Levinas et l'idée de l'infini

427 Pages·2017·4.58 MB·French

by  Arnaud Clement

Levinas et l’idée de l’infini
Arnaud Clement
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Arnaud Clement. Levinas et l’idée de l’infini. Philosophie. Normandie Université, 2017. Français.
￿NNT: 2017NORMC015￿. ￿tel-01699489￿
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THESE

PPoouurr oobbtteenniirr llee diplôme de doctorat

Spécialité Philosophie

PPrrééppaarrééee aauu sseeiinn ddee l’Université de Caen Normandie

LLeevviinnaass eett ll’’iiddééee ddee ll’’iinnffiinnii

PPrréésseennttééee eett ssoouutteennuuee ppaarr
Arnaud CLEMENT

TThhèèssee ssoouutteennuuee ppuubblliiqquueemmeenntt llee 1155 nnoovveemmbbrree 22001177
devant le jury composé de
MMaaîîttrree ddee ccoonnfféérreenncceess,, UUnniivveerrssiittéé Paul
Monsieur Rodolphe CALIN Examinateur
Valéry ddee Montpellier
PPrrooffeesssseeuurr des Universités émérite,
Madame Catherine CHALIER Rapporteur
UUnniivveerrssiittéé Paris-Nanterre
PPrrooffeesssseeuurr ddeess UUnniivveerrssiittééss, Université
Madame Danielle COHEN-LEVINAS Examinateur
Paris-SSoorrbboonnnnee
PPrrooffeesssseeuurr ddeess UUnniivveerrssiittééss, Université de
Monsieur Emmanuel HOUSSET Directeur de thèse
Caen-NNoorrmmaannddiiee
PPrrooffeesssseeuurr ddeess UUnniivveerrssiittééss, Université
Monsieur Dominique PRADELLE Rapporteur
Paris-SSoorrbboonnnnee

Thèse dirigée par EEmmmmaannuueell HHOOUUSSSSEETT, Equipe EA 2129 Identité et Subjectivité

Remerciements

Je voudrais remercier chaleureusement Emmanuel Housset d’avoir accueilli et dirigé avec une
bienveillance, une patience et une rigueur constantes ce travail. Plus encore que l’exactitude théorique,
il m’a appris la pratique d’une pensée éthique, à l’écoute de l’autre, ouverte à sa parole, qui est la vertu
première du professeur. L’ouverture caractérise toute l’équipe Identité et Subjectivité de l’Université
Caen-Normandie, et je remercie tous ses membres pour la générosité dont ils ont fait preuve à mon
égard. Une mention spéciale à mes camarades doctorants, pour leur amitié et leur compassion, Claire,
Emma et Paul ; et à mes collègues du lycée Jean de la Fontaine, Adrien, François et Sarah-Anaïs.

Je veux dire ma reconnaissance aux autres membres du jury, Rodolphe Calin, Catherine Chalier,
Danielle Cohen-Levinas et Dominique Pradelle, et l’honneur qu’ils me font de prêter intérêt à mon
travail qui n’exprime pas assez sa dette à leur égard. Leurs travaux sur les œuvres de jeunesse, les
inédits, les sources hébraïques de l’infini levinassien, la subjectivité, le féminin, la phénoménologie,
l’éthique, etc., ont été maintes fois médités, et cette thèse en est le fruit.

Merci à Christophe Carraud de m’avoir confié de salutaires responsabilités pour la revue
Conférence : la traduction a adouci l’écriture de cette thèse.

Enfin, il faut du cœur pour mener un si long ouvrage à son terme. Merci à Marcus pour de longues
heures de travail en équipe, à Estelle pour ses conseils. Merci à mes parents, mes sœurs, mes amis
pour un soutien sans faille. Et merci à Julie, pour tout.

Liste des abréviations des œuvres d’Emmanuel Levinas

Nous citerons le titre de certaines œuvres de manière simplifiée :
- Autrement qu’être [ou au-delà de l’essence],
- En découvrant l’existence [avec Husserl et Heidegger],
- La compréhension de la spiritualité [dans les cultures française et allemande],
- Théorie de l’intuition [dans la phénoménologie de Husserl].

Nous citerons les œuvres en utilisant les abréviations suivantes :

ADV L’au-delà du verset. Lectures et discours talmudiques, Paris, Ed. de Minuit, 1982.
AE Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Paris, Le livre de poche, 2004.
AS Autrement que savoir, Paris, Osiris, 1988.
AT Altérité et transcendance, Paris, Le livre de poche, 2006.
DQVI De Dieu qui vient à l’idée, Paris, Vrin, 1992.
DE De l’évasion, Paris, Le livre de Poche, 1998.
DEE De l’existence à l’existant, Paris, Vrin, 1990.
DL Difficile liberté. Essais sur le judaïsme, Paris, Le livre de poche, 2003.
DMT Dieu, la mort et le temps, Paris, Le livre de poche, 1995.
DSS Du sacré au saint. Cinq nouvelles lectures talmudiques, Paris, Ed. de Minuit, 1977.
EDE En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1967.
EI Ethique et infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Paris, Le livre de poche, 1984.
EN Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre, Paris, Le livre de poche, 1993.
EPP Ethique comme philosophie première, Paris, Payot & Rivages, 1998.
HAH Humanisme de l’autre homme, Paris, Le livre de poche, 1987.
HN A l’heure des nations, Paris, Ed. de Minuit, 1988.
HS Hors sujet, Paris, Le livre de poche, 1997
IH Les imprévus de l’histoire, Paris, Le livre de poche, 2000.
LAV Levinas : au-delà du visible. Etudes sur les inédits de Levinas des Carnets de captivité
à Totalité et infini, sous la direction d’E. Housset et R. Calin, Cahiers de Philosophie
de l’Université de Caen (n°49), Caen, Presses Universitaires de Caen, 2012.
LC Liberté et commandement, Paris, Le livre de poche, 1999.
LCS La compréhension de la spiritualité dans les cultures française et allemande, Paris,
Payot & Rivages, 2014.
NP Noms propres, Montpellier, Fata Morgana, 1976.
NLT Nouvelles lectures talmudiques, Paris, Ed. de Minuit, 1996.
OC1 Carnets de captivité et autres inédits. Œuvres 1, Paris, Grasset/IMEC, 2009.
OC2 Parole et Silence et autres conférences inédites au Collège philosophique. Œuvres 2,
Paris, Grasset/IMEC, 2011.
OC3 Eros, littérature et philosophie. Essais romanesques et poétiques, notes philosophiques
sur le thème d’éros. Œuvres 3, Paris, Grasset/IMEC, 2013.
PT Positivité et transcendance, suivi de Levinas et la phénoménologie, sous la direction de
J.-L. Marion, Paris, PUF, 2000.
QLT Quatre lectures talmudiques, Paris, Ed. de Minuit, 1968.
QR Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme, Paris, Payot & Rivages, 1997
TA Le temps et l’autre, Paris, PUF, « Quadrige », 1983.
TI Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Paris, Le livre de poche, 1990.
TIH Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl, Paris, Vrin, 2010.
TrIn Transcendance et intelligibilité, Genève, Labor et Fides, 1996.

Nous citons Descartes d’après les Œuvres publiées par C. Adam et P. Tannery, édition révisée et
complétée par P. Costabel et B. Rochot, 11 vol., Paris, Vrin-CNRS, 1964-1974, abrégée A. T. ; nous
indiquons ensuite le tome et la page.

Introduction
Il peut sembler banal, presque convenu, de prendre pour objet d’étude l’idée de l’infini dans
l’œuvre d’Emmanuel Levinas. Le renouveau que connaît la notion d’infini dans l’éthique est sans
doute un des thèmes les plus fréquents du commentaire et les mieux connus du lecteur. Les études sur
l’infini, sur l’emprunt de son idée à Descartes1 ou sur les sources juives de sa lecture par Levinas2 sont
déjà nombreuses et riches en enseignements3. Et pourtant il n’existe pas d’interprétation d’ensemble
de l’œuvre de Levinas menée depuis la question de l’infini. Nous nous proposons de tenter une telle
interprétation en prenant l’idée de l’infini pour objet d’analyse.

L’objet

Cet objet, il convient d’abord de le définir. 1/ Nous étudions l’idée de l’infini. L’usage levinassien
du terme et de la notion d’infini pose une série de problèmes liés à la diversité des discours qu’il fait se
rencontrer : phénoménologie, ontologie, logique, théologie. Le phénoménologue peut-il dire l’infini
sans rompre avec l’apparaître qui est marqué par la finitude ? Un infini au-delà de l’être peut-il être
pensé philosophiquement dès lors que la philosophie s’est toujours comprise à partir de l’identité
parménidienne entre la pensée et l’être ? Mais alors, que pense une telle pensée si elle pense plus et
mieux que l’être ? Ne pense-t-elle pas Dieu, ne se fait-elle pas théologie ? L’infini permet à Levinas
d’accomplir la rupture avec la philosophie de l’être et, précisément pour cela, apparaît d’emblée
comme un objet philosophiquement problématique. 2/ Nous proposons d’affronter la difficulté en
mettant l’accent sur l’idée de l’infini. Or l’idée fait à la fois référence au problème général du rapport
entre la pensée et l’absolu, et à la solution spécifique que Descartes lui a donnée. En général, elle
exprime la relation entre l’être fini et l’infini qu’il pense, relation qui a connu dans l’histoire de la
philosophie plusieurs descriptions. Levinas en privilégie une et lui reconnaît un statut unique : l’idée
de l’infini des Méditations métaphysiques de Descartes. Pour élucider la question de l’infini, nous
prenons donc comme objet d’étude l’idée de l’infini et le sens que Levinas lui donne dans son œuvre à
partir d’une lecture et d’une réécriture de Descartes.

Mais qu’est-ce qui justifie que nous prenions l’idée de l’infini pour objet dans le but d’élucider la
question de l’infini ? Précisément la compréhension nouvelle que Levinas en donne, et qu’il exprime

1 Il suffira de se rapporter à l’ouvrage de Dan Arbib, Descartes, la métaphysique et l’infini, Paris, PUF,
2017. Celui-ci privilégie la figure de Levinas et aborde son œuvre en suivant une démarche qui nous semble la
meilleure : « l’interprétation phénoménologique de l’idée cartésienne d’infini proposée dans Totalité et infini ne
doit pas être banalement entendue comme récupération d’un motif philosophique extérieur au service d’une thèse
qui, de Totalité et infini (1961) à Autrement qu’être ou au-delà de l’essence (1974), poursuit sa ligne de
développement propre, mais comme un commentaire dûment renseigné, au fait des éléments textuels à même de
nourrir et de valider une interprétation, certes de portée plus large que celle d’un commentaire d’histoire de la
philosophie stricto sensu, mais à l’ambition d’exactitude non moins grande » (p. 22). Nous aurons à notre tour le
souci de montrer, non plus du point de vue du texte cartésien et de sa lecture par Levinas, mais, symétriquement,
du point de vue du texte levinassien dans son attention à Descartes, toute la pénétration de cette attention.
2 Derechef, il suffira de se rapporter à l’ouvrage de Catherine Chalier, La trace de l’infini. Emmanuel
Levinas et la source hébraïque, Paris, Cerf, 2002. Notre objet, l’étude de la question de l’infini par l’idée de
l’infini, nous détournera de cette source hébraïque si décisive dans la pensée levinassienne de l’infini. Ce biais de
notre travail, qui fait peut-être sa force, fait incontestablement ici sa faiblesse et vise à être corrigé par une
attention redoublée à l’enseignement talmudique dont notre dernier chapitre retrouvera la nécessité.
3 Voir les ouvrages et articles cités dans notre bibliographie.
7
en affirmant que « l’idée de l’infini est le mode d’être – l’infinition de l’infini » (TI, 12). Il ne s’agit ni
d’emprunter à Descartes une représentation de l’infini ni de partir d’une définition préalable de l’être
infini en son essence, mais d’identifier dans les Méditations la façon concrète qu’a l’infini de venir à
l’idée, car c’est cette façon qui fait son infinité. Cette approche phénoménologique de l’infini depuis
son infinition se vérifie d’ailleurs dans le devenir de l’œuvre même de Levinas. Les premiers écrits de
notre auteur font un usage relativement critique de la notion d’infini : en 1947 par exemple, De
l’existence à l’existant et Le temps et l’autre n’y ont pas recours et préfèrent parler de « l’absolument
Autre ». La notion d’infini s’introduit dans l’éthique levinassienne avec l’idée cartésienne de l’infini,
de sorte que Levinas semble venir à l’infini par Descartes (c’est du moins une hypothèse que notre
travail devra confirmer).

C’est pourquoi nous estimons que l’élucidation de la question de l’infini doit commencer par
l’étude de son idée. La démarche n’est d’ailleurs pas incompatible avec l’ouverture aux autres sources
de l’infini levinassien, notamment philosophiques et hébraïques, ou aux autres concepts qui disent
l’infini (la trace par exemple). Il s’agira, à chaque fois, de préciser la place de l’idée de l’infini dans les
différents modes du discours sur l’infini. L’idée de l’infini joue donc le rôle, dans notre travail, d’un fil
conducteur pour interroger l’infini en vue d’élucider sa question.

La question

En portant notre attention sur « l’idée de l’infini », nous singularisons : une expression qui a son
usage dans l’œuvre de Levinas, un concept que Levinas élabore, et une question qu’il pose.

L’idée de l’infini est d’abord une expression récurrente sous la plume de Levinas, dont l’exégète
peut faire un objet thématique. Or il apparaît dès le premier regard que ce syntagme connaît un usage
variable dans l’œuvre de notre auteur. L’idée de l’infini a une histoire dont Totalité et infini constitue
le moment fondateur : avant l’ouvrage de 1961, les conférences des années 1950 présentent au Collège
Philosophique de Jean Wahl des descriptions où se lit la genèse de l’idée d’infini (notamment la
conférence de 1956 intitulée « La philosophie et l’idée de l’infini »). Après 1961, l’infini ne se dit plus
seulement par son idée, mais signifie aussi comme trace, gloire, témoignage, un-pour-l’autre, etc. De
fait, l’idée de l’infini est la conquête des années de préparation de l’éthique exposée dans Totalité et
infini ; et le jugement que Levinas porte sur elle dans la suite de son œuvre semble lié à celui qu’il
forme sur son premier grand ouvrage et ses limites (notamment l’ontologie de l’être pluriel). Un indice
textuel suffit à le suggérer : Autrement qu’être ou au-delà de l’essence ne mentionne que deux fois
l’« idée » de l’infini. C’est pourquoi nous demanderons : quelle est la genèse de l’idée d’infini dans
l’œuvre de Levinas ? Quel est le sens, le statut, la portée de son baptême conceptuel dans Totalité et
infini ? Comment l’œuvre ultérieure se rapporte-t-elle à ce moment fondateur ?

L’idée de l’infini est également un concept que Levinas emprunte à l’idéalisme classique pour lui
donner une signification nouvelle par delà la théorie. « L’idée de totalité et l’idée de l’infini, diffèrent
précisément par cela : la première est purement théorétique, l’autre est morale » (TI, 82). Il ne s’agit
pas d’appliquer à la responsabilité pour autrui l’idée théorique de l’infini, mais de reconnaître dans
cette obligation l’événement concret où l’infini vient à l’idée. Il faut, comme l’écrit Descartes, que
j’aie premièrement en moi l’idée de l’infini pour connaître ma finitude. Mais, dans l’éthique, que peut
bien signifier connaître ma finitude ? Si l’infini n’est pas théorique, comment Levinas peut-il encore
parler d’une idée de l’infini ? En formulant dans son commentaire de Descartes le paradoxe d’une
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pensée pensant plus qu’elle ne pense, notre auteur conduit la logique du concept à la rupture et définit
une logique nouvelle, une grammaire éthique. Le passage d’une idée à l’autre n’obéit plus aux règles
de la totalisation mais aux exigences critiques qui mettent en question la rigidité du savoir sur l’être au
nom des droits de l’autre homme. En quoi consiste cette éthique, sa grammaire et sa logique ? L’idée
de l’infini parvient-elle à lui fournir les ressources nécessaires pour dépasser la philosophie qui ramène
au principe de l’identité, de la totalité et de l’être ? En quel sens produit-elle, de l’infini, une idée d’un
genre insoupçonné en philosophie, entrevu seulement par Descartes ?

Enfin, l’idée de l’infini met la philosophie en question. Levinas réintroduit en phénoménologie
l’idée d’infini que Husserl et Heidegger avaient écartée. Ce geste subversif s’explique par le double
jugement que Levinas porte sur la philosophie. D’une part, la phénoménologie élabore un mode de
penser qui s’impose d’emblée comme la forme nécessaire de toute philosophie actuelle : c’est en son
sein qu’il faut, au milieu du XXème siècle, philosopher. Mais d’autre part Husserl et Heidegger, tout en
dépassant le vieil idéalisme théorique, ont reconduit le privilège que celui-ci accordait au Même sur
l’Autre. De cet état présent de la philosophie il ressort que celle-ci, aux yeux de Levinas, doit devenir
une phénoménologie qui ne réduit pas l’Autre au Même. L’idée de l’infini joue dès lors un rôle
ambivalent : relue comme une description concrète de la relation entre le Même et l’Autre, elle fournit
à la phénoménologie nouvelle dont Levinas a l’ambition le moyen de prolonger le geste de ses maîtres
tout en dépassant ses limites. Il s’agit bien de réformer la philosophie en questionnant son sens
véritable. La philosophie peut-elle dire la relation à l’Autre sans affirmer le privilège du Même ? Peut-
elle mettre en question ce privilège qui a presque unilatéralement dominé son histoire ? Une autre
philosophie, une philosophie de l’infini est-elle possible ?

Ce pouvoir de mettre la philosophie en question et de la renouveler, l’idée de l’infini le tient de ce
qu’elle-même procède d’une question originaire pour la philosophie. Notre objet nous mènera ainsi à
la formulation de cette question de l’infini, qui se veut antérieure à la question de l’être, et dont
Levinas fait la question première.

L’histoire de la philosophie

Cette question bouleverse le rapport de la philosophie à la logique, à la phénoménologie, à
l’ontologie et à la théologie.

L’idée de l’infini s’énonce en une forme qui contredit la logique, celle d’une « pensée pensant
plus qu’elle ne pense » : et Levinas souligne que c’est précisément en raison de cette structure qu’il
reprend l’idée cartésienne de l’infini. Car son but n’est pas tant de renoncer à la logique – qui est le
langage de toute philosophie – que de signifier l’infini en dépassant la logique de l’intérieur, en la
retournant sur elle-même pour l’excéder et indiquer la séparation du Même et de l’Autre. Qu’une telle
attitude soit encore philosophique, que l’idée d’infini ait sa place en philosophie, voilà donc ce qu’il
faut établir. Toutefois ces atteintes à la logique ne pourront se justifier que dans l’étude concrète de la
transcendance d’autrui.

Levinas, on le sait, revendique le titre de phénoménologie pour ses propres recherches. On le lui a
contesté, et la raison de ce refus se trouve peut-être d’abord dans son idée de l’infini, qui est aussi idée
de Dieu. Celle-ci peut-elle apparaître à l’horizon du regard du phénoménologue ? Peut-elle entrer dans
son discours sans rompre la neutralité axiologique qui assure la vérité de sa démarche ? Le problème
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