.Ceshistoirespeuvent
être de plus en plus complexes avec le temps.
Il est intéressant de lier l’ontogenèse de l’identité avec les modifications de
l’identitéetdelamémoireautobiographiqueaucoursdelavie,enparticulierchez
les personnes âgées. Chez celles-ci, la mémoire épisodique est en générale moins
bonne.Lesadultesâgéssesouviennentdemoinsd’élémentsinternes(liésdirectement
aux épisodes) et introduisent plus d’éléments externes (contextuels) et de détails
parfoissansrapportavecl’événement.Parexemple,lecortexmédialpréfrontaletle
cingulum médian sont tous deux impliqués dans la référence à soi. La principale
différence entre jeunes et âgés est dans la «valence » affective (émotionnelle). Les
personnesâgéesontuneactivitéaugmentéedanslecortexpréfrontalmédialdorsal
(BA32)pourdesitemspositifsparrapportauxitemsnégatifs.Lessouvenirsencodés
entre18et30ansfondentl’identitépersonnelle(picderéminiscence).
rôle de la relation avec autrui dans la construction de l’identité
L’intersubjectivité est, comme on l’a vu, fondatrice de l’identité. P. Ricœur
écrivait :«Soi-même commeunautresuggèrequel’ipséitédusoi-mêmeimplique
l’altérité à un degré si intime que l’une ne se laisse pas penser sans l’autre»
(op.cit.,p.14).Aprèsunrappeldurôledel’interactionavecautruidansl’ontogenèse
de l’identité, nous avons donné quelques exemples d’études récentes. L’amour
maternel est très important pour la fondation de l’identité, comme le révèlent les
déficitschezdesenfantsquiensontprivés.Quandunemèreregardesonenfant,le
cortexcingulaireantérieur,lestriatum,lecortexorbito-frontal,l’insulasontactivés.
L’amourromantiqueestaussiuntrèspuissantmécanismed’échangequibouleverse
lesrapportsd’identité.Desactivationsontététrouvéesdansunréseauspécifiquequi
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comprendlegyruscingulairepostérieur,l’amygdale,lecortexpréfrontal,pariétalet
temporal médian. L’inhibition de l’amygdale pendant un sentiment d’amour
romantique et intéressant car elle témoigne, peut être, de ce que l’on peut appeler
«l’aveuglementamoureux» quibouleverselaperceptiond’autrui.
La compréhension des bases neurales de la douleur apporte aussi, au-delà des
expériencessurlaperceptiondeladouleurd’autrui,desdonnéessuruneintéressante
dissociation entre une composante sensori-discriminatoire (cortex somatosensoriel
primaire [SI], somatosensoriel secondaire [SII], insula postérieure & cingulaire
antérieur) et une composante affective (cingulaire antérieur, insula antérieure,
thalamus,tronccérébral).Desdonnéesrécentesapportentaussiunéclairagenouveau
sur l’expression «soi-même comme un autre». En effet, en enregistrant l’activité
cérébrale par EEG chez deux personnes qui regardent un film ensemble, on a pu
montrerquelesdeuxcerveauxsonttrèssynchronisésdansdesrégionsspécifiquesau
traitementducontenudelascène.Parexemplelegyrusfusiformeestactivédefaçon
synchrone chez les deux personnes, si un visage apparaît à l’écran, ou des régions
prémotrices si un geste est accompli. Il se produit un véritable couplage temporel
lors de l’observation conjointe et les deux personnes sont «elles mêmes comme
l’autre». Nous avons aussi noté des effets remarquables dans l’interaction avec
autrui. Par exemple, en changeant de perspective et en se plaçant « à la troisième
personne»,oninduitl’inhibition(parlecortexfronto-polaire,aire10deBrodman)
des informations somato-sensorielles liées à la perspective à la première personne.
On a aussi suggéré que l’activation de la jonction pariéto-occipitale (aire 19) est
spécifique à la perspective à la «troisième personne». Cette aire est peut-être
importantepourladifférentiationentresoietautrui.
Nous avons terminé ce cours par une revue de travaux récent sur l’empathie.
Nous avons décrit nos expériences (Thirioux et al., 2009) sur la différence entre
sympathieetempathie.L’idéecentraledenotrethéorieestquelasympathien’exige
pasdechangementdeperspective.C’estunmécanismedecontagionémotionnelle.
L’empathieexigeunprocessuscomplexequipermetàlafoisdesemettreàlaplace
d’autruienchangeantdeperspective,etderesterdesonpointdevue.Ellepermet
aussi à la fois d’éprouver les émotions d’autrui et de les inhiber.
l’identité multiple
«Jusqu’à présent l’identité…était une notion à la fois subjective, collective, et
synchronique… Nousarrivons à une nouvelle perspective qui est objective, individuelle
et diachronique… Je me demandais si, dans cette biologie considérée comme un des
mythes de notre société contemporaine, quelque chose de l’identité subsiste encore.
Quandoncroitatteindrel’identité,onlatrouvepulvérisée,enmiette.»(C.Lévi-Strauss,
Séminairesurl’identité,PUF,Quadriges,1977p.209).
Danscederniercours,nousavonstoutd’abordapprofondileconceptde«corps
multiples».Lesdonnéesdelapathologieonteneffetlargementétablilapossibilité,
pournotrecerveau,dedédoublerlaperceptionducorps(cf.lesnotionsd’autoscopie,
héautoscopie, sorties du corps, etc.), comme nous l’avons vu dans le cours sur la
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pathologieetcommejel’aidéveloppédansmonlivreLadécision.Maisl’idéed’un
dédoublementducorpssetrouveaussiàunniveauplusélevéd’abstraction,comme
entémoignelelangage(onparlede«corpssocial»,du«corpsdespolytechniciens»
(« Corpsard»), du «corps électoral», des «corps constitués», du «corps de la
magistrature», du «corps enseignant», du «corps diplomatique», d’un «corps
d’armée»,«d’espritdecorps»,de«corpsdegarde»,etc.Kantorowiczadécritles
«deux corps du roi»: le Roi a en lui deux corps, c’est-à-dire, un «corps naturel»
et un «corps politique». «Son corps naturel…est un corps mortel, sujet à toutes
les infirmités qui surviennent par Nature ou par accident… Mais son corps
politique est un corps qui ne peut être ni vu ni touché, consistant en une société
politique et en un gouvernement. Ce corps politique est entièrement dépourvu
d’enfance, de vieillesse et de toutes les infirmités etc.» (p. 657). Kantorowicz
généralise en écrivant que «deux personnes se combinent dans le pilote d’un
avion: l’une, qu’il partage avec tous les autres passagers, car lui aussi est un
passager; l’autre lui est particulière, car il est pilote» (p. 992).
L’homme a toujours eu plusieurs niveaux d’identité: une nationalité, une place
dans la famille, une appartenance à une religion, un village, un métier, un parti
politique.Maiscesidentitésétaient,engénéral,assezstablesaucoursdelavieet,au
fond, peu nombreuses. Aujourd’hui les identités se multiplient: dans le travail, en
raison des changements de métier et des structures nouvelles du travail (projets,
équipestransversalesetc.),dutravailcollectifàdistance,delacrisedumanagement,
etc. De plus, l’allongement de la durée de vie induit un télescopage des identités
familiales.Onestàlafoisenfant,père,grand-père,arrière-grand-père.Letéléphone
portableetlamessagerieélectroniqueobligentàjoueraveccesdifférentesidentités
defaçonincessante.Onchangedestatutd’uneminuteàl’autre,onàmêmeplusieurs
identités à la fois. On est aussi de plus en plus «représenté»: par son syndic de
copropriété, son député, sa hiérarchie, son banquier… On délègue son identité.
D’oùdescrisesdeconfiancedanslavaleurdecesmultiplesreprésentants.Lenom
est,aussi,devenuuneétiquetteinterchangeablemaiscelan’apasététoujourslecas:
«Dans des cultures africaines, la nomination implique l’ensemble du groupe, son
histoire, mais aussi, et peut être même surtout, le trajet d’un sujet en train de
s’accomplir,cequej’appelleraison“projet”…[Nommer]cen’estpasseprononcer
sur la substance propre, mais c’est toujours énoncer une prédiction sur l’état du
mondedufaitdesonexistence»(T.Nathan,inS.Gruszow,L’identité:quisuis-je?,
LePommier,2006,p.41).Onchangedenomcommel’ontfaitlesimmigrantsaux
États-Unis,contraintsetforcés,oubeaucoupdejuifsenEuropeaprèsl’holocauste,
enespérantqueleursenfantséchapperaientàdefuturespersécutions.
Mon hypothèse est que cet éclatement des structures de l’identité rend très
difficile la création d’une identité (aussi bien la mêmeté que l’ipséité) stable,
cohérente, dans un présent situé entre un passé et un futur. Le sujet se trouve éclaté
en de multiples identités qui ont des décours temporels, des histoires, des passés
et des projets pour l’avenir différents. Tout ceci dans un monde où l’incertitude,
au lieu de diminuer, croît de jour en jour (tempêtes, crise financières, perte de
PHYSIOLOGIEDELAPERCEPTIONETDEL’ACTION 379
confiance dans la démocratie, peur d’autrui, mouvements sociaux majeurs,
pandémies), sans que des croyances ancestrales, des ancrages culturels, ou sociaux,
ou simplement des habitats (écoumènes) assurent la stabilité du présent. Si on se
réfère aux deux modèles de Gallagher, la «mémoire autobiographique», et donc
laconstructiondu«soi»,estprofondémentperturbée.Demême,le«soinarratif»
devient éclaté et plus proche de son deuxième modèle distribué.
Nous avons terminé ce cours par une évocation de la pathologie des identités
multiples. On les observé évidemment dans des atteintes psychiatriques diverses.
En particulier, nous avons projeté un film d’interviews de patientes américaines,
qui illustre une sorte d’épidémie survenue aux États-Unis il y a quelques années.
Ces personnes se comportaient réellement comme si elles avaient plusieurs
personnalités, plusieurs noms, plusieurs vies. Les causes de ces comportements
n’ont pas été élucidées.
S
séminaire 1: en relation avec le sujet du cours
—07/01/09, Pr.PhilippeJ(Psychiatriedel’enfantetdel’adolescent,université
René Descartes): «Adolescence: l’identité à l’épreuve de la liberté»; Dr Sylvie Berthoz-
Landron (Paris Sud Innovation Group in Adolescent Psychiatry, INSERM, Institut
mutualiste Montsouris): «Le développement de la régulation émotionnelle: apport des
neurosciences».
— 14/01/09, Pr. Armin S (service de neuro-rééducation, département de
neurosciencescliniques,hôpitaluniversitairedeGenève):«Confabulationetconfusiondela
réalité:influencesd’untroubledelamémoiresurl’identité».
— 28/01/09: Pr. Jean François B (secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences,
hôpitalNecker):«Basesscientifiquesdel’individualitébiologique».
—04/02/09, Pr. Philippe R(départ ement de psychologie, université Emory à
Atlanta):«Ledéveloppementdel’identitéchezl’enfant».
— 11/02/09,Pr.AntoineP(hôpital delaSalpêtrière):«Anxiétéetidentité».
séminaire 2: «cartes cérébrales»
Sous la forme d’un colloque organisé en commun avec la chaire de Processus
morphogénétiques, le mardi 28 avril 2009
IntroductionparAlainBetAlainP.
Chantal M (Collège de France et LPPA): «Rôle du corps calleux dans le
développementetlamiseencorrespondancedescartescorticalesvisuelles».
Andrew K (Oxford University,Department of Physiology,Anatomy and Genetics):
«Usingvirtualadultearstoinvestigatetheroleofacousticalfactorsandexperienceinauditory
spacemapdevelopment».
Patricia G et Alexandra R (INSERM U839, institut du Fer à Moulin):
«Nouvelles données sur le rôle de l’activité dans la construction des cartes sensorielles» Daniel
B (université Paris VII, département de mathématiques et LPPA, Collège de
380 ALAINBERTHOZ
France):«Lesgéométriesducerveau: l’exempledusystèmedeneuronesdegrillesetducolliculus
supérieur».
ArielDN(CNRS etÉcolenormalesupérieure,Paris):«Tracersonchemindel’œil
aucortex».
RobertB(NewYorkUniversity):«Evolutionarydevelopmentofextraocularmaps».
Filippo R (Neurobiology Friedrich Miescher Institute, Bâle, Suisse): «Contrôle
génétiquedel’homunculussensoriel».
Conclusions,parAlainPetAlainB.
séminaire 3: «travail, identités, Métier: quelles métamorphoses?»
Sous la forme d’un colloque international, organisé les 23, 24 et 25 juin 2009
au Collège de France, avec la chaire de Psychologie du travail du Professeur Yves
C (Conservatoire national des Arts et Métiers)
OuvertureparAlain B,YvesCetPierreC(Administrateur duCollège
deFrance)
Le travail en perspective historique, par Denis W (université Paris I Panthéon
Sorbonne/Institutionsetdynamiqueshistoriquesdel’économie,CNRS):
Lemotmétiera-t-ilencoreunsens?(présidencedeGerryRetYvesC)
— Métier, une idée neuve?, par Yves C (chaire de psychologie du travail, CNAM/
Centrederecherchesurletravailetledéveloppement).
— De l’exercice à la supervision: les conducteurs de la RATP, par Philippe M,
directeurdelaLigne1,RATP.
— Organisationdutravailettravaild’organisation,parGilbertT(université de
ToulouseLeMirail/Centred’étudeetderechercheTravail,organisation,pouvoir,CNRS).
—Commentair e par Gerry R (ancien directeur, Institut international d’études
sociales,BIT,Genève).
Concevoir le travail: nouveaux outils, nouvelles coopérations (présidence de Pierre
FetPierreF)
— Des méthodes de l’e-Learning, par Philippe G (directeur de Demos e-Learning,
Paris).
— Conceptiondistribuéedeslogiciels,parFloreB(CNAM,centrederecherche
surletravailetledéveloppement).
— Letravailcréateur,parPierreMichelM(EHESS/Centredesociologiedutravail
etdesarts,CNRS).
—Commentair eparPierreF(ancienPDGdugroupeWavin).
Connaîtreetétudierletravail(présidencedeVincentNet YvesS)
— Le travail comme activité. Quel régime de production des connaissances?, par Yves
S(départementd’ergologie,universitédeProvence).
— Comment connaître le travail quand le travail n’est plus le travail, par Abdallah
N(universitédesComores).
— Leçons de pierres: des mines de savoirs et des valeur, par Daisy C (faculté
d’éducationdel’universitéfédéraleduMinasGerais,Brésil).
—Commentair e par Vincent N(technicien de maintenance, moyens d’essais,
technocentreRenault,enformationcontinueenmasterd’ergologie).
Description:dopamine à été démontrée lors d'expériences faites chez l'animal par . P. Rochat, « 5 levels of self-wareness as they unfold early in life », .. Andrew K (Oxford University, Department of Physiology, Anatomy and Genetics) :.