Table Of ContentOrigine et diversification de l’ichtyofaune
néotropicale : une revue
par
Paulo M. BRITO(1), François J. MEUNIER(2) & Maria Eduarda C. LEAL(1)
RÉSUMÉ.- L’ichtyofaune néotropicale est estimée à environ 8000 espèces représentant 25% de la diversité ichtyologique
mondiale, incluant à la fois des formes marines et dulçaquicoles. L’essentiel de cette diversité, tout au moins pour les
espèces dulçaquicoles, se trouve réparti dans le vaste ensemble sud-américain. L’histoire de cette biodiversité a commencé
immédiatement à la suite de la séparation complète entre l’Amérique du Sud et l’Afrique, à la fin du Crétacé inférieur, il y a
environ 100 millions d’années, et résulte d’une série d’événements de dispersions et de vicariances qui eurent lieu entre le
début du Crétacé supérieur et le Miocène supérieur. Le basculement du vieux bouclier précambrien, conduisant à l’éléva-
tion des Andes et à l’inversion du sens du courant des principaux bassins hydrographiques, d’une part, et les oscillations du
niveau de la mer liées aux différentes glaciations de la période récente, d’autre part, sont des facteurs fondamentaux de la
richesse ichtyenne du continent. L’ichtyofaune néotropicale actuelle peut être subdivisée en trois grandes catégories de
taxons : 1) les taxons d’eau douce qui ont survécu à la séparation de l’Amérique du Sud et de l’Afrique ; 2) les taxons qui
ont un ancêtre marin ; 3) les espèces d’eaux douces issues de radiations adaptatives néotropicales. Dans le présent travail,
nous traiterons aussi d’un autre problème majeur concernant l’ichtyofaune néotropicale, la question de l’établissement des
patrons locaux d’extinctions. Dans le cas de l’Amérique du Sud, à la suite du processus de séparation de la partie occiden-
tale du Gondwana, il y eut une prolifération de taxons nouveaux et hautement diversifiés. En revanche, d’autres clades
typiquement gondwaniens, tels les Polypteridae et les Lepisosteidae, très bien représentés sur le continent sud-américain
avant sa séparation de l’Afrique, survécurent pour une courte période, avant de s’éteindre à la fin du Crétacé ou au début du
Tertiaire.
ABSTRACT.- Origin and diversification of the neotropical ichthyofauna: Areview.
The neotropical ichthyofauna has approximately 8,000 living species, representing 25% of the “fish” diversity in the
world, including marine and freshwater forms. Most of this diversity, at least for the freshwater species, is distributed in the
vast South American continent. The history of this biodiversity started after the complete separation between South Ameri-
ca and Africa, at the end of the Lower Cretaceous, approximately 100 million years ago. This spectacular evolutionary radi-
ation resulted from a series of events of dispersion and vicariance which has occurred between early Upper Cretaceous and
Late Miocene. The displacement of the South-American shield to the west and its collision with the Nazca plate led to
important geographical changes such as the rise of the Andes and the inversion of the direction of the current of the princi-
pal hydrographic basins, like the Amazon, which originally was running to the west. The sea level oscillations related to
many glacial periods in the Quaternary, were also important factors for the richness of continental fish fauna. Aside from
the “typical” marine species that also can be found in freshwaters (e.g., C a rc h a rhinus leucas, Pristis pristis, P. pectinata,
Megalops atlanticus, Mugilspp.), or those that live in freshwater only during their reproduction and larval life (e.g. the
lamprey,Geotria australis), the extant neotropical ichtyofauna can be divided in three main categories of taxa: 1) the fresh-
water taxa, which survived the separation of Africa and South America on both continents such as lepidosirenids,
osteoglossids, characids, siluriforms, and some cyprinodontiforms; 2) the taxa which had a marine ancestor like the pota-
motrygonids, sciaenids, engraulidids, belonids, percichthyids, synbranchids, and cichlids; and 3) species, which evolved
from neotropical freshwater ancestors such as gymnotiforms as well as some subfamilies belonging to siluriforms and
characiforms. In this work, we deal with another major problem concerning the neotropical ichtyofauna: establishment of
the local patterns of extinctions. In the case of South America, the process of separation of the Western part of Gondwana
followed a proliferation of new and highly diversified taxa. Other clades typically from the Gondwana, such as Polypteri-
dae and Lepisosteidae families, well represented on South America before its separation from Africa, as well as neocer-
atodontids, survived for a short period of time, disappearing by the end of the Cretaceous or the beginning of the Tertiary.
Key words.- Neotropical ichthyofauna - Diversification - Extinction.
L’importance de l’ichtyofaune néotropicale a été remar- niers de l’ichtyologie néotropicale, évaluait l’ichtyofaune du
quée dès le X V I I Iesiècle par les premiers voyageurs natura- continent sud-américain à 2000 espèces dont 800 pour le bas-
listes qui ont immédiatement commencé l’inventaire de cette sin de l’Amazone (Eigenmann, 1913). Cinquante ans plus
richesse. Au début du X Xesiècle, Eigenmann, un des pion- tard, Géry (1969) portait respectivement ces chiffres à 2700
(1) Departamento de Zoologia, Universidade do Estado do Rio de Janeiro. Rua São Francisco Xavier 524, Maracanã, 20559-900, Rio de
Janeiro, BRÉSIL. [[email protected] [email protected]]
(2) UMR-CNRS 5178-BOME, Biodiversité et dynamique des communautés aquatiques, Département des milieux et peuplements
aquatiques, CP26, Muséum national d’Histoire natuelle, 43 rue Cuvier, 75231 Paris CEDEX05, FRANCE. [[email protected]]
Cybium 2007, 31(2): 139-153.
Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale BRITOETAL.
et 1300 espèces. Lors de la deuxième moitié de ce siècle, de ainsi qu’en fournissant, lorsque cela sera possible, des
gros efforts d’inventaires ont été effectués dans les diff é r e n t s informations sur les représentants les plus anciens de
pays si bien que l’ichtyofaune néotropicale est aujourd’hui chaque groupe.
estimée à environ 8000 espèces représentant environ 25% de
la diversité des “poissons” mondiaux, incluant à la fois des
formes marines et dulçaquicoles (Vari et Malabarba, 1998). CONTEXTE GÉOLOGIQUE
L’essentiel de cette diversité, tout au moins pour ces der-
nières espèces, se trouve réparti dans le vaste ensemble sud- L’histoire de cette biodiversité a commencé immédiate-
américain. ment à la suite de la séparation complète entre l’Amérique
Lorsque l’on parle de biodiversité, il est important de du Sud et l’Afrique, à la fin du Crétacé inférieur, il y a envi-
noter que cette diversité est le fruit de l’évolution biologique ron 100 millions d’années. L’origine de cette spectaculaire
dans le temps et dans l’espace. Ainsi, il est quasi impossible radiation évolutive de l’ichtyofaune néotropicale résulte,
de la comprendre sans tenir compte des facteurs historiques donc, d’une série d’événements de vicariances et de disper-
– l’histoire géologique qui a permis cette diversification. sions qui eurent lieu entre le début du Crétacé supérieur
Pour autant, un bon exemple se retrouve dans la comparai- (déjà avant la séparation totale des continents, voir la figure
son quantitative entre les ichtyofaunes d’Amérique du Sud 1) et le Miocène supérieur.
et de l’Afrique. La biodiversité sud-américaine est bien plus Parmi les événements les plus importants, on peut citer
riche que l’africaine, même si les deux continents, jusqu’à d´abord le basculement du vieux bouclier sud-américain
leur séparation, formaient une unique masse de terres, vers l’ouest qui, avec la rencontre de la plaque de Nazca, ini-
regroupant une grande partie des êtres vivants. tie le processus de subduction. Ce processus a conduit à
Parmi les facteurs les plus marquants observables dans l’érection graduelle des Andes, partant du sud et se propa-
l’ichtyofaune néotropicale, il faut noter, en dehors de l’im- geant vers le nord. Cette surrection a débuté à la fin du Cré-
pressionnant nombre d’espèces, la grande diversité rencon- tacé et a abouti, vers le Miocène supérieur, aux dimensions
trée dans des catégories taxinomiques supérieures tels les actuelles de la chaîne Andine. Ce changement structurel a
ordres, familles, etc. Une autre question importante est liée provoqué également, à l’est de la cordillère, la formation
aux extinctions localisées. Celles-ci relèvent bien plus de d’un bassin d’avant-pays, peu profond et qui a assuré une
problèmes liés à la compétition qu’à un type quelconque de fonction importante de chenal d’écoulement des eaux conti-
catastrophe. Dans le présent travail, nous traiterons de nentales. Ces bassins ont entretenu des grands lagons et ont
l’origine des principaux groupes néotropicaux, en dis- retenu des eaux issues des diverses incursions marines pro-
cutant de leur origine historique (contexte géologique) venant de la zone des Caraïbes (Figs 1-3). Un autre caractère
Figure 1. - Carte de l’Amérique du Sud.
A: Au Crétacé inférieur (Aptien/
Albien) ; B : Au Crétacé supérieur
( Turonien). [Map of South America. A:
Lower Cretaceous (Aptian-Albian); B:
Upper Cretaceous (Turonian).]
140 Cybium 2007, 31(2)
BRITOETAL. Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale
Figure 2. - Carte de l’Amérique du Sud.
A: Au Crétacé supérieur (Maastrich-
tien) ; B: Au Paléocène. [Map of South
America. A: Upper Cretaceous (Maas -
trichtian); B: Paleocene.]
géologique, important pour la compréhension de la diversité BIODIVERSITÉ
de l’ichtyofaune et associé à l’émergence de la surrection de
la cordillère des Andes, est représenté par les bassins intra- Mises à part les espèces “typiquement” marines dont la
montagneux caractérisés par des lacs intérieurs emprisonnés distribution recouvre actuellement aussi des habitats d’eau
dans l’altiplano (ex. Titicaca et Cuenca) et des bassins fron- douce et d’estuaire (e.g., C a rc h a rhinus leucas, Pristis pris -
taux. Ces derniers ont déterminé le sens du drainage du côté tis, P. pectinata, Megalops atlanticus, Mugilspp.) ou celles
occidental de la cordillère. qui habitent l’eau douce seulement pendant leur reproduc-
La surrection des Andes est directement reliée à l’inver- tion et leur vie larvaire (e.g. la lamproie du Chili, G e o t r i a
sion graduelle du sens d´écoulement du courant des princi- a u s t r a l i s), l’ichtyofaune néotropicale actuelle peut être sub-
paux bassins hydrographiques, comme l’Amazone qui, cou- divisée en trois grandes catégories de taxons selon leur his-
lant primitivement d’est en ouest, s’écoule d’ouest en est à la toire évolutive : les taxons d’eau douce qui ont survécu sur
fin du Miocène (pour plus de détails voir Potter, 1997 ; les deux continents à la séparation de l’Amérique du Sud et
Lundberget al., 1998). de l’Afrique (les archaelimniques s e n s uPatterson, 1975) ;
D’autres facteurs fondamentaux, qui ont joué un grand les taxons qui ont un ancêtre marin (ou télolimniques s e n s u
rôle dans la richesse ichtyenne du continent, sont l’histoire Patterson, 1975) et les espèces d’eaux douces apparaissant
tectonique de la marge côtière atlantique (voir Hubert et issues de radiations adaptatives néotropicales.
Renno, 2006 ; Ribeiro, 2006 ; Ribeiro et al., 2006) ainsi que
les oscillations du niveau de la mer liées aux diff é r e n t s Les taxons d’eau douce qui ont survécu à la séparation
cycles glaciaires du Pliocène et de l’Holocène. Ces cycles de l’Amérique du Sud et de l’Afrique surles deux
ont eu une influence importante sur l’hydrologie du grand continents (Fig. 4pro parte).
bassin amazonien et des petits bassins annexes, comme ceux Ces taxons ont, par ailleurs, subi une radiation adaptative
du plateau des Guyanes, permettant l’isolement de quelques ancienne, ayant pour résultat la distribution existante. Te l s
fleuves et la formation de lagunes et, naturellement, sur cer- sont les représentants des Lepidosirenidae, des Osteoglossi-
taines populations de poissons. Des processus de vicariance, dae, des Characidae et des Siluriformes. Certains clades,
ainsi que des phénomènes de dispersion d’espèces, antérieu- appartenant à ces deux derniers taxons et montrant des spé-
rement séparées par des barrières insurmontables, ont cialisations particulières, ont fait l’objet de radiations relati-
conduit à de riches diversifications ichtyennes, telles que les vement récentes et rentrent dans le troisième groupe décrit
formes rencontrées sur les deux plateaux précambriens de la plus loin.
Guyane et du Brésil ou les formes séparées par des grandes
barrières montagneuses comme la Serra do Mar au sud-est Lepidosirenidae
du Brésil. Les Lepidosirenidae sont représentés de nos jours par
Cybium 2007, 31(2) 141
Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale BRITOETAL.
Figure 3. - Carte de l’Amérique du Sud.
A: Au Miocène inférieur ; B: Au Mio-
cène supérieur.[Map of South America.
A: Lower Miocene; B: Upper Mioce -
ne.]
une espèce unique L e p i d o s i ren paradoxa, très proche de son modèle de vicariance typiquement dérivé.
groupe-frère africain P ro t o p t e ru s. Ils se rencontrent dans Seule, la sous-famille des †Phareodontinae, connue en
l’Amazone, le Paraguay, le Chaco, le Bermajo et le bassin du dehors du continent sud-américain dans des milieux sau-
Paraná (Arratia, 2003b) ; il a également été signalé en Guya- mâtres et marins, a été reconnue dès le Crétacé supérieur en
ne (Planquette et al., 1996). Les plus vieux restes fossiles Bolivie (Gayet 1991). Les Arapaimatidés fossiles sont, quant
indubitables de cette espèce proviennent de l’Éocène d’Ar- à eux, connus dès le Crétacé supérieur au Brésil (Gayet et
gentine (Fernandez et al., 1973), bien que L e p i d o s i re nc f . Brito, 1989) et en Bolivie (Gayet, 1991 ; Gayet et Meunier,
p a r a d o x asoit citée au Crétacé supérieur au Pérou et au Cré- 1998 ; Gayet et al., 2001). On en connait également dans le
tacé supérieur et au Paléocène en Bolivie (Sigé, 1968; Miocène supérieur de Colombie (Lundberg et Chernoff ,
Schultze, 1991; Gayet et al., 2001). Une seconde espèce, †L. 1992).
m e g a l u s, a été décrite dans le Miocène supérieur du bassin Enfin, l’espèce Laelichthys ancestralis, du Crétacé infé-
d’Acre, au Brésil (Santos, 1987) et a vécu conjointement rieur du Brésil, décrite comme un ancêtre potentiel des A r a-
avec l’espèce actuelle. paimatidae modernes (Santos, 1985), n’est pas un ostéoglos-
soïde, comme le démontre l’histologie de ses écailles qui ne
Ostéoglossomorphes sont pas constituées des squamules caractéristiques (Meu-
Ils sont actuellement présents en Amérique du Sud avec nier et Brito, 2004) mais vraisemblablement un ostéoglosso-
deux familles, les Osteoglossidae et les A r a p a i m a t i d a e morphe primitif.
(Ferarris, 2003b, 2003c). La famille des Osteoglossidae est
composée de deux espèces, Osteoglossum bicirrh o s u m, pré- Characiformes
sente dans les bassins de l’Amazone, de l’Oyapock et du Les Characiformes représentent un groupe de poissons
marais de Kaw en Guyane, et O. ferre i r a irestreinte au bas- ostariophysaires actuellement strictement dulçaquicoles. Cet
sin supérieur de l’Amazone (système du Rio Negro). Elle est ordre peut être considéré comme l’un des plus complexes
également présente, avec le genre S c l e ro p a g e sr e g r o u p a n t parmi les poissons actuels avec une distribution dans les
plusieurs espèces, en Asie du Sud-Est, en Australie et en régions néotropicales, dans la partie méridionale de l’Amé-
Nouvelle-Guinée, ce qui suggère une histoire plus ancienne rique du Nord et en Afrique; mais certains taxons fossiles
pour cette famille, au temps où l’Inde était encore rattachée sont également connus dans le tertiaire d’Europe (Cappetta
au Gondwana. La famille des Arapaimatidae est représentée et al., 1972 ; Gaudant, 1980 ; Antunes et al., 1995). D’autres
par une espèce unique, Arapaima gigas du système de formes d’Ostariophysi, considérés comme des Characi-
l’Amazone, espèce-sœur d’un autre ostéoglossidé africain, formes archaïques, ont été décrites dans le Crétacé du Portu-
H e t e rotis niloticus, et ses relations de parenté montrent un gal (Gayet, 1985) et d’Italie (Taverne, 2003). L’ i d e n t i t é
142 Cybium 2007, 31(2)
BRITOETAL. Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale
exacte des quatorze familles sud-américaines (Lundberg , cussion phylogénétique sur S a n t a n i c h t h y ssoit en dehors du
1998) et des quatre familles africaines (Paugy et al., 2003) contexte du présent article, nous devons noter qu’en adop-
de Characiformes actuels, leurs relations de parentés entre tant la position phylogénétique proposée par ces auteurs,
elles ainsi qu’entre les clades néotropicaux et africains sont nous devons accepter l’idée que ce taxon vivait probable-
actuellement encore activement débattus. ment dans un environnement lagunaire ou même marin.
Les récentes études phylogénétiques (Buckup, 1998) Cette acceptation doit impliquer une tolérance de ces ani-
confirment les relations de parenté de certaines lignées de maux à l’eau salée ou saumâtre, tolérance déjà signalée par
taxa modernes variés tels que le binôme B o u l e n g e re l l a e t les auteurs ayant étudié les formes fossiles européennes,
C t e n o l u c i u s(groupe-frère du genre africain, actuel, H e p s e - E u ro c h a r a x (Gaudant, 1980), S a l m i n o p s (Gayet 1985) et
tus) qui était donc déjà différencié au Crétacé inférieur avant S o r b i n i c h a r a x( Taverne, 2003), ce qui modifierait une partie
la séparation des deux continents. Cette implication se doit de nos connaissances écologiques de ce groupe de poissons
d’être vérifiée par l’étude d’un certain nombre de dents iso- ainsi que certaines hypothèses sur l’origine des Ostariophy-
lées et/ou de mâchoires trouvées dans le Crétacé supérieur et saires.
le Paléocène inférieur d’Amérique du Sud (Gayet, 1982a ;
1991 ; Gayet et al., 2003 ; Brito et al., 2006) et assignées aux Siluriformes
familles et/ou aux genres modernes. Santanichthys diasii, du Les Siluriformes, au même titre que les Characiformes,
Crétacé inférieur du Brésil a été redécrite comme un Chara- constituent un groupe très complexe avec 31-35 familles
ciforme “souche” (Filleul et Maisey, 2004). Bien qu’une dis- existantes (selon les auteurs, Diogo, 2003 ; Teugels, 2003 ;
Figure 4 - Quelques groupes de poissons d’origine Gondwanienne : 1. Arapaima gigas(Arapaimatidae) ; 2. Osteoglossum bicirrh o s u m
(Osteoglossidae) ; 7. Rhaphiodon vulpinus (Cynodontidae) ; 8. Platydoras costal (Doradidae) ; 9. L e p i d o s i ren paradoxa
( L e p i d o s i r e n i d a e ); 10. Paulicea luette(Pimelodidae) ; 11. H y p o s t o m u ssp. (Loricariidae) et quelques genres issus de radiations néotropi-
cales (sous-famille des Serrasalminae) : 3. S e rr a s a l m u ssp. (Characidae); 4. P y g o c e n t ru ssp. (Characidae) ; 5. M y t t e n e ssp. (Characidae) ;
6. Colossomasp. (Characidae).[Some groups of fishes with Gondwanian origin (1, 2, 7-11) and some genera with neotropical origin (sub-
family Serrasalminae) (3-6).]
Cybium 2007, 31(2) 143
Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale BRITOETAL.
Nelson, 2006) dont 11-15 sont néotropicales. Les relations à décrit Molinichthys inopinatusdu Crétacé supérieur de Boli-
l’intérieur de cet ordre montrent que des poissons-chats vie, à partir d’une pièce fossile incomplète interprétée
basaux sont endémiques des régions néotropicales (voir par comme un cinquième os pharyngien de cypriniforme. A r r a-
exemple la famille des Diplomystidae, considérée comme la tia et Cione (1996) ont contesté la position taxinomique de
plus primitive au sein des Siluriformes ou, encore, celle des ce taxon en estimant que le spécimen décrit par Gayet
Cetopsidae), ce qui suggère que les Siluriformes d’Amé- n’avait aucune synapomorphie de ce groupe.
rique du Sud ont une longue histoire d’isolement des autres On peut proposer deux hypothèses évolutives pour les
continents (Lundberg 1993, 1998 ; Pinna, 1998). Les rela- Cypriniformes : dans la première, nous acceptons les rapports
tions transcontinentales semblent bien établies pour certains phylogénétiques proposés par Fink et Fink (1981, 1996) où
groupes néotropicaux comme les Doradoidea, groupe-frère les Cypriniformes sont à la base des Othophysi. Dans ce cas,
des Mochokidae africains, les Loricaroidea, groupe-frère des l’histoire de cet ordre est ancienne, remontant au Gondwana.
Amphiliidae africains, et les Aspredinidae, groupe-frère des Alors, la présence de fossiles du groupe ne serait pas éton-
Sisoroidea (Pinna, 1998). nante et nous devrions ainsi admettre que les Cypriniformes
Les nombreux et différents restes fossiles de poissons- ont disparu d’Amérique du Sud à la fin du Crétacé ou au
chats sud-américains sont connus depuis le Crétacé supé- début du Tertiaire comme beaucoup d’autres taxons. Dans la
rieur (Campanien tardif ; Gayet, 1991). Certains restes d’Ar- deuxième hypothèse, l’absence actuelle de fossiles en A m é-
gentine (Cione et Pereira, 1985 ; Cione, 1987) et de Bolivie rique du Sud nous indique une origine de ce groupe posté-
(Gayet et Meunier, 1998) ont été interprétés comme des rieure à la séparation des continents gondwaniens, ce qui
Diplomystidae, et d’autres du Brésil (Gayet et Brito, 1989 ; semble être le cas en l’état actuel des connaissances, et nous
Brito et al., 2006) comme des Doradidae. Trois taxa du Cré- devons admettre que la phylogénie des Othophysi, telle
tacé supérieur et/ou du Paléocène de Bolivie, A n d i n i c h t h y s, qu’elle est proposée par Fink et Fink et suivie aujourd’hui par
Hoffstetterichthyset Incanichthys, connus par des restes crâ- la majorité des auteurs, n’est pas correcte. Les Cypriniformes
niens bien conservés, ont été placés dans une nouvelle famil- auraient une position différente dans le cladogramme, peut-
le des Andinichthyidae (Gayet, 1991). Cependant, Lundberg être le taxon-frère d’une des lignées du vieux monde, notam-
(1998) considère que ces trois derniers taxa montrent une ment d’un groupe de Characiformes africains.
anatomie crânienne généralisée liée à des groupes actuels de
Siluriformes. Les taxons qui ont un ancêtre marin
Ces taxons peuvent être divisés en deux sous-groupes
Cyprinodontiformes principaux : ceux dont les groupes-frères sont marins et dis-
La distribution marine, côtière, de plusieurs Cyprinodon- tribués principalement aux Caraïbes, source la plus impor-
tiformes suggère la possibilité que l’eau de mer n’ait pas été tante des incursions marines du Tertiaire, tels que les repré-
une barrière totalement hermétique pour ces poissons. sentants des familles Potamotrygonidae, Sciaenidae,
Cependant, des quatre familles néotropicales des Cyprino- Engraulidae et Belonidae (Fig. 5), et ceux qui, bien qu’ayant
dontiformes (Rivulidae, Cyprinodontidae, Poeciliidae et une origine marine, ont colonisé les systèmes fluviaux par
Anablepidae), au moins deux semblent présenter un scénario simple invasion des eaux douces, tels que les représentants
de distribution du type ‘‘dérive continentale-vicariance’’: les des familles Percichthyidae, Synbranchidae et Cichlidae
Rivulidae (groupe-frère des Aplocheilidae africains) et les (Fig. 6).
Poeciliidae. Cette dernière famille est constituée, entre autre,
d’une sous-famille néotropicale, les Poeciliinae, avec son Potamotrygonidae
groupe-frère africain, la sous-famille des A p l o c h e i l i c h t h y i- La famille des Potamotrygonidae est représentée aujour-
nae (voir Lundberg, 1993). d’hui par trois genres: P o t a m o t ry g o n, avec environ dix-huit
Bien qu’il s’agisse de poissons à l’origine dulçaquicoles, espèces nominales, P a r a t ry g o net P l e s i o t ry g o n, monospéci-
quelques espèces de R i v u l u svivent en zones estuariennes fiques. Les Potamotrygonidae sont distribués dans tous les
(Costa, 2003). Ce modèle semble être le même pour les Poe- principaux bassins hydrographiques sud-américains à l’ex-
cilidae dont quelques espèces ont été signalées en eaux ception des fleuves de la région occidentale de la cordillère
salées côtières (Lucinda, 2003). À l’exception des restes du des Andes, du drainage du fleuve São Francisco et des
Crétacé supérieur de Bolivie (Gayet, 1991), dont l’étude fleuves côtiers du sud-est brésilien.
nécessite cependant une révision, à ce jour, il n’existe aucun Des données récentes sur la morphologie, la cospéciation
fossile connu de Cyprinodontiformes en Amérique du Sud. avec les helminthes parasites, ainsi que des données molécu-
laires suggèrent que la famille des Potamotrygonidae soit le
Et le cas des Cypriniformes? clade-frère des H i m a n t u r a amphi-américains (Lovejoy,
De nos jours, les Cypriniformes représentent un groupe 1996; 1997, Lovejoy et al., 1998). Les Potamotrygonidae
totalement absent en Amérique du Sud. Gayet (1982b) avait fossiles sont rares en Amérique du Sud et représentés par du
144 Cybium 2007, 31(2)
BRITOETAL. Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale
matériel fragmentaire (Deynat et Brito, 1994 ; Lundberg , présence d’otolithes fossiles, attribués à ce genre, dans la
1997, 1998 ; Brito et Deynat, 2004) trouvé dans le Miocène Formation Pebas, au Miocène moyen (Aguilera et Rodrigues
supérieur de la région occidentale d’Amazonie (Brésil, Boli- de Aguilera, 2003). Ce modèle de distribution semble être le
vie et Pérou) et du bassin du Paraná, en Argentine. Cette dis- même pour les genres P a c h y p o p set P e t i l i p i n n i s. Le genre
tribution est conforme au scénario d’un ancêtre des Potamo- P a c h y u ru s, avec des espèces distribuées dans les fleuves se
trygonidae probablement lié à de multiples transgressions déversant dans l’Atlantique ou dans le bassin de Paraná,
marines à partir de la région des Caraïbes, suivi d’une dis- semble avoir une histoire d’invasion des eaux douces du
persion secondaire de ce groupe pour tout le continent. type direct (voir plus loin).
Sciaenidae Belonidae
La famille des Sciaenidae inclut environ 78 genres et 287 Les Belonidae sont représentés par neuf espèces d’eau
espèces, habitant des eaux côtières, des estuaires et des eaux douce en Amérique du Sud. L’analyse phylogénétique, fon-
douces (Chao, 1986; Nelson, 2006). De ces taxons, quatre dée sur des données moléculaires, indique diff é r e n t e s
genres sont endémiques des eaux douces néotropicales : Pla - périodes d’entrée de cette famille en eau douce (Lovejoy et
gioscion, Pachypops, Pachyuru s et P e t i l i p i n n i s ( C a s s a t i , Collette, 2001). Les genres P o t a m o rrh a p h i s (avec trois
2003). Boerger et Kritsky (2003) ont suggéré que P l a g i o s - espèces) et Belonion(avec deux espèces) présentent des rap-
c i o nétait le taxon-frère du genre amphi-américain P a r a l o n - ports avec des taxons de l’océan Atlantique occidental et du
c h u ru s. La présence de P l a g i o s c i o ndans le fleuve Magdale- Pacifique Est (type de répartition amphi-américaine), ce qui
na fait remonter l’âge de ce taxon au Miocène moyen (Love- montre une origine à partir des différentes incursions
joy et al., sous presse). Ces données sont corroborées par la marines provenant de la zone des Caraïbes.
Figure 5. - Quelques taxons ayant des ancêtres marins qui se sont dispersés dans les terres au cours de l’une des transgressions marines du
Tertiaire et qui, prisonniers dans des habitats progressivement dessalés, se sont adaptés à la vie en eau douce. Belonidae : 1. P o t a m o rrh a -
phis guianensis, 2. P o t a m o rrh a p h i ssp. ; P o t a m o t ry g o n i d a e: 3. P o t a m o t rygon motoro, 4. P l e s i o t ry g o nsp., 5. P o t a m o t ry g o nsp., 6. P o t a -
m o t ry g o nsp., 7. P o t a m o t ry g o nsp. et 8. P a r a t ry g o nsp. ; Clupeidae : 9. Pellona castelnaeana. [Some taxa that had marine ancestors and
had dispersed in the continental waters during a marine transgression in Cenozoic and that adapted themselves to freshwater life after they
have been confined in progressively dessalinated habitats.]
Cybium 2007, 31(2) 145
Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale BRITOETAL.
Le genre P s e u d o t y l o s u ru s, avec deux espèces, est le espèces pénètrent dans les eaux douces. En Amérique du
taxon-frère des espèces de l’océan Atlantique, tandis que le Sud, cette famille présente sept genres (A m a z o n s p r a t t u s ,
genre S t ro n g y l u r a, avec deux espèces également, est distri- Anchoa, Anchovia, Anchoviella, Jurengraulis, Ly c e n g r a u l i s
bué au Mexique et au Guatemala (S. hubbsi) ainsi que dans et P t e re n g r a u l i s) qui semblent avoir des espèces limitées
la partie occidentale de la Cordillère des Andes en Équateur aux eaux douces (Kullander et Ferraris, 2003).
et en Colombie (S. fluviatilis). Cette répartition montre que Nelson (1985) a proposé que les espèces d’eaux douces
ces derniers taxons ont probablement colonisé, eux aussi, les sud-américaines J u rengraulis juru e n s i set Anchovia surina -
systèmes fluviatiles à partir d’invasions simples (voir plus m e n s i saient leurs groupes-frères des deux côtés de l’Amé-
loin). A notre connaissance, il n’existe aucun fossile de rique centrale (voir aussi Lovejoy, 1997), ce qui implique un
Belonidae reconnu en Amérique du Sud. ancêtre commun antérieur à l’apparition de l’isthme de Pana-
ma. D’autres clupéomorphes (4 genres de Clupeidae, 3 genres
Engraulidae de Pristigasteridae et d’autres Engraulidae) peuvent avoir une
Les Engraulidae sont des poissons pélagiques trouvés histoire biogéographique semblable ou être de simples coloni-
principalement dans les environnements côtiers marins des sateurs des systèmes fluviaux. Seules des études phylogéné-
tropiques et des régions tempérées mais dont certaines tiques pourront confirmer leur modèle de distribution.
Figure 6. - Quelques taxons qui ont colonisé les systèmes fluviaux par simple invasion d’eau douce : 2. Cichla monoculus( C i c h l i d a e ); 3.
H e ros appendiculatus, (Cichlidae) ; 4. M a r a t e c o a r asp. (Rivulidae) ; 6. P t e rophyllum scalaire(Cichlidae) ; 7. Colomesus asellus( Te t r a o-
dontidae) ; 8. A p h y o l e b i a ssp. (Rivulidae) ; 9. Geophagus brasilensis, (Cichlidae) ; 10. H y p o c l i n e m u ssp. (Achiridae) ; 11. B u j u rq u i n as p .
(Cichlidae) ; 12. Synbranchus marmoratus(Synbranchidae) ; 13. H e ros severu s, (Cichlidae) ; 14. H e ros notatus(Cichlidae) ; 15. U a ru
a m p h i a c a n t h o i d e s(Cichlidae). Les espèces 1. P o e c i l i asp. (Poeciliidae) et 5. R i v u l u ssp. (Rivulidae) sont considérées comme des taxons
d’origine gondwanienne. [Some taxa that have invaded freshwaters then settled rivers and lakes. Species 1 and 5 are considered having
Gondwanian origin.]
146 Cybium 2007, 31(2)
BRITOETAL. Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale
Percichthyidae Gymnotiformes
Les Percichthyidae néotropicaux actuels sont des habi- L’ordre des Gymnotiformes ou “anguilles électriques” est
tants typiques des eaux douces du Chili et de l’Arg e n t i n e . composé de cinq familles : Gymnotidae (incluant les Electro-
Cette famille semble former un clade avec les Percichthyi- phoridae), Sternopygidae, Rhamphichthyidae, Hypopomidae
dae australiens marins et estuariens (Arratia, 2003a). et Apteronotidae (Albert et Campos-da-Paz, 1998) regroupant
Gayet et Meunier (1998) ont décrit deux Percichthyidae, plus de 200 espèces (Reis et al., 2003). Cet ordre est considéré,
† P e rc i c h t h y set † ? S a n t o s i u s, du Paléocene basal de Bolivie. depuis les travaux de Fink et Fink (1981), comme le groupe-
D’autres Percichthyidae ne sont connus que dans l’Eocène et frère des Siluriformes). Cependant, une étude récente, fondée
le Miocène d’Argentine, du Chili et du Brésil (Arratia et sur l’analyse moléculaire du DNAmitochondrial des grands
Cione, 1996). groupes d’Otocephala (Peng et al., 2006), remet cette hypothè-
se en question. Ces auteurs reviennent à une proposition anté-
Synbranchidae rieure défendue à l’origine par Regan (1911), Ellis (1913),
La famille des Synbranchidae est représentée par deux Géry (1969, 1984) et Roberts (1973) (pour un historique voir
genres, O p h i s t e r n o n et S y n b r a n c h u s, chacun avec deux aussi Campos-da-Paz et Albert, 1998) et qui consiste à faire
espèces (Kullander, 2003a). Bien qu’aucun fossile de cette des Gymnotiformes le groupe-frère des Characiformes, ces
famille ne soit connu, la présence de représentants de ce deux taxons étant le groupe-frère des Siluriformes.
clade en Asie, dans l’archipel indo-australien et en A f r i q u e , L’histoire géologique de l’ordre des Gymnotiformes
postule un ancêtre commun marin. reste, dans une certaine mesure, énigmatique. Le seul fossile
connu de l’ordre, Humboldtichthys kirschbaumi, a été décrit
Cichlidae (Gayet et Meunier 1991a, 2000; Gayet et al., 1994) dans le
Les formes néotropicales de Cichlidae constituent un Miocène supérieur du Río Moile de la Formation Yecua en
groupe monophylétique (Stiassny, 1991 ; Kullander, 1998 ; Bolivie. Cet animal était déjà un vrai “gymnote” puisque
2003b) et l’espèce la plus ancienne de la famille est †Macra - capable de régénérer la partie postérieure de son corps
c a r ap r i s c ade l’Éocène du Brésil (Woodward 1939). L’ a b- (Meunier et Gayet, 1991) et, donc, de pratiquer l’électrolo-
sence de fossiles reconnus de Cichlidae au Crétacé a conduit cation. Il faut donc remonter plus loin dans le temps pour
de nombreux auteurs à interpréter la distribution de cette trouver d’éventuels ancêtres moins spécialisés; mais le
famille comme étant le résultat des invasions marines à par- registre fossile est pour l’instant muet. Ce fossile régénéré
tir d’un centre d’origine, probablement durant le Te r t i a i r e fait partie d’un ensemble de 11 spécimens qui pourraient
(Briggs, 2003). Cependant, de nombreux autres auteurs, par- constituer plusieurs taxons de gymnotiformes (Albert et
ticulièrement ceux qui travaillent avec la biologie moléculai- Fink, 2007). D’abord considéré comme le groupe-frère des
re, préfèrent l’idée d’une origine conforme à l’hypothèse de Sternopygidae (Albert, 2001), H. kirschbaumiserait en fait
la vicariance à partir du Gondwana (Murphy et Collier, un véritable Sternopygidae (Albert et Fink, 2007).
1997; Farias et al., 1999; Sparks et Smith, 2005).
Vandellinae
D’autres taxons semblent avoir le même schéma de dis- Les Vandellinae ou candirus forment l’une des neuf sous-
tribution dans les eaux douces néotropicales : parmi beau- familles de la famille des Trichomycteridae, un taxon spé-
coup d’autres, nous citerons deux espèces de Mugilidae, cialisé, monophylétique sud-américain de l’ordre des Siluri-
Agonostomus monticola et J o t u rus pichard i ( F e r r a r i s , formes (Pinna, 1998 ; Pinna et Wosiacki, 2003). Comme la
2003d), douze espèces d’Achiridae (Ramos, 2003) et le plupart des autres Trichomycteridae, les Vandellinae sont
Tetraodontidae Colomesus asellus(Kullander, 2003c). caractérisés par la présence d’odontodes sur l’interoperculai-
re et l’operculaire. Ces odontodes, associés à la grande
Espèces apparaissant comme membres de radiations mobilité de l’opercule, leur permettent de s’accrocher sur les
adaptatives néotropicales d’eaux douces (Fig. 7 pro tissus des hôtes qu’ils parasitent. Les candirus ont eff e c t i v e-
parte, 7) ment développé un mode de vie très spécialisé, l’hémato-
La distribution de ces espèces, issues de radiations adapta- phagie (Kelley et Atz, 1964 ; Adriaens, 2003). En général, ils
tives dans les eaux douces, s’étend à de nombreux bassins. Il se fixent, grâce à leurs odontodes operculaires, sur les bran-
est possible de donner comme exemple de taxon celui de chies de poissons de grande taille pour se nourrir de sang1.
l’ordre des Gymnotiformes mais également quelques Siluri- Une fois leur estomac rempli (à la façon d’une sangsue), ils
formes et quelques Characiformes tels que les sous-familles
des Vandellinae (Trichomycteridae) et des Serrasalminae
1Certaines espèces semblent même capables de pénétrer dans les
(Characidae). Dans chacun de ces exemples, la radiation s’ac-
voies urogénitales des mammifères, y compris l’homme, quand ils
compagne, pour les taxons concernés, de spécialisations bio- s’aventurent dans l’eau des fleuves où vivent ces candirus (Man-
logiques originales par rapport à leur groupe-frère respectif. hert, 1985; Spotte, 2002; Adriaens, 2003).
Cybium 2007, 31(2) 147
Origine et diversification de l’ichtyofaune néotropicale BRITOETAL.
Figure 7. - Des Gymnotiformes : 1. Electrophorus electricus(Gymnotidae) ; 2. Rhamphicthys rostratus(Rhamphichthyidae) ; 3. Gymnotus
a n g u i l l a r i s(Gymnotidae) ; 4. A p t e ronotus albifro n s(Apteronotidae) ; 5. Eigenmannia vire s c e n s(Sternopygidae) ; 6. S t e r n a c h o rh y n c u s
o x y rh y n c h u s(Apteronotidae) ; 7. Gymnopus carapo(Gymnotidae) ; 8. Hypopygus lepturu s( H y p o p o m i d a e ); 8. Hypopygus lepturu s
(Hypopomidae). [Some Gymnotiformes.]
peuvent quiter leur hôte. Ce mode de vie hématophage est dans la consommation de Podostemaceae2 ( Wataus :
unique chez les téléostéens. To m e t e s). Le groupe des To m e t e splus le groupe des M y l o -
p l u sforme le groupe-frère des piranhas prédateurs (P y g o -
Serrasalminae c e n t ru s - S e rr a s a l m u s), cet ensemble formant le groupe-frère
Parfois élevée au niveau d’une famille (Géry, 1984; des pacus (C o l o s s o m a) (Jégu, 2004). L’adaptation des dents
Planquette et al., 1996), la sous-famille des Serrasalminae de ces prédateurs se serait faite à partir d’un type dentaire
(ou Piranhas sensu lato) appartient à la famille des Characi- phytophage voisin de celui, plésiomorphe, de C o l o s s o m a
dae (Jégu, 2003). Elle n’est présente qu’en Amérique du Sud (ibid.).
et plus particulièrement à l’est des Andes. Les Serrasalminae
regroupent plus de 80 espèces réparties essentiellement dans
les bassins de l’Amazone, de l’Orénoque et sur les fleuves QUESTION DES EXTINCTIONS
côtiers des Guyanes, mais six sont connues sur l’ensemble
Paraguay-Paraná et trois sur le Saõ Francisco. Ces poissons Un problème complexe de l’ichtyofaune néotropicale est
forment un groupe monophylétique ayant développé des la question des facteurs responsables des extinctions. Parmi
modes d’alimentation très spécialisés : prédation (genres les différentes hypothèses générales pour expliquer les
P y g o c e n t ru s et S e rr a s a l m u s ou Piranhas sensu stricto) ,
régimes phytophages soit généraliste (Pacus : C o l o s s o m a;
2Plantes aquatiques étroitement inféodées aux rochers constituant
Coumarou : P rosomyleus, Myloplus), soit hyperspécialisé les rapides (Jégu, 2003, 2004).
148 Cybium 2007, 31(2)
