Table Of ContentJean-Marie Guyau
(1887)
L’art au point de vue
sociologique
Deuxième partie :
Les Applications;
Évolution sociologique de l’art contemporain.
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en collaboration avec la Bibliothèque
Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi
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Jean-Marie Guyau, L’art au point de vue sociologique : deuxième partie (1887) 1
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dans la bibliothèque virtuelle Les Classiques des sciences sociales
à partir de:
Guyau, Jean-Marie (1854-1888)
L’art au point de vue sociologique (1887)
Éd. De Saint-Cloud : impr. Belin frères; Paris, libr. Félix Alcan, 1923. Bibliothèque de philosophie
contemporaine, 13e édition. L-388 p.
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Jean-Marie Guyau, L’art au point de vue sociologique : deuxième partie (1887) 2
Table des matières
Premier fichier de deux
Introduction
Préface de l’auteur
Première partie : Les Principes; Essence sociologique de l’art.
Chapitre I La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe.
I. La transmission des émotions et leur caractère de sociabilité.
II. L’émotion esthétique et son caractère social.
III. L’émotion artistique et son caractère social.
Chapitre II Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social.
I. Le génie comme puissance de sociabilité.
II. Le génie comme création d’un nouveau milieu social.
Chapitre III De la sympathie et de la sociabilité dans la critique.
Chapitre IV L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art.
I. L’art ne recherche pas seulement la sensation.
II. Les idées, les sentiments et les volontés constituent le fond de l'art.
III. Le but dernier de l'art est de produire la sympathie pour des êtres vivants.
Chapitre V Le réalisme. – Le trivialisme et les moyens d’y échapper.
I. L’imitation et le réalisme.
II. Distinction du réalisme et du trivialisme.
III. Moyens d’échapper au trivial.
IV. Déplacement dans l’espace et invention des milieux.
V. Influence de la bible et de l’orient sur le sentiment de la nature.
VI. La description.- L’animation sympathique de la nature.
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Deuxième partie : Les Applications; Évolution sociologique de l’art contemporain.
Chapitre I Le roman psychologique et sociologique de nos jours.
I. Importance sociale prise par le roman psychologique et sociologique.
II. Caractères et règles du roman psychologique.
III. Le roman sociologique. - Le naturalisme dans le roman.
Chapitre II L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie contemporaine.
I. Poésie, science et philosophie.
II. Lamartine.
III. Vigny.
IV. Alfred de Musset.
Chapitre III L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie contemporaine
(suite). Victor Hugo
I. L’inconnaissable.
II. Dieu.
III. Finalité et évolution dans la nature.
IV. Religions et religion.
V. Idées morales et sociales.
Chapitre IV L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie contemporaine
(suite). Les successeurs d’Hugo.
I. Sully-Prudhomme
II. Leconte de Lisle.
III. Coppée.
IV. Mme Ackermann.
V. Une parodie de la poésie philosophique; les Blasphèmes.
Chapitre V Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. Évolution de la
prose contemporaine.
I. Le style et ses diverses espèces.
II. L’image.
III. Le rythme.
Chapitre VI La littérature des décadents et des déséquilibrés; son caractère généralement
insociable. Conclusion. Rôle moral et social de l'art.
I. La littérature des déséquilibrés.
II. La littérature des décadents. Son caractère généralement insociable.
III. Rôle moral et social de l’art.
Jean-Marie Guyau, L’art au point de vue sociologique : deuxième partie (1887) 4
DEUXIÈME PARTIE
___________
LES APPLICATIONS
ÉVOLUTION SOCIOLOGIQUE
DE L'ART CONTEMPORAIN
_________
Table des matière-2
Jean-Marie Guyau, L’art au point de vue sociologique : deuxième partie (1887) 5
Deuxième partie: Les applications. Évolution sociologique de l’art contemporain.
CHAPITRE PREMIER
Le roman psychologique et sociologique
de nos jours.
I. Importance sociale prise par le roman psychologique et sociologique.
II. Caractères et règles du roman psychologique.
III. Le roman sociologique. - Le naturalisme dans le roman.
Table des matière-2
Jean-Marie Guyau, L’art au point de vue sociologique : deuxième partie (1887) 6
Deuxième partie: chapitre I:
“Le roman psychologique et sociologique de nos jours”.
I
Importance sociale prise par le roman
psychologique et sociologique.
Table des matière-2
I. - Un fait littéraire et social dont l'importance a été souvent signalée, c'est le dévelop-
pement du roman moderne; or, c'est un genre essentiellement psychologique et sociologique.
Zola, avec Balzac, voit dans le roman une épopée sociale : « Les œuvres écrites sont des
expressions sociales, pas davantage. La Grèce héroïque écrit des épopées; la France du dix-
neuvième siècle écrit des romans : ce sont des phénomènes logiques de production qui se
valent. Il n'y a pas de beauté particulière, et cette beauté ne consiste pas à aligner des mots
dans un certain ordre; il n'y a que des phénomènes humains, venant en leur temps et ayant la
beauté de leur temps. En un mot, la vie seule est belle. » Tout en faisant ici la part de
l'exagération, on ne saurait méconnaître l'importance sociologique du roman. Le roman
raconte et analyse des actions dans leurs rapports avec le caractère qui les a produites et le
milieu social ou naturel où elles se manifestent; suivant que l'on insiste sur l'action, ou le
caractère, ou le milieu, le roman devient donc dramatique (roman d'aventures), psychologi-
que et sociologique, ou paysagiste et pittoresque. Riais, pour peu qu'on approfondisse le
roman dramatique, on le voit se transformer en roman psychologique et sociologique, car on
s'intéresse d'autant mieux à une action qu'on l'a vue naître, avant même qu'elle n'éclate, dans
le caractère du personnage et dans la société où il vit. De même, les paysages intéressent
davantage quand ils ne font que servir de cadre à l'action, qu'ils l'appuient ou lui font
repoussoir, qu'ils ne se trouvent pas mis là en dehors et comme à côté de l'intérêt dramatique.
D'autre part, le roman psychologique lui-même n'est complet que s'il aboutit dans une certai-
ne mesure à des généralisations sociales, quand il se complique, comme dirait Zola, « d'in-
tentions symphoniques et humaines ». En même temps, il exige des scènes dramatiques,
attendu que là où il n'y a de drame d'aucun ordre, il n'y a rien à raconter : une eau dormante
ne nous occupe pas longtemps, et la psychologie des esprits que rien n'émeut est vite faite.
Enfin, parmi tous les sentiments de l’âme individuelle ou collective qu'il analyse, le roman-
cier doit tenir compte du sentiment qui inspire toute poésie, je veux dire : le sentiment de
l'harmonie entre l'être et la nature, la résonance du monde visible dans l'âme humaine. Le
roman réunit donc en lui tout l'essentiel de la poésie et du drame, de la psychologie et de la
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science sociale. Ajoutons-y l'essentiel de l'histoire. Car le vrai roman est de l'histoire et,
comme la poésie, « il est plus vrai que l'histoire même ». D'abord, il étudie en leur principe
les idées et les sentiments humains, dont l'histoire n'est que le développement. En second
lieu, ce développement des idées et des sentiments humains communs à toute une société,
mais personnifiés en un caractère individuel, peut être plus achevé dans le roman que dans
l'histoire. L'histoire, en effet, renferme une foule d'accidents impossibles à prévoir et humai-
nement irrationnels, qui viennent déranger toute la logique des événements, tuent un grand
homme au moment où son action allait devenir prépondérante, font avorter brusquement le
dessein le mieux conçu, le caractère le mieux trempé. L'histoire est ainsi remplie de pensées
inachevées, de volontés brisées, de caractères tronqués; d'êtres humains incomplets et muti-
lés; par là, non seulement elle entrave l'intérêt, mais elle perd en vérité humaine et logique ce
qu'elle gagne en exactitude scientifique. Le vrai roman est de l'histoire condensée et systé-
matisée, dans laquelle on a restreint au strict nécessaire la part des événements de hasard,
aboutissant à stériliser la volonté humaine; c'est de l'histoire humanisée en quelque sorte, où
l'individu est transplanté dans un milieu plus favorable à l'essor de ses tendances intérieures.
Par cela même, c'est une exposition simplifiée et frappante des lois sociologiques 1.
1 Il y a des romans dits historiques, comme Notre-Dame de Paris qui sont bien moins de l'histoire humaine
que les romans non historiques de Balzac, par exemple. Victor Hugo n'a aucun souci du réel dans la trame et
l'enchainement des événements; il considère tous les petits événements de la vie, toutes les vraisemblances
des événements comme des choses sans importance. Son roman et son drame vivent du coup de théàtre, que
la plupart du temps il ne prend même pas la peine de ménager, de rendre plus ou moins plausible. Toutefois,
ce qui établit une différence considérable entre lui et par exemple Alexandre Dumas, le grand conteur
d'aventures, c'est que le coup de théâtre n'est pas par lui-même et à lui seul son but : c'est seulement, pour
Hugo, le moyen d'amener une situation morale, un cas de conscience. Presque tous ses romans et tous ses
drames, depuis Quatre-vingt-treize et les Misérables jusqu'à Hernani, viennent aboutir à des dilemmes
moraux, à de grandes pensées et à de grandes actions; et c'est ainsi, à force d'élévation morale, que le poète
finit par reconquérir cette réalité qui lui manque tout à fait dans l’enchainement des événements et dans la
logique habituelle des caractères.
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Deuxième partie: chapitre I:
“Le roman psychologique et sociologique de nos jours”.
II
Caractères et règles du roman psychologique.
Table des matière-2
II. - Le roman embrasse la vie en son entier, la vie psychologique s'entend, laquelle se
déroule avec plus ou moins de rapidité; - il suit le développement d'un caractère, l'analyse,
systématise les faits pour les ramener toujours à un fait central; il représente la vie comme
une gravitation autour d'actes et de sentiments essentiels, comme un système plus ou moins
semblable aux systèmes astronomiques. C'est bien là ce que la vie est philosophiquement, -
sinon toujours réellement, en raison de toutes les causes perturbatrices qui font que presque
aucune vie n'est achevée, n'est ce qu'elle aurait dû être logiquement. L'humanité en son
ensemble est un chaos, non encore un système stellaire.
Dans la peinture des hommes, la recherche du « caractère dominant », dont parle Taine,
n'est autre chose que la recherche de l'individualité, forme essentielle de la vie morale. Les
personnalités puissantes ont généralement un trait distinctif, un caractère dominateur :
Napoléon, c'est l'ambition; Vincent de Paul, la bonté, etc. Si l'art, comme le remarque Taine,
s'efforce de mettre en relief le caractère dominateur, c'est qu'il cherche de préférence à
reproduire les personnalités puissantes, c'est-à-dire précisément la vie dans ce qu'elle a de
plus manifeste. Taine a pour ainsi dire vérifié lui-même sa propre théorie de la prédominance
du caractère essentiel : il nous a donné un Napoléon dont l'unique ressort est l'ambition. Son
Napoléon est beau en son genre, mais simplifié comme un mécanisme construit de main
d'homme, où tout le mouvement est produit par un seul rouage central : ce n'est là ni la
complexité de la vie réelle ni celle du grand art. La vie est une dépendance réciproque et un
équilibre parfait de toutes les parties; mais l’action, qui est la manifestation même de la vie,
est précisément la rupture de cet équilibre. La vie est ainsi réduite à un équilibre essentielle-
ment instable, mouvant, où quelque partie doit toujours prédominer, quelque membre se
lever ou s'abaisser, où enfin le sentiment dominant doit être exprimé au dehors et courir sous
la chair, comme le sang même. Toute vie complète, à chaque moment de l'action, tend à
devenir ainsi symbolique, c'est-à-dire expressive d'une idée ou d'une tendance qui lui
imprime son caractère essentiel et distinctif. Mais beaucoup d'auteurs croient que, pour repré-
senter un caractère, il suffit de figurer une tendance unique, - passion, vice ou vertu, - aux
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prises avec les événements variés de la vie. Là est l'erreur. En réalité il n'y a pas dans un être
vivant de tendance unique, il n'y a que des tendances dominantes; et le triomphe de la
tendance dominante est à chaque moment le résultat d'une lutte entre toutes les forces
conscientes et même inconscientes de l'esprit. C'est la diagonale du parallélogramme des
forces, - et il s'agit ici de forces très diverses et très complexes. En vous bornant, comme
Taine, à représenter cette diagonale, vous nous représentez non un être vivant, mais une
simple ligne géométrique. C'est un excès dans lequel Balzac lui-même est souvent tombé.
En règle générale, il faut se défier des théories, car, dans la réalité, si rien n'est abandonné
à l'aventure, il ne peut être question davantage d'une systématisation trop serrée : tant de
choses se rencontrent à la traverse des lignes droites qu'elles se changent vite en lignes
brisées; le but est atteint quand même. Aussi bien une manière de voir est déjà par elle-même
une théorie : les uns sont attirés presque uniquement par la lumière, les autres considèrent
l'ombre dont elle est partout suivie; leurs conceptions de la vie et du monde en sont éclairées
ou assombries d'autant. Peut-être serait-il sage de s'en tenir à cette différence forcée, sans
l'accentuer encore en la formulant. Ce qu'on reproche aux différentes écoles littéraires, ce
n'est pas en soi la diversité de leurs points de vue, - tous existent - mais les exagérations de
ces points de vue mêmes.
Le caractère est toujours révélé pour nous et précisé par l'action : nous ne pouvons nous
flatter de bien connaître une personne avec laquelle nous causons habituellement tant que
nous ne l'avons pas vue agir, - pas plus d'ailleurs que nous ne pouvons nous flatter de nous
connaître nous-mêmes tant que nous ne nous sommes point vus à l'œuvre. C'est pour cela que
l'action est si nécessaire dans le roman psychologique. Elle ne l'est pas moins, au fond, que
dans le roman d'aventures, mais d'une toute autre manière. Ici ce n'est pas le côté extraordi-
naire de l'action qu'on recherche, mais son côté expressif, - moral et social. Un accident ou un
incident n'est pas une action. Il y a des actions vraiment expressives du caractère constant ou
du milieu social, et d'autres plus ou moins accidentelles; les actions expressives sont celles
que le romancier doit choisir pour composer son œuvre. De même que chaque fragment d'un
miroir brisé peut encore réfléchir un visage, de même dans chaque action, fragment détaché
d'une vie humaine, doit se peindre en raccourci un caractère tout entier. Il n'est pas nécessaire
pour cela qu'il y ait des événements très nombreux, très divers et très saillants. « Vous vous
plaignez que les événements (de mon sujet) ne sont pas variés, répondait Flaubert à un
critique, qu'en savez-vous ? il suffit de les regarder de plus près. » Les différences entre les
choses, en effet, les ressemblances et les contrastes tiennent plus encore au regard qui
contemple qu'aux choses mêmes ; car tout est différent dans la nature à un certain point de
vue, et tout est le même à un autre. La valeur littéraire des événements est dans leurs consé-
quences psychologiques, morales, sociales, et ce sont ces conséquences qu'il s'agit de saisir.
Deux gouttes d'eau peuvent devenir pour le savant deux mondes remplis d'intérêt, et d'un
intérêt presque dramatique, tandis que pour l'ignorant deux mondes, deux étoiles d'Orion ou
de Cassiopée, peuvent devenir deux points aussi indiscernables et indifférents que deux
gouttes d'eau.
Un roman est plus ou moins un drame, aboutissant à un certain nombre de scènes, qui sont
comme les points culminants de l'œuvre. Dans la réalité, les grandes scènes d'une vie
Description:préparées de longue main par cette vie même : l'individu des heures sublimes
parler de ces scènes où aucun événement grave ne se passe d'une manière
.. Le cour tremblant, mais cependant résolu à périr ou à la voir, il jeta de petits