Table Of Contentobednkunzimana,marie-Christine rochmann
etfrançoise naudillon(dir.)
l’Afrique noire
dans les imaginaires
antillais
ÉditionsKarthala
22-24,boulevardArago
75013Paris
Introduction
L’Afriqueoulaspéciicitédunompropre
Sur un cénotaphe, au cimetière marin de Gruissan dominant
la côte narbonnaise, il est écrit d’un de ces hommes disparus en
mer:
AugusteGimié
Capitainemarin
DécédéàAlger
Afrique
le22février1846
àl’âgede28ans
Saisissementdevantcetélargissementbrutaldesperspectives!
D’un toponyme aisé à localiser pour un homme du XXIesiècle,
l’onestinvitéàrejoindreunetotalitémystérieuseetloueparce
raccourci négligent. Déjà la mystérieuse Afrique! Est-ce aussi
l’écart par rapport à l’habitude contemporaine d’utiliser le nom
ducontinentpourdésignerlaseuleAfriquesubsaharienne?Cette
épitaphe met en lumière les différences entre les époques et par
là l’importance de la dimension temporelle dans le fonctionne-
mentsisingulierdesnomspropres.
Kerstin Jonasson nous rappelle dans Le Nom propre, cons
tructions et interprétations1, que la vraie nature du nom propre
ne se laisse pas saisir au niveau linguistique ni au niveau du
discours mais au niveau cognitif, dans la façon dont sont stoc-
kées les connaissances. À la différence des noms communs qui
aident à regrouper des objets, des individus et des phénomènes
1. Kerstin Jonasson, Le Nom propre, constructions et interprétations,
Champslinguistiques,Duculot,1994.
6 L’AfrIquENoIrEDANSLESIMAGINAIrESANtILLAIS
ayant des propriétés en commun, les noms propres permettent
d’isolerdesentitésuniquesennommantdesparticuliersàl’inté-
rieurdeséries.Ainsilorsque,dansl’Antiquité,onsemêladedis-
tinguer les différentes parties du monde, une première distinc-
tion ayant été établie par les marins grecs entre l’Europe et
l’Asie, on établit bientôt «l’Afrique», terme d’abord utilisé
pour désigner la région de Carthage, comme troisième partie du
monde. Avec les grandes découvertes viendront s’adjoindre
d’autres«parties»,qu’onappelleraàpartirduXVIesiècle,«con-
tinent»,dulatin«terracontinens»,«terrequitientensemble».
L’Afrique,telestdoncce«particulier»auquelnousavonsaffaire
parmilacatégoriedes«continents».
Cependantlenompropre,àcôtédecesavoirgénéraldispensé
par la catégorie, aide à mémoriser un savoir spéciique. Là où
les noms communs sont associés à des connaissances linguisti-
ques codiiées, le nom propre est, lui, relié à un savoir qu’on
peut dire «encyclopédique», stocké dans la mémoire à long
terme. C’est la connaissance du monde qui vient remplir la
forme linguistique.Autrement dit le lien entre un nom propre et
l’objet qu’il désigne n’est pas un lien qui relève de la séman-
tique linguistique mais un lien rendu possible par l’association
et la mémoire. Les noms des continents, «Europe», «Asie»,
«Afrique», «Amérique», se sont vus ainsi reliés à des savoirs,
à des discours multiples et, dans l’attribution de leurs «pro-
priétés», soumis aux aleas tant des connaissances scientiiques
etdesdisputesentrespécialistesàleursujet,quedesreprésenta-
tions propres à chaque individu, à chaque culture, à chaque
époque.S’agissantdel’Afrique,lepremieraleaseraitl’étendue
territoriale désignée par le terme. À l’origine Africa désignait la
régiondeCarthageetla«troisièmepartiedumonde»représen-
tait en gros l’Afrique du Nord, cependant qu’on s’interrogeait
sur le lieu où placer la frontière entre Afrique et Asie2. Néan-
moins,dansl’Antiquité,ilétaitfaiticietlàmentiond’unerégion
2. Certains proposaient le Nil, ce à quoi dès le VIesiècle s’opposa Héro-
dote,carcelapartageaitl’Égypteentredeuxcontinents.Luidéplaçaitlafron-
tièreàl’ouestdel’Égypte,cequiplaçaitcepaysenAsie.Àlapérioderomaine
et au Moyen Âge, quelques auteurs prendront l’isthme de Suez comme fron-
tièreentrel’Asieetl’Afrique,cependantqu’apparaîtlacarteenT-O,oùleT
représenteleseauxdeladivisiondestroiscontinents,lesquelssontprésentés
commelesdomainesdesilsdeNoé:Sempourl’Asie,Japhetpourl’Europe
etChampourl’Afrique,etleo,l’orbedelaterre.
INtroDuCtIoN 7
plusméridionaleducontinent,cetteterreencoreinexploréeétant
appelée Éthiopie, c’est-à-dire le pays de l’Aethiops, terme grec
qui signiie «face brûlée», un pays si inconnu et lointain qu’on
l’imaginait peuplé de créatures démoniaques. Il faudra de fait
attendre la navigation portugaise au XVesiècle pour que le conti-
nent resplendisse sur les cartes de ses véritables proportions, de
la Méditerranée au Cap de Bonne Espérance. reste la partition
communément admise entre l’Afrique du Nord et l’Afrique
subsaharienne, désignée fréquemment sous le simple vocable
d’Afrique. très sensible aujourd’hui, cette partition est cepen-
dant une perception récente; ainsi, jusqu’au XVIIIesiècle, date à
laquelle en france apparaissent de nombreux Noirs3, grande fut
la confusion dans les termes employés pour désigner lesArabes
et les Noirs.Après la conquête de l’Espagne et de la france par
les armées sarrasines, qui comptent des soldats nubiens et abys-
sins,c’estdefaitlenomdeMores4,aprèsceluid’«éthiopiens»,
quiestalorsintroduitpourdésignerlesNoirs;lesMorisquesou
danses des Mores, petits spectacles dansés à 1’honneur dans les
cours princières, étaient ainsi jouées par des acteurs qui se gri-
maientennoir.Aupointque,noteSylvieChalayedanssonexcel-
lent ouvrage, Du Noir au Nègre: l’image du Noir au théâtre de
Marguerite de Navarre à Jean Genet (15501960), lorsque les
Arabes sont chassés d’Europe, le mot More ne désigne plus le
Sarrasin,maisl’hommenoir.othellon’est-ilpasappeléaussile
MoredeVenisedanslatragédiedeShakespeare?
La seuleAfrique connue au XVIIesiècle restant l’Afrique bar-
baresque,ouAfriqueduNord,c’estauXVIIIesiècle,avecladiffu-
siondesdébatssurl’esclavage,quel’Afriquecommenceàdési-
3.«Jusqu’àlainduXVIIesiècle,ilyavaitpeud’hommesnoirssurlesol
français.Eneffetdepuisunarrêtde1571,ilétaitinterditdepratiquerl’escla-
vage en métropole.tout esclave débarqué sur les côtes françaises était auto-
matiquementaffranchietgardaitsalibertémêmes’ilretournaitauxAntilles».
Mais dès 1716 le régent Philippe d’orléans autorisa les colons à faire venir
leursesclavesenfrancesansqu’ilsaientàlesaffranchir.onvitalorsdeplusen
plusdeNoirsenmétropole.«BientôtParisiens,Bordelais,Nantaiscôtoyaient
ceshommesquin’étaientplusréduitsàuneidéeabstraite,quin’avaientplus
rien d’une représentation imaginaire sortie des récits de voyage». Sylvie
Chalaye, Du Noir au Nègre: l’image du Noir au théâtre de Marguerite de
NavarreàJeanGenet(15501960),Paris,L’Harmattan,1998,p.67et68.
4.DulatinMaurus,ildésignedansl’Antiquitéleshabitantsdel’ancienne
Mauretania, puis au Moyen Âge les Berbères islamisés qui conquirent l’Es-
pagne.
8 L’AfrIquENoIrEDANSLESIMAGINAIrESANtILLAIS
gner majoritairement l’Afrique noire et que se répand le mot
«nègre», qui, auxAntilles, désigne l’esclave et, plus générale-
ment, le Noir.Ainsi, ce qui a sans doute particulièrement séparé
l’Afrique subsaharienne de l’Afrique du Nord, au niveau des
imaginaires, est la question de la couleur. C’est de «l’Afrique
noire»dontilseraquestionici,mêmesil’importanceauxXXeet
XXIesiècles des déplacements de population et leur inluence
notamment dans les littératures dites migrantes, a pu déjà
conduire à redessiner les géographies et territoires imaginaires5.
Maisquiabordelalittératureantillaisecroised’abordsanscesse
laterred’origine,cetteAfriqueditelongtempsnoire.
surlareprésentationdel’Afrique:étatdeslieux
Nombreusesontété,depuislesannées1960,dansledomaine
francophone, après la prise de conscience liée au mouvement
de la négritude, les études réalisées sur les représentations de
l’Afrique. En fait on s’intéresse d’abord plus précisément à
l’image du Noir. L’ouvrage de roger Mercier, L’Afrique noire
dans la littérature française. Les premières images (XVIIe
XVIIIesiècles)6 en inaugure la série, puis ce sera Le Mythe du
nègreetdel’Afriquenoiredanslalittératurefrançaise(de1800
à la 2e guerre mondiale) de Léon fanoudh-Siefer7, qui en
constitue en quelque sorte la suite chronologique. En 1973,
paraissait l’ouvrage désormais bien connu de Léon-françois
Hoffmann,LeNègreromantique,personnagelittéraireetobses
sioncollective8,oùilestmontréqu’àl’époqueromantique,c’est
5.uneétudedesrelationsentreorientalismeetafricanismeseraitàentre-
prendre:voirnotammentletrèsoriginalarticledeJean-LouisCornille,«L’A
noir»,dansAnnyWynchanketPhilippe-JosephSalazar(éd.),Afriquesimagi
naires.RegardsréciproquesetdiscourslittérairesXVIIeXXesiècles,Paris,L’Har-
mattan,1995,p.53-70.
6. roger Mercier, L’Afrique noire dans la littérature française. Les pre
mièresimages(XVIIeXVIIIesiècles),Dakar:Publicationdelasectiondelangues
etlittératuresn°11,universitédeDakar,1962.
7. Léon fanoudh-Siefer, Le Mythe du nègre et de l’Afrique noire dans la
littératurefrançaise(de1800àla2eguerremondiale),Paris,Klincksiek,1968.
8. Léon-françois Hoffmann, Le Nègre romantique, personnage littéraire
etobsessioncollective,Paris,Payot,1973.
INtroDuCtIoN 9
bien plus le nègre antillais, l’esclave, qui constitue l’objet du
discours que l’Afrique elle-même. Ajoutons de Kimoni Iyay,
Une image du Noir et de sa culture: esquisse de l’évolution de
l’idée du Noir dans les lettres françaises du début du siècle à
l’entredeuxguerres9.
Dans la production anglophone, on notera l’ouvrage de
William B. Cohen, The French Encounter with Africans. White
Response to Blacks 1530188010, traduit en français en 1981, et
en allemand, Die Darstellung des Mohren in Mittelalter11, de
Dioneflühler-Kreiss.Parmilesouvragescollectifs,onmention-
nera aussi Images de l’Africain de l’Antiquité au XXesiècle12,
publiéparDanielDroixheetKlausH.Kieferen1987.Aprèsun
numéro spécial de Notre Librairie paru en 1977 consacré à la
question13, deux excellents volumes y reviennent: Images du
Noirdanslalittératureoccidentale,NotreLibrairie,n°90,octo-
bre-décembre 1987, I Du Moyen Âge à la conquête coloniale et
Images du Noir dans la littérature occidentale, Notre Librairie,
n°91, janvier-février 1988, II De la conquête coloniale à nos
jours.
on n’oubliera pas les trois volumes consacrés à l’image du
Noir dans l’art occidental: de Jean Vercoutter, Jean Leclant,
frank Snowden, Jehan Desanges, L’image du Noir dans l’art
occidental, Des pharaons à la chute de l’empire14; de Jean
DevisseetMichelMollat,L’imageduNoirdansl’artoccidental,
9.KimoniIyay,UneimageduNoiretdesaculture:esquissedel’évolu
tiondel’idéeduNoirdansleslettresfrançaisesdudébutdusiècleàl’entre
deuxguerres,Neufchâtel,Messeiller,s.d.
10. William B. Cohen, The French Encounter with Africans. White Res
ponse to Blacks 15301880, Bloomington and London, Indiana university
Press,1980,FrançaisetAfricains:LesNoirsdansleregarddesBlancs1530
1880,Gallimard,Paris,1981.
11. Dione flühler-Kreiss, Die Darstellung des Mohren in Mittelalter,
AbhanddlungdesDoktorwürdederPhilosophischenfakultätIderuniversität
Zürich,Zürich,1980.
12.Imagesdel’Africaindel’AntiquitéauXXesiècle,Actesducolloquede
l’universitélibredeBruxelles,DanielDroixheetKlausH.Kieferéds,Verlag
PeterLang,frankfurt,1987.
13. Notre Librairie, avril-juin 1977, n°35-36, numéro spécial, Images du
Noirdanslalittérature.
14.JeanVercoutter,JeanLeclant,frankSnowden,JehanDesanges,L’image
duNoirdansl’artoccidental,Despharaonsàlachutedel’empire,Oficedu
livre,fribourg,1976.
10 L’AfrIquENoIrEDANSLESIMAGINAIrESANtILLAIS
Des premiers siècles chrétiens aux grandes découvertes15; de
HughHonour,L’imageduNoirdansl’artoccidental,Delarévo
lution américaine à la première guerre mondiale16. S’y ajoute
d’Antoinette Lenormand-romain, Anne roquebert, Jeanine
Durand-revillon et Dominique Serena, La Sculpture ethnogra
phique, De la Vénus hottentote à la Tehura de Gauguin17. Dans
le domaine iconographique, on rappellera aussi Négripub, Les
Noirs dans la publicité depuis un siècle18, 1986. Enin en 1998,
paraissait le remarquable travail de Sylvie Chalaye, Du Noir au
Nègre: l’image du Noir au théâtre de Marguerite de Navarre à
Jean Genet (15501960)19; en 2002, Aperçus du Noir: regards
blancs sur l’Autre, dans Interculturel Francophonies, n°2 juin-
juillet2002,ArGo,AlliancefrançaiseLecce.
Lesouvragesquitraitentplusspéciiquementdesreprésenta-
tionsducontinentafricaindanslalittératurefrançaise,aumoins
l’afichent ainsi, sont moins nombreux: Véronique Campion-
Vincent, Images du Dahomey, Un royaume africain vu par la
Pressefrançaiselorsdesaconquête20,1965;l’ouvragedéjàcité
de fanoudh-Siefer; de Guy turbet-Delof, L’Afrique barba
resquedanslalittératurefrançaiseauxXVIeetXVIIesiècles21,1973;
Jean-Pierre Houssain, L’Afrique noire et les écrivains français
entre les deux guerres, 1981 (2 vol.)22; Negroni françois (de),
Afrique fantasmes23, 1992. Et tout récemment le remarquable
15.JeanDevisseetMichelMollat,L’imageduNoirdansl’artoccidental,
Despremierssiècleschrétiensauxgrandesdécouvertes,BibliothèquedesArts,
Paris,1979.
16.HughHonour,L’imageduNoirdansl’artoccidental,Delarévolution
américaineàlapremièreguerremondiale,Gallimard,Paris,1989,2vol.
17. Antoinette Le Normand-romain, Anne roquebert, Jeanine Durand-
revillon et Dominique Serena, La sculpture ethnographique, De la Vénus
hottentoteàlaTehuradeGauguin,réuniondesMuséesnationaux,Paris,1994.
18.Bibliothèqueforney,Négripub,LesNoirsdanslapublicitédepuisun
siècle,Catalogued’exposition,Bibliothèqueforney,1986
19. Sylvie Chalaye, Du Noir au Nègre: l’image du Noir du théâtre de
MargueritedeNavarreàJeanGenet(15501960),Paris,L’Harmattan,1998.
20.Véronique Campion-Vincent, Images du Dahomey, Un royaume afri
cainvuparlaPressefrançaiselorsdesaconquête,EPHE,Paris,1965.
21.Guyturbet-Delof,L’Afriquebarbaresquedanslalittératurefrançaise
auxXVIeetXVIIesiècles,Droz,1973.
22. Jean-Pierre Houssain, L’Afrique noire et les écrivains français entre
les deux guerres, thèse de doctorat es lettres, Paris, université de Paris IV
Sorbonne,1981(2vol.).
23.françoisdeNegroni,Afriquefantasmes,Plon,Paris,1992.
INtroDuCtIoN 11
ouvrage de Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial.
L’AfriqueàlainduXIXesiècle24,2006.
Cette rélexion sur les représentations de l’Afrique s’est
étendue aux littératures antillaises. En 1984, les deux volumes
consacrés à ces littératures dans Notre Librairie (Caraïbes I,
n°73, janvier-mars 1984; Caraïbes II, n°74, avril-juin 1984)
évoquent, pour l’essentiel du volume, le rapport des écrivains
antillais avec l’Afrique. Depuis des analyses du même type
auront paru sur des œuvres spéciiques, surtout consacrées à
AiméCésaire.
Enin l’orientation des études postcoloniales qui envisagent
conjointement les littératures coloniales et leurs réponses post-
coloniales ont produit quelques volumes sur les regards croisés
de ces littératures: Anny Wynchank et Philippe-Joseph Salazar
(éd.), Afriques imaginaires. Regards réciproques et discours
littéraires XVIIeXXesiècles25, 1995, et tout récemment, richard
Laurent ombga (sous la direction de), L’Image de l’Afrique
dans les littératures coloniales et postcoloniales26, 2007. Le
premier volume traite aussi bien de l’Afrique du Nord que de
l’Afriquenoire,avec,dansunepremièrepartie,lesregardsocci-
dentauxsurl’Afrique,etdanslasecondedesarticlessurlalitté-
rature«négro-africaine».LevolumedirigéparM.ombgaoffre
une répartition assez voisine puisque partagé en images de
l’Afrique précoloniale, coloniale et postcoloniale. Cependant la
littérature antillaise n’occupe que peu de place dans ces deux
ouvrages collectifs. un seul article dans le premier volume,
article de régisAntoine27, traite des écrivains antillais envoyés
comme administrateurs enAfrique, ceux que la france forma à
Paris et qui écrivent, «au croisement du rapport établi avec
24.Jean-MarieSeillan,Auxsourcesduromancolonial.L’Afriqueàlain
duXIXesiècle,Paris,Karthala,2006.
25. Anny Wynchank, et Philippe-Joseph Salazar (éd.), Afriques imagi
naires. Regards réciproques et discours littéraires XVIIeXXesiècles, Paris,
L’Harmattan,1995.
26. richard Laurent ombga (sous la direction de), L’Image de l’Afrique
dans les littératures coloniales et postcoloniales,Actes du colloque interna-
tionaldeYaoundé,Paris,l’Harmattan,2007.
27. régis Antoine, «La littérature antillaise française, voie de connais-
sanceversl’Afrique»dansAnnyWynchanketPhilippe-JosephSalazar(éd.),
Afriquesimaginaires.RegardsréciproquesetdiscourslittérairesXVIIeXXesiècles,
op.cit.,p.103-111.
12 L’AfrIquENoIrEDANSLESIMAGINAIrESANtILLAIS
l’institution coloniale qui les avait délégués, du sentiment de
retour au continent des ancêtres, et d’une relative prise de cons-
ciencedel’unitédespeuplesnoirs»(104).Sontdoncconvoqués
successivementrenéMaran,GuytirolienetAlbertBéville.Puis
régisAntoineévoquerapidementCésaireetlespremiersromans
de Maryse Condé, justement marqués par son expérience afri-
caine: Heramakhonon, Une Saison à Rihata et Ségou. Dans le
deuxième volume, deux articles sont consacrés à la littérature
antillaise,lepremiersurHeramakhonon,lesecondsurUneSai
son au Congo de Césaire. En résumé, entre ces deux volumes,
les numéros de Notre Librairie et quelques articles ou thèses
isolés, il existe donc un certain nombre d’études traitant de la
représentationdel’Afriquedanslalittératureantillaise,maissur
un corpus qui n’outrepasse guère les années 80.Ainsi c’est sur
desœuvrespostérieuresàcettedatequelesétudesdecevolume
porterontmajoritairement.
Déisetenjeuxdelareprésentation
toutereprésentationestunmoded’appréhensionduréel,de
reconstruction de l’objet physique ou symbolique, de l’Altérité
ou du Même, mais aussi une forme de projection de soi et d’af-
irmation d’un certain pouvoir, à travers l’exposition (dans le
sens muséologique) de l’Autre28. Dès lors s’imposent quelques
remarques liminaires et le rappel d’un certain nombre de ques-
tions d’ordre théorique, idéologique voire éthique qui méritent
notreattention.
De prime abord, pourquoi revenir encore sur la notion de
représentation,surtoutcelledel’Afrique,quicomportelerisque
de tomber dans ce qu’un critique africain appelle «le ghetto
28.NousfaisonsréférenceàcequeHenriettaLidchiappelle«thepoetics
andthePoliticsofExhibitingotherCultures»,dansStuartHall(ed.),Repre
sentation. Cultural Representations and Signifying Practices, London, Sage
Publications/theopenuniversity,1997,p.151.Ils’agitdeconstruireunsens,
unsavoirdel’Autreàdesinsidéologiques,dontla(com)préhensiondel’alté-
rité,c’est-à-direl’acquisitiond’unecertaineemprise,d’unascendant(réelou
supposé)surl’objetreprésenté.
INtroDuCtIoN 13
“imagologique”danslequelsetrouventconinésl’Afriqueetles
Africains»29?
Dans un contexte de mondialisation qui est à la fois une
réalité et un projet encore mal déinis ainsi qu’une source de
bien des appréhensions, à l’ère d’un rêve d’une «communauté
internationale» ou d’un «tout-monde» cher à É. Glissant qui
reste à construire et à consolider, la notion de représentation de
l’Autreprendtoutesonampleuretsapertinence,carlaconstruc-
tion du regard sur l’altérité inlue sur celle de la Relation, dans
sadimensionpragmatique30.Deplus,cetexerciceestunprétexte
permettant de réexaminer un espace de relations miné par des
sièclesdesilences,d’amertumesetdenon-dits;de(re)construire
despontsdiscursifs,derep(e)anserdesblessuresséculairesetde
déconstruire les malentendus et la méconnaissance réciproques
chroniques, entre l’Afrique et ses «diasporas» antillo-guya-
naises.
Parmi les déis auxquels on se heurte dans cet examen des
représentations d’un univers culturel par un autre, on peut en
mentionner deux, qui s’inspirent de H. Lidchi31 et de sa double
conception de la représentation, en tant qu’acte poétique d’une
part, de posture politique d’autre part. Dans la dimension poé-
tique de la représentation, le premier risque à éviter, c’est de
s’emprisonner dans ce qu’on appellerait avec J. riesz: «une
antinomie obsessive»32, c’est-à-dire d’ancrer son analyse dans
un braquage dialectique constant d’images et de contre-images
entre l’objet représenté (l’Afrique, l’Africain) et la voix ou le
sujet qui opèrent l’acte de représentation (le personnage, le
29. Voir richard L. omgba, L’image de l’Afrique dans les littératures
colonialesetpostcoloniales,L’Harmattan,2008,p.14.
30. Nous pensons ici au sociologue britannique bien connu, Stuart Hall,
lorsqu’ildit:«lesreprésentationsorganisentetrégulentlespratiquessociales,
inluencentnotreconduiteet,parconséquent,ontdeseffetspratiques,réels–
notre traduction» («representations organize and regulate social practices,
inluenceourconductandconsequentlyhavereal,practicaleffects»),S.Hall,
op.cit.,p.3.ProposquinemanquepasderappelerletitredeJ.L.Austin,un
classique de la théorie des actes du discours ou du pouvoir performatif des
mots:Quanddirec’estfaire,Seuil,1991,traductiondeHowtodothingswith
words,oxford,Clarendon,1962.
31.Voirnote30.
32.SusannaGehrmannetJánosreisz(éd.),LeBlancduNoir.Représen
tations de l’Europe et de l’Européen dans les littératures africaines, LIt
VerlagBerlin-Münster-Wien-Zürich-London,2004,avantpropos,p.7.