La Litanie des Anges

77 Pages·2010·1.08 MB·French

by  Guillaume

L'AUTEUR

Née un ma(cid:9)n d’avril au XX siècle, dans les Yvelines, Céline
ème
GUILLAUME vit dans un pe(cid:9)t village de la Nièvre, aux portes du

Morvan.
Après 13 années de danse classique intensive au Conservatoire
Na(cid:9)onal de Région de Rouen et Versailles, elle se consacre
pleinement à l’écriture à cause de problèmes de santé qui me(cid:43)ent
fin à sa carrière de ballerine.
Sa danse s’effectue désormais avec les mots et sur les terres de
l’imaginaire où le monde médiéval (elle peut exploiter son DUTAE
en archéologie du Moyen-Age), magie, surnaturel, ésotérisme,
paranormal sont étroitement mêlés. Plusieurs prix (visibles sur son
site) ont récompensé ses romans et divers poèmes.

LA LITANIE DES ANGES :
CÉLINE GUILLAUME
Collec(cid:6)on dirigée par Peggy van Peteghem

Cet ouvrage a été publié par les Édi(cid:6)ons Nuit d’Avril 2008.
Couverture réalisée par
Mathieu Coudray
P :
RIX ET NOMINATIONS

- Finaliste du Prix Merlin 2009
- 1er Prix du Roman Fantas(cid:32)que de Biscarrosse 2008
- 1er Prix du Roman au Concours Interna(cid:32)onal ARTS et LETTRES
de France 2009 à Bordeaux.
PRÉFACE

Selon l’Évangile de Jean, à l’aube du troisième jour, lorsque Marie de Magdala se
rendit au tombeau de Jésus, elle trouva celui-ci vide. Toute éperdue, elle vit un homme
qu’elle prit d’abord pour le jardinier, puis ayant reconnu Jésus et se précipitant vers lui,
elle entendit ces paroles : « Ne me touche pas (le célèbre noli me tangere), car je ne
suis pas encore parvenu au royaume de mon père. » On conviendra que ces paroles
sont plutôt énigma(cid:43)ques, et les exégètes sont loin d’y avoir trouvé une explica(cid:43)on
sa(cid:43)sfaisante, soit à cause de leur embarras, soit parce qu’ils n’osaient pas exprimer
une significa(cid:43)on qui aurait pu paraître aberrante sinon héré(cid:43)que.

Le roman de Céline Guillaume, la Litanie des Anges, n’est pas bâ(cid:43) sur cet étrange
épisode évangélique, mais il en est tout imprégné. Il part d’un postulat qu’il faut
accepter pour comprendre l’ensemble du récit : après la mort, l’âme d’un défunt erre
pendant un temps plus ou moins long dans des espaces intermédiaires, pouvant parfois
se manifester et même s’incarner provisoirement, et cela dans le but de subir une
deuxième mort qui lui perme(cid:55)ra d’a(cid:55)eindre enfin ce qu’on appelle communément la vie
éternelle. On retrouve là la tradi(cid:43)on des fantômes et des revenants, ainsi que celle des
vampires. Et c’est alors que peut intervenir un être humain, vivant, afin d’aider l’âme
errante à franchir les obstacles qui la séparent encore du « Royaume de Lumière ».
Telle est la mission de certains individus : ils sont des passeurs d’âme.
Suivant ce postulat, nous sommes tous entourés d’en(cid:43)tés invisibles qui se
manifestent parfois sous des formes plus ou moins charnelles. Ces en(cid:43)tés ont besoin
de nous et nous adressent des signes désespérés. Or, à cause de notre soi-disant
réalisme, qui est plutôt du ra(cid:43)onalisme primaire, nous ne comprenons pas ces signes,
et seuls certains êtres à la sensibilité exacerbée sont suscep(cid:43)bles non seulement de
les capter, mais de les interpréter. C’est le cas du héros de ce récit, un archéologue du
nom d’Erwan. Mais il ne le savait pas et c’est en subissant des aventures
incompréhensibles, autrement dit des épreuves ini(cid:43)a(cid:43)ques mystérieuses, sub(cid:43)les et
éprouvantes, qui relèvent de l’irra(cid:43)onnel le plus pur, qu’il découvre peu après la
mission dont il est inves(cid:43) par ce(cid:55)e énergie divine qui préside à tous les frémissements
de l’Univers.

Voilà un beau sujet pour ceux qui ont compris que nous ne savons rien de la réalité
mais que nous ne voyons, comme l’a dit si bien Platon dans sa célèbre Allégorie de la
Caverne, que le pâle reflet de celle-ci sur un mur qui ne nous présente que des ombres
indécises. Nous ne percevons que les phénomènes provoqués par ce(cid:55)e mystérieuse
réalité qui nous échappe.
Et pourtant, certains individus parviennent à une certaine connaissance de ce qui se
passe ailleurs. C’est le cas des « voyants », des « médiums », mais aussi de ces
passeurs d’âme auxquels apparaissent des en(cid:43)tés qui, sous divers aspects, leur
communiquent des messages qu’ils ne comprennent généralement qu’au terme de leur
ini(cid:43)a(cid:43)on. Brodant sur ce thème, Céline Guillaume nous entraîne ainsi dans un univers
où le fantas(cid:43)que se dissimule derrière les moindres détails d’un quo(cid:43)dien vécu. Mais
ce fantas(cid:43)que n’est pas issu de sa seule imagina(cid:43)on, même si on pouvait la qualifier
de délire : il est puisé aux meilleures sources de la tradi(cid:43)on universelle, celle de
Pythagore et Platon, que les néo-platoniciens ont exaltée, devenue ensuite celle des
Gnos(cid:43)ques en général et des Cathares en par(cid:43)culier. D’ailleurs, la référence aux
Cathares est très ne(cid:55)e dans ce récit, puisque l’en(cid:43)té qui se manifeste constamment au
narrateur avoue elle-même avoir été brûlée autrefois sur les bûchers de l’Inquisi(cid:43)on. Et
ce n’est certes pas par hasard que Céline Guillaume nomme ce(cid:55)e en(cid:43)té Perline.

En effet, ce nom inventé con(cid:43)ent le mot « perle ». Or, qu’est-ce qu’une perle, sinon
un corpuscule, végétal, animal et peut-être humain, que les sécré(cid:43)ons mystérieuses
enveloppent d’une gangue de nacre ? Le symbole est on ne peut plus clair : selon la
métaphysique des Cathares, si le monde spirituel (celui des Anges) a été créé par Dieu,
le monde matériel, par dérision, a été créé par Satan, le négateur, l’Archange révolté,
qui a ainsi enfermé dans la ma(cid:43)ère les en(cid:43)tés arrachées au Royaume de Lumière. Et,
toujours d’après les thèses du Catharisme, ce Royaume de Lumière ne peut être
res(cid:43)tué dans sa plénitude que lorsque la dernière âme aura été sauvée, c’est-à-dire
libérée de sa prison matérielle — et donc satanique.

Telle est la trame développée ici. Récit hallucinant, récit halluciné, certainement,
mais surtout récit inspiré que chacun peut interpréter en son âme et conscience. Mais
qu’on se souvienne, comme le chante si magnifiquement Gérard de Nerval, que si « la
treizième revient, c’est encor la première ».

2007, en cette fête druidique de Samain (Halloween) où
le Temps n’existe plus puisqu’il correspond à l’Éternité.

Jean MARKALE
PRÉLUDE

Je me trouvais depuis quelque temps dans ce(cid:19)e grande ville où j’étais étudiant en
histoire et, comme le jour de mon départ pour les vacances d’été approchait, je me
décidai à revoir, un ma(cid:28)n, les villages voisins, qui savaient si bien faire la transi(cid:28)on
entre le monde rural et la folie urbaine.
Je rangeai le nécessaire pour un pique-nique convenable dans le coffre de ma
voiture et qui(cid:19)ai le parking du campus. Des amis me rejoindraient à l’heure du
déjeuner.
En dépit des pe(cid:28)ts troupeaux de vaches lai(cid:28)ères, tachetées de blanc et de noir, il y
avait un endroit où j’aimais me rendre ; un havre de solitude, propice à une
confronta(cid:28)on avec mes souvenirs.
Se glissant entre les plateaux et les hautes vallées, la région ariégeoise (cid:28)rait sa
beauté de ses étroits défilés et de ses forêts. Tout y était frais et verdoyant, avec tantôt
ses torrents poissonneux, tantôt ses bocages et ses bois de hêtres, de chênes et de
sapins dans les hauts cantons.
Sur un joli vallon, posées comme le dé argenté sur le doigt de la couturière, elles
étaient là, toutes mes émo(cid:28)ons, collées à des ruines, des pierres, par grappes, comme
ces lilas sauvages, violets et mauves, poussés sur une poignée de poussières et de
rocailles par miracle.
Elles grouillaient. Oui, mes joies et mes peines d’adolescent grouillaient dans
chaque coin, à chaque angle de muraille, contre l’arrondi rugueux à demi-démoli des
tours moussues d’un vieux château-fort, sur les chemins de ronde crénelés et, plus loin,
par-dessus l’abîme de la profonde vallée verdoyante, sur les paysages familiers où mon
œil se posait et où je m’imaginais seigneur de jadis, la bannière de mon étendard
flo(cid:19)ant au vent.
Quelque temps qu’il fasse, lorsque mon travail scolaire me le perme(cid:19)ait, je
gravissais en soufflant, le corps balancé, l’escalier taillé dans le roc qui menait au
sommet du donjon.
À l’issue de ce boyau étroit et quasiment noyé dans la pénombre, le jour éclatait
avec brutalité comme une grande plaie vive, jetant à mon visage, trop souvent enfermé
dans les salles de cours, une bouffée d’air pur et de lumière hypno(cid:28)que ; de suite, je
me sentais happé par le ver(cid:28)ge des grandes puissances qui s’étalaient autour de moi.
Mes yeux clignotaient, mes tempes bourdonnaient et quiconque aurait pu me héler, je
n’aurais pas entendu…

J’avais passé une par(cid:28)e de la journée avec trois camarades, durant laquelle nous
avions profité de la douce et oisive insouciance. Nous avions mangé, bu quelques
bières pour faire « viril », parmi les moellons de pierre de la vieille citadelle.
bières pour faire « viril », parmi les moellons de pierre de la vieille citadelle.
Certains parlaient des filles et de leurs prouesses amoureuses, moi, je n’avais que
faire de ces suppôts de Satan… Ma sensibilité m’avait dégoûté de la société, du monde
et la réflexion était mon univers favori.
Si je qui(cid:19)ais quelquefois mon logement solitaire, c’était seulement pour m’enfermer,
durant des journées en(cid:28)ères, dans les grands dépôts de livres de l’université, ces
catacombes d’auteurs disparus, ces souterrains de la pensée, où je fouillais avec
ardeur, en quête de nourriture spirituelle pour sa(cid:28)sfaire mon esprit maladif et
tourmenté.
D’ailleurs, cet état me valait le surnom de… vampire li(cid:19)éraire.

« Eh ! Le vampire li(cid:19)éraire, tu rêvasses encore ? s’écria Florian, l’un de mes
camarades, en me (cid:28)rant de ma médita(cid:28)on. Erwan ! Je te parle, tu pourrais au moins
m’écouter !
— Excuse-moi… Qu’est-ce que tu disais ? répondis-je, le regard dans le vague.
— Tu rentres avec nous ? Nous avons nos bagages à préparer pour demain. De plus,
Vincent doit acheter un paquet de cigare(cid:19)es.
— Non, je reste encore un peu… Et puis ma valise est prête.
— Comme tu voudras ! Alors, à plus tard !
— Oui, à plus tard. »
De nouveau, je me perdais dans des songes infinis où mon imagina(cid:28)on me créait
des idoles qu’elle ornait de perfec(cid:28)ons, surpassant de beaucoup toute réalité.
Le soir venu, après avoir somnolé dans ma voiture et lu quelques pages d’un an(cid:28)que
livre de contes médiévaux, j’entrepris une promenade nocturne.
Je parvins au cœur de mes ruines ancestrales, le front ruisselant de sueur. Je balayai
les alentours du faisceau de ma lampe-torche, une peur naissante nichée au creux du
ventre.
Au loin, j’entendais les aboiements de plusieurs chiens que la pénombre rendaient
lugubres. Une pe(cid:28)te brise soufflait emportant avec elle des effluves d’humus et de
terre humide. La température avait ne(cid:19)ement chuté tout à coup.
Je me sen(cid:28)s défaillir et me détournai en frémissant lorsque j’aperçus, sous le clair
de lune embrumé, les contours d’une personne, accroupie, pour ainsi dire adossée
contre une tourelle envahie par l’enchevêtrement des ronces. Un souffle glacial me gela
tout en(cid:28)er et une suite de vifs éclairs, provenant d’un orage lointain, rendit bientôt la
forme plus dis(cid:28)ncte à mes yeux.
C’était une jeune fille, probablement de mon âge, habillée tout de noir, à la
silhoue(cid:19)e frêle et délicate. Elle était assise sur une grosse pierre, le corps penché en
avant et la figure cachée dans un long jupon. Ses longs cheveux pendaient jusqu’à
terre, caressant, comme de longs doigts fins, le tapis de feuilles moelleux.
Face à cet être esseulé, je m’arrêtai court, apeuré et fasciné tout à la fois.
« Ce(cid:19)e fille doit être malheureuse » me dis-je avec une grande naïveté.
Poussé par une puissance irrésis(cid:28)ble et surnaturelle, je m’avançai dans un (cid:28)mide
embarras et adressai à celle qui m’inspirait à la fois tant de pi(cid:28)é et d’intérêt quelques
paroles saccadées.
Elle leva la tête et me fixa d’un air égaré.
Dans la lueur brillante de ma torche, le visage de mon inconnue, quoique couvert en
cet instant d’une pâleur immortelle et portant l’empreinte profonde du désespoir, était
d’une beauté indescrip(cid:28)ble.
Les émo(cid:28)ons les plus violentes et les plus diverses agitèrent mon cœur.