Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

553 Pages·2015·4.01 MB·French

Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

Laboratoire CLIPSYD (EA 4430)
Équipe A2P
Clinique Psychanalyse et Développement

THESE

Pour l’obtention du grade de
Docteur en Psychopathologie Psychanalytique
De l’Université Paris-Ouest Nanterre La défense

Présentée et soutenue publiquement le 2 Décembre 2015 par

Jean-Malo DUPUY

Le cadre des paraphrénies comme archétype
de la folie ordinaire

Thèse dirigée par

Monsieur le Professeur François POMMIER

Membres du jury :
Monsieur Patrick GUYOMARD, Professeur Emérite, Université Paris-
Diderot, Président du jury
Monsieur Maurizio BALSAMO, Maître de conférence-HDR, Université
Paris-Diderot, Rapporteur
Monsieur Patrick MARTIN-MATTERA, Professeur, Université Catholique
de l'Ouest, Angers, Rapporteur
Monsieur Vladimir MARINOV, Professeur Emérite, Université
Paris XI
Monsieur François POMMIER, Professeur, Université Paris-Ouest
Nanterre

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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

Cette version de diffusion est expurgée d’un certain
nombre de détails à caractère privé dans les présentations
cliniques

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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

Je dédie ce travail à
Claudine DUGAUQUIER
qui m’a initié dans la rigueur à ce
qui s’éprouve de rencontre dans le
travail clinique

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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

Remerciements
Ce travail doit beaucoup à ceux qui m’ont soutenu et accompagné avec leur
gentillesse et leur disponibilité. Je pense tout particulièrement à mon
épouse Frédérique et à mes enfants Virgile et Samson pour leur patience et
leur bienveillance.

Très chaleureusement, je remercie :

Monsieur le Professeur François Pommier qui a accueilli ma démarche et
accompagné ma recherche avec vigilance et humanité.
Les membres du jury, Monsieur le Professeur Patrick Guyomard qui le
préside, Monsieur Maurizio Balsamo, Monsieur le Professeur Patrick
Martin-Mattera, et Monsieur le Professeur Vladimir Marinov.

Mes collègues Catherine Guerrier et Patrick Chopard pour leurs
contributions cliniques.
Madame le Dr Joëlle Oury et Monsieur Raymond Bénévent pour leurs
apports cliniques et théoriques.
Monsieur le Docteur Joaquim Pascoa, Madame Evelyne Wicky et
Monsieur Pierre Mac Gaw, pour leur lecture et leurs commentaires
précieux.
Madame Christiane Strohl pour son soutien inconditionnel.

Et toutes les personnes impliquées dans le travail clinique, collègues et
patients, avec lesquels il m’a été donné d’élaborer ma pensée.

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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

SOMMAIRE
Introduction 7
Première partie : 19
« Champs théorico-cliniques et Occurrences Conceptuelles »
1.1 Champs théorico-cliniques de notre étude des paraphrénies
1.2 André Breton et « l’hétérodoxe » de Saint DIZIER
1.3 Occurrences conceptuelles et pensée paraphrénique
Deuxième Partie : 39
«Généalogie des Paraphrénies »
2.1 Introduction
2.2. PINEL et ESQUIROL, de la manie à la monomanie comme délire partiel permanent
2.3 Prolégomènes à la bi partition Schizophrénie-Paranoïa dans l’école française
LEGRAND du SAULLE, COTARD, SEGLAS, MAGNAN
2.4 Limites nosographiques des Paraphrénies dans le moment de la synthèse
kraepelinienne : entre Paranoïa et Schizophrénie
2.5 Les quatre Paraphrénies d’Émil KRAEPELIN
2.6 Les paraphrénies comme mode résolutif de la faillite de l’espace interne
2.7 Evolution du cadre des paraphrénies de Kraepelin à nos jours
Troisième Partie : 231
«Méthodologie clinique et déontologie »
Quatrième Partie : 247
«Clinique du délire et paraphrénies »
4.1 Introduction
4.2 Entre l’exclusion du délirant et l’incorporation dans le délire d’un autre
4.3 Hanna et l’érotisation de la limite
4.4 Déraison et absence de « l’autre scène »
4.5 « Gilbert » : Questions sur l’organisation préœdipienne dans un cas de délire d’allure
paranoïde.
4.6 Lecture des enjeux prégénitaux avec les concepts de la linguistique structurale
Cinquième Partie : 373
«De la métaphore linguistique à la métaphore œdipienne »
5.1 La langue comme articulation de l’hétérogène
5.2 Métonymie et Métaphore
5.3 La métaphore dans la transformation œdipienne
5.4 L’échec des processus métonymiques et métaphoriques et leurs effets dans la
clinique des psychoses paraphréniques
5.5 L’espace physique et l’espace social dans les productions paraphréniques
5.6 Traitement des séries associatives hétérogènes dans deux cas de délire
paraphrénique.
5.7 Madame R. Un exemple de délire paraphrénique construit sur l’assemblage
systématique de deux séries associatives
5.8 Monsieur D. Un exemple de délire paraphrénique
sur l’assemblage onirique de deux séries associatives.
5.9 Remarques sur deux modes d’assemblage des séries associatives
Sixième Partie : 447
« Folie ordinaire et paraphrénie »
6.1 La folie ordinaire relative à son dévoilement
6.2 Clinique de la folie ordinaire
Conclusion 515
Table des matières 527
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Résumé : Cette recherche met en perspective le cadre des paraphrénies de Kraepelin
exploré dans sa nosographie avec une approche clinique actuelle de troubles délirants.
Les textes descriptifs et la clinique font apparaître des délires évolutifs, avec adaptation
à la réalité, sans démence, comme résolution d’une «défaillance interne». Kraepelin
utilise le mot paraphrénie en 1912 pour ménager un espace nosologique entre démence
précoce et paranoïa. Il définira quatre paraphrénies : systématique, fantastique,
expansive et confabulante qui recouvrent la nosographie de l’école française des délires
chroniques. La première est superposable au délire de Magnan, la deuxième au délire de
Cotard, les dernières bordant la paranoïa. Ce cadre a été réduit par l’intégration du
champ paranoïde à la schizophrénie par Bleuler et par l’école française privilégiant la
forme fantastique. Le mot paraphrénie disparaîtra avec les classifications de type DSM.
L’adaptation à la réalité et l’absence habituelle de soin psychique laissent évoluer les
troubles dont le caractère d’agissement efface parfois le fond délirant. Avec des termes
tels que manipulateur et pervers narcissique, les troubles peuvent être repris dans une
nosologie psychosociale quand le délire se déploie sur la scène sociale jusqu’à son
dévoilement. Une clinique multifocale s’inscrit dans la temporalité du dévoilement
tandis que l’approche psychanalytique souligne des effets transférentiels déstabilisants
par abolition des qualités hétérogènes des espaces, psychiques et physiques. C’est donc
une pensée dans une langue sans métonymie ni métaphore qui contamine
pathologiquement la vie ordinaire.

Mots clef : paraphrénie, paranoïa, schizophrénie, trouble délirant, délire chronique,
pervers narcissique, manipulateur, psychanalyse, linguistique, métaphore, métonymie,
hétérogène, Kraepelin, Cotard, Magnan.

Summary: This research leads to a perspective approach the frame of the Kraepelin’s
paraphrenia explored in its nosography with a current clinical approach of paraphasic
disorders. The descriptive texts and clinical practice reveal evolutionary delirium, with a
good practical efficiency, without insanity, as a resolution of an "internal failure ".
Kraepelin uses the word paraphrenia in 1912 to arrange a nosological space between
dementia praecox and paranoia. He defines four paraphrenias: systematic, fantastic,
expansive and confabulans, corresponding with French School nosography of the
chronic délirium. The first one is similar to Magnan’s disease, the second to Cotard’s
desease, the last two tending to paranoia. This frame was reduced by Bleuler when he
introduced the paranoïd in schizophrenia, as well as by the French school, underlining
the fantastic aspect. With DSM's classifications the word paraphrenia will be out of use.
The adaptation to reality and constant lack of psychic care allow disorders to evolve into
forms of behavior that would tend to hide the delirious background. With terms such as
narcissistic pervert and manipulator, the disorders can be resumed in a psychosocial
nosology when the paraphasic disorders spreads to the social scene until they come to
light. A multifocal practice stands in the temporality of this revelation whereas the
psychoanalytical approach magnifies destabilizing effects in transference by abolition of
the heterogeneous qualities of spaces, psychic and physical. It is thus a thought in a
language deprived of metonymy and metaphor which contaminates pathologically the
daily life.

Keywords: paraphrenia, paranoia, schizophrenia, paraphasics disorders, delirium
chronicles, narcissistic pervert, manipulator, psychoanalysis, linguistics, metaphor,
metonymy, heterogeneous, Kraepelin, Cotard, Magnan.

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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

Introduction

1-Prolégomènes
De même qu’en mathématique, il existe des courbes dont les inflexions
majeures ne se perçoivent que lors de leur étude « aux limites » ou à
l’infini, nous avons comme d’autres l’intuition que ce qui s’apparente à une
ondulation ordinaire du registre psychique peut receler les principes d’une
incurvation beaucoup plus inquiétante qu’il n’apparaît. Ce qui n’est pas en
soi une trouvaille mérite cependant qu’on en questionne l’inférence.
En mathématique, le principe est algébrique et procède des mêmes lois
quelle que soit l’abscisse et les effets sur l’ordonnée. S’il en est de même
dans le registre de certaines psychopathologies, tel que l’on puisse
apparenter selon certains principes des troubles mineurs, voire difficilement
décelables, à des extravagances qualifiables selon les repères de la
nosographie psychiatrique, cela demande de spécifier ces principes. Auquel
cas s’ouvre une voie méthodologique telle que le pathologique puisse
éclairer l’ordinaire.

Cet écho que s’adressent l’ordinaire et le pathologique est récurent dans
l’œuvre de Freud. Dans son texte de 1914 « Pour introduire le
Narcissisme », Freud interroge « le destin de la libido retirée des objets »1
dans la schizophrénie puis dans la paraphrénie pour ouvrir à la question du

1 FREUD Sigmund, « Pour introduire le narcissisme » in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 82
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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

narcissisme dans la construction infantile, dans la vie amoureuse, et dans la
vie collective par l’élaboration de l’idéal du moi. Avec le Witz en 1905 qui
vient après les actes manqués de 1903, Freud s’inspire de la vie ordinaire
pour affiner sa théorie d’un inconscient hétérogène aux choses. Ces deux
démarches semblent à front renversé sauf qu’elles procèdent de la même
méthode. Ainsi Freud précise dans son texte de 1914 que des difficultés
particulières « semblent empêcher une étude directe du narcissisme »2. Il en
va de même, et sans doute nécessairement, de l’étude de l’inconscient qui
échappe à toute mise en lumière.

Il en est de l’inconscient comme de certains concepts qui ne peuvent être
objectivés. Ils ne s’imposent pas à l’œil, ils s’imposent selon qu’une
certaine incidence du miroir travaille l’anamorphose : sans cette incidence,
ce qui est donné à voir ne se distingue pas d’un conglomérat de formes et
de couleurs ; avec elle quelque chose se discerne et fait signe.
L’œuvre de Freud comme celle de nombreux chercheurs s’est édifiée en
travaillant cette double difficulté : rendre perceptible quelque chose
d’inconnu avec des méthodes aux incidences inconnues. Double travail
donc de valider la méthode d’approche et d’en faire admettre l’objet.

Une dimension supplémentaire a fait difficulté dans la démarche freudienne
et persiste pour ceux qui ont pris sa suite. L’« inconnu » de Freud est
Unbewusst, dans le sens que Freud a donné à ce terme et auquel Lacan a
adjoint la question subjective. C’est dire qu’il ne s’agit pas de connaissance
en général qui n’aurait pas passé la barre du connu, mais de ce qu’elle
implique qu’il faille du sujet pour en méconnaître quelque chose. Autant
dire que ça résiste à s’inscrire simplement dans la pure rigueur
universitaire.

2 Ibidem p. 88
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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

Très modestement et dans une moindre mesure, ce que nous tendons à
soutenir dans ce travail se trouve être pris au moins dans les deux premières
difficultés que nous énonçons : valider une approche et en faire admettre
l’objet.

2-Folie ordinaire et paraphrénies
Tout d’abord, soutenir qu’il y ait une folie ordinaire nécessite de l’abstraire
du banal dans lequel elle se noie ; nécessite d’en démonter l’oxymore pour
que le pathologique qu’elle recèle se distingue de la fantaisie créative qu’on
y attend. Il apparaît en conséquence nécessaire d’identifier des processus
psychopathologiques suffisamment typiques et importants pour les intégrer
à une nosologie. Un parcours s’imposait donc à nous entre un matériel
clinique original et une nosographie psychiatrique où nous avons cherché à
l’inscrire. Un parcours s’imposait aussi à nous entre une clinique
inhabituelle de personnes qui ne consultent que peu ou pas du tout et une
nosologie actuellement très pauvre à les reconnaître. Nous avons choisi
d’interroger ces manifestations pathologiques qui se fondent dans
l’ordinaire sous l’angle des quatre paraphrénies de Kraepelin.
Cela peut donc apparaître comme une gageure d’explorer une
psychopathologie qui échappe aux cadres cliniques habituels à partir du
cadre nosologique des paraphrénies qui a disparu des critères diagnostiques
actuels.

3-Illustration
Il nous semble parlant de prendre la question par l’exemple, en insistant sur
l’idée de fiction que génèrent les descriptions des paraphrénies avant qu’on
en perçoive les effets délétères, et au stade où elles ne sont confirmées par
aucune clinique.

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Le cadre des paraphrénies comme archétype de la folie ordinaire Jean-Malo DUPUY

- Dans les années soixante, un ecclésiastique quitte vers la
quarantaine une première paroisse car il se plaint de complots
ourdis contre lui par certains paroissiens. Il manifeste en chaire des
traits caractériels et va jusqu’à y injurier des fidèles qui se tiennent
mal. Cet homme très brillant et actif séduit cependant la classe
intellectuelle par son érudition et se trouve ainsi très regretté. Dans
sa nouvelle paroisse, il dénonce très vite les méfaits d’un jeteur de
sort qui ouvre les portes à distance, fait tirer les cheminées à
l’envers, se met au premier rang à l’office et chante faux à la
chorale. Dans le même temps notre ecclésiastique déclare être un
saint et pense ainsi échapper à la putréfaction après sa mort.
Surviennent dix ans après des moments d’inquiétude avec des
plaintes somatiques importantes qui justifient un séjour en maison de
repos. Dans cette période, il se déclare incompris de son évêque et
demande à changer de diocèse. Se propagent en fait quelques
rumeurs dans la paroisse qui commence à le rejeter. Il obtient une
nouvelle charge plus légère, entreprend de retraduire la Bible
comme elle aurait dû l’être, cherche un éditeur, diffuse quelques
textes abscons, et écrit au pape. Il gardera une activité dans le
nouveau diocèse bien au-delà de quatre-vingt ans sans être inquiété
par le clergé, sans cesse animé par quelques lubies, et toujours
entouré de quelques fidèles séduits par sa réelle érudition.

- Un artisan local réputé qui exerçait après avoir eu plusieurs débuts
de carrières dans la fonction publique se lance dans des affaires
hôtelières avec quelques tours de passe-passe financiers. Il y
entraine ses proches et semble-t-il les affaires marchent. Il est beau
parleur et raconte de manière aussi convaincante que quand il traite
ses affaires que sa grande maison est habitée de fantômes. Il en
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