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Epigraphe
Dédicace
ITINÉRAIRE
INTRODUCTION
LIVRE PREMIER - RESPONSABILITÉ
CHAPITRE PREMIER - DROIT CIVIL
DROIT ET MORALE
POLITIQUE
CHAPITRE II - SÉCURITÉ ET LIBERTÉ
CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES
LOI ET CONTRAT
CHAPITRE III - NOBLESSE OBLIGE
DU GOUVERNEMENT DE L'INDUSTRIE
L'EMPIRE DE LA BIENFAISANCE
LIVRE II - DU RISQUE
CHAPITRE PREMIER - MOYENNE ET PERFECTION
INVENTAIRES INFINIS ET DÉNOMBREMENTS PARFAITS
NORME ET MOYENNE
LE TOUT ET SES PARTIES
POLITIQUE DE LA SOCIOLOGIE
CHAPITRE II - UN ART DES COMBINAISONS
RISQUE
LE CAPITAL LE PLUS PRÉCIEUX, OU COMMENT YUKONG DÉPLAÇA LES MONTAGNES
DEUX MORALES EN CONFLIT
CHAPITRE III - POLITIQUE UNIVERSELLE
ASSURANCE ET PRÉVOYANCE
POLITIQUE UNIVERSELLE
LIVRE III - ASSURANCE SOCIALE
CHAPITRE PREMIER - DU RISQUE PROFESSIONNEL...
DU POUVOIR AU PROFIT
LES RUSES DE LA CHARITÉ
UNE CERTITUDE DE SÉCURITÉ
LE CONFLIT DES RESPONSABILITÉS
UNE LOI POLITIQUE AU PREMIER CHEF55
CHAPITRE II - ... AU RISQUE SOCIAL
LE DROIT À LA VIE
LE PRINCIPE D'ÉGALITÉ
LE CONCEPT D'ASSURANCE SOCIALE
CHAPITRE III - LE CONTRAT DE SOLIDARITÉ
L'ABOLITION DE LA FAUTE
TOUS POUR UN, UN POUR TOUS
LIVRE IV - L'ORDRE NORMATIF
CHAPITRE PREMIER - UNE TECHNOLOGIE UBIQUITAIRE
ASSURANCES
LES ANORMAUX
LES DEUX INFINIS
CHAPITRE II - DROIT SOCIAL
VERS UN DROIT DE L'ACCIDENT
UN DROIT DES INÉGALITÉS
TRANSACTIONS
ÉQUILIBRE
TOLÉRANCE ET ÉQUITÉ
CHAPITRE III - TOUT EST POLITIQUE
DES SERVICES PUBLICS DE RESPONSABILITÉ
JUSTICE SOCIALE
© 1986, Editions Grasset & Fasquelle.
978-2-246-30739-6
Il y a une considération qui me frappe au moment où je vous parle, et je
la livre à vos méditations : c'est que le système de notre société n'est
autre chose qu'une vaste assurance, assurance contre la faiblesse,
assurance contre le malheur, assurance contre l'ignorance. Examinez à
ce point de vue toutes nos institutions, et vous verrez qu'elles concourent
toutes au même but, à un but noble et heureux.
M. le baron de BEAUVERGER, Corps législatif, séance du 30 mai 1868.
ISBN (10) : 2-246-30731-7
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
réservés pour tous pays.
A Michel Foucault.
ITINÉRAIRE
Au début des années soixante-dix, l'ordinateur de l'Éducation nationale
m'avait envoyé enseigner la philosophie dans les mines du Pas-de-Calais,
exactement à Bruay-en-Artois. J'avais entrepris de refaire l'histoire des mines
et des mineurs. La connaissance du terrain, le contact avec les mineurs ne
tarde pas à vous faire sentir ce que peuvent avoir de convenu les images que
l'on répète depuis Germinal. Je voulais montrer que leurs luttes concernent
plus leur être que leur avoir, leur identité plutôt que la seule revendication
d'une meilleure participation aux profits. Je rêvais d'une autre histoire
ouvrière, qui ne se limiterait pas à la seule comptabilité de la misère. L'idée
que deux siècles d'industrie et de luttes sociales devraient se résumer à la
trivialité de l'enrichissement des riches et de l'appauvrissement des pauvres
me paraissait ne pas rendre suffisamment justice aux sacrifices et aux
héroïsmes dont ils ont été le théâtre. J'avais dépouillé de nombreuses archives
patronales, recueilli le témoignage des ouvriers, publié le roman d'un ancien
dirigeant syndical 1, quand Daniel Defert, un ami sociologue, me proposa de
participer à une étude sur les accidents, que lui avait commandée le ministère
du Travail.
Je découvris à cette occasion cet événement philosophique considérable
qu'est la loi du 9 avril 1898 sur la responsabilité des accidents du travail.
Avec cette loi, un monde bascule. La société française assume le fait de
l'industrialisation et reconnaît, non sans angoisse, que cela la contraint à se
changer elle-même, dans sa morale, son droit, sa manière de penser. La loi de
1898 m'offrait cet objet qui me permettrait de réaliser avec plus d'exactitude
et plus d'ampleur mon projet d'une histoire philosophique des sociétés
industrielles : montrer comment l'industrialisation n'a pas seulement détruit
des vies, des modes d'existence ancestraux (et donc bienheureux) ou des
milieux naturels, mais a aussi produit de la vérité, de nouvelles manières pour
les hommes de s'identifier, de gérer la causalité de leurs conduites, de penser
leurs rapports, leurs conflits et leur collaboration, d'engager leur destin.
La loi de 1898 met en œuvre de manière inédite cette catégorie du risque
que l'on retrouve aujourd'hui partout. J'entrepris sa généalogie, m'engageant
ainsi, dans une histoire de la responsabilité depuis la promulgation du Code
civil, en 1804. Ce fut l'occasion d'une sorte de voyage philosophique dans
l'inconnu d'une histoire dont tout semblait pourtant avoir été dit. Je parcourus
les jugements des tribunaux dans la France entière; je dépouillai les arrêts de
la Cour de cassation, me demandant ce qui avait pu contraindre les juges
dans leurs jugements. Je visitai les grands sites industriels, Mulhouse, Le
Creusot, les compagnies minières, Bruay, Lens, Anzin ; je m'immisçai dans les
réunions des conseils d'administration, afin de saisir selon quelle logique les
patrons gouvernaient leurs entreprises. Assidu aux séances de l'Assemblée, je
ne manquai aucun discours des Dupin, Lamartine, Tocqueville, Jules Favre,
Félix Faure ou Léon Say. Pour comprendre bientôt qu'à travers cette question
du risque se réfléchissait une de ces grandes expériences morales de
l'Occident, où se trouve engagé l'être entier de l'homme dans les trois registres
du temps — avenir, hasard, fortune, providence, fatalité — , de l'ordre et du
désordre dans la nature, le monde et la société, et de l'existence du mal, de
son origine, des responsabilités qu'il implique et des combats qu'il impose.
L'homme, jusqu'alors, avait cherché la réponse à ces questions dans la
connaissance de Dieu. Il devait maintenant les chercher dans la seule
actualité du rapport social. C'est cette profonde mutation du rapport de
l'homme à soi-même que sanctionnait la loi de 1898.
L'importance qu'avait pu avoir la question des accidents du travail
s'expliquait alors : elle a été un des lieux privilégiés où l'homme moderne a
pris conscience de sa nouvelle situation ontologique. Confrontés à cette
expérience neuve et singulière du mal qu'est l'accident, les hommes ont dû
repenser le principe de leur association, abandonner l'idée, pourtant si
évidente, que la responsabilité ne peut être que la sanction d'une faute. Ils ont
décidé d'un nouveau pacte social : la société n'étant qu'une vaste assurance
contre les risques que provoque son propre développement, c'est en
s'organisant comme une assurance qu'elle rejoindrait sa propre vérité.
J'exprime cette rupture décisive par l'idée de la naissance d'une société
assurantielle. L'utopie s'en forme dès le XIXe siècle; elle commence à se
réaliser au début du nôtre et s'accomplit avec la Sécurité sociale. Elle a pris
le corps équivoque de l'État providence.
La thèse demandait à être développée. Elle permettait, en effet, de jeter un
regard neuf sur les débats politiques actuels concernant l'État providence. Je
poursuivis l'investigation sur l'expérience du xxe siècle; je n'y trouvai que
confirmation de ce que j'avais établi : la société assurantielle poursuit sa
lente et sourde formation sous nos yeux inattentifs. Afin d'en dégager la
Description:Au début du XIXe siècle, à l'époque de la promulgation du Code civil, la philosophie de la responsabilité régnait sans partage : chacun est responsable de son sort. La liberté est sans excuse. Incapables d'offrir des solutions satisfaisantes aux grands défis posés par l'industrialisation, n