Table Of ContentSEGHERS 
par Angèle 
Kreme1~-l\1arietti 
J>JJJLOSOPHES  TOUS  I..J::S  TE.\IPS 
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Jaspers 
et  la  scission  de  l'être
Collection  dirigée  par  A 
DRÉ  ROBINET 
CouYcrtnre  dessinée  par  JEAN  FonTJN 
• 
DU  AUTEUR 
M~ME 
Les  Forrnes  du  mouvement cl1ez  Bergson,  Vrin,  Paris,  1953,  127  p. 
Pour  cor11zaÎtre  la  pensée  de  Hegel,  Bordas,  Paris,  1957,  202  p. 
Tl1è1nes  et  Str11ctures  dans  l'œuvre  de  Nietzsclze,  Lettres  Modernes, 
Paris,  1957,  338  p. 
Nietzsche  et  le  labyrinthe  de  la  vérité  radicale,  thèse  de  doctorat  de 
troisième  cycle,  Strasbourg,  1966. 
* 
Dix-sept  poèn1es  d'ur1e  erifa1zce  (prix  de  poésie  de  l'Académie  fran 
çaise),  Les  Cahiers  du  Nouvel  Humanisme,  Le  Puy,  1952. 
Sortilèges,  Debresse,  Paris,  1954. 
Parole  révélée  (en  préparation aux éditions  du Scorpion). 
TOUS  DROITS  DE  REPRODUCTION,  D'ADAPTATION 
ET  DE  TRADUCTION  RÉSERVÉs  POUR  TOUS  PAYS. 
@  1967  ÉDITIONS  SEGHERS,  PARIS.
PHILOSOPHES 
de  tous  les  te1nps 
et  la  scission  de  l'être 
Présentation,  choix  de  textes,  bio-bibliographie 
par 
Angèle  KREMER-MARIETTI, 
Docteur  en  philosophie 
ÉDITIONS  SEGHERS
Dans le silence des  apparences se révèle la  vérité 
du Iarigage de /'Etre,  1nais à  travers les apparences. 
Cette  pêcl1e  1niraculeuse  de  l' Etre,  comme  pure 
recherclze,  tentative  et insuccès,  n'est autre  que  le 
fondement  de  la  philosoplzie. 
La  structure  de  l'existe11ce  est  le  support  de 
notre  expérience  et  de  notre  connaissa1ice  de 
l'Etre,  e11  tant  m ême que nous nous sentons privés 
de  cette  expérie1zce  et  de  cette  connaissance.
INTRODUCTION 
Pour  pénétrer  dans  la  sphère  de  la  philosophie  de  Jaspers  il 
est  nécessaire de  ne  jamais  perdre  de  vue son  idée fondamentale 
touchant  l'essence  de  la  philosophie.  Il  précise  très  clairement  : 
La  réflexion  philosophique  n'est  pas  une  théorie,  c'est  une 
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[Jratique  d'un genre absolument unique 1 » Dans ce qu'elle impli 
• 
que  de  sagesse  et  d'expérience,  cette  idée n'est pas  en  soi  origi 
nale,  mais  elle  caractérise  la  philosophie  jaspersienne  dans  la 
quelle  elle  acquiert  une  profondeur  nouvelle.  Ainsi  Jas pers 
affirme  l'existence  de  la  «  vraie  philosophie  »,  la  philosophia 
perennis, comprise comme unique tradition  aux  multiples  préten 
tions.  La philosophie s'exprime  dans  une œuvre  qui  témoigne de 
l'assimilation  qe  la  tradition,  toutefois  «  ce  qui  lui  donne  son 
atmosphère,  ce  qui  l'a  inspirée,  se  fait  peut-être  sentir  à travers 
un  récit  personnel 2 D'un  point  de  vue  jaspersien,  on  peut 
'> 
• 
considérer  que,  dans  le  Discours  de  la  Méthode,  Descartes  a 
motivé,  au  cours  d'un  récit  personnel,  l'expérience  qui  l'avait 
amené  à poser  le  doute  méthodique  :  l'incertitude  résultant  de 
l'enseignement  suivi,  doublée  du  besoin  impérieux  de  certitude. 
Mais ce n'est pas la quête d'une assurance rationnelle comparable 
à celle de Descartes qui met Jaspers sur le  chemin  de la philoso 
phie.  Il y a  bien néanmoins,  pour Jaspers,  une  quête vers  l'assu-
Les  notes  sont  groupées  à  la  fi1i  de  chaque  chapitre.
6 
rance,  dans  la  mesure  où  est  recon11ue  par  lui  la  valeur  de  la 
communication humaine à  atteindre  dans  l'exercice  de la raison. 
Si  raison  et communication  vont  de  pair,  c'est  dans  la  perspec 
ti\re  nouvelle d'une philosophie non plus  théorique mais  pratique. 
Les  deux concepts  ne se séparent plus  dans le cheminement phi 
losophique,  qui  prend  tant d'importance  que la pensée  y  revient 
inlassablement.  Solidarisées  dans  le  cheminement,  cette  nouvelle 
raison  et  cette  communication  font  que  la  plillosophie  plonge 
da\rantage  et  toujours  plus  profondément  dans  l'existence. 
D'une  part l'idée  d'une  raison  pratique,  d'autre  part le  souci 
de  la  question  de  !'Etre  ont  conduit  Jaspers  à  des  conceptions 
nouvelles  et hardies  qui réconcilient  de multiples  contradictions. 
D'un  côté,  la  Raison  est  ce  qui  constitue  l'humain  dans  son 
essence  et  ce  à  quoi  il  doit  se  hisser  constamment  car  elle  est 
inachevée, non définie, difficilement circonscrite ; de l'autre, l'Etre 
concerne  l'humain  en  tant  que  c'est  le  Tout,  !'Originel,  l'Un, 
l'Englobant,  le  transobjectif  de  la  Transcendance,  c'est-à-dire 
l'objet de la foi  philosophique,  mais  objet dépassant  toute objec 
tivité.  Tandis  que  nous  sommes  braqués  sur  l'objet 3 nous  de 
, 
vons  croire et tendre  à l'inobjet 4 Le  tort des  critiques  adressées 
• 
à  Jaspers  a  souvent  été  de  discuter  notionrzellement  ces  notions 
qui  ne  relèvent  pourtant  pas  du  pur  jeu  abstrait  de  l'intellect. 
Interpréter  Jaspers  abstraitement,  c'est  oublier  l'idée  fondamen 
tale  qu'il  im.pose  à  la  réflexion  philosophique,  l'obligation  non 
pas seulement de se plier aux règles logiques  rationnelles mais  de 
se  soumettre  à  une  discipline  existentielle  :  celle  de  se  for mer 
différemment,  de Sltivre  un réel moztvement,  d'admettre un  exer 
cice  de l'esprit,  et finalement  d'atteindre jusqu'à des  positions  et 
des attitudes  dans  lesquelles l'esprit reconnaît ses propres limites. 
Ascèse  mentale,  méthode  spirituelle,  telle  est  la  philosophie  de 
Jaspers et,  telle,  elle doit se comprendre :  comme pure pratique.  
. Pa.r  là,  le  i:>rob!ème  de l'Etre  trouve sa  solution  : il n'est plus 
·  n1  StlJet pur ru objet embarrassant posé devant nous,  il est résolu,
7 
JctS]J e rs 
il disparaît pour nous verser sur le terrai1i de l'Etre. Mieux encore, 
cette  notion  de  l'Etre  est  appelée  à  résoudre,  dissoudre  même, 
nos autres problèmes. Ainsi, la philosophie de Jaspers,  à cause de 
l'existence  empirique,  n'est  pas simple  philosophie  de  l'existence, 
mais .à partir de l'existence empirique la philosophie de l'existence 
possible,  ouverte  à  la Transcendance.  Elle  n'est  pas  un  existen 
tialisme  immanent,  mais  la  philosophie  du  prolongement  pos 
sible  de  l'existence  empirique  en  existence  possible,  et  cela  du 
seul  fait  en  nous  de  l'intuition  de  la  scission  de  l'Etre. 
NOTES  DE  L'INTRODUCTION 
1.  Bilan. et perspectives,  trad.  par Hélène Naef et Jeanne Hersch;  éd.  Desclée 
de  Brouwer,  1956;  voir  A  propos  de  ma  philosophie,  3).  L'hon1me  va  sponta 
nément  aux  questions  essentielles,  p.  142. 
2.  Op.  cit.,  voir Sur le  che111iTZ  de  la  philosophie,  p.  123. 
3.  Introduction  à la  philosophie,  trad.  par Jeanne  Hersch ; Pion,  Paris,  1951  ; 
voir  L'E  nglobant,  p.  33. 
4.  Pour  le  terme  inobjet,  cf.  notre  communication  au  Xl°  Congrès  inter 
national  de  Philosophie  (Bruxelles,  1953)  :  Angèle  Marietti,  Le  FoTZdenzent  de 
/'Autorité,  Actes,  vol.  IX,  voir  p.  161  :  L'Autorité,  Autorité  en  soi,  en  tant 
~ 
que  reconnue  telle  a  son  fonden1ent  sur  cet  objet-nié-par-le-sujet,  l'inobjet, 
c'est-à-dire une  unité  inobjective,  puisque ainsi  disparaît la  dualité sujet-objet » ; 
p.  162  :  L'Autorité,  idéelle,  fruit  de  l'inobjet,  n'a  pas  pour  fondement  la 
~ 
raison,  qui  est  issue  de  l'existence  de  l'objet.  »
CHAPITRE  PREMIER 
VERS  L'INTUITION  DE  LA  SCISSION  DE  L'tTRE  : 
le  cheminement  [Jhilosophique 
(/ans  la  pensée  cle  la  totalité  inachevée 
Mettant le Tout en questio11,  nous nous interrogeons sur ce qui 
nous  semble  aller de soi.  Mais  questionnant ainsi,  nous  touchons 
les  limites  du  Tout  que  nous  connaissons  :  le  temps,  l'espace, 
la  nécessité  de  l'objet  quel  qu'il  soit,  la  nécessité  du  sujet  pour 
cet  objet,  l'activité,  l'information,  la finitude.  Nous  devons  aussi 
tôt  remarquer  qu'entre  la  question  sur  le  Tout  et  la  découverte 
des  limites,  il n'y  a  pas  simple  opération  logique,  il  y  a  effec 
tivement  un  cheminement  existentiel  dont  l'exposé  peut  faire 
abstraction  :  pour  mieu.x  définir  et restreindre,  ce dernier mutile 
la circonscription globale d'un ensemble de démarches, seules sus 
ceptibles  d'accréditer  une  philosophie  visant  la  réalité  h1:1maine. 
Enoncer  un  discours  cohérent  ne  suffit  pas  :  pour  Jaspers, 
« 
faire  de la philosophie,  c'est être en route 1  ».  Nous cherchons 
l'unité immédiate et pourtant nous ne pouvons pas en faire immé 
diatement l'expérience.  « Nous  cherchons  l'unité dans  la profon 
, 
deur  de  l'englobant que nous sommes 2  ».  En fait,  nous  sommes 
astreints  à  suivre  un chemin.  Même si  nous  parcourions  tous  les 
modes  finis  de  l'englobant,  atteindrions-nous  à l'englobant  dans 
sa  totalité ?  Aurions-nous  une  théorie  de  l'englobant ?  Nous 
constatons  que  chaque  mode  de  l'englobant  se  rapporte  à  un 
autre  :  c'est  l'indication  du  cheminement  philosophique.  Le 
repos  dernier  nous  est-il  cependant  promis  avec  une  théorie  de 
l'harmonie de la totalité sans, par là même, la négation de l'esprit