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es manuscrits
enluminés
et leurs créateurs
Rowan Watson
S MANUSCRITS
ENLUMINÉS
& LEURS CRÉA TE URS
ROWAN WATSON
Traduction de LAURENCE SEGUIN
Les reproductions préparent rarement le lecteur à sa rencontre avec les
manuscrits enluminés originaux. En conséquence, au lieu de reproduire les
détails, les pages et les couvertures des manuscrits illustrés à la même taille
que les originaux, l'auteur a choisi de laisser la mise en page de ce livre
moderne fixer l'échelle de reproduction des enluminures. Cette solution
permet, d'une part, de mettre en lumière des éléments décrits dans le texte
et, d'autre part, d'inclure de grandes illustrations au format du livre.
Édition française
© Éditions Grégoriennes 2004 ISBN 978 -2-914338-08-0
Traduction : Laurence Seguin
Révision scientift·que : Bruno Marty/ Centre de Conservation du Livre
(C.C.L.), Arles
Préparation & Correction : Michel Ballerini
Aux termes du code de la Propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou
partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage,
scannérisation, numérisation ... ) sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants
cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code
de la Propriété intellectuelle.
Toutefois, l'autorisation d'effectuer des reproductions par reprographie (photocopie, télécopie, copie
papier réalisée par imprimante) peut être obtenue auprès du Centre Français d'exploitation du droit
de Copie (CFC) -20, rue des Grands-Augustins -75006 Paris.
Édition anglaise originale
© The Board of T rustees of the Victoria and Albert Museum, 2003
ISBN 1-85177-385-1
V&A Publications
160 Brampton Road
London SW3 1HW
Titre original: Illuminated manuscripts and their makers
Mise en page : Bernard Higton
Photographies: Sara Hodges et Philip Barnard du V&A Photographie Studio
Rowan Watson atteste sur l'honneur être l'auteur de ce livre.
Un catalogue de ce livre est disponible auprès de la British Library.
L'éditeur a fait tous ses efforts pour obtenir l'autorisation de reproduire les illustrations dont le Victo
ria and Albert Museum n'était pas le détenteur et remercie vivement tous ceux qui l'ont aidé dans
cette tâche. Toute omission qui pourrait être constatée est purement fortuite. Toutefois, si tel était le
cas, il convient d'adresser les détails manquants aux V&A Publications.
Couverture : saint Antoine, extrait des Heures de Marguerite de Foix. France,
vers 1471-1476.
Lettrine de titre : Lettre L, extrait d'un livre d'Heures à l'usage de Rouen.
France, vers 1500.
Frontispice : scène d'inhumation et messe de requiem, extrait d'un livre
d'Heures. France, vers 1400-1410.
Lettrine de préface : Initiale L historiée. Dieu s'entretenant avec Moïse, assisté
par un Juif (Aaron?), extrait d'une bible, Livre des Nombres. France, XIIIe
siècle.
SOMMAIRE
PRÉFACE 11
I LE COMMERCE DU LIVRE AU MOYEN ÂGE 13
2 ÉCRITURES ET COPISTES 19
3 INITIALES ORNÉES 26
4 FIORITURES ORNEMENTALES 36
5
BORDURES ET ENCADREMENTS 39
6 j EUX DE L1IMAGINAIRE : CHIMÈRES ET GROTESQUES 50
7 LA PEINTURE DE MINIATURES 54
8 LES MÉTHODES DE TRAVAIL 68
9
LA PRODUCTION DES LIVRES MÉDIÉVAUX 75
IO UNE GALERIE DE MANUSCRITS 81
II SURVIVANCE ET RENAISSANCE DE L'ART DE L'ENLUMINURE 132
!2 LES MANUSCRITS ENLUMINÉS DU MusÉE VICTORIA & ALBERT 140
RÉFÉRENCES DES ILLUSTRATIONS 148
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE 151
INDEX 153
Remarque : les expressions françaises en italique et entre guillemets sont en français dans l'édition anglaise.
PRÉFACE
ES MANUSCRITS enlumi aux relents de ... missels enluminés ». Mais, si tout au
nés sont généralement long de l'histoire, ce mot a qualifié une opération
placés au rang des œuvres d'ornementation, à l'époque médiévale il désignait
les plus raffinées du toute décoration utilisée pour rendre un texte lisible.
Moyen Âge. Cependant, L'enluminure pouvait alors consister en de simples
nous percevons peut-être initiales bleues et rouges, des fioritures filigranées, des
trop ces objets d'art à bordures richement ornées ou encore des initiales et
travers un certain nombre miniatures décoratives. Elle pouvait aussi être
d'ouvrages exceptionnels synonyme d'illustrations qui devaient être « lues » en
tels que le livre de Kells même temps que le texte, comme dans les livres
datant du VIII° siècle, les d'Heures. Au Moyen Âge, à moins que les livres ne
Très Riches Heures du duc de Berry, laissé inachevé en fussent de simples notes informelles d'un étudiant ou
1416, ou encore le Missel Bedford, livre d'Heures le document de travail d'un juriste, ils étaient généra
réalisé à Paris dans les années 1420. Abondamment lement polychromes et donc, pour nous, enluminés.
décrits dans des essais sur l'art médiéval européen, ces Le livre tel que nous l'utilisons aujourd'hui nous
ouvrages ne sont toutefois pas tous représentatifs de vient des mee t rve siècles, période durant laquelle le
l'ensemble des livres conservés aujourd'hui dans les rouleau de parchemin fut abandonné au profit du
bibliothèques et les collections d'Europe et d'Amé codex. Ce type de livre a été produit tout au long du
rique du Nord. Aussi l'étude d'autres ouvrages moins Moyen Âge, le plus souvent dans les monastères ou les
prestigieux nous a-t-elle permis d'aborder les manus cours royales jusqu'au XII° siècle et dans le cadre d'un
crits enluminés sous des angles très différents : de leur commerce du livre à partir du XIIIe siècle. Ils étaient
mode de fabrication et d'utilisation aux diverses rédigés pour les rois, les ecclésiastiques, les médecins,
manières dont ils ont été appréciés au cours des siècles les juristes, les marchands et les bureaucrates.
qui suivirent l'invention de l'imprimerie. Comment tous ces manuscrits ont-ils été conservés au
C'est au XIXe siècle que le terme enluminure fut fil des siècles ? Comment sont-ils parvenus jusqu'à
définitivement utilisé pour désigner les riches nous ? Cette question de la transmission et de la
ornementations colorées et dorées des livres ; l'étymo provenance constitue un thème important de l'étude
logie du mot enluminure est riche d'une longue histoire des livres médiévaux car elle nous permet, d'une part,
et ce terme a recouvert des opérations décoratives d'appréhender leur appréciation par les générations
variées. Il servit même à décrire la discrète et modeste successives au sein des courants intellectuels de leur
activité qui consistait simplement à rehausser de époque et, d'autre part, d'expliquer la raison de leur
couleurs des cartes et des ouvrages imprimés. Il fut présence dans les fonds où ces livres sont actuellement
aussi affublé, en 1849, d'un sens péjoratif, lors d'une conservés.
exposition à la Royal Academy, à l'occasion de laquelle À l'heure actuelle, on trouve des manuscrits enlumi
un critique de la revue Punch éreinta le mouvement nés dans des environnements fort variés. Quelques
artistique préraphaélite en le qualifiant de « bizarrerie uns sont conservés dans les lieux pour lesquels ils ont
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les manuscrits enluminés et leurs créateurs
été conçus, des cathédrales aux universités, en passant d'approche de
par les châteaux de l'aristocratie et les archives l'étude des manus
municipales. D'autres sont détenus par des collection crits enluminés,
neurs privés, qui les ont acquis pour leur texte ou leur tout en tenant
intérêt artistique. (Les plus grands collectionneurs compte des désac
furent surtout des amateurs du XVIIIe siècle, avant cords qui sont
qu'un prodigieux marché ne se développe au XIXe toujours de nature
siècle dans le cadre de ce que nous appelons le Gothie à rendre la
Revival - le néogothique.) La grande majorité des recherche plus
manuscrits enluminés est aujourd'hui conservée dans fructueuse et plus
les bibliothèques et les musées et, par conséquent, plaisante.
accessible au grand public à travers des expositions et Parmi les
des études. Grâce à l'immense effort érudit initié au nombreux et excel
XIXe siècle, la plupart des grandes collections disposent lents livres parus
de catalogues décrivant leur contenu. En ce qui sur les manuscrits
concerne l'Angleterre, les volumes de Neil Ker, intitu enluminés, ceux de
lés Medieva/ Manu scripts in British Libraries (à partir de Christopher de
1969), offrent un répertoire des principaux fonds Hamel et Jonathan
conservant des manuscrits médiévaux et constituent Alexander ont
un point de départ dans la recherche de livres écrits constitué de formi
avant 1500. Alors que le nombre d'ouvrages publiés dables guides pour
sur les manuscrits enluminés s'accroît d'année en l'ensemble de ce
année, le réseau internet devient également une source sujet. Ce livre
d'information essentielle : certaines bibliothèques se présente l'enlumi-
servent de leur site internet pour diffuser le catalogue nure à travers une
complet de leurs fonds (par exemple, la Bibliothèque collection réunie au XIXe siècle dans un but essentielle
royale de La Haye dont les collections sont accessibles ment pédagogique, collection à laquelle ont été
sur www.kb.nl). ajoutés, à partir des années 1890, de remarquables
Cet ouvrage se propose de présenter un certain exemplaires de l'art des enlumineurs, le Musée
nombre de manuscrits enluminés conservés au Musée cherchant alors à secouer son image de « musée des
Victoria & Albert, d'expliquer comment ils ont été arts décoratifs » afin de se redéfinir comme un musée
élaborés et de suggérer des pistes sur la façon de les d'art. Après avoir abordé le thème du commerce et de
étudier. Il vise aussi à expliquer pourquoi un musée la diffusion du livre à l'époque médiévale, nous étudie
consacré aux arts décoratifs, fondé dans le but de rons et décrirons les différents éléments qui compo
perpétuer les idéaux de !'Exposition universelle de sent une page enluminée ; nous présenterons ensuite
1851 - autrement dit de poursuivre l'effort d'associer une enquête sur l'importance de la production du livre
art et industrie - jugea bon d'inclure de tels objets à l'époque médiévale. Cette enquête sera suivie d'une
dans sa collection. Ces manuscrits enluminés sont des « galerie de manuscrits » dont les notices descriptives
œuvres extraordinairement plaisantes sur le p'Jan ont pour objectif de replacer chaque ouvrage dans son
visuel. Ils sont régulièrement exposés et ont été repro contexte et sont assorties de références bibliographi
duits dans différents ouvrages dès les années 1840 et ques permettant une approche et une étude plus fines
même avant, dès que les nouvelles techniques de chacun des manuscrits présentés. Bien sûr, la
d'impression en couleur rendirent cette opération méthode employée est subjective et la sélection des
réalisable sur le plan économique. Même à notre livres toute personnelle, mais nous espérons que les
époque saturée d'images en couleur, la maîtrise illustrations et les informations présentées, entière
technique des enlumineurs du Moyen Âge continue à ment et uniquement basées sur l'utilisation des
attirer notre regard. Ici, comme dans tous les domai sources originales, soutiendront les objectifs éducatifs,
nes de la recherche, il y a débat sur la façon d'étudier historiques et artistiques pour lesquels, dès l'origine, la
le livre enluminé : le présent travail veut mettre en collection fut constituée.
évidence quelques-unes des différentes méthodes
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"'
LE COMMERCE DU LIVRE AU MOYEN AGE
(7f
PPLIOUÉES aux manuscrits médiévaux, les expres anglais -1' aspect des livres était dicté par leurs
/1.sions « commerce du livre » et« industrie du livre » commanditaires.
peuvent surprendre. Elles établissent un parallèle entre À partir du xm• siècle environ, des laïcs, installés
les conditions de fabrication du livre au Moyen Âge et dans les grandes cités européennes, commencèrent à
celles de l'édition moderne, suggérant une production produire des livres pour gagner leur vie. Ils étaient
régulière, des moyens de vente bien établis ainsi qu'un assujettis à des impôts et occupaient des fonctions
contexte commercial similaires à d'autres produits municipales. Les religieux continuaient eux aussi à
manufacturés de l'époque. Cependant, ces expressions produire des livres et de nombreux ordres monasti
permettent de discuter de la fabrication des livres au ques fabriquaient leurs propres ouvrages. Placés sous
Moyen Âge. À côté de centres où le terme industrie l'autorité d'un abbé, les chartreux, qui vivaient quasi
semble approprié, il existait également une production ment en ermites dans leurs cellules individuelles
« sur mesure » dans le cadre de laquelle des concep disposées autour d'une église, avaient par exemple le
teurs de livres pouvaient rejoindre une maison aristo devoir de copier des livres. Leur ordre connut un vif
cratique en tant que serviteurs ; les copistes ou les succès au xrv• siècle, lorsque le clergé et le gouverne
enlumineurs isolés exécutant des commandes spécifi ment séculier encouragèrent un courant fondamenta
ques seraient peut-être mieux définis comme des liste cherchant l'isolement et l'union avec Dieu à
artisans. Ce chapitre laisse supposer qu'il existait une travers la méditation et la dévotion personnelles.
pluralité d'environnements dans lesquels étaient Gerard Groote (1340-1384) ambitionnait d'imposer foi
produits les livres. Le fait de bien connaître ces condi et moralité aux laïcs en promouvant les exercices
tions de production permettra d'apprécier autant les d'ascèse et les prières personnelles. Il souhaitait égale
manuscrits complets que les fragments d'œuvres ment ranimer la vie monastique en la concentrant
reproduits dans ce livre comme étant à la fois des davantage sur les questions spirituelles. Il fonda de
documents historiques et des objets de pur plaisir. nombreuses communautés à travers les Pays-Bas1,
Jusqu'en 1200, les monastères et les établissements acceptant aussi bien les laïcs que les ecclésiastiques au
ecclésiastiques représentaient des centres d'étude et sein du mouvement Devotio Moderna. Les Frères de la
d'érudition prépondérants, tout en étant aussi des Vie Commune créèrent des communautés à Deventer
pôles économiques et politiques. Certains d'entre eux et Zwolle et gagnèrent notamment leur vie en copiant
disposaient de tous les éléments nécessaires à la fabri des livres. Au xv• siècle, la production monastique
cation des livres, notamment d'un scriptorium que constituait, fait rare en Europe, un élément significatif
nous pouvons identifier par la typologie de son dans le commerce du livre. Certains monastères où
écriture, la décoration de ses livres ainsi que par ses l'on copiait des livres avaient même instauré des règles
caractéristiques codicologiques, comme les aspects pour la gestion des contrats avec leurs clients.
physiques des supports du manuscrit - parchemin ou Dans d'autres régions, certains monastères firent de
papier - et les détails relatifs à la réglure, la couture, la l'enluminure leur spécialité. À partir du dernier quart
reliure, etc. Aux XI° et xn• siècles, des copistes et des du xrv• siècle, le monastère de Sainte-Marie-des-Anges
enlumineurs laïcs voyageaient de monastère en à Florence, appartenant à l'ordre camaldule, fut le lieu
monastère. Tout en respectant des normes de réalisa de vie de Don Silvestro dei Gherarducci puis de
tion - de telle façon, par exemple, qu'un ecclésiastique
allemand puisse se servir d'un ouvrage français ou 1. Au Moyen-Âge, l'expression Pays-Bas désignait les Pays-Bas,
la Belgique et le Luxembourg actuels. (Ndt)
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