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La prospective juridique u
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Si le futur a de tout temps inquiété les hommes, le futur du
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droit, traditionnellement, préoccupe peu les juristes. Ceux-ci se ri
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concentrent sur son passé (l’histoire du droit) et son actualité (le B
« droit positif »). Aujourd’hui, cependant, interroger l’avenir du
droit devient de plus en plus nécessaire à mesure que celui-ci ne
parvient plus à s’adapter à son environnement – formellement autant
que matériellement –, à mesure que le fossé se creuse par rapport
aux nouvelles sociétés, économies, cultures, technologies, etc. La La prospective
situation pourrait d’ailleurs sembler exaltante aux yeux des juristes
tant il reste beaucoup de concepts, catégories, méthodes, modèles,
principes, techniques légistiques et régimes juridiques à inventer.
juridique
La faculté d’anticipation est une condition de survie. En droit
comme ailleurs, et plus que jamais, il convient de ne pas entrer dans e
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l’avenir à reculons. Plutôt que d’adopter l’attitude du pompier qui
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réagit à l’événement et tente d’en limiter les conséquences négatives,
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mieux vaut peut-être épouser la conduite du stratège qui cherche à d
provoquer les meilleurs changements. i
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C’est pourquoi ce livre interroge la possibilité et l’opportunité u
d’importer les fins et les moyens de la prospective au sein de la j
recherche juridique. e
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La prospective juridique est une anticipation scientifique et
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critique visant à éclairer l’action présente à la lumière des futurs du t
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droit possibles et du futur du droit souhaitable. Par nature, les juristes
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s’intéressent aux lois en vigueur, aux jurisprudences classiques et
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aux doctrines bien établies, non au droit prospectif. Mais certains, s
notamment dans les universités, pourraient étudier le droit à venir o
et, ce faisant, jouer un rôle d’éclaireurs et de guides, favorisant r
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la capacité d’anticipation et la proactivité de tous les acteurs du
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droit. La prospective juridique s’affirmerait alors telle une nouvelle
L
branche de la recherche juridique.
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Boris Barraud est docteur en droit et enseignant-chercheur à l’université U E
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Grenoble-Alpes où il est membre du Centre de recherches juridiques (CRJ). G I
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RLI D I Q U
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J
ISBN : 978-2-343-19034-1
32 €
La prospective juridique
Logiques Juridiques
Fondée par Gérard Marcou
Dirigée par Jean-Claude Némery et Thomas Perroud
Le droit n’est pas seulement un savoir, il est d’abord un ensemble de
rapports et pratiques que l’on rencontre dans presque toutes les formes de
sociétés. C’est pourquoi il a toujours donné lieu à la fois à une littérature de
juristes professionnels, produisant le savoir juridique, et à une littérature sur
le droit, produite par des philosophes, des sociologues ou des économistes
notamment.
Parce que le domaine du droit s’étend sans cesse et rend de plus en plus
souvent nécessaire le recours au savoir juridique spécialisé, même dans des
matières où il n’avait jadis qu’une importance secondaire, les ouvrages
juridiques à caractère professionnel ou pédagogique dominent l’édition, et ils
tendent à réduire la recherche en droit à sa seule dimension positive. À
l’inverse de cette tendance, la collection « Logiques juridiques » des éditions
L’Harmattan est ouverte à toutes les approches du droit. Tout en publiant
aussi des ouvrages à vocation professionnelle ou pédagogique, elle se fixe
avant tout pour but de contribuer à la publication et à la diffusion des
recherches en droit, ainsi qu’au dialogue scientifique sur le droit. Comme
son nom l’indique, elle se veut plurielle.
Dernières parutions
Virginie LANCERON, La fonction de coordination en droit public, 2019.
Mohamed Jamal BENNOUNA, Responsabilité civile extracontractuelle et
assurance des constructeurs, Droit comparé, 2019.
Yaya DIALLO, Les sûretés et garanties réelles dans les procédures
collectives, 2019.
Sangoné THIAM, Droits de la défense et enquête policière, 2019.
Georges-Philippe ZAKHOUR, Les investissements étrangers, Droit
application et tribunal compétent, 2019.
Rachid EL BAZZIM, Conseil de la concurrence au Maroc, 2019.
Bienvenu OKIEMY, L’OMC, une ingénierie juridique et commerciale à
reconfigurer, 2019.
Didier JAMOT, Annuaire des engagements internationaux ayant fait l’objet
d’une loi d’autorisation sous la Ve République, 2019.
Sotirios LYTRAS, Le phénomène disciplinaire dans le droit public
héllenique contemporain, 2019.
Massimo VOGLIOTTI, Pour une nouvelle éducation juridique, 2018.
Claire AGUILON, Justice constitutionnelle et subsidiarité. L’apport de
l’expérience canadienne pour la construction européenne, 2018.
Boris Barraud
La prospective juridique
***
© L’Harmattan, 2019
5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75005 Paris
www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-19034-1
EAN : 9782343190341
Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va.
Sénèque
Introduction
La prospective est une anticipation scientifique et critique visant à éclairer
l’action présente à la lumière des futurs possibles et du futur souhaitable. En
connaissant mieux le futur, on peut agir plus efficacement aujourd’hui.
Est-il possible d’adopter une telle approche en droit ou, du moins, à l’égard
du droit ? Il s’agira en ces pages de réfléchir à la possibilité et à l’opportunité
d’importer les fins et les moyens de la prospective au sein de la recherche
juridique.
Comme l’a écrit Paul Valéry, « nous entrons dans l’avenir à reculons »1.
Or, dans un monde qui change chaque jour un peu plus vite et plus
profondément, une telle attitude, repli sur le passé plutôt qu’ouverture au futur,
n’est peut-être pas la mieux appropriée. En droit, quelques leçons
intéressantes pour les juristes et les légistes pourraient être tirées de la
prospective, cela afin de mieux comprendre, analyser, expliquer, produire et
appliquer le droit — cet objet de plus en plus complexe et incertain, mais aussi
de plus en plus archaïque parce qu’il ne change pas aussi rapidement que son
environnement, parce qu’il ne s’adapte pas autant que nécessaire aux
nouvelles sociétés, économies, cultures, technologies etc.
I. La prospective
Chaque homme, lorsqu’il agit, le fait à l’aune d’une certaine conception de
l’avenir, qu’il soit proche ou plus lointain. Choix des études, choix d’un
emploi, choix d’un lieu de résidence etc., on saisit des occasions, mais celles-
ci ne se présentent que parce qu’on imagine un futur donné et qu’on ignore les
autres futurs possibles. Il ne s’agit cependant pas là de prospective. Celle-ci
consiste en une approche moins spontanée et instinctive, plus objective,
méthodique et raisonnée, plus scientifique.
Si chacun se fait une idée de l’avenir et de son avenir, la prospective vise
à identifier les avenirs les plus plausibles à grand renfort de documentation,
1 Cité par G. Berger, « L’attitude prospective » (1959), in De la prospective – Textes
fondamentaux de la prospective française (1955-1966), L’Harmattan, coll. Prospective, 2007,
p. 88.
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d’identification des facteurs clés, d’auditions d’acteurs clés et d’experts et
d’élaboration de scénarios. Elle recherche, en outre, les moyens de faire
advenir, parmi ces avenirs possibles, l’avenir le plus souhaitable — qui a été
choisi cette fois de manière plus subjective. Démarche consistant, par une
approche rationnelle et holistique, à préparer demain (et après-demain) dès
aujourd’hui, sa définition générale (A) est le fruit d’une histoire récente (B).
Et les écoles française et américaine de la prospective doivent être précisément
distinguées (C) — cet ouvrage se plaçant essentiellement dans les pas de
l’école française.
A. Définition de la prospective
Depuis toujours, les hommes souhaitent maîtriser les changements, agir
plutôt que subir, ce qui, dans un monde incertain, suppose, si ce n’est une
certaine confiance en l’avenir, du moins une volonté de faire l’avenir. La
prospective entend ainsi servir l’action présente en l’éclairant par le futur
— non le futur qui sera dans l’absolu, par définition inconnaissable, mais le
futur qui pourrait être et le futur qui devrait être.
L’étude scientifique des avenirs possibles
et la réflexion critique quant à l’avenir souhaitable
La prospective se définit comme l’étude scientifique des avenirs possibles
et la réflexion critique quant à l’avenir souhaitable. Apparaissent ainsi les deux
branches cardinales de la prospective : la prospective exploratoire,
scientifique et objective, et la prospective stratégique, critique et normative.
Sa version exploratoire en fait une science humaine et sociale répondant à
des fins propres et s’appuyant sur des moyens spécifiques, tandis que ses
aspects stratégiques l’apparentent à un courant philosophique original. Mais
ces deux branches sont bien les deux jambes d’un seul et même corps ; l’une
ne saurait se passer de l’autre car l’une n’a que peu d’intérêt sans l’autre. C’est
pourquoi il faut comprendre la prospective comme un tout. Il serait notamment
vain de réfléchir à l’avenir souhaitable sans avoir au préalable étudié les
avenirs possibles. Si l’objectif est de rendre le souhaitable plus probable, il est
indispensable de savoir ce qui est possible et ce qui est impossible.
À l’inverse, une recherche se bornant à identifier les futurs potentiels, sans
prendre position quant à un futur désirable, est envisageable. Une recherche
prospective purement scientifique n’est donc pas une incongruité, au
contraire. Mais elle semblera souvent incomplète dès lors que la prospective
est au service de l’action efficace et de la prise de décision éclairée. La
construction de scénarios correspond au volet exploratoire, préactif et
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préventif de la prospective. Celui-ci est indispensable à son volet stratégique,
proactif et volontariste, qui intervient logiquement en second.
Quatre attitudes sont ainsi possibles face à l’avenir, dont seules les deux
dernières peuvent impliquer des recherches prospectives :
Attitudes face à l’avenir Types de scénarios privilégiés Stratégies privilégiées
Passive Pas de scénarios Fil de l’eau
Réactive Pas de scénarios Adaptative
Pré-active Exploratoires Préventive
Pro-active Stratégiques Volontariste
Prospective, projection, prévision, planification,
prédiction, futurologie, science-fiction…
Le mot « prospective » provient des termes latins « pro », pour « en
avant », et « specto » ou « spectare » signifiant « regarder ».
Étymologiquement, la prospective consiste donc à regarder en avant et son
antonyme est la rétrospective, lorsqu’on regarde en arrière. La prospective
désigne donc une branche de la recherche dont l’objectif est d’éclairer l’action
présente à la lumière des futurs. Pour cela, elle s’appuie sur des outils
relativement sophistiqués permettant de préfigurer le plus pertinemment
possible ces futurs.
La prospective doit être distinguée des autres modes d’appréhension du
futur. La confusion entre prospective, projection, prévision, planification,
prédiction et futurologie est à l’origine de beaucoup d’incompréhensions.
Une projection est le prolongement mathématique dans le futur d’une
évolution passée en appliquant certaines hypothèses d’extrapolation ou
d’inflexion de tendances. Elle ne constitue une prévision que si elle est assortie
d’une probabilité puisqu’une prévision consiste en l’appréciation avec un
degré déterminé de confiance, donc une probabilité, de l’évolution d’une
grandeur à un horizon donné et en fonction de conjectures données2.
Généralement, la prévision prend la forme d’une estimation chiffrée à partir
des données du passé et de certaines hypothèses. Avec elle, l’avenir est conçu
telle la continuité du passé, alors que la prospective accorde tout autant
d’importance aux ruptures, aux revirements et aux inflexions. Cela constitue
une différence essentielle.
2 Par exemple, R. Saint-Paul, P.-F. Ténière-Buchot, Innovation et évaluation technologiques –
Sélection des projets, méthodes de prévision, Entreprise moderne d’édition, 1974 ; É. Jantsch,
La prévision technologique, OCDE, 1968.
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La planification, pour sa part, est la fixation d’objectifs à atteindre à long
ou très long terme, ainsi que des moyens censés permettre de remplir ces
objectifs3. Dans ce cas, et à la différence de la prospective stratégique, la
fixation d’un futur désiré est la base de tout le processus. On ne choisit pas un
futur souhaitable parmi des futurs possibles qui auraient été déterminés au
préalable car on considère que tout est possible à condition de le vouloir.
Enfin, la prédiction ou divination est l’action d’annoncer à l’avance, tel
l’oracle de Delphes, un événement grâce à une inspiration surnaturelle, par
voyance ou prémonition. Et la futurologie (concept anglo-saxon) désigne un
ensemble de recherches « scientifiques » sur l’avenir qui se rapprochent de la
prédiction en ce qu’elles visent à envisager avec certitude ce qui, par nature,
est absolument incertain4. La futurologie est, par ailleurs, largement impactée
par des biais idéologiques et par une grande place laissée à l’imaginaire qui la
rendent approximative. La prospective s’appuie, pour sa part, sur des canons,
formes et procédés scientifiques devant la rendre plus fiable.
L’intérêt de la science-fiction aux yeux des prospectivistes
La science-fiction est peut-être le domaine privilégié de la futurologie. Or
celle-ci est toujours accompagnée d’images — pessimistes le plus souvent —
d’un projet social radical. Il n’est en tout cas pas permis de considérer que les
auteurs de romans d’anticipation seraient des prospectivistes. En revanche, les
écrits, par exemple, de Jules Verne et Albert Robida en France, H. G. Wells
(La Guerre des mondes) et de George Orwell (1984) au Royaume-Uni, Isaac
Asimov (Fondation), Ray Bradbury (Chroniques martiennes) ou Robert
Heinlein (L’Histoire du futur) aux États-Unis peuvent être regardés, avec recul
mais aussi intérêt, par les prospectivistes, d’autant que beaucoup de ces
auteurs, à l’image de Jules Verne, H. G. Wells et Isaac Asimov, étaient des
scientifiques de formation.
Les auteurs de science-fiction accordent à la dynamique des sciences et des
techniques un rôle déterminant dans l’évolution des sociétés, tandis qu’en
prospective, on insiste sur le pouvoir d’anticipation et d’autodétermination des
hommes. Le facteur technologique, surtout à l’époque actuelle et a fortiori au
cours des prochaines décennies, ne peut cependant qu’être mis au cœur du jeu
du futur. À l’inverse de la science-fiction, la prospective n’a, en revanche,
guère de vocation littéraire.
3 Par exemple, E. Jantsch, H. Ozbekahn, Vers une théorie générale de la planification –
Prospective et politique, OCDE, 1969 ; P. Schwartz, The Art of the Long View – Planning for
the Future in an Uncertain World, Doubleday, 1991 ; R. Ayres, Prévision technologique et
planification à long terme, Hommes et Techniques, 1972.
4 Par exemple, E. Cornish, Futuring – The Exploration of the Future, World Future Society,
2004.
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