Histoire des techniques.: Technique et civilisations - Technique et sciences

834 Pages·1978·44.676 MB·French

by  Bertrand Gille

ENCYCLOPÉDIE DE LA PLÉIADE
HISTOIRE
DES TECHNIQUES
CE VOI.IIME, LE q^ ARANTE ET UNIEME
DE l’« encyclopédie DE LA PI.É:iADE », TECHNIQUE ET CIVILISATIONS
PUBLIÉE AUX ÉDITIONS GALLIMARD
TECHNIQUE ET SCIENCES
SOUS LA DIRECTION DE RAYMOND
QUENEAU, A ÉTÉ ACHEVÉ d’iMPRIMER
SUR BIBLE BOLLORÉ, LE TRENTE
MARS MIL NEUF CENT SOIXANTE-
DIX-HUIT, SUR LES PRESSES DE
l’imprimerie mame, à tours.
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^^4 v\j^
VOLUME PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE BERTRAND GILLE
PRfil'ACM
/I eH parfaitement h\ii({ue qu'une encyclopédie consacrée aux
connahsances et aux atHvités des hommes ait attribué un
volume aux techniques, qui sont à la fois connaissance et ailivité.
contraire n'eùt sans doute pas surpris non plus, tant le
monde matériel se trouve encore tenu à l'écart des préoccupa­
tions nobles de l'humanité. Quel écrivain ferait aujourd'hui
un discours sur la pointe liic, quel ouvrier même parlerait de
la machine devant laquelle il travaille, préférant suit^^sfrer l'alié­
nation, la fatis^ue et la lutte des classes, en dépit du iony^ cha­
pitre que Alarx a précisément consacré aux machines. L’on ne
se rencontre piière, dans la conversation courante, que sur les
performances d'une voiture, sur les qualités d'un four auto­
nettoyant ou des lessives plus magnifiques les unes que les autres.
On admire /’lincyclopédie de Diderot; on ne suit guère son
exemple.
Ce serait peut-être, ce serait probablement une tâche vaine
que de tenter de réconcilier l'homme et ses objets usuels, ceux
que l'on sert, ceux dont on se sert, lit de trouver, par là même,
les véritables rapports qui devraient exister entre eux, et la
longue histoire des brouilles et des raccommodements.
Im difficulté était de réaliser un ouvrage qui ne fît pas
double emploi avec d'autres. Il exifte en effet déjà trois grandes
histoires des techniques, sans compter les innombrables ouvrages
de vulgarisation et les travaux limités dans le temps, l'efface
ou le sujet : la première fut anglaise, en cinq gros volumes.
Hile fut suivie a'une russe et d'une française qui s'achève au
moment même où ces lignes sont écrites. Trois histoires qui
sont axées presque exclusivement sur les seules techniques, en
quelque sorte histoires techniques des techniques, fitait-il oppor­
tun d'en ajouter une quatrième ? Ht cela même s'il eft encore
des points obscurs et des domaines ignorés.
U nous a semblé qu'il était plus enrichissant de prendre cet
important problème de manière tout à fait différente, selon une
Toui droiii de reprcdnliioH, de fradidiiott et d'adaptation méthode nouvelle. Ceci impliquait une hypothèse de travail, lon­
guement expliquée au début de ce livre. L'idée s'en trouvait
réstrvis pour tota les pays, y comprit l'U.KSS.
fondée sur deux principes majeurs.
tgj Éditions Gallimard, t9/^- Le premier conduisait à un plan asseiç^ diamétralement opposé
VIII PUriACI- F»Rr;i ACI- IX
(i (fini (if.i nuvraÿes fyri'iéiknts. (eux-à, t-n fjjd, présentent sydèmes, ainsi conçue, donnait une nouvelle valeur à ce qu'on
l'évolution des teihnujues dotées les unes des autres, chacune appelle, expression à la fois vague et ambiguë, tes « révolutions
étant en outre sundre dans le temps selon de( coupures parfois indusfrielles ». De syilème en sytième, il était donc possible de
discutables, ( e morcellement du discours nous a semblé, à plus scander les siècles, voire les millénaires selon d'autre s rythmes
d’un litre, dommageable : il conduisait nécessairement à une que ceux auxquels nous étions habitués par une histoire infini­
sorte de mosaujue où couleurs et dessins apparaissaient sin^e^uHè- ment plus classique. Nous entendons déjéi les reproches : mais
rement fions, juxtapositions sans jjrandes hunes diredrices. Les écrire / hidoire, n’eSt ce pas nécessairement en privilégier l’un
auteurs s'njnoraient les uns les autres, ne connaissant que leur de ses asfettsé Nous avons connu ce que l’on appelle, d’un
Spécialité nu leur période, . \ncune vue jiénérale, aucune explica­ terme un peu méprisant, l'hidoire bataille, comme l'histoire de
tion jilobak ne f 'en pouvaient difajjer. / ,a documentation était la longue durée où les événements et les hommes s’effaçaient
bonne, intéressante, mais l’on .se sentait quelque peu perdu. devant les mouvements séculaires. Nous proposons ici une his­
Dans toute cette histoire, faite de morceaux éparpillés, l’on toire en quelque sorte enchaînée par le monde matériel.
trouvait le Parthénon et Descartes, mais jamais ensemble Tra- Vue fois ces positions prises, l’organisation du travail se des­
fafuar et le Pont des Arts. sinait d’elle-meme, l'ne première partie eit conase selon un
La notion de système technique, ensemble cohérent de flruÛures plan à peu près totalement chronologique. Il fallait rendre
compatibles les unes avec les autres, nous a semblé devoir rendre compte des étapes du progrès technique et le situer dans les
de façon plus intéressante le monde matériel de l’humanité autres grands mouvements de l’humanité. Quelques compromis
depuis ses orijcjines, le monde matériel du quotidien. Approche n'en subsistent pas moins qui ne bouleversent cependant piU
plus sensible du problème, même si la formulation qui en a été l'ordre choisi. C’eîJ un vieux relie de culture classique que
faite paraitra à quelcjues-uns un peu excessive. Hn forçant les d’avoir séparé (,recs et Romains qui, à quelques variantes près,
contrastes, le peintre ou le photographe permettent parfois de possédaient le même sysVeme technique et d’avoir raccroché les
mieux saisir la réalité de certaines choses. La vie quotidienne byzantins à Rome, l itruve n’eSt que le dernier des architetles
mélange étroitement contraintes et atles matériels, même si l’on f.t des mécaniciens de l'Lcole d'Alexandrie, les agronomes
ne perçoit pas intuitivement les relations multiples qui existent latins, que l’on a si souvent portés aux nues, ne sont que les
inaubi table ment entre tous les éléments de cet entourage maté­ descendants des agronomes, mal connus parce que leurs oeuvres
riel, parfois insolite, toujours obligatoire. Ht cet entourage n'a ont di.sparu, de tout le bassin de la Méditerranée. De même
de sens, n'a de valeur qu’en vertu d’une certaine ordonnance mis avons groupé, certainement de façon arbitraire, trois civilisa-
et nos manuels sonl plus cjne discrets sur l'ordre technique, même ùons techniques indépendantes les unes des autres, à la fois
dans l'acception la plus étroite du terme. Qui ne s’en soucie dans le temps et dans l’efface. Situées hors du domaine occi­
point se trouve immédiatement conduit à de pures aberrations : dental, elles n’ont en commun que de s’être trouvées bloquées
dire qu’Héron d’.Alexandrie, avec son éolipyle, est passé tout s des niveaux qui, également, sont divers. chapitre sur les
près de la machine à vapeur en etl une preuve manifeste. jtemières grandes civilisations techniques eïl, en ce qui concerne
Ce mode de préhension du phénomène technique pouvait avoir lis grands empires, une juxtaposition de civilisations techni-
un autre avantage : celui d'engager le dialogue avec les spécialistes dennes, certes proches tes unes des autres, mais avec des diffi-
des autres systèmes, l’économifte, te linguiste, le sociologue, U 'tnees notables.
politique, le juriste, le savant, te philosophe, ce dialogue qu u Dans ces tableaux successifs, il y a des places vides, que
ett si difficile d’organiser aujourd’hui. Mais ainsi pouvaient st ampleur du sujet rendait inévitables. On ne trouvera ÙM
trouver mises en évidence l'indispensable coordination des activités Inde, on ne retrouvera pas certaines civilisations retardées,
humaines, l'évidente concordance des résultats qui en furent U ‘.'Afrique ou d’.Asie. lisl-il besoin de dire que nous sommes
produit. 'Affaitement conscients de ces défauts f
Une telle proposition, et ce n'en était pas la moindre consé­ Le plus important, à notre point de vue, était de comprendre,
quence, laissait supposer une périodisation. Les systèmes tech­ ~m d’expliquer totalement, les passages d’un système tech-
niques se succèdent les uns aux autres, lus djnamique des •aifue à un autre. Car là se posait véritablement le problème
PRI'a-ACJ:
X PR^IACK
du progrès technique. Ce qui peut paraître, non p<ti technique, de blocage allaient ensuite tout naturellement de soi.
matf clair et riy/mreusement ordonné dans le procures scieniipjM, I.es mécanbmes du progrès technique ont été peu étudiés. Il
l’ctf infininfeut moins dans U progrès technique. Ue fnatio qui nous a semblé cjue la recherche devait aller dans ce sens et nous
e.xide entre ce qu'il ett convenu d'appeler la théorie et la f^a- y avons beaucoup insisté. Certes, on s'esl penché sur ce qu'on
tique es1 te! que l'invention prend, en tant que telle, un stncu.:sr appelle la crois.sance : causes du progrès technique et accélération
relief sur lequel on a beaucoup insisté et qui a souvent conduit Je celui-ci selon des courbes au/ourd'hui universellement connues.
à une haçtjoj^raphie des inventeurs. U y a cependant autre chu. Les travaux de Roslow, parfois ambigus et incomplets, coniti-
L'enchaineenent du procrès scientifique ett loi^n/ue et autour"le. tuaient un modèle à suivre, à développer, à affiner. Il comble,
.S 'il e.xide une certaine iojiique du proq^rès technique, ce dernier avec des lacunes parfois étonnantes, un vide cie la pensée hifto-
n'eti plis parfaitement autonome. Ut tout d'abord eft nécessaire rienne. Loin de nous l’intention d’avoir voulu combler toutes ces
une certaine cohérence, dont nous avons parlé plus haut, pane lacunes. Ce qui était important, c'était la direéUon des
qu'une techniqiie isolée n’exifîe pas et doit faire appel à des recherches.
techniques ajpuentes. « Collier, le spand mécanicien de Para, seconde partie était, dans notre efirit, tout aussi fonda­
s'attaqua vers 1S14 à la réalisation de la tondeuse pour les mentale, et complémentaire. Il s’agissait d’introduire le pro­
draps, à lames hélicoïdales, dont le principe sommaire lut erl grès technique dans un certain nombre de disciplines représentant
parvenu des ÜJats-Unis, où d’ailleurs aucune tentative de les autres atlivités humaines, les autres préoccupations des
conslruâion n'eut lieu. Tout reliait encore à faire : il y faSut hommes : la science comme le droit, la politique comme la
cinq années de travail. Collier a dû créer des alliages, des pns- géographie, la sociologie comme l’économie. langage de la
cédés de fonte et d’usinage, des coussinets anti-frkUon, une chaîne technique, se subHituant en quelque sorte à la « langue des
de transmission, un syli'eme de réglage par vis micrométrique, arts » dont Diderot avait traité dans /’Encyclopédie, et un
bref tous les éléments requis pour réaliser une machine qui essai sur la connaissance technique terminent cette partie.
exigeait un degré de perfeàion sans précédent. » Cette cohérence Il n’était pas quetîion, assurément, de privilégier la technique,
des techniques elf donc, dans le domaine de T invention, une de lui attribuer la prééminence dans la formation des firuHures
inéluliable nécessité. de tous ordres, dans la dynamique des évolutions globales. Il
Kelie, et combien, le point de vue économique. Un auteur s'agissait seulement de montrer qu’elle n’avait pas été sans
récent dilîinguait fort Julie ment le progrès de la technique et lt influence sur le monde qui l’entourait, et qu'elle en avait aussi
progrès technique, le premier d’ordre purement technique, en subi les influences. Nous eipérons avoir, par là même, intégré
ce sens qu'il eli des inventions non direliement utilisables mais la technique à des disciplines qui ne lui portaient souvent quun
qui peuvent conduire à des « innovations ». Le second représente intérêt minime.
très exaliement l'entrée de l'invention dans la vie indu Une St D’une manière générale, cet ouvrage a été écrit pour les gens
ou courante. Il eli donc possible de situer l'invention sur deux curieux, ce qui eSi le propre de toute encyclopédie, en particulier
plans : celui de la réflexion technique, une technique pure en pour tous ceux qui, quotidiennement, passent à côté de la technique
quelque sorte, celui du besoin économique au sens large du terme, sans presque s'en apercevoir, l'homme du bureau comme celui
c’esi-à-dire pour répondre à des diliorsions techniques ou de lecole. Nom pensons aussi que les techniciens doivent
subvenir à des besoins plus purement économiques (demande connaître l’hiftoire de leur technique, que Ton ne leur a Jamais
accrue, réduliion des coûts de produâion, etc.), tqm liés plus apprise : c'efl pourquoi, dans la plupart des cas, ils s’en font
ou moins les uns aux autres. Signalons enfin, mais nous j une idée aberrante. Sans doute, elt-il aussi intéressant pour eux
reviendrons au cours du volume, les compatibilités entre syliime de voir se relier entre elles toutes les techniques et de découvrir,
technique en voie d'évolution et sylîème social. en dernière analyse, leurs implications sur un monde de plus
Déséquilibres internes à la technique, cohérences nicesssrres en plus complexe. Evitons cependant cette sorte d’auto-satufac­
entre les diverses techniques, compatibilités avec les autres r>/- tion de l’auteur du Prospeétus de /'Encyclopédie de Dide­
tèmes, tels apparaissaient les éléments principaux de la dima- rot : « On a trop écrit sur les sciences, on n’a pas asseï^ bien
mique des syÛèmes techniques. Les notions eu saturation d'mm écrit sur la plupart des arts libéraux, on n’a presque rien écrit
XII pur;i A( Iv PRr;j'ACI'; xm
mr h s (tr/n mécaniques; oir ejn'rcf ce (juf te heu c/u'on en ren­ la colledion, d'ecnre à lui seul toute la première partie. L'idée
contre dans les auteurs en comfiaranon de l'étendue et de la de départ étant parfaitement sydématiejue, cela permettait de
fécondité du sujet ». donner à l'ouvrage plus d’homogénéité, l f unité se subflituait à
L’idée yénérale ainù tracée dans ses erandes liçjnee, il fallait une mosaïque d'opinions plus ou moins divergentes. C et avantage
trouver des collal>orateurs et des adlahorateurs cjui acceptassent s'accompagnait te pendant de difficultés nombreuses et de dan­
la façon dont devait être posé le problème, ( e fut la chose la gereux écueils, l.'auteur ne pouvait être alors ifédalille de
plus difficile, non cjue l'idée rebutât, mais pour associer sciences toutes les époques, de toutes les technhnies. Corn me Diderot, si
humaines et techniques il fallait un effort particulier. C.ertes, on autorise cette comparaison peu mofteile, lorsiju’il écrivait la
nombreux sont aujourd'hui ceux cjui s'intéressent au progrès majeure partie des articles techniefues de son lùicyclonéciic,
technicjue, à ses implications et à ses consécjuences. Depuis la il a fallu beaucoup apprendre pour pouvmr exposer et l'on ne
Jin de la dernière a^uerre mondiale, une littérature très abondante saurait affirmer qu'on )' ait parfaitement réussi. Un dernière
en adminitlre la preuve, même si elle e.tf de cjualité très inéjiale. analyse, le lecteur jugera si le jeu en valait la peine.
Mais l'objetlif principal du travail était d'ordre hitlorique. La .seconde partie, qui eût dû être essentiellement l’auvre de
Les rencontres entre hithriens et techniciens avaient été tpécialities, a posé les mêmes problèmes. L'économise, le géo­
fréquentes et riches de résultats à la fin du XIX* siècle. Une graphe, le scientifique, le lexicologue ont répondu à l’appel, et
large fratlion des techniciens supérieurs était dotée d’une bonne parfaitement compris le projet. Vous les autres se sont ctérobés,
culture classique cjui leur permettait de prendre le recul nécessaire les uns par suite de leurs nombreuses occupations, d'autres
pour etlimer les origines de leur « art >k Ces relations sont parce qu'ils craignaient de se lancer dans l'aventure et se sen­
devenues, à quelques brillantes exceptions près, très rares de nos taient peu préparés à aborder un tel sujet, tous au reîle avec la
jours. Le technicien d'aujourd’hui eit totalement coupé des plus parfaite honnêteté. ] Pliait-il laisser cette partie mutilée,
techniques anciennes, tant les différences sont devenues impor­ réduite seulement a quelques atfeêls de la queltion f Après
tantes. Il y a quelques décennies, des retraités s’étaient fort maintes hésitations, avec des scrupules qui ne sont pas encore
habilement lancés dans la recherche hiÜorique : Quenedey, offi­ apaisés, on a adopté la même solution et le reîfonsable de l'ou­
cier du génie, étudia la conflruélion des maisons de bois au Moyen vrage a dû s ’aslreindre à un nouvel exercice de voltige, se faire
Age, Lefebvre des Noettes, officier de cavalerie, le problème sociologue, jurisfe, politique. Ici encore le letleur tranchera.
de l’attelage du cheval, Masson, ingénieur des Ponts et Chaussées, 'Vaut cela explique la lenteur avec laquelle cet ouvrage a été
la voûte gothique. La génération adn e lie a coupé les ponts rédigé, lin plus de di.\ ans, on conçoit aisément combien d’ou­
et ne voit dans l’hifloire qu’un plaisir de dilettante, parfois même vrages nouveaux ont été publiés sur des époques ou des questions
un dangereux exercice lorsqu’elle s’occupe de technique. dont la rédaction était déjà faite. A moins de reprendre
L’hidorien, de son côté, se sent mal à l’aise dans un domaine constamment les textes, il était pratiquement impossible de tenir
qu’il n’ose aborder, sauf inconscience de sa part, par peur du compte de ces nouveaux éclairages. Ht cette difficulté jouait aussi
ridicule. La ledure des manuels d’hitloire efl symptomatique pour les techniques les plus contemporaines et leurs consé­
à cet égard. Ce qui ed grave, c’esi que, partant de cette attitude, quences. La rapidité du progrès de certaines techniques en
il néglige souvent ce sedeur de l'hisioire, et certaines interpréta­ quelques setteurs eSt souvent supérieure au temps de rédaltion
tions s’en ressentent, notamment dans le domaine de l’hidoire et aux délais d'impression. Dans d’autres domaines, au
économique. On s'en voudrait de citer les méprises, les erreurs contraire, — nous songeons au droit de la mer —, les mises
qui émaillent l'hidoriographie mondiale à ce sujet. au point sont extrêmement lentes. Nous souhaitons que le public
Trop souvent donc, le technicien ignore les méthodes de l’his­ puisse en tenir compte dans le jugement qu’il portera sur notre
toire, la recherche des sources, leur critique, et tombe parfois effort.
dans les anachronismes les plus délirants. L’hitlorien, lui, se Rien ne permettra de mieux situer l’eîfirit dans lequel ce
dérobe ou, dans le meilleur (tes cas, a déjà écrit et publié ce qu’il travail a été réalisé que ce texte de Raymond Queneau. Il
savait et ne se sent pas le goût de recommencer. ne saurait être quesVon de considérer les volumes de cette ency­
Le diredeur de l ouvrage a donc pris le parti, inhabituel dans clopédie comme des traités dans lesquels on puisse apprendre
XIV PR r FACE
ftfdfivement une science. lit, cefyenilant, il va de soi que le
lecteur pourra y apprendre inen des cimes, puisqu’elle etl tout
de mêene un cycle ci’ctudcs. Mlle se veut à la fois enseignement,
bilan, ouverture sur l’avenir, \ulle part, dans celte entreprise,
ne seront celées les ampleurs de nos incertitudes et les immensités
de notre non-savoir. Le lelleur apprendra à ignorer, à douter.
C'esl aussi une entreprise critique. » NOTH DU L’ra)ITUUR
Raymond Queneau, qui nous avait confié cet ouvraj^e, n’efl
plus. Il eil des sourires, parfois narquois, toujours jipntils, des
accueils, lorsqu’on peine sur la tâche, qui sont les encourajuements Suivant les habitudes adoptées par Vlincyclopédie de
les plus précieux. Nous voudrions que ce livre, dans ce qu’il a la Pléiade, chacun des chapitres qui composent ce volume
de moins mauvais, soit considéré comme un hommage à sa est terminé par une bihliouraphie sommaire donnant les
mémoire. sources d’information utilisées par son auteur et indi-
Bertrand Gille. i^uant les voies à suivre pour des enquêtes plus spécia­
lisées.
Im outre, afin de faciliter d’éventuelles recherches, le
ledeur trouvera à la fin du volume les rubriques complé­
mentaires suivantes :
1° Un tableau synchronique des principaux événe­
ments techniques depuis les origines jusqu’à nos jours.
2® Un index exhaustif des noms de personnes cités
dans les chapitres.
3° Un index des titres de livres cités.
4° Un index des matières.
■30 Une table analytique des matières.
6” Une table des illu^rations.
70 Une table générale.
LISTH DI'S C()LLAIU)RATI-:URS
MM. André rF.i„ Ikrtrand Gifle, Jean Parent,
Bernard Qlemaüa, l'rançois Russo.
PROLÉGOMÈNES
A UNE HISTOIRE
DES TECHNIQUES
En 193^, I-ucicn l'chvrc pouvait encore écrircs:
« l’Ili^toire des technitjues, une de ces nonihrcues
clisemlines cjui sf>nt tout entières à créer, ou presque ».
QiKK|ues années auparavant avait été publié un ouvrage
qui fit date : il soulevait un problème particulier, celui
de l’attelage et du cheval de selle, et le mettait en rapport
avec l’un des grands tournants de l’hiStoire, la disparition
de l’esclavage. Aussi discutées que purent être par la
suite les idées du commandant Lefèbvre des Noéttes, il
seml)lait avoir ouvert une voie nouvelle, des perspeètives
et des explications inédites.
Si, brusquement, en 1933, les Annales de L. Febvre
et de M. Bloch semblaient non pas certes avoir découvert
l’histoire des techniques, mais en souligner tout à la fois
l’intérêt et le peu d’attirance que les historiens lui mani­
festaient, il ne faudrait cependant pas faire croire qu’elle
eût été jusqu’alors complètement négligée. Mais par sa
nature propre elle se situait en dehors des grands cou­
rants historiques. 11 lui a été tout aussi ditheile de s’intégrer
à l’histoire que les techniques ellcs-mcmes à la théorie
économique générale, pour ne prendre qu’un exemple.
Lucien Febvre notait fort bien qu’il y avait en quelque
sorte un conflit de compétences. « Histoire technique
des techniques, œuvre de techniciens, nécessairement,
sous peine d’erreurs graves, de confusions forcées, de
complète méconnaissance des conditions générales d’une
fabrication. » Mais il ajoutait tout aussitôt un correêlif :
« mais a*uvrc de techniciens ne s’enfermant ni dans leur
époque, ni dans leur territoire, et donc capables non
seulement de comprendre et de décrire, mais encore de
reconstituer un outillage ancien en archéologues exaéls
et ingénieux, d’interpréter des textes en historiens
sagaces ». Assurément tout le problème était là : allier
des connaissances de divers types, utiliser des méthodo­
logies différentes.
4 PROI.f.Cr()Mf-Ni:S msToiRi: iM.s ncnNKiULS 5
Il ne faut donc pas s’étonner que les historiens aient assurément celui de l’Allemand Beckmann, t^ur
eu quekjue crainte à s’enj^ager sur un terrain qu’ils (ttsfhiihte 4ier llrfindun^en, publié à Leipzig entre 1780 et
i^noniietit presijuc totalement. Les techniciens, de leur iHo\. ('nn^me le titre l’indique clairement, il s’agit ici
côte, s’intéressaient peu à des techniques disparues et d’une histoire des inventions, c’eSt à-dire précisément
lorsqu’ils les abordaient, le faisaient avec un état cette histoire morcelée évoquée plus haut. 11 en eSt à peu
d’esprit qui n’avait souvent avec l’hiStoirc que de loin­ près lie même de l’ouvrage presc|ue Cf)ntemporain de
tains rapports. Les uns «>nt donc écrit une histoire d’où J. 11. M. Poppe, (,eschichte der Vechnolotiie seit der Wieder-
les techniques étaient parfaitement absentes; les autres hertîelJHH's, der W’i$senschaf/en Im an dax Jinde des tS Jahr-
sc sont livrés à des recherches purement techniques où hunderts, dont les trois volumes ont été publiés à Gottin-
l’histoire n’était plus qu’une simple chronologie. « L’aéti- gen, entre 1807 et 1811. Mais ce dernier ouvrage
vité technique ne saurait s’isoler des autres aéfivités tenait cepemlant compte d’une part d’une notion encore
humaines », notait encore Lucien l ebvre. La synthèse floue de système technique, et d’autre part de quelques
était moins nécessaire que la concordance. Dans une grands faits historiques.
explication historique globale, il était indispensable de Il faut attendre le milieu du xix* siècle pour voit
faire intervenir les techniques. Il eSt curieux de constater l’histoire des techniques prendre un certain essor et
que lorsque l’économique a commencé à faire son appa­ s’intégrer, difficilement encore, dans d’autres recherches.
rition dans ces explications globales, alors qu’il en avait C’eSt le moment où les faits techniques s’imposent à
été longtemps absent, les techniques demeurèrent à l’attention de tous, à peu près à l’éptique qui correspond
l’écart, du fait même de cette lente et difficile intégration au Second Empire. Plusieurs attitudes se font alors jour.
des techniques à la théorie économique générale que La première attitude vise à répondre précisément à
nous venons de signaler. l’intérêt qu’un large public commence à porter aux
Les embûches étaient nombreuses. Tout d’abord techniques. Il était donc nécessaire d’entreprendre une
à l’intérieur même de l’hiSloire des techniques. Il fallait œuvre de vulgarisation. Vulgariser les techniques exis­
éviter un morcellement, nécessaire au départ, lorsqu’il tantes, certes, mais aussi montrer l’ampleur des progrès
s’agit d’exposer les faits, mais qui pouvait conduire rapi­ réalisés. On doit mentionner particulièrement à cet égard
dement chaque histoire d’une technique particulière à se les volumes de L. Figuier, les Merveilles de l'indultrie,
fermer sur elle-même. Il était indispensable, par la suite, parallèlement aux Merveilles de la science qui, aujourd’hui
de réintégrer cette hiStoiré des techniques dans un encore, ne doivent pas être négligés. L’exposé eSl fait
ensemble niSlorique, lui-méniie déjà très ouvert sur l’éco­ seéleur industriel par seèteur. Mais les faits ne sont pas
nomie, la démographie, l’hiÿtoire des sciences ou des complètement détachés d’un certain contexte historique.
idées, comme aussi sur l’histoire événementielle dont les La seconde attitude répondait au désir de certains
effets sont loin d’être négligeables. Et voilà déjà esquissé techniciens de connaître l’hiSloire de leur propre tech­
notre dessein. Mais avant d’aborder le cieur même de nique. Certains auteurs de manuels techniques ne crai­
notre sujet, et parce que la tentative eSt sans doute relatir gnirent pas de consacrer quelques pages à l’hiSloire de
vement inédite, il convient de prendre quelques précau­ telle technique. Citons le gros Manuel de métallurgie, de
tions. Ce sont ces précautions qui vont constituer l’es­ l’Anglais Percy, qui non seulement fournit des indications
sence même de cette longue introduélion. sur l’histoire des techniques métallurgiques, mais aussi
Il n’eSt pas inutile, pensons-nous, de brosser un rapide sur les techniques de quelques pays exotiques.
tableau de l’hiStoire aes techniques. Nous verrons ainsi La troisième attitude représente déjà un souci plus
se développer, avec ses richesses, surtout avec ses proprement historique. O sont des archéiilogues et des
lacunes, une discipline qui a déjà maintenant acquis techniciens qui se réunirent pour reconstituer des tech­
droit de cité. niques anciennes. Au milieu d’une recherche qui prit
Le plus ancien ouvrage d’histoire des techniques cSl une certaine ampleur, on peut signaler deux types de