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Oeuvres poétiques [Document électronique$]. 2 / Clément Marot ; texte établi
par Gérard Defaux
Les Opuscules
L'enfer de Clément Marot de Cahors en Quercy
L'enfer de Clément Marot de Cahors en Quercy, Valet de chambre du Roy: composé en la
prison de L'Aigle de Chartres: et par luy envoyé à ses Amys
Comme douleurs de nouvel amassées
Font souvenir des lyesses passées:
Ainsi plaisir de nouvel amassé
Faict souvenir du mal, qui est passé.
Je dy cecy, mes treschers Freres, pource
Que l'amytié, la chere non rebourse,
Les passetemps, et consolations,
Que je reçoy par visitations
En la prison claire; et nette de Chartres,
Me font recors des tenebreuses chartres,
Du grand chagrin, et recueil ord, et laid,
Que je trouvay dedans le Chastellet.
Si ne croy pas, qu'il y ait chose au monde,
Qui mieulx ressemble ung Enfer tresimmunde:
Je dy Enfer, et Enfer puis bien dire:
Si l'allez veoir, encor' le voyrrez pire.
Aller helas! ne vous y vueillez mettre:
J'ayme trop mieulx le vous descrire en metre,
Que pour le veoir auclun de vous soit mys
En telle peine. Escoutez doncq' Amys.
Bien avez leu, sans qu'il s'en faille ung A,
Comme je fus par l'instinct de Luna
Mené au lieu plus mal sentant, que soulphre,
Par cinq, ou six ministres de ce gouffre:
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Dont le plus gros jusques là me transporte.
Si rencontray Cerberus à la porte:
Lequel dressa ses troys testes en hault,
A tout le moins une, qui troys en vault.
Lors de travers me voit ce Chien poulsif,
Puis m'a ouvert ung huys gros, et massif:
Duquel l'entrée est si estroicte, et basse,
Que pour entrer faillut que me courbasse.
Mais ains, que feusse entré au gouffre noir,
Je veoy à part ung aultre vieil manoir
Tout plein de gens, de bruyt, et de tumulte:
Parquoy avec ma Guyde je consulte,
En luy disant: Dy moy, s'il t'en souvient,
D'où, et de qui, et pourquoy ce bruyt vient.
Si me respond: Sans croyre le rebours,
Saiche, qu'icy sont d'Enfer les fauxbourgs,
Où bien souvent s'eslieve ceste feste:
Laquelle sort plus rude, que tempeste,
De l'estomach de ces gens, que tu voys:
Qui sans cesser se rompent teste, et voix
Pour appoincter faulx, et chetifs Humains,
Qui ont debatz, et debatz ont heu maints.
Hault devant eulx le grand Minos se sied,
Qui sur leurs dicts ses sentences assied.
C'est luy, qui juge, ou condamne, ou deffend,
Ou taire faict, quand la teste luy fend.
Là les plus grands les plus petitz destruisent:
Là les petitz peu, ou poinct, aux grands nuisent:
Là trouve l'on façon de prolonger
Ce, qui se doibt, et se peult abreger:
Là sans argent paouvreté n'a raison:
Là se destruict maincte bonne maison:
Là biens sans cause en causes se despendent:
Là les causeurs les causes s'entrevendent:
Là en public on manifeste, et dict
La maulvaistié de ce monde mauldict,
Qui ne sçauroit soubs bonne conscience
Vivre deux jours en paix, et patience:
Dont j'ay grand'joye avecques ces mordants.
Et tant plus sont les hommes discordants,
Plus à discord esmouvons leurs courages
Pour le proffict, qui vient de leurs dommages:
Car s'on vivoit en paix, comme est mestier,
Rien ne vauldroit de ce lieu le mestier:
Pource qu'il est de soy si anormal,
Qu'il fault expres, qu'il commence par mal,
Et que quelcun à quelcque aultre mefface,
Avant que nul jamais proffict en face.
Brief en ce lieu ne gaignerions deux pommes,
Si ce n'estoit la maulvaistié des hommes.
Mais par Pluton le Dieu, que doibs nommer,
Mourir de faim ne sçaurions, ne chommer:
Car tant de gens, qui en ce parc s'assaillent,
Asses, et trop de besongne nous taillent:
Asses pour nous, quand les biens nous en viennent:
Et trop pour eulx, quand pauvres en deviennent.
Ce nonobstant, ô nouveau prisonnier,
Il est besoing de pres les manier:
Il est besoing (croy moy) et par leur faulte
Que dessus eulx on tienne la main haulte:
Ou aultrement les bons bonté fuyroient,
Et les maulvais en empirant iroient.
Encor (pour vray) mettre on n'y peult tel'ordre,
Que tousjours l'ung l'aultre ne vueille mordre:
Dont raison veult, qu'ainsi on les embarre,
Et qu'entre deux soit mys distance, et barre;
Comme aux Chevaulx, en l'estable hargneux.
Minos le Juge est de cela soigneux,
Qui devant luy, pour entendre le cas,
Faict deschiffrer telz noysifz altercas
Par ces crieurs: dont l'ung soubstient tout droict
Droict contre tort: l'aultre tort contre droict:
Et bien souvent par cautelle: subtille
Tort bien mené rend bon droict inutille.
Prends y esgard, et entends leurs propos:
Tu ne veis oncq' si differents suppostz.
Approche toy pour de plus pres le veoir,
Regarde bien: je te fais assçavoir,
Que ce mordant, que l'on oyt si fort bruyre,
De corps, et biens veult son prochain destruire.
Ce grand criart, qui tant la gueulle tort,
Pour le grand gaing tient du riche le tort.
Ce bon vieillart (sans prendre or, ou argent)
Maintient le droict de mainte paovre gent.
Celluy, qui parle illec sans s'esclatter,
Le Juge assis veult corrompre, et flatter.
Et cestuy là, qui sa teste descoeuvre,
En playderie a faict ung grand chef d'oeuvre:
Car il a tout destruict son parentage,
Dont il est craint, et prisé davantage:
Et bien heureux celluy se peult tenir,
Duquel y veult la cause soubstenir.
Amys, voylà quelcque peu des menées,
Qui aux faulxbourgs d'Enfer sont demenées
Par noz grands Loups ravissants, et famys,
Qui ayment plus cent soulz, que leurs amys:
Et dont pour vray le moindre, et le plus neuf
Trouveroit bien à tondre sur un oeuf.
Mais puis que tant de curiosité
Te meut à veoir la sumptuosité
De noz manoirs: ce, que tu ne veis oncques,
Te feray veoir. Or saches, Amy, doncques,
Qu'en cestuy parc, où ton regard espends,
Une maniere il y a de Serpents,
Qui de petits viennent grands, et felons,
Non point vollants: mais traynants, et bien longs:
Et ne sont pas pourtant Couleuvres froydes,
Ne verds Lezards, ne Dragons forts, et roydes:
Et ne sont pas Cocodrilles infaicts,
Ne Scorpions tortuz, et contrefaicts:
Ce ne sont pas Vipereaulx furieux,
Ne Basilicz tuants les gens des yeulx:
Ce ne sont pas mortiferes Aspics,
Mais ce sont bien Serpents, qui vallent pis.
Ce sont Serpents enflés, envenimés,
Mordants, mauldicts, ardants, et animés,
Jectants ung feu, qu'à peine on peult estaindre,
Et en piquant dangereux à l'attaindre.
Car qui en est picqué, ou offensé,
En fin demeure chetif, ou insensé:
C'est la nature, au Serpent plein d'exces,
Qui par son nom est appelé Proces.
Tel est son nom, qui est de mort une umbre:
Regarde ung peu, en voylà ung grand nombre
De gros, de grands, de moyens, et de gresles,
Plus mal faisants, que tempestes, ne gresles.
Celuy, qui jecte ainsi feu à planté,
Veult enflammer quelcque grand' parenté:
Celluy, qui tire ainsi hors sa languete,
Destruira brief quelcun, s'il ne s'en guete:
Celluy, qui siffle, et a les dents si drues,
Mordra quelqu'ung, qui en courra les rues:
Et ce froid là, qui lentement se traine,
Par son venin a bien sceu mettre hayne
Entre la mere, et les maulvais enfants:
Car Serpents froids sont les plus eschauffantz.
Et de tous ceulx, qui en ce parc habitent,
Les nouveaulx nays, qui s'enflent, et despitent,
Sont plus subjects à engendrer icy,
Que les plus vieulx. Voyre et qu'il soyt ainsi,
Ce vieil Serpent sera tantost crevé,
Combien qu'il ait mainct lignage grevé.
Et cestuy là plus antique, qu'ung Roc,
Pour reposer s'est pendu à ung croc.
Mais ce petit plus mordant, qu'une Loupve,
Dix grands Serpents dessoubs sa pance couve:
Dessoubs sa pance il en couve dix grands,
Qui quelcque jour seront plus denigrants
Honneurs, et biens, que cil, qui les couva:
Et pour ung seul, qui meurt, ou qui s'en va,
En viennent sept. Dont ne fault t'estonner:
Car pour du cas la preuve te donner,
Tu doibs sçavoir, qu'yssues sont ces bestes
Du grand Serpent Hydra, qui heut sept testes:
Contre lequel Hercules combattoit,
Et quand de luy une teste abbatoit,
Pour une morte en revenoit sept vives.
Ainsi est il de ces bestes noysifves:
Ceste nature ilz tiennent de la race
Du grand Hydra, qui au profond de Thrace,
Où il n'y a, que guerres, et contens,
Les engendra des l'eage, et des le temps
Du faulx Cayn. Et si tu quiers raison,
Pourquoy Proces sont si fort en saison:
Scaiche, que c'est faulte de charité
Entre Chrestiens. Et à la verité,
Comment l'auront dedans leur cueur fichée,
Quand par tout est si froydement preschée?
A escouter vos Prescheurs, bien souvent,
Charité n'est, que donner au Convent.
Pas ne diront, combien Proces differe
Au vray chrestien, qui de touts se dict frere.
Pas ne diront, qu'impossible leur semble
D'estre Chrestien, et playdeur tout ensemble.
Ainçoys seront eulx mesmes à playder
Les plus ardentz. Et à bien regarder,
Vous ne vallez de guere mieulx au Monde,
Qu'en nostre Enfer, où toute horreur abonde.
Doncques, Amy, ne t'esbahys, comment
Sergents, Proces, vivent si longuement:
Car bien nourriz sont du laict de la Lysse,
Qui nommée est du Monde la malice:
Tousjours les a la Loupve entretenuz,
Et pres du cueur de son ventre tenuz.
Mais si ne veulx je à ses faicts contredire:
Car c'est ma vie. Or plus ne t'en veulx dire:
Passe cest huys barré de puissant fer.
A tant se teut le Ministre d'Enfer,
De qui les mots vouluntiers escoutoye:
Poinct ne me laisse, ains me tient, et costoye,
Tant qu'il m'eust mys (pour mieulx estre à couvert)
Dedans le lieu par Cerberus ouvert,
Où plusieurs cas me furent ramentus:
Car lors allay devant Rhadamantus
Par ung degré fort vieil, obscur, et salle.
Pour abreger: je trouve en une salle
Rhadamantus (Juge assis à son aise)
Plus enflammé, qu'une ardente fournaise,
Les yeulx ouverts, les oreilles biens grandes,
Fier en parler, cauteleux en demandes,
Rebarbatif, quand son cueur il descharge:
Brief, digne d'estre aux Enfers en sa charge.
Là devant luy vient maincte Ame dampnée:
Et quand il dict, telle me soyt menée,
A ce seul mot ung gros marteau carré
Frappe tel coup contre ung portal barré,
Qu'il fait crousler les tours du lieu infame.
Lors à ce bruict, là bas n'y a paouvre Ame,
Qui ne fremisse, et de frayeur ne tremble,
Ainsi qu'au vent fueille de Chesne, ou Tremble:
Car la plus seure a bien craincte, et grand' peur
De se trouver devant tel attrapeur.
Mais ung Ministre appelle, et nomme celle,
Que veult le Juge. Adoncques s'avance elle,
Et s'y en va tremblant, morne, et pallie.
Des qu'il la voyt, il mitigue, et pallie
Son parler aigre: et en faincte doulceur
Luy dict ainsi. Vien çà, fais moy tout seur,
Je te supply, d'ung tel crime, et forfaict.
Je croyrois bien, que tu ne l'as poinct faict,
Car ton maintien n'est, que des plus gaillards:
Mais je veulx bien congnoistre ces paillards,
Qui avec toy feirent si chaulde esmorche.
Dy hardyment: as tu peur, qu'on t'escorche?
Quand tu diras, qui a faict le peché,
Plus tost seras de noz mains despeché.
Dequoy te sert la bouche tant fermée,
Fors de tenir ta personne enfermée?
Si tu dys vray, je te jure, et promects
Par le hault Ciel, où je n'iray jamais,
Que des Enfers sortiras les brisées,
Pour t'en aller aux beaulx champs Elysées,
Où liberté faict vivre les esprits,
Qui de compter verité ont appris.
Vault il pas mieulx, doncques, que tu la comptes,
Que d'endurer mille peines, et hontes?
Certes si faict. Aussi je ne croy mye,
Que soys menteur: car ta phizionomie
Ne le dict poinct: et de maulvais affaire
Seroit celluy, qui te vouldroit meffaire.
Dy moy, n'ais peur. Touts ces mots allechantz
Font souvenir de l'Oyselleur des champs,
Qui doulcement faict chanter son sublet,
Pour prendre au bric l'oyseau nyce, et foyblet,
Lequel languist, ou meurt à la pippée:
Ainsi en est la paouvre Ame grippée.
Si tel' doulceur luy faict rien confesser,
Rhadamantus la faict pendre, ou fesser:
Mais si la langue elle refraind, et mord,
Souventesfoys eschappe peine, et mort.
Ce nonobstant, si tost qu'il vient à veoir,
Que par doulceur il ne la peult avoir,
Aulcunesfoys encontre elle il s'irrite,
Et de ce pas selon le demerite,
Qu'il sent en elle, il vous la faict plonger
Au fonds d'Enfer: où luy faict alonger
Veines, et nerfs: et par tourments s'efforce
A esprouver, s'elle dira par force
Ce, que doulceur n'a sceu d'elle tirer.
O chers Amys, j'en ay veu martyrer,
Tant que pitié m'en mettoit en esmoy.
Parquoy vous pry de plaindre avecques moy
Les Innocents, qui en telz lieux damnables
Tiennent souvent la place des coulpables.
Et vous enfants suyvantz maulvaise vie
Retirez vous: ayez au cueur envye
De vivre aultant en façon estimée,
Qu'avez vescu en façon deprimée.
Quand le bon trein ung peu esprouverez,
Plus doulx, que l'aultre en fin le trouverez:
Si que par bien le mal sera vaincu,
Et du regret d'avoir si mal vescu
Devant les yeulx vous viendra honte honneste,
Et n'en hairrez cil, qui vous admoneste:
Pource qu'alors ayants discretion
Vous vous voyrrez hors la subjection
Des Infernaulx, et de leurs entrefaictes:
Car pour les bons les Loix ne sont point faictes.
Venons au point. Ce Juge tant divers
Un fier regard me jecta de travers,
Description:Si ne croy pas, qu'il y ait chose au monde,. Qui mieulx ressemble ung Enfer tresimmunde: Je dy Enfer . Ce bon vieillart (sans prendre or, ou argent).