Table Of ContentPIERRE MERLE
L'HOMME
LE RYTHME
ET
LA SYMÉTRIE
EXPANSION
SCIENTIFI QUE FRAN CAISE
l'Homme
le Rythme et
la Symétrie
AVANT-PROPOS
L'homme ne sait d'où 1l vient, ni qui nl est, n1 où 1l va. An-
xieux de sa signification et de sa destinée, 1l cherche dans les
sciences une explication et un réconfort. Les résultats qu'il a
obtenus l'étonnent et dépassent toutes ses prévisions, mais pour-
tant le dernier mot s'éloigne toujours, au moment où 1l croyait
le saisir, et 1l sent qu'il en sera toujours ainsi. Il a réussi à
déméler beaucoup de lois de l'Univers au prix d'un travail tou-
jours plus ardu qui ébuise ses forces : les scrences deviennent
d'une telle dificulté, d'une telle complexité, qu'il doit se borner
à creuser un très petit espace, 1l n'a plus le temps de S'accorder
le moindre loisir qui lur permettrait de se recueillir, ne füt-ce
qu'un instant, 1 n'a plus le temps de prendre du recul, de lire,
de penser. Pourtant, sans télescope, sans spectroscope, sans
microscope électronique et sans pile atomique, 1l pourrait, avec
des moyens à la portée de tous se poser et résoudre peut-être
quelques problèmes. Par exemple, en se regardant simplement
dans la glace de sa chambre. Depuis longtemps 1l ne s'est inté-
ressé que fort peu à l'architecture de son corps, absorbé par des
queshions innombrables. S'il voulait bien consacrer quelques
instants à ce miroir 1 pourrait être frappé de ce jait par exem-
ble que la main droite de son sosie c’est sa main gauche à lu.
Sachant qu'il est droitier 1l doit conclure que l'autre, lu, est
gaucher : il n'y a aucun doute à ce sujet car c'est bien de celte
main-là dont son double se sert quand tous les deux font le même
geste. Le cœur de ce double est à sa droite ! : n'est-ce pas curieux ?
S'ul voulait faire plus ample connaissance avec ce nouveau venu
dont il avait méconnu l'existence, ce frère-jumeau qui vient de
naître, et si la conversation s'engageant, un sujet serait iouë trouvé :
la symétrie...
Cet homme dont nous parlons pourrai encore remarquer
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qu'il existe au milieu de son visage une saillie allongée, verti-
cale, presque linéaire : son arête nasale. Il n'y a pas grand effort
à faire pour reconnaître que ce modeste cartilage (qui n'aura
même pas le privilège de subsister aussi longtemps que les os du
squelette) représente un petit fragment très concret du grand plan
sagittal médian qui divise le corps en deux moitiés droite et
gauche ; pas grand effort d'imagination non plus pour décou-
vrir de frappantes analogies et sentir que cette arête nasale c’est
la même chose que le bréchet de l'oiseau, la même chose que l'étra-
ve du navire : dès lors viendrait à son esprit l'idée qu'une corré-
lation dont exister entre la symétrie, l'équilibre et la locomotion :
cette hypothèse est-elle corroborée par les faits ?
Entre toutes les lois de L'Univers 1l existe un « enchaînement »,
tel qu'avec un bout du fil on pourrait, théoriquement, dévider
l’écheveau tout entier, quelque embrouuilé qu'il soit (MONTAIGNE
l'a dit, en parlant, 1l est vrai, de l'histoire). Jusqu'où pourrons-
nous aller, que pourrons-nous tirer de l’écheveau en nous sar-
sissant de ce « bout-du-fil », pour nous 1c1, la symétrie ?
Nous avons pensé qu'il pourrait être intéressant de chercher
à quelles lois générales on peut arriver en regardant le monde
sous l'angle de la symétrie, après avoir étudié la symétrie de
notre propre corps. C'est grâce à elle en effet que nous pouvons
comprendre toutes les autres. C'est elle, par conséquent, qui
nous servira de centre, de pivot, de plaque tournante pour toui
l’ensemble, faisant en quelque sorte office de commune mesure.
Dans la première parte nous étudierons ce qui, dans l'Uni-
vers, nous a précédé en y ajoutant ce qui s’est passé au cours du
développement embryologique de notre être (Origines). — La
deuxième partie sera le dossier du corps humain (enfant, ado-
lescent, adulte : anatomie et physiologie). — La troisième parte
(Conséquences) sera occupée par l'œuvre de l'homme : Beaux-
arts, littérature, philosophie.
Nous n'avons pas craint de rassembler des faits très nom-
breux paraissant, au premier abord, très éloignés les uns des
autres, mais, pour nous, étroitement les. Seuls, en effet, ce sont
les faits qui comptent et nous avons pensé que c'est de leur réu-
nion, de leur groupement et de leurs convergences que notre
essai pouvait tirer sa signification et son 1nlérét.
La « symétrie » de notre corps, c’est celle de tous les vertébrés
et aussi d’autres animaux plus modestes. « L'homme, comme
l’a dit Gustave LE BON, se rattache à l'ensemble des êtres qui
L'HOMME, LE RYTHME ET LA SYMÉTRIE 9
le précèdent sur notre planète. Le monde minéral, le monde
végétal sont les étapes successives d'un vaste ensemble. Par des
transitions insensibles la matière inerte des premiers âges,
simple condensation d'énergie, S'est lentement transformée en
matière vivante, el finalement pensante ». De la cellule primitive
sphérique jusqu'au vertébré et jusqu'à l’homme, les êtres vi-
vants, dans leur structure, appartiennent successivement aux
trois types de symétrie selon la géométrie : par rapport à un
point, par. rapport à une droite ei par rapport à un plan. Les
formes sont issues du limon avec les plus humbles organismes,
plantes et animaux, puis elles se sont compliquées, se sont enri-
chies au cours de l'évolution.
L'homme, lui seul, comprend ces formes, la sienne et les
autres ; 1l a appris à les aimer, 1l les a séparées de la matière
périssable pour en constituer sa chose, pour en jouer et pour en
jouir : 1 en a fait l'Art, nouveau royaume qui lur appartient
en propre sans conteste. Parjois 1l S'imagine, dans son orgueil,
qu'il est devenu un inventeur d'images, un créateur de formes
et se montre naïvement surpris quand 1l retrouve, bar hasard,
son œuvre réalisée sans lur et avant lus par la nature.. « Vrar-
ment l’art est caché dans la nature : qui peut l'extraire de la le
hent bien » (DüRER.
L'enchainement des faits est simple. Soumis à l'alternance
des jours et des nuits, aux baïtemenis réguliers de ses artères,
à la cadence de son pas l'homme a eu dès le début le sentiment
du rythme, puis 1l est devenu savant dans toutes les branches.
Son cerveau s’est enrichi peu à peu de concepts abstraits : 1l a
compris la symétrie et gardé le rythme pour son art (l'homme,
le rythme et la symétrie).
Nous devrons chercher des guides pour explorer des régions
nouvelles à chaque chapitre et, pour chacun de ces chapitres,
l'intérêt deviendra différent. Tout ce qui concerne le corps de
l’homme est l'affaire de l' Anatomie, de la Physiologie, de l’'Em-
bryologie, de la Médecine. — S1 l’on remonie aux premiers
éléments de notre structure on arrive à la Molécule (dissymétrique
pour tout ce qui provient du règne organique, comme l'a montré
PASTEUR) et nous sommes au pays de la Physique, de la Chi-
mie. — C’est le Biologiste et le Naturaliste qui se demanderoni
pour quelle cause, au cours de l'évolution des ëtres vivants, la
symétrie bilatérale succède à la symétrie axiale et à la sphère ;
pourquoi la Locomotion est en rapport avec la symétrie bilaté-
yale. — C'est à l'Histoire de l’Art qu'il appartendra de nous
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instruire Sur l'Iconograpme de l'homme depuis les dessins de
l’enjant et du primitif jusqu'aux manifestations les plus ache-
vées de la sculpture et de la peinture. — La symétrie des monu-
ments, 11 n'y a pas à en douter, est la conséquence de celle du
corps du constructeur ; 1l jaudra donc aussi que nous ayions
recours à l'Architecte. — Mais, chemin faisant, le Préhis-
torien et l'Aychéologue devront nous venir en aide pour préciser
les dates, expliquer l'évolution et classer les documents. — Sans
parler des spécialistes de ious genres, des savants compositeurs
harmonistes et contreporintistes, des rythmiciens de l'esthétique,
de la musique et de la prosodie. — Quant au Philosophe son
domaine est de ious les chapitres, ainsi que toujours du reste,
car 1l y a philosophie de tout objet et toute matière peut être envi-
sagée philosophiquement.
Nous réserverons une place importante à l’homme devant son
miroir ; mais la 1l s'agira surtout, plutôt que de « la symétrie de
notre corps » « du symétrique de notre corps », de « notre image
spéculaire ». Elle est l’origine principale du « double » qui revient
St souvent en lltérature, en psychologie, en psychiatrie.
Les rapports du rythme et de la symétrie sont difficiles à
élucider mais d'une grande importance. Les rythmes périodiques
de la nature, point de départ, peuvent être étudiés de façon pré-
cise. Les rythmes créés par l'homme deviennent d'une extrême
complexité. Aujourd'hui on parle couramment (surtout les
musiciens) des rythmes asymétriques.
Pour queer d'une symétrie ou d’une asymétrie 1l nous faut
posséder « le sens de la symétrie ». Quand nous aurons tracé son
histoire ; quand nous serons pénétrés de son importance c'est
sans effort et sans transihon même que nous pourrons passer
au rythme. C’est en partant de nous-mêmes, en partant de l'hom-
me que notre effort sera d'essayer de comprendre les rythmes, en
nous fondant sur la symétrie. Ce que nous considérons comme
le plus important c'est de trouver l’origine des rythmes de l'art
dans l'anatomie et la physiologie humaines.
Symétrie est quelque chose que nous mesurons, rythme est
quelque chose que nous sentons. Rythme deviendra maitre des
arts, après avoir été maître de la vie. Avec Symétrie nous sommes
plutôt dans la science, avec rythme nous sommes plutôt dans
l'art. Rythme doit venir après symétrie, comme art doit venir
après science. Plus souvent que rythme nous parlerons symétrie.
Avec symétrie nous Serons Sur un lerrain jerme : CE QUE NOUS 4p-
L'HOMME, LE RYTHME ET LA SYMÉTRIE 11
prendrons sera solide el bien acquis. Avec rythme nous serons
souvent sur des sables mouvants, parfois entraïnés dans de subtiles
COnIYOVEYSES.
Nous savons que nous n'avons abordé qu'une petite partie
d'un immense problème, on doit aller beaucoup plus loin dans
tous les domaines et dans toutes les directions. Nous nous en
sommes tenu aux véries élémentaires. Dans les zones élucidées
où nous sommes demeuré, notre œil humain a encore des chances
de voir un peu clair. Peut-être ce petit ouvrage est-1l autorisé
à se présenter comme une modeste introduction aux livres vrar-
ment savants, en engageant à les lire. IT est destiné à ceux qui
veulent en tout cas continuer à être fidèles à la beauté des grands
textes et des œuvres d'art. Ce sont des jotes fécondes dont 1ls ont
yaison de vouloir rester riches. Parfois quelques images nous
en apprennent plus que de très gros traités.
_ Certains pourront peut-être estimer qu'il aurait fallu, dans
ce Sujet, Séparer ce qui appartient à la science de ce qui revient
à l’art. Nous pensons, au contraire, que ces deux parties sont
complémentaires, que l'existence de ces deux pôles ne peut avoir
qu'un effet : assurer l'équilibre d'un ensemble qui doit constituer
un toul.
Parmi les dualtés de la nature humaine, entre les deux pôles
de l'instinct et de l'intelligence, la plus difficile à expliquer est
peut-être bien, en effet, ce double sentiment qui nous partage
entre l'ardeur pour la Science ei l'enthousiasme pour l'Art.
Pour certains qui sont d'accord avec l’un de nos plus grands
peintres contemporains, BRAQUE : « l'Art survole, la Science
donne des béquilles », il n'y aurait aucune possibilité, pour un
même homme, de respirer dans l’un et l'autre séjour, avec les
mêmes poumons : 1l faudrait choisir, s1 on le peut, entre le cel
et la terre !.... Pourtant, nous pensons aux astronomes, aux
physiciens, aux naturalistes : expliquer la gravitation des astres,
la signification de la matière, trouver les lois de la biologie,
n'est-ce pas faire œuvre de beauté aussi bien qu'un peinire ou
un sculpieur ?
Les Sciences dont la sèche exactitude paraît la plus 1mpla-
cable finissent par étre obligées de sortir des formules de pure
mathématique. « Vous me parlez, dit Albert CAMUS aux phy-
siciens, d'un invisible système planétaire ou les électrons gra-
vient autour d'un noyau ; vous m'exbliquez ce monde par une
image : je reconnais que vous êtes venus à la poësie. » (Le Mythe
de Sisyphe, p. 35).
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Lorsqu'un poète introduit dans ses œuvres des allusions à
la science ou des termes screnti fiques 1l n'en altère pas la beauté,
au contraire, quelquefois. Claude ROY qui ne veut bas (avec
raison, bien sûr) « qu'on explique Marcel PROUST par l'asthme »
félicite pourtant Jules SUPERVIELLE d être « un cardiologue »,
QC un ostéologue » qui ne craint pas, dans ses vers, d'apostrobher
par leurs noms latins, les pièces de son squeleïte. « Il est le géo-
graphe des continents du dedans, le traducteur de cette langue
obscure balbutiée dans nos veines et nos cavités par notre vie
organique. Les mois qui sont devenus des passe-partout de la
poësie facile, le mot sang, le mot souffle, le mot mort redeviennent
chez lur des mots lourds et vivants, très merveilleux el très effra-
vanis ».
Nous pensons aussi à "VINCI autant savant que perntre ;
à DürER, dont la volonté S'affirmait sans défaillance pour
l'exactitude des plus petits détails ; à LUCRÉCE qu, comme l’a
dit Emile HENRIOT, « a exposé, dans son immense et profond
de Natura Rerum, la première théorie atomistique dans la plus
belle poësrie où la science et l'art se soient jamans le plus excep-
hionnellement confondus » ; nous pensons à PALISSY qui décou-
vrit les fossiles entre deux cuissons de ses admairables terres ver-
missées…. Dans la sculpture grecque, n'y-a-t-1l pas la présence
efficace d'une science infime ?.…. Il y a des gens qui n'aiment
une peinture de fleurs que S'il est impossible d'en identifier les
espèces : sinon ils se détournent et déclarent : « Ce n’est pas de
l'Art, c'est de la Botanique ». Il est en d’autres, au contraire,
qui veulent qu'on leur dise l'essence de chaque arbre de la forét.……
Laissons le vent souffler du côté qui lui plaît. Mais s'il arnive
que l'Art et la Science se rencontrent, s'ils consentent à cheminer
ensemble, 1l semble bien qu'ils ne puissent que s'enrichir mu-
tuellement…
Certes l'art et la science ne sont pas une même chose mais
ui n'y a entre eux aucune opposition. BAUDELAIRE 4 résolu en
quelques mots l'apparente antinomie que certains veulent admettre:
€ L'imagination est la plus scientifique des facultés parce que,
seule, elle comprend l'analogie universelle ».…. Enfin ce n'est
pas un savant, ni même un philosophe, c'est VIRGILE, celui qui
a dit : « On se lasse de tout sauf de comprendre ».
Elie FAURE a consacré à la pensée de "Baudelaire un beau
développement dans « L'Esprit des Formes ». Il voue à EUCLIDE
à DESCARTES, à NEWTON, à KEPLER une « gratitude passionnée »
parce qu’ «us ont, pour s'exprimer, imaginé des signes matériels
el suggéré des 1mages en qui la musique des shhères, les cadences