Table Of ContentPRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
7^
Les noms de lieux
QUE SAIS-JE ?
Les noms de lieux
CHARLES ROSTAING
Professeur honoraire à la Sorbonne
Neuvième édition mise à jour
61e mille
puf
ISBN 2 13 036206 O
9e édition mise à jour : 1er trimestre 1980
© Presses Universitaires de France, 1945
108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris
f)4tf th
/po
PREMIÈRE PARTIE
LA TOPONYMIE
Chapitre Premier
GÉNÉRALITÉS
La Toponymie se propose de rechercher la signi¬
fication et l’origine des noms de lieux et aussi
d’étudier leurs transformations. Cette science trouve
en France un champ d’activité particulièrement
étendu, notre pays ayant été le point de rencontre
de nombreuses populations, le creuset où se sont
fondus et amalgamés les peuples les plus divers.
Aux autochtones de l’âge de pierre se sont mêlés
des tribus venues de l’Est et des hommes d’origine
africaine. A l’époque historique, c’est sur notre sol
qu’ont déferlé les invasions celtique, romaine, ger¬
manique et arabe. Déterminer avec précision à
quelle couche de population appartiennent les topo-
Z nymes, et par conséquent quel est l’apport respectif
de chacun des peuples qui ont occupé notre pays,
I
T
tel est le but de la toponymie.
ï
f Elle envisage aussi bien les noms des lieux habi¬
U
tés, villes, villages, et lieux-dits, que ceux des mon¬
tagnes et des rivières, et c’est l’étude de l’oronymie
K
£ et de l’hydronymie qui nous amènera à découvrir
}
/ les vestiges des populations les plus anciennes, les
7
« fossiles » toponymiques, car c’est d’abord à la
montagne et à la rivière qu’on a donné un nom,
et ce nom a le plus souvent été adopté par les
6 LES NOMS DE LIEUX
populations successives. Car la désignation des noms
de lieux a un caractère précis et essentiellement
utilitaire : montagnes, bois, rivières, plaines ont
reçu un nom particulier dans la mesure où les
habitants avaient besoin de les distinguer. Aujour¬
d’hui encore, bien des ruisseaux s’appellent simple¬
ment le ruisseau, le ru parce qu’ils sont seuls de
leur espèce dans la commune. En Provence, la
plupart des collines sont désignées par le simple
appellatif la Colle, qui provient du bas-latin colla,
au lieu du latin classique collis « colline ». Il est
probable comme nous le verrons, que c’est ainsi
qu’il faut interpréter les noms de montagnes ou de
rivières attestées en France dès l’Antiquité, comme
les Alpes, le Jura ou les Pyrénées.
Par la suite, à mesure que s’étendait la connais¬
sance des pays avoisinants, il devenait nécessaire
de distinguer le ruisseau d’un village de celui d’un
autre : d’où les dénominations tirées de la couleur
(Albis « la blanche » = l’Aube), ou d’une caracté¬
ristique (Auzon = la rivière des alisiers. Bièvre = la
rivière des castors). Il en fut de même pour les
noms de montagnes : le [Mont] Mounier (Alp.-Mar.)
signifie le mont noir comme le Neiron (= le Casque
de Néron, près de Grenoble).
La toponymie a fait, à toute époque, l’ob¬
jet d’études passionnées, sinon sérieuses. C’est le
xixe siècle seulement qui a considéré la linguistique
comme le principe essentiel de cette science, et
après les travaux de Houzé, Quicherat, Cocheris et
surtout ceux de d’Arbois de Jubainville, Auguste
Longnon, le premier a fait de la toponymie fran¬
çaise une étude méthodique et systématique. Mais
son ouvrage sur les Noms de lieux de la France n’a
paru qu’en 1920, après sa mort, et a ainsi été pré¬
cédé par celui de H. Groehler, Ueber Ursprung und
GÉNÉRALITÉS 7
Bedeutung der franzôsischen Ortsnamen dont 1®
tome premier, consacré aux vocables d’origine
ligure, ibérique, phénicienne, grecque, gauloise et
latine, parut à Heidelberg en 1913 ; il fut suivi
en 1933 d’un second volume comprenant les forma¬
tions médiévales. Entre temps en 1926, M. A. Dauzat
avait publié un manuel sur les Noms de lieux, qui
embrassait à la fois la toponymie, l’oronymie et
l’hydronymie, et mettait au point les connaissances
du moment. Enfin, en 1937, M. A. Vincent, dans
son volume sur la Toponymie de la France, édité à
Bruxelles, nous a donné un ouvrage scientifique,
appuyé sur une documentation sûre et une méthode
rigoureuse. En 1963, M. l’abbé Nègre publiait un
manuel Les noms de lieux en France ; la même année
paraissait le premier Dictionnaire des noms de lieux
en France mis en chantier par Dauzat et achevé par
moi-même.
Comme toute science, la Toponymie est internationale. La
Belgique possède de nombreux toponymistes parmi lesquels on
peut citer, outre M. Vincent, MM. Carnoy, Vannérus, Van de
Wijer : depuis 1926 il existe une Commission de Toponymie et
Dialectologie qui édite la Revue de Dialectologie et de Toponymie.
La Suisse, après les travaux de Jaccard et de M. Muret, a
vu éclore une floraison de savants dont MM. Aebiscber et
Hubschmied sont les meilleurs représentants.
La toponymie italienne a attiré l’attention de plusieurs
savants, en particulier MM. Battisti, Bertoldi, Bertoni, Olivieri,
Pieri, Serra, dont les travaux ont été poursuivis par MM. Alessio
et Lamboglia.
Dans la péninsule ibérique on note deux foyers : la Cata¬
logne, autour de VInstitut d'estudis catalans où quelques études
paraissent dans le Butlleti de dialectologia catalana (MM. Griera,
Montoliu), et le Portugal où M. Leite de Vasconcellos a groupé
ses études toponymiques dans un de ses Opuscules.
En Allemagne, les travaux toponymiques sont fort nom¬
breux. Aux noms de Skok et de Kaspers qui ont étudté les
domaines gallo-romains en France, de Grôhler, déjà cité, il
faut ajouter ceux de MM. Gamillscheg, qui s’est occupé des
établissements francs dans le Nord de la France, et Schnetz,
LES NOMS DE LIEUX
8
qui dirige la Zeitschrift für Ortsnamen Forschungen, revue
paraissant à Munich depuis 1925 et devenue en 1938 la Zeit¬
schrift für N amen Forschungen.
En France, l’enseignement de Longnon a été
repris en 1922 à l’Ecole des Hautes Etudes par
M. Dauzat qui a groupé autour de lui une équipe
de jeunes toponymistes. La Revue des Etudes
Anciennes a publié quelque temps une Chronique
de Toponymie dans un cadre essentiellement régio¬
nal. Enfin, c’est à Paris que s’est tenu en juillet 1938
le Premier Congrès International de Toponymie et
d'Anthroponymie qui, réunissant les représentants
de dix-neuf nations, a été, pour le développement de
la toponymie en particulier, un événement de pre¬
mière importance, comme on peut s’en rendre compte
en feuilletant le volume des Actes et Mémoires de
ce Congrès. Il a eu également pour résultat la créa¬
tion en France d’une Commission Nationale de Topo¬
nymie et d’Anthroponymie. D’autres congrès se sont
tenus à Paris (1947), à Bruxelles (1949), et se sont
succédé sans interruption tous les trois ans.
En 1947 et 1948 Dauzat publia à Paris la revue
Onomastica, remplacée depuis 1949 par la Revue
internationale d'Onomastique qui sert d’organe,
depuis 1961, à la Société française d'Onomastique,
dont le président-fondateur fut Pierre Fouché.
Signalons aussi Onoma, bulletin d’information et
de bibliographie publié annuellement depuis 1950
par le « Comité international des Sciences Onomas-
tiques » fondé à Louvain (Belgique) après le Congrès
de Bruxelles.
Tel est donc à l’heure actuelle, le bilan de la
toponymie, science passionnante entre toutes. Avant
d’appliquer ses méthodes à l’étude de la France,
voyons en quoi elles consistent et à quelles vicissi¬
tudes est soumis le nom de lieu.
