Le témoignage des anonymes dans les talk-shows

114 Pages·2008·1.02 MB·French

Le témoignage
des anonymes dans
les talk-shows

IEP de Toulouse
lle
Mémoire présenté par M Clothilde Naudeau
Sous la direction de M. Serge Regourd
2008

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Le témoignage
des anonymes dans
les talk-shows

IEP de Toulouse
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Mémoire présenté par M Clothilde Naudeau
Sous la direction de M. Serge Regourd
2008

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Remerciements

En premier lieu à Monsieur Regourd, qui a dirigé ce mémoire ; à Mesdames Paule Amiel et
Marie Cousein pour avoir bien voulu répondre à mes questions et à Mademoiselle Laure
Villy, expert es-lettres et future professeur de lettres modernes pour sa patience et le soin
accordé à la relecture de mon travail.

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Avertissement

L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de
recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).

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Sommaire

Introduction 7
CHAPITRE PREMIER : Transmettre – confesser –exister 14
I- Le profane, héros ordinaire au cœur du talk-show 14
II- La parole du profane : objectifs et moyens d’accouchement 45
CHAPITRE SECOND : Vers une nouvelle télévision ? 76
I- Le stade ultime de la civilisation 76
II- Limites et bénéfices de la « télévision de l’intimité » 92
Conclusion 106
Bibliographie 108

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Introduction

« Plaisante fantaisie, plusieurs choses que je ne voudrais dire à personne, je les dis au
peuple » (Montaigne).
« Il y a un truc que je ne comprends pas, vous n’avez pas osé lui parler au téléphone et ce
soir vous allez le faire devant trois millions de personnes ?1 » (Laurent Fontaine)
Malgré les siècles qui les séparent, Montaigne et Laurent Fontaine expriment, contre toute
attente, une idée similaire : le paradoxe du témoignage d’une expérience personnelle en
public. Un paradoxe qui conduirait à confesser, devant le plus grand nombre, certains
sentiments « inavouables » en privé.
Pour Dominique Mehl2, cette irruption du témoignage privé sur la scène publique « constitue
la marque de la télévision de l’intimité ». Revenons donc dans un premier temps sur les
conditions d’émergence de cette parole télévisuelle.
D’une télévision « culturelle » à une télévision « divan ».
Dans sa recommandation du 24 avril 1992, le Conseil supérieur de l’audiovisuel « constate le
développement d’émissions qui, traitant de situations vécues ou de faits divers, mettent en
scène des évènements authentiques ou invitent des particuliers à témoigner à l’écran de leurs
problèmes personnels voire intimes ».
En effet, dès la fin des années 1980, on peut observer l’apparition de programmes d’un
nouveau genre, faits « de témoignages de personnes exposant sous l’œil des caméras et
devant des psy professionnels ou amateurs les difficultés ou les souffrances de leur vie
privée3 » : les reality-shows. L’émergence de ces émissions, telles que Perdu de vue, La nuit
des héros, L’amour en danger, Mea culpa ou encore Témoin n°1, s’inscrit dans une évolution
historique de la programmation télévisuelle en France faisant du quidam, un personnage de
plus en plus central.

1 Réflexion de Laurent Fontaine, présentateur de l’émission Y’a que la vérité qui compte au côté de Pascal
Bataille. Emission du 16 octobre 2006 au cours de laquelle Mickaël est venu déclarer sa flamme à sa banquière,
Johanni, n’ayant pas osé le faire plus tôt en tête à tête.
2 Dominique Mehl, La télévision de l’intimité, Janvier 1996, Editions du Seuil.
3 Francis Balle, Médias et société, 11ème édition Montchrestien, 2003.

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L’objectif est simple, faire de la « vraie vie » des « vrais gens » un spectacle. Tout devient
alors racontable : mésentente familiale, problèmes de couple, malaises existentiels… Les
invités se confient à la fois à l’animateur, au public présent sur le plateau, aux téléspectateurs
devant leur écran et au psy4, alibi intellectuel et expert de l’émission. C’est en effet une
grande nouveauté, désormais « la démarche psy, réservée théoriquement au colloque
particulier, est exposée aux yeux de tous5 ». Le point de départ étant donné par Psy show en
1983.
Dès leur avènement, les reality-shows, érigés en symbole de la dépravation médiatique, sont
accusés de tous les maux : impudeur, indécence, violation de l’intimité, un manque cruel de
prétentions culturelles etc. La prétention à l’authenticité est largement remise en cause et
aujourd’hui plus aucune émission n’ose brandir l’étiquette de reality-show.
C’est pourquoi les reality shows ne constitueront pas notre principal objet d’étude, mais plutôt
leur formule contemporaine et dérivée, celle des talk-shows.
A la différence du reality-show, le talk-show n’entend pas mettre en scène la vie des invités,
ni résoudre leurs problèmes. Le témoignage gratuit, éclairant, illustratif d’un thème donné y
est valorisé. Officiellement la présence des invités est uniquement justifiée par leur expérience
commune et leur volonté de l’évoquer publiquement. « Sur des questions liées aux mœurs, à
la vie quotidienne, aux comportements relationnels, ces magazines orchestrent une parole
publique essentiellement fondée sur le récit de la vie privée de personnes ordinaires »
explique Dominique Mehl6. Bas les masques, qui débute en septembre 1992, en est le premier
exemple.
Certains principes sont cependant communs au reality show et au talk-show : la volonté de
vraisemblance, d’authenticité du discours et des expériences racontées, la production
d’émotion souvent mise en scène par la structure même de l’émission (reportages, interviews,
manière de filmer etc.) et la prédominance de l’homme ordinaire, du citoyen anonyme par
rapport à l’expert, à celui qui sait7.

4 Nous utilisons ici le terme général et vulgarisé de « psy » pour plus de simplicité, car les dénominations de
cette profession sont nombreuses et renvoient chacune à des spécialités différentes.
5 Dominique Mehl, La télévision de l’intimité, op.cit.
6 Dans un article publié dans Les dossiers de l’audiovisuel, Psy et médias sont-ils compatibles ?, n°111,
septembre 2003.
7 Nous reviendrons sur ces caractéristiques essentielles au cours de notre démonstration.

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Quid du quidam ?
La particularité du talk-show est donc de faire la part belle au profane et à son discours. Il
n’est cependant pas l’unique genre télévisuel à valoriser cette parole, puisque l’anonyme, qui
compose au départ le public des émissions de plateau, est désormais présent dans les
documentaires, dans les reportages des journaux télévisés, les jeux et autres émissions de
divertissement. Ses propos, gages d’authenticité, prennent une valeur indéniable, elles
rapprochent le téléspectateur de la réalité et par extension de sa propre réalité. L’anonyme à la
télévision offre au téléspectateur un miroir de lui-même ou tout au moins de la société dans
laquelle il vit. Bien plus que la figure de l’expert qui juge, intellectualise, moralise, ou
généralise le discours, l’homme ordinaire, lui, parle simplement, avec ses propres mots, il
n’évoque que son cas particulier, personnel. Paradoxalement, cette parole acquiert par le biais
du talk-show une dimension universelle.
Christophe Deleu décrit les anonymes comme « les individus qui parlent en leur nom propre,
à l’inverse des porte-paroles, des experts, des sages ou de ceux qu’Edgar Morin appelle les
« olympiens », les stars, qui « sont en constante représentation dans le monde ». L’anonyme,
selon Michel de Certeau c’est « l’homme ordinaire, un héros commun. Personnage disséminé.
Marcheur innombrable 8».
On parle également de profane, par opposition, on l’a dit, à l’expert. Le profane est tout ce qui
n’est pas sacré, tout ce qui n’appartient pas au groupe initiatique. De l’étymologie latine
(pro/fanum : qui est devant le lieu sacré, c’est-à-dire extérieur au culte donc impie) est dérivée
la seconde acception : le profane est celui qui est extérieur à un certain cercle de
connaissance, qui n’est pas initié. On utilise souvent ce terme en sociologie politique afin
d’évoquer les individus n’appartenant pas au champ politique. Nous l’emploierons dans ce
travail pour caractériser les participants au talk-show, dont le discours s’oppose au discours
savant de l’expert et dont la participation est libre et sans « barrières » apparentes à l’entrée
(pour reprendre un vocabulaire bourdieusien). L’expert représente quant à lui la connaissance
qui fait de lui un nom et du profane un anonyme.

8 Christophe Deleu, Les anonymes à la radio. Usages, fonctions et portée de leur parole, Editions de Boeck
université, 2006.

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Profane, anonyme, notre analyse sera donc centrée sur ce personnage central, ce nouveau
héros de nos écrans de télévision, celui dont les animateurs s’arrachent les larmes et les éclats
de rire.
François Jost, dans un article9 paru dans le mensuel Mediamorphoses distingue trois grandes
périodes dans la définition de l’anonymat télévisuel. Dès la fin des années 1950-1960, la
télévision cherche à donner la parole à « l’homme de la rue », à travers par exemple la
pratique du micro-trottoir. Puis « l’opinion publique se substitue à la diversité de la doxa, […]
l’homme de la rue [cédant] la place au « Français moyen », entité abstraite définie par
sondage » avant de passer à une nouvelle forme contemporaine d’anonymat marquée par le
brouillage des signes identitaires du témoin (ajout d’une barbe ou d’une perruque,
transformation de la voix, image brouillée etc.).
Ces postulats théoriques étant posés, revenons aux fondements méthodologiques à la base de
notre réflexion.
« Choisir donc exclure10 »
« La curiosité pour les autres et pour l’Autre, pour d’autres expériences vécues, d’autres
milieux et groupes sociaux, voire d’autres sociétés, est […] la marque des bons observateurs
de la vie sociale11 ». Nous tâcherons donc ici d’être les meilleurs observateurs possibles, mais
cela ne peut se faire quelque méthode. Ainsi, trois types de supports ont été privilégiés pour
l’élaboration de ce travail.
Dans un premier temps, il nous a paru nécessaire de recenser l’ensemble des ouvrages et des
revues pertinents pour notre analyse. Ainsi avons-nous sélectionné les auteurs ayant étudié la
question des reality et des talk-shows, la prise de parole en public -notamment celle des
anonymes dans les médias- ainsi que les auteurs qui se sont penchés sur la tendance croissante
à la psychologisation des programmes télévisuels.
Outre cette réflexion théorique, nous nous sommes centrés sur une étude précise de talk-
shows français contemporains, toute la difficulté résidant dans la sélection de ces

9 François Jost, Grandeurs et misère de l’anonymat télévisuel, Mediamorphoses n°5, juin 2002, aux éditions de
l’INA.
10 Henri Bergson.
11 Daniel Bertaux, L’enquête et ses méthodes : le récit de vie, mai 2005, Editions Armand Colin.

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