l’Europe sortie de l’histoire ?

345 Pages·2015·18.11 MB·French

by  Jean-Pierre Chevenement

Chevènement
Jean-Pierre
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de
Préface inédite
Pluriel
LEUROPE SORTIE DE LHISTOIRE ?
Du uÊun ÀurEUR
IjÉnarcbie ou les mandains de la société bourgeoise,La Table
ronde, L967.
S o ciali s m e ou s o cia lm é dio cra t i e, Seul,'19 69 .
(Ces deux ouvrages, en collaboration, sous le pseudonyme
collectif de Jacques Mandrin.)
Les uieux, la crise, le neuf,Flammanon, 1972,
Les socialistes, les communistes et les autres, Atbier-Montaigne,
t977.
Apprendre pour entreprendre, Hachette, 1985.
Le Pari sur l'intelligence, Flammarion , L985.
Une certaine idée de la Republique rn'amène â..., Albin
Michel, 1992.
Le Temps des citoyens, Le Rocher, 1993.
Le uert et le noir : intégrisme, pétrole, dollar, Grusset, 1995.
F ran ce-Al lemagne, p ar lon s fran c, Plon, t996.
Le Bêtisier de Maastricbt, Arléa,1,997 .
l^a Rép u b li q u e co n t re le s b i e n -p e n s an t s, Plon, 1999 .
La Republique prend le maquis, Mille et une nuits, 2001.
Le Courage de décider,Robert La{font,2002.
D éfis repub licain s, F ay ar d, 2004.
La Faute de M. Monnet : la République et l'Europe,Fayard,
2006.
La France est-elle finie ?,Fayard,,20lI.
Sortir la France de l'impasse,Fayard,20lt.
L9L+2014, I-iEurope sortie de |Histoire ?,Fayatd,2013.
-Pierre Chevènement
Jean
LEUROPE SORTIE DE LHISTOIRE
?
Préface inédite
Pluriel
Couverture : Rémi Pépin
Photos : Guillaume tr, empereur d'Allemagne et roi de Prusse
@ Bilderwelt/Roger-Viollet ; Georges Clemenceau @ Roger Viollet ;
Angela Merkel @ Sierakowski/Isopix./Sipa ; Barack Obama et le
Président Chinois XiJinping @ Pablo Martinez Monsivais/AP/SIPA.
ISBN : 978-2-818-50484-0
Dépôt légal : septembre 201,
Librairie Arthème Fayard./Pluriel, 201)
@ Librairie Arthème Fayard,2ll)
pnÉracp
I-intitulé initial de ce livre était : << D'une mondialisation
I'autre >>. Lidée m'était venue de comparer les deux
<< mondialisations libérales », la britannique, de 1840 à 1914, et
I'américaine, aprà 1945, pour mieux éclairer la manière dont
la seconde pourrait échapper à l'issue catastrophique de la
première :1914, ce qu'on a appelé « la Grande Guerre >>, mère
de toutes les autres, et dont le centenaire approchait à grands pas.
Derrière le parallèle que j'esquisse, il y a « la théorie de
I'Hégémon » : toute libérale qu'elle se proclame, la mondialisation
a besoin d'une puissance hégémonique pour en établir et en
faire respecter les règles. Cet .< Hegemon >> était, avant 1914,
l'Empire britannique. C'est aujourd'hü l'Empire américain,
beaucoup plus sophistiqué. I-leffet même de la mondialisation
est de modifier insensiblement mais profondément la hiérarchie
des püssances, engendrant ainsi des séismes, un peu à la façon
des plaques tectoniques, glissant sur le magma terrestre. On
ne peut comprendre la Première Guerre mondiale, en demier
ressort, que comme l'affrontement entre l'Empire britannique
dominant et I'Empire allemand ascendant. C'est ce qui en définit
I'essence. Aujourd'hui, la grande puissance montante face
aux États-Unis est éüdemment la Chine. En ce début du:o<f
siècle, une nouvelle bipolarité se dessine. À h différ.nce de la
tectonique des plaques, l'évolution des relations intemationales
n'est cependant pas prédéterminée : la üsion et I'action des
hommes y peuvent quelque chose.
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LEUROPE SORTIE DE UHISTOIRE ?
I - La mode s'est instaurée d'imputer aux nations européennes
la responsabilité du désastre de la Première Guerre mondiale,
matrice du << court ro<. siècle » (19 17 -199 l) cher à Eric Hobsbawm,
bref du communisme, du fascisme, du national-socialisme et
bien sûr de la Seconde Guerre mondiale. Cene culpabilisation
des nations européennes üse à exonérer d'abord la poignée des
décideurs, véritables << somnambules >>, des responsabilités qui
furent les leurs et à faire accepter aujourd'hui par les peuples la
mise en congé de la démocratie qü résulte d'une construction
européenne conçue de manière délibérément technocratique au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Il faut bien sûr distinguer les causes profondes du premier
conflit mondial (la modification de la hiérarchie des puissances)
et les causes immédiates, dont la principale est quand même
la décision des responsables allemands (essentiellement
l'État-major, le Chancelier Bethmann Hollweg et I'Empereur
Guillaume II) de mettre en ceuvre, début août, un plan de
guerre préventive dit « plan Schlieffen ». Celui-ci était destiné
à mettre la France hors de combat en contournant ses défenses
par la Belgique, avant de se retourner ensuite contre la Russie.
Un historien allemand, Gerd Krumeichl , montre que ce choix
fut essentiellement inspiré par la peur de l'avenir et d'un danger
russe fantasmé sur fond de darwinisme social : dans l'esprit
des décideurs wilhelminiens... << il valait mieux en arriver à la
guerre maintenant que plus tard puisque celle-ci ne manquerait
pas d'avoir lieu >>. Dans leur esprit, en effet, la menace russe ne
pourrait qu'aller grandissant. Si le time du livre de Christopher
Clark2 (Les sonznambules) était bien choisi, sa thèse qui fait
reposer la responsabilité du conflit sur le risque vital que
le terrorisme serbe faisait peser sur l'existence même de la
monarchie austro-hongroise n'est pas prise au sérieux par les
1.
Gerd Krumeich, Le Fea aux poudres, Belin,2014, p. 106.
2.
Christopher Clark, Le s son nanbules, Flammarion, 2011.
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PRÉFACE
historiens. Ce ne sont donc pas les nations qui ont forcé la main
des décideurs en 1914 mais ceux-ci qui ont fait croire partout -
y compris en Allemagne - que leur pays était I'agressé.
Le <. formatage >> de l'opinion aussi bien que l'arrière-
plan culturel pessimiste peuvent aussi servir à comprendre
les crises du temps présent. Le grand procès qui fait porter
aujourd'hui aux nations européennes la faute de la Première
Guerre mondiale confond allègrement le patriotisme défensif
des soldats et de l'immense majorité des populations et le
nationalisme des éütes (ou du moins d'une partie d'entre elles).
I-linfluence des idées pangermanistes sur l'État-major allemand
et la capitulation politique du Chancelier Bethmann-Hollweg
devant les exigences de celuici ont été aujourd'hü estompées.
La thèse de Fritz Fischer établissant une analogie entre le
projet pangermaniste üsant à créer un Empire colonial à I'Est
de I'Europe et le projet nazi n'est même plus évoquée. Elle a
été renvoyée au magasin des querelles d'historiens allemands,
par définition incompréhensibles. De 1961 à2005, beaucoup
d'eau a coulé sous les ponts... La mémoire épouse les contours
du temps. Le livre de Christopher Clark s'est ainsi vendu à
plusieurs centaines de milliers d'exemplaires en Allemagne'
À cet égard, il est tout à fait étonnant mais instructif de voir que
cent ans aprà l'éclatement de la Première Guerre mondiale, des
mémoires différentes en sont conservées dans les différents pays'
I-lAllemagne est soulagée de voir I'estompage de ses
responsabilités dans un contexte européen profondément
transformé, mais où elle occupe à nouveau une position centrale,
non pas seulement du point de vue de la géographie mais surtout
de la décision (qu'il s'agisse de la crise de l'euro, illustrée par le
cas grec, ou de la crise ukrainienne).
En France, la guerre de l9l4-t918 continue d'être vue
d'abord, de manière très narcissique, comme un affrontement
franco-allemand.
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UEUROPE SORTÏE DE LHISTOIRE ?
En Grande-Bretagne, on met l'accent sur la so]idarité des
peuples du Commonwealth. Les raisons de fond de l'intervention
bdtannique (la hantise des armements navals de I'Allemagne et la
crainte de la voir dominer le continent) sont dissimulées derrière
les hésitations qü se sont fait jour au sein du gouvemement, dans
les ultimes jours de la paix. Il est vrai que de la Première guerre
mondiale a résulté le transfert de l'hégémonie vers les États-Unis
qui deviendra définitif avec le second conflit mondial. Pavoiser
là-dessus à Londres relève de l'indicible !
Les É,tats-Unis se souviennent peu de la Première Guerre
mondiale où leurs soldats n'étaient que 200 000 en ligne le
11 novembre 1918, mais où, à travers les deux millions qü
avaient déjà débarqué en France, ils ont fait pencher la balance,
Ce n'était qu'une première incursion dans les affaires de la
üeille Europe
<< >r,
C'est en Russie que la révision historique est la plus profonde
et la plus difficile : il faut passer de la thèse léniniste d'une
<< grande guerre interimpérialiste >> à celle d'une Russie entraînée
dans une guerre qu'elle ne voulait pas, par la fidélité à son
alliance serbe et surtout par I'agressivité des Empires centraux.
II - Le halo de discrédit qui entoure aujourd'hui les nations
européennes, censées être responsables des deux conflits
mondiaux, a servi de justification à la construction européenne
actuelle ou plus exactement à la manière très technocratique dont
celle-ci a été conçue dès le départ parJean Monnet et dont elle a
été poursuivie par ses héritiers. Il s'agissait de tenir en lisière les
souverainetés nationales par un mécanisme subtil : une Haute
Autorité devenue Commission européenne, se voyait confier le
monopole de la proposition aussi bien que la surveillance de
l'exécution. C'est ainsi qu'à travers un droit européen aftrmé
très üte comme supérieur aux droits nationaux, on a construit
une Europe coupée des peuples où les principaux décideurs
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PRÉFACE
(Commission, Banque Centrale, Cour de Justice de I'Union
européenne) ne sont pas élus et n'ont donc pas de comptes à
rendre au suffrage universel. Quant au Parlement européen, sa
caractéristique, selon la Cour Constitutionnelle de Kadsruhe,
est, faute qu'il existe un << peuple européen >>, de ne pas être un
Parlement, mais seulement << la juxtaposition de la représentation
de vingt-huit pays
>>.
Mais en même temps, cette Europe construite à travers un
marché corlmun dont le tarif extérieur a été progressivement
effacé et, guerre froide aidant, à l'ombre de la tutelle militaire
américaine, s'est révélée être le fourrier du néolibéralisme er d'un
« occidentalisme >> qui a remplacé l'adantisme après l'implosion
de I'URSS. Cet état de subordination militaire et diplomatique
aux États-Unis qui dure depuis soixante-dix ans, est au moins
aussi important que les deux conflits mondiaux pour expliquer
Il
l'éclipse actuelle des nations européennes. a engendré un
profond sentiment d'infériorité, et d'abord chez les trois plus
grandes nations : la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne,
qui se livrent à un véritable concours d'occidentalisme : La
Grande-Bretagne s'illusionnebeaucoup sursa<< relation spéciale »
avec les États-Unis, La France a toumé le dos au gaullisme en
réintégrant I'OTAN (2008). IJAllemagne, quant à elle, semble
s'être ralliée depuis 1945 moins aux valeurs universelles qu'aux
valeurs américaines, si on en juge par sa docilité en matière de
politique extérieure. Que le BND (services de renseignements
allemands) espionne les alliés européens de l'Allemagne pour Ie
compte de la NSA ne semble indigner personne. IJAllemagne
semble devenue le relais de la politique américaine en Europe.
La crise ukrainienne et le naufrage du partenariat entre l'Union
européenne et la Russie l'illustrent parfaitement. La crise
ukrainienne était parfutement évitable. Il suffisait de ne pas
mettre l'Ukraine devant le dilemme impossible d'avoir à choisir
entre l'Europe et la Russie. Or, c'est ce qui fut fait à travers
l'accord d'association proposé à Kiev par l'Union européenne
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