Table Of ContentLe dispositif d’accueil des réfugiés sud-américains et
sud-est asiatiques en Aquitaine de 1975 à 1985.
Jérémy Jourda
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Jérémy Jourda. Le dispositif d’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques en Aquitaine
de 1975 à 1985. . Bulletin de l’Institut Aquitain d’Etudes Sociales (I.A.E.S), 2015. hal-01569650
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Le dispositif d’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est
asiatiques en Aquitaine de 1975 à 1985.
Jérémy Jourda
Université Michel de Montaigne
Le 11 septembre 1973, le coup d’État du général Pinochet marque la généralisation des
mouvements contre-révolutionnaires et répressifs dans la région du cône sud de l’Amérique
Latine. Un vaste mouvement d’exil s’enclenche immédiatement et n’entame son
fléchissement qu’au début des années 1980. On peut estimer que plus de 10 000 Sud-
Américains trouvent refuge en France entre 1973 et 19851. Au cours de l’été 1975,
l’hospitalité française franchit une nouvelle étape en accueillant les exilés d’Asie du Sud-Est
victimes de la prise de pouvoir des régimes communistes dans les trois pays de la péninsule
Indochinoise. Sous-couvert du lien historique et encouragé par un élan de solidarité national2,
le gouvernement de Valery Giscard d’Estaing fait preuve d’un véritable volontarisme
politique pour l’accueil des réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens. Au total, c’est
plus de 100 000 réfugiés de « l’ancienne Indochine »3 qui sont accueillis en France entre 1975
et 19854, sous la forme de quotas qui fixent mensuellement le nombre d’arrivants (de 700 à
1500 par mois selon les périodes5).
L’accueil des Sud-Américains et des Sud-Est Asiatiques constitue une véritable
recrudescence de l’accueil des réfugiés politiques en France. En effet le nombre de réfugiés
1 Selon les calculs du démographe Luc Legoux, qui s’appuie sur les données statistiques de l’OFPRA, 12 221
Américains obtiennent le statut de réfugié entre 1973 et 1985. Derrière cette appellation d’« Américains », le
chercheur distingue trois zones géographiques : l’Amérique du Sud, les Caraïbes et l’Amérique centrale. La très
grande majorité des réfugiés pour cette période vient d’Amérique du Sud et plus particulièrement du Chili. Luc
Legoux repère quelques réfugiés en provenance d’Haïti et plus rarement de Cuba (pas plus de 1000 caraïbéens
pour notre période). Les demandes d’asile centre-américaines restent marginales. Luc Legoux, La crise de l’asile
politique en France, CEPED, Paris, 1995
2 À ce propos, le rôle de la campagne de promotion télévisée menée en amont de l’opération humanitaire « Un
bateau pour le Vietnam », est un véritable catalyseur du sentiment de solidarité français. Le rôle du petit écran
dans l’histoire de l’accueil des Sud-est asiatiques fait écho aux idées de Gérard Noiriel quant à « la société
écran » et à la construction de « la visibilité sociale des demandeurs d’asile ». Gérard Noiriel, Réfugiés et sans
papiers : la République face au droit d’asile XIXe-XXe siècle. Paris, Hachette, « Pluriel », 1998.
3 Les termes « Indochine » et « Indochinois » apparaissent constamment dans les documents d’époque. On peut
probablement y lire le témoignage d’une forme de persévérance du lien colonial au sein de la société française
des années 1970.
4 103 210 sud-est asiatiques obtiennent le statut de réfugiés en France, entre 1973 et 1985. Luc Legoux, op. cit.
5 Jean Pierre Massé, L’exception indochinoise, le dispositif d’accueil des réfugiés politiques en France,
1973/1991, thèse, EHESS, 1996.
enregistré par l’Office Français de Protection des Réfugiés est Apatride (OFPRA)6, est en
baisse continue depuis 1957, et connaît une augmentation exponentielle à partir de 19747.
L’arrivée de ces populations s’inscrit pourtant au cœur d’une mutation du contexte migratoire,
dont le fait marquant est l’arrêt de l’immigration décidé le 3 juillet 1974 par le conseil des
ministres. Les réfugiés jouissent donc d’un traitement exceptionnel, qui s’explique notamment
par la récente élaboration d’un cadre juridique international en matière de droit d’asile8. En
effet, la Convention de Genève de 1951, puis le protocole de Bellagio de 1967, intègre le droit
d’asile dans une dimension juridique nationale et internationale, qui impose la question de
l’accueil et de la prise en charge des réfugiés aux États. Dans cette optique, l’arrivée des Sud-
Américains et des Sud-Est Asiatiques constitue pour la France, l’acte de naissance d’une prise
en charge institutionnalisée des réfugiés. À partir de 1973, un véritable dispositif national
émerge, muni progressivement de procédures systématisées, et d’institutions étatiques,
paraétatiques et associatives qui fonctionnent en coordination.
Cette note de recherche propose de revenir sur cet instant de réorganisation de l’action
sociale, en expliquant sommairement, les enjeux et les mécanismes de la structuration du
dispositif d’accueil français au milieu des années 19709. Plus singulièrement, il s’agit de
proposer une présentation du dispositif aquitain, en s’interrogeant sur les spécificités et les
logiques qui ont animé l’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques dans cette
région. En effet, dans le cadre de l’effort de décentralisation du dispositif national, l’Aquitaine
fut une région dynamique, tant du point de vue des effectifs accueillis que du point de vue des
formes d’accueil expérimentées. Or le dispositif aquitain n’a fait l’objet d’aucun travail
historique10. Le fond d’archives du Comité d’accueil des apatrides réfugiés et déplacés
6 L’OFPRA est l’organisme public chargé de l’application de la Convention de Genève en France et de la
protection administrative et juridique des réfugiés. Créé par la loi du 25 juillet 1952, sa mission principale
consiste à octroyer le statut de réfugié à toute personne qui répond à la définition de la Convention.
7 En 1957 l’OFPRA enregistrait 28 813 reconnaissances du statut de réfugiés. Le nombre de reconnaissances
tombait à 10 686 dès 1959. En 1973 l’OFPRA enregistre 1237 reconnaissances de statut, 1891 en 1974, puis
6238 en 1975 et 14797 en 1976. Luc Legoux, op cit.
8 D’autres éléments d’explication sont proposés par Jean Pierre Massé dans sa thèse d’Etat, L’exception
indochinoise, le dispositif d’accueil des réfugiés politiques en France, 1973/1991 . Il défend notamment l’idée
que la fermeture des frontières en 1974, puis l’accueil massif des réfugiés sud-est asiatiques à partir de 1975,
témoigneraient d’une volonté de l’Etat, de substituer un flux migratoire par un autre. Jean Pierre Massé,
L’exception indochinoise, le dispositif d’accueil des réfugiés politiques en France, 1973/1991, thèse, EHESS,
1996.
9 La thèse du socio-historien Jean Pierre Massé, constitue la tentative de reconstitution de l’histoire du dispositif
d’accueil des réfugiés la plus complète à ce jour. Massé centre son travail sur l’accueil des réfugiés du Sud-Est
asiatique, sur le volontarisme politique dont il a fait l’objet et sur la transformation des identités associatives
qu’il a pour conséquence. Jean Pierre Massé, op. cit.
10 Dans le cadre de son mémoire de Maitrise, Emilie Deysieux a étudié le dispositif d’accueil bordelais, dans une
perspective sociologique et non historique. Elle fait sommairement référence à la période que nous étudions.
Emilie Deysieux, Gérer l’arrivée des demandeurs d’asile politique : du national au local. Etude du dispositif
(CARARD), association gestionnaire des centres d’accueil aquitains de 1976 à 1998, permet
d’envisager un tel projet.
Les archives du CARARD ont été conservées au foyer Claude Quancard de Villenave-
d’Ornon après la dissolution de l’association en 199811. Le fond n’a pas été inventorié, il n’y a
aucun classement et l’état des documents est très variable. Nous avons extrait
systématiquement les boîtes à archives qui s’inscrivent dans la période d’accueil des réfugiés
sud-américains et sud-est asiatiques, puis nous avons décomposé cet ensemble en trois sous-
fonds : les archives du siège social de l’association ; les archives des centres provisoires
d’hébergement gérés par le CARARD ; et les archives du centre provisoire d’hébergement de
Mont-de-Marsan, qui se distinguent de part la quantité et la diversité des documents12. Ces
trois ensembles sont composés principalement de comptes rendus de réunions effectuées à
différents étages du dispositif d’accueil. On trouve également des duplicatas des conventions
passées entre les différentes structures et de nombreuses correspondances quotidiennes des
travailleurs sociaux, concernant la gestion des centres et le suivi des réfugiés. Enfin, quelques
dossiers ont trait à la comptabilité des structures et à la gestion du personnel.
Après avoir brièvement rappelé les trajectoires nationales de l’accueil des réfugiés
sud-américains et sud-est asiatiques en France, nous présenterons la structuration du dispositif
aquitain de sa genèse en 1975 à son affirmation dans les années 1980. Enfin, nous tenterons
de caractériser ce dispositif en le comparant aux autres dispositifs régionaux.
Structures et structuration du dispositif d’accueil des réfugiés en France, de
l’improvisation à l’institutionnalisation, 1973-1985.
Dès la fin du mois de septembre 1973, face à la brutalité du coup d’État chilien, la
France prit la responsabilité de recueillir des réfugiés dans son ambassade à Santiago13. Mais
quand il fut question d’un accueil des réfugiés chiliens sur le sol français, ce fut le secteur
associatif le vecteur initial de la mobilisation, bien plus que l’Etat. En pleine émergence au
début des années 1970, tout un tissu associatif appelle à la mobilisation des pouvoirs publics
d’accueil Bordelais, Maitrise Sociologie, Université Bordeaux 2, dir. Bucaille, 2003, 86p.
11 Le foyer Claude Quancard est actuellement un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) géré par
le Centre d’Orientation Sociale. Le directeur de cet établissement, Philippe Elias, nous a autorisé l’accès aux
archives du CARARD.
12 Dans cette note de recherche, ces trois fonds sont respectivement intitulés : CARARD – Siège social ;
CARARD – CPH ; CARARD – CPH Mont-de-Marsan.
13 Pierre de Menthon, Je témoigne, Québec 1967, Chili 1973, Les Editions du Cerf, Paris, 1979.
et à la coordination des associations pour l’accueil et la prise en charge des réfugiés en
provenance du Chili14. Créée en 1971, l’association France Terre d’Asile (FTDA), s’impose
comme la tête de file du mouvement. À ses côtés se joignent des organismes plus
expérimentés comme le Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE), la Croix Rouge, ainsi
que des associations confessionnelles comme le Comité Inter-Mouvement Auprès Des
Evacués (CIMADE)15, le Centre d’Orientation Sociale (COS) ou le Secours Catholique. Le 28
septembre l’Etat français accepte le principe d’un accueil des réfugiés en provenance du Chili
sur le sol français.16. Trois mois plus tard, le Ministère de la santé leur accorde le bénéfice de
l’aide sociale au titre de l’article 185 du code de la santé publique, de la famille et de l’aide
sociale17. Précisons que cette mesure reste dérogatoire, les réfugiés ne figurant pas dans la
liste des bénéficiaires de l’article 185. Néanmoins l’Etat s’engage financièrement à prendre en
charge les réfugiés chiliens, en allouant un prix de journée d’un montant initial de 45,50
francs par individu accueilli18. Il est convenu que ce financement est valable 3 mois
renouvelables une fois, et est versé aux associations responsables de la gestion des centres
provisoires d’hébergement (CPH). Le CPH dont la mission est d’héberger, nourrir et préparer
l’insertion professionnelle et sociale des réfugiés, devient l’unité principale de l’accueil19.
En février 1974, on compte déjà 22 CPH, (dont 15 dans la région parisienne). Leur
gestion est assumée principalement par FTDA, la CIMADE et le Secours Catholique20. En
effet, du point de vue de la prise en charge proprement dit, les pouvoirs publics délèguent
l’intégralité des responsabilités au secteur associatif. Cela implique la gestion des centres,
mais plus globalement le fonctionnement du dispositif dans son ensemble. Les associations
s’organisent en Comité de coordination, afin de répartir les différentes tâches de l’accueil.
Cette première répartition des responsabilités constitue l’acte de naissance du dispositif
d’accueil national et ne subit par ailleurs que peu de modifications dans les années qui
14 Saenz Carrete, Les cadres socio-politiques de l’adaptation des réfugiés latino-américains en France : 1964-
1979, Paris, Université Paris 3, 1980.
15 Les archives de la CIMADE ont été déposées à la Bibliothèque de Documentation Internationale
Contemporaine (BDIC) située à Nanterre, ce qui a ouvert la voie à des recherches sur l’histoire de cette
association et sur son implication centrale au sein du dispositif d’accueil des réfugiés. Un colloque organisé en
2010 a débouché sur la publication d’un ouvrage collectif qui enrichit considérablement nos connaissances de
l’accueil en France. Dzovinar Kevonian, Geneviève Dreyfus Armand, Marie-Claude Blanc-Chaleard, Marianne
Amar (dir.), La Cimade et l’accueil des réfugiés, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2013
16 BDIC - Lettre d’information FTDA n°5 – juin 1974. FTDA publie tous les deux ou trois mois, des comptes
rendus d’activité appelés « lettre d’informations ». Ces documents permettent de suivre les grandes étapes
de l’accueil des réfugiés et les réflexions émises par les membres de l’association. Il est possible de consulter ces
lettres d’informations à la BDIC.
17 Jean Pierre Massé, op. cit.
18 BDIC - Lettre d’information FTDA n°5 – juin 1974
19 Les CPH sont créés majoritairement au sein d’établissement à visée sociale ayant initialement une autre
vocation que l’accueil des réfugiés.
20 BDIC - Lettre d’information FTDA n°5 – juin 1974
suivent. L’association FTDA s’impose immédiatement comme la clé de voûte du système.
Son rôle est prioritairement celui de structure coordinatrice du dispositif. Elle est en charge du
secrétariat du Comité, s’occupe de répartir les réfugiés entre les différents CPH et prospecte
pour l’ouverture de nouveaux établissements. La CIMADE, conjointement à FTDA, s’occupe
de l’accueil des réfugiés à l’aéroport. Le SSAE et le Secours catholique sont chargés du suivi
des réfugiés ne souhaitant pas être pris en charge au sein des CPH.
Dans les mois qui suivent la prise en charge des premiers réfugiés en provenance du
Chili, on entrevoit déjà une propension à l’institutionnalisation du dispositif. En effet, à la fin
de l’année 1974, FTDA obtint du ministre de la Santé que la prise en charge au sein des CPH
soit étendue aux réfugiés de « toutes origines »21. Mais l’étape qui scelle durablement le
dispositif d’accueil se produit au cours de l’été 1975, avec l’arrivée des réfugiés de l’Asie du
Sud-Est. René Lenoir, secrétaire d’Etat à l’Action sociale, est chargé par le Président de la
République d’organiser leur accueil. Il décide de la formation d’un comité de liaison propre à
l’action en faveur des Sud-Est Asiatiques afin d’établir un protocole d’accueil fixant une
répartition des tâches entre les associations. La volonté d’accueillir cette population est telle,
que cette fois c’est l’État qui sollicite le secteur associatif, tout en validant les principes du
dispositif initié pour l’accueil des Sud-Américains. La répartition des responsabilités est
globalement maintenue. FTDA prend officiellement la charge de responsable de l’organisation
du dispositif d’accueil des réfugiés sud-est asiatiques, en passant une convention avec le
Ministère des Affaires Sociales. La CIMADE prend spécifiquement en charge l’enseignement
du français et son organisation dans les CPH. D’autre part, un Comité national d’entraide
franco-vietnamien, franco-cambodgien, franco-laotien (CNE), est créé par les pouvoirs
publics afin d’organiser la venue des réfugiés22. L’organisme est également chargé de
répondre aux questions d’insertion sociale une fois l’accueil réalisé. Enfin, en juin 1976 un
décret normalise la situation jusque-ici dérogatoire concernant le financement de l’accueil, en
faisant entrer les réfugiés dans la liste des bénéficiaires de l’aide sociale23. En moins de trois
ans, l’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques s’est muni d’un cadre légal et
s’est édifié en dispositif, en insufflant les termes d’une action coordonnée des associations et
de l’Etat. Le dispositif d’accueil demeure inchangé jusqu’en 1985, date à laquelle une
21 Le terme « toute origine » apparait systématiquement dans les sources pour désigner les réfugiés en
provenance d’autres régions que l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est.
22 Jean Piere Massé a bien montré le caractère ambigu de cet organisme, qui sous couvert du statut associatif,
fonctionne comme un organisme public, et dont le conseil d’administration est en partie désigné directement par
le Président de la République.
23 Decret 75-526 du 15 juin 1976. Précision des modalités d’application des articles 185 et 185-3 du cde de la
famille et de l’aide sociale.
nouvelle convention est signée entre FTDA et l’Etat, afin de prévoir l’accueil des réfugiés
« toutes origines ». On remarque alors une évolution des problématiques liées à l’accueil : le
flux de demandeurs d’asile sud-américains est quasiment épuisé, la politique de quotas mise
en place pour l’accueil des Sud-Est Asiatiques est stoppée en juillet 1984, et l’on observe une
diversification importante des nationalités qui s’accompagne d’une augmentation du rejet des
demandes d’asile24.
Pour terminer cette présentation concise de la structuration du dispositif d’accueil de
1973 à 1985, il faut nécessairement aborder la question de son implantation géographique. En
effet, les associations se rendent rapidement compte que l’efficacité du système d’accueil
repose sur sa décentralisation et la répartition cohérente des structures sur le territoire
français. Comme le relevait Jean Pierre Massé, l’un des enjeux est notamment d’éviter une
trop grande concentration des réfugiés dans la région parisienne, afin de ne pas saturer les
réseaux d’insertion professionnelle25. Plusieurs documents évoquent également la
décentralisation, comme un moyen de se prémunir de l’hostilité d’une frange de la population
française, vis à vis de l’augmentation du pourcentage d’étrangers dans une localité26. Grâce
aux bilans chiffrés réalisés chaque mois par FTDA, on sait qu’en mars 1976, 39 départements
accueillent les 67 CPH français. En 1985, le nombre total de départements sollicités pour
l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques depuis 1975 est de 8327. Malgré tous les efforts, la
répartition des centres entre les départements n’est évidemment pas homogène. On constate
notamment la prééminence des régions Île-de-France et Rhône-Alpes. À première vue
l’Aquitaine affiche un bilan plus modeste. Il s’agit maintenant de focaliser notre étude sur
cette région, en cherchant à comprendre le rôle qu’elle a joué pour l’accueil des réfugiés sud-
américains et sud-est asiatiques.
Le dispositif d’accueil aquitain, de l’expérimentation bordelaise au réseau
régional, 1975-1985 : un « pré carré » pour FTDA.
24 Cette augmentation des rejets des demandes d’asile s’explique en partie par la volonté de l’Etat de mettre un
terme au détournement de procédure, ou à ce qu’il considère comme tel. Selon ce point de vue, l’augmentation
des demandes et la diversification des nationalités résultent d’un transfert de l’immigration économique vers des
demandes d’asiles abusives, ce qui justifie les rejets. Luc Legoux, op. cit.
25 Jean Pierre Massé, op. cit.
26 CARARD – Siège social – « CPH pour réfugiés d’Amérique latine à Bordeaux » ; CARARD – Siege social –
AG du 16 janvier 1978.
27 Précisons que le rythme des arrivées étant relativement imprévisible, les départements augmentent et
diminuent constamment leur capacité d’accueil en ouvrant ou fermant certains CPH.
Dans cette partie nous souhaitons proposer une présentation diachronique du dispositif
aquitain, qui s’attache à repérer les acteurs et les grandes étapes qui ont animé sa
structuration.
Le prélude se joue en février 1975. Dans la lettre d’information n°13, FTDA annonce la
création du Comité Régional Aquitaine (CRA) de l’association à Bordeaux28. Cette
« délégation aquitaine »29, est présidée par Paul Hoibian, pasteur directeur de la Maison de
santé protestante de Bagatelle (Talence) et ancien directeur de FTDA à sa création30. Trois
mois après la création du comité, le premier CPH de la région est ouvert dans les locaux du
château Moulerens de Gradignan. Il accueille spécifiquement des réfugiés en provenance du
Chili. La gestion du centre est partagée entre FTDA et les Coqs Rouges31, association
propriétaire du château Moulerens. Les locaux se prêtent bien à l’hébergement des réfugiés,
puisqu’ils sont habituellement utilisés comme maison familiale de vacances. Une convention
fixe la répartition des responsabilités entre les deux associations32. Les Coqs Rouges assurent
les prestations du service d’hébergement et des repas. Ils se chargent également d’une partie
de l’accompagnement administratif des réfugiés, ce qui comprend les démarches auprès de la
préfecture pour l’obtention des titres provisoires de séjour, mais aussi auprès de l’OFPRA et
de l’ANPE pour le certificat de réfugié et la carte de travail. De son coté la CRA de FTDA
s’occupe de tout ce qui concerne l’insertion sociale et professionnelle : l’apprentissage de la
langue française, la recherche d’un emploi et d’un logement. À l’exception de cette
convention, peu de documents nous renseignent sur l’histoire de l’accueil à Moulerens. Les
archives du CARARD n’évoquent quasiment jamais ce centre33. De son côté l’association des
Coqs Rouges nous a affirmé ne pas avoir conservé les archives du CPH. Finalement, c’est le
témoignage de Mr Salbert, directeur des Coqs Rouges au moment de l’accueil des Sud-
Américains, qui a contribué à désobscurcir cette période. Le fonctionnement édicté dans la
convention concernant le partage des responsabilités entre les Coqs Rouges et FTDA nous a
28 BDIC – Lettre d’information FTDA n°8 – janvier/février 1975.
29 C’est ainsi qu’est également nommé le Comité régional aquitaine de FTDA.
30
Paul Hoibian est également le co-fondateur de la communauté de travail Somodel. Jean Linossier, Paul
Hoibian, Jacques Chatet, Travailler autrement, Somodel 1954-1971 - Une expérience de démocratie industrielle
à l'époque des "trente glorieuses", Paris, L’Harmattan, 2006. Parmi les membres les plus fidèles et les plus
impliqués on peut citer Geneviève Bonnefant et René Lung (auxquels se joint Jean-Claude Hierle à partir de
1977).
31 Association sportive créée en 1891, dont le siège social est basé 14 place Sainte Eulalie à Bordeaux, et une
partie des installations sportives à Gradignan sur le domaine du château Moulerens.
32 CARARD – Siege social.
33 Quelques rares documents du CRA, antérieurs à la création du CARARD (24 novembre 1976), ont été
conservés dans les archives. Sur l’accueil au château Moulerens nous avons retrouvé la convention signée entre
FTDA et les Coqs Rouges. Signalons également un compte rendu de réunion du CRA daté du 13 mars 1978,
faisant état des derniers mois d’activité du centre.
été confirmé. Mr Salbert soulignait néanmoins la prédominance de l’association de défense du
droit d’asile. Les Coqs Rouges interviennent comme une sorte de prestataire de service et ne
sont pas invités par FTDA à participer aux réflexions plus générales sur l’accueil des réfugiés
et le développement futur du dispositif. On peut également supposer que les Coqs Rouges
n’ont pas réellement souhaité s’impliquer davantage. Finalement le témoignage de Mr Salbert
vient appuyer une impression qui demeure depuis le début de nos recherches : l’accueil des
réfugiés sud-américains à Moulerens est un galop d’essai pour FTDA. Il semble que le CRA
ne soit pas encore en mesure d’assurer seul les responsabilités de l’accueil, par manque de
personnel, d’argent, mais aussi d’expérience. Sur ce point, l’épisode de la cohabitation des
réfugiés sud-américains et des sud-est asiatiques à Moulerens est particulièrement probant. Mr
Salbert nous a confirmé la brève tentative de FTDA, d’optimiser la capacité d’accueil du
centre, en hébergeant conjointement aux Sud-Américains des réfugiés sud-est asiatiques34. Les
responsables associatifs du CRA comme ceux des Coqs Rouges, ont perçu immédiatement
qu’une cohabitation entre ces deux populations était très délicate, notamment en raison de
leurs convictions politiques antagonistes35. Néanmoins c’est une expérience des tensions
communautaires entre réfugiés, qui marque la structuration de l’accueil, puisque une
dichotomie du dispositif est prévue par la suite36. Une fois suffisamment d’expérience
accumulée, la délégation aquitaine de FTDA s’émancipe des Coqs Rouges. La fermeture du
CPH de Moulerens témoigne bien de cette volonté d’autonomie. Le 1er avril 1978, la
convention passée entre FTDA et l’association bordelaise n’est pas renouvelée. Il est vrai
qu’il y a un affaiblissement du flux des réfugiés en provenance d’Amérique du Sud. Mais il
explique mal la fermeture du centre de Gradignan, dans la mesure où le CRA crée un nouveau
34 Cette cohabitation est notamment évoquée lors dans un entretien avec un ancien réfugié chilien, dans le
mémoire de maitrise de Mathieu Wagner. Mathieu Wagner, Parcours de militants : étude sur le militantisme
d’exilés politiques chiliens, de l’Unité Populaire (1970/1973) à la « Transition vers la démocratie » (1990/...),
mémoire de Maitrise, Université Bordeaux III, 1999.
35 Il faut également prendre en compte les dissemblances socioculturelles entre ces deux populations. Les travaux
de George Condominas, Richard Pottier ou encore Yves Ajchenbaum pour les réfugiés sud-asiatiques, ceux de
Anne Marie Gaillard, pour les Sud-Américains, permettent de mieux saisir la teneur de ces différences. On
perçoit notamment un écart élevé entre le mode de vie originel des exilés d’Asie du Sud-Est et celui auquel ils
doivent s’adapter en France, ce qui est moins marqué pour les Sud-Américains. Georges Condominas et Richard
Pottier, Les réfugiés originaires de l’Asie du Sud-Est, Rapport au Président de la République, La Documentation
française, 1984. Yves Ajechenbaum, Les populations originaires d’Asie du sud-est accueillie en France au sein
des centres provisoires d’hébergement (1975-1979), Paris, France Terre d’Asile, 1981. Anne Marie Gaillard,
Exils et retours : itinéraires chiliens, Paris, l’Harmattan, 1997.
36 En effet, le dispositif d’accueil se structure en prévoyant la séparation rigoureuse entre les deux communautés.
Les groupes de coordination Chili, se distingue des groupes de coordination Indochine, tant à l’échelle nationale
que régionale. Cette division de l’accueil peut suggérer que le dispositif a cherché à s’adapter aux dissemblances
idéologiques, mais aussi sociales et culturelles des populations accueillies. À une époque où l’action sociale n’en
est qu’au balbutiement d’une professionnalisation du secteur, on peut également supposer une forme de clivage
politique du personnel accueillant. L’expérience bordelaise de l’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est
asiatiques dans un même CPH n’est probablement pas la seule qui ait eu lieu en France à cette époque.
Néanmoins elle s’inscrit dans la somme des expériences ayant contribué à l’élaboration de cette séparation.
CPH pour accueillir les derniers Sud-Américains, quelques mois seulement après la fermeture
de Moulerens. On entre dans une seconde phase de l’accueil en Aquitaine, qui se caractérise
par l’élaboration et l’affirmation d’un réseau régional de CPH piloté par FTDA.
En 1976, le CRA intensifie significativement son action. En mars, un CPH est ouvert
pour l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques rue Montmejan, dans le quartier de la Bastide37.
Il possède une capacité d’accueil de 40 personnes et est géré entièrement par le comité. Puis,
à la fin de l’année 1976, FTDA crée un organisme chargé de la gestion directe des CPH de la
région : le Comité d’Accueil Régional des Apatrides, Réfugiés et Déplacés (CARARD) 38 .
Pour FTDA, l’objectif est de déléguer la gestion des CPH, afin de rester efficace dans les
tâches organisationnelles qui lui incombent39. Une fois doté de son CARARD, le Comité
régional cherche à étendre son action ailleurs qu’en Gironde, en concentrant ses efforts sur la
création de centres destinés à l’accueil des Sud-Est Asiatiques. Ainsi, le 1er avril 1977, le
CARARD passe une convention avec le préfet des Landes, pour l’ouverture d’un CPH de 25
places à Mont-de-Marsan40. Ce centre ouvre ses portes au nord de la ville, dans la cité du
Peyrouat, et prend la forme expérimentale d’un accueil des réfugiés en appartement. C’est
l’un des premiers centres « éclatés » de France41. En avril 1978, c’est le département des
Pyrénées-Atlantiques qui se dote d’une structure d’accueil42. À l’image de la formule
expérimentée dans les Landes, le CARARD obtient six appartements (soit 30 lits environ)
dans le quartier de l’Ousse-des-bois à Pau. Trois mois plus tard Périgueux inaugure également
son centre éclaté43. Enfin, le CRA travaille pour l’ouverture d’un CPH éclaté pouvant
accueillir les derniers contingents de réfugiés en provenance d’Amérique Latine. Un
document daté du 12 août 1978, témoigne des réflexions de Paul Hoibian concernant la
nécessité de « reprendre cet accueil ». Il évoque notamment les « besoins d’accueil à
l’échelon national » et la volonté « d’éviter toute déviation dans l’action du Comité Régional
Aquitaine de FTDA, soucieux d’accueillir toutes catégories de réfugiés sous peine de se voir
37 BDIC – Lettre d’information n°13 – janvier/février 1976.
38 Ce CARARD est le petit frère régional du Comité d’Accueil National des Apatride, Réfugiés et Déplacés,
(CANARD) créé le 24 novembre 1974. La création de ces deux organismes est une manière pour FTDA de
répondre aux critiques formulées à son encontre par une partie du tissu associatif. On reproche à FTDA, d’avoir
travesti ses engagements initiaux en cumulant ses responsabilités de coordinatrice du dispositif, celles de
gestionnaire de CPH.
39 CARARD – Siège social – AG du CARARD, 16/01/1978
40 CARARD – CPH de Mont de Marsan - Convention pour l’hébergement de réfugiés du sud-est asiatique
31/03/1977.
41 Cette forme d’accueil est également appelé « foyer soleil ». Nous abordons plus en profondeur son
fonctionnement et ses caractéristiques dans la troisième partie.
42 CARARD – CPH – Convention pour l’hébergement des réfugiés du sud-est asiatique. Pau. 20/02/1978.
43 CARARD – CPH – Convention pour l’hébergement des réfugiés du sud-est asiatique. Périgueux. 22/07/1978.
Description:Américains obtiennent le statut de réfugié entre 1973 et 1985. Luc. Legoux repère quelques réfugiés en provenance d'Haïti et plus rarement de