Table Of ContentD I R E C T I O N D E S A F F A I R E S J U R I D I Q U E S
C J F I
COURRIER JURIDIQUE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
JANVIER-FÉVRIER-MARS 2010 - N° 59 - 10 euros
ÉTUDE
LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF
DOSSIER SPÉCIAL AIDES D’ÉTAT FISCALITÉ
Actualités du droit des aides d’État La taxe générale sur les activités polluantes
au cours de l’année 2009 et les déchets
Le rôle des juridictions judiciaires La qualification des prélèvements affectés au
en matière d’aides d’État financement de la sécurité sociale
Éclairage sur deux arrêts récents
rendus par le TUE
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DROIT PUBLIC
Les lois HADOPI : instrument juridique Contrôle des produits « halal »
efficace de lutte contre la contrefaçon et respect du principe de laïcité
des œuvres sur Internet ?
La Poste : l’établissement public est mort,
DROIT DES ENTREPRISES vive la société anonyme !
La décision rendue par l’AMF sur EADS
Les alertes professionnelles,
ou «whistleblowing » en droit Français,
COMMANDE PUBLIQUE
la fin d’un tabou ?
Arrêté du 14 décembre 2009 :
DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE nouvel outil de la dématérialisation
Traité de Lisbonne : repenser les stratégies La jurisprudence Commune de Béziers,
d’influence et les méthodes de travail ou une redéfinition de l’office du juge
au sein des ministères financiers du contrat
Sommaire
Éditorial
...................................................................................................................................Page 1
Étude
La question prioritaire de constitutionnalité devant le juge administratif
Par Régis Fraisse.................................................................................................................Page 2
Dossier spécial Aides d’État
Actualités du droit des aides d’État au cours de l’année 2009
Par Alexandra Cuisiniez et Virginie Parizot...........................................................................Page 13
Le rôle des juridictions judiciaires en matière d’aides d’État : un panorama à découvrir
ou redécouvrir
Par Agnès Maîtrepierre .........................................................................................................Page 18
Éclairage sur deux arrêts récents, rendus par le Tribunal de l’Union européenne en
matière d’aides d’État
Par Anne Le Roux et Marie Blocteur.....................................................................................Page 23
Propriété intellectuelle
Les lois Hadopi : instrument juridique efficace de lutte contre la contrefaçon des œuvres
sur Internet ?
Par Emmanuelle Grimault.....................................................................................................Page 32
Droit des entreprises
Commentaire de la décision rendue par l’Autorité des marchés financiers
le 27 novembre 2009, concernant EADS
Par Marie-Clotilde Trioreau et Arielle Legret..........................................................................Page 37
Les alertes professionnelles ou « whistleblowing » en droit Français, la fin d’un tabou ?
Par Pauline Girot de Langlade..............................................................................................Page 42
Droit de l’Union européenne
L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne : repenser les stratégies d’influence et les
méthodes de travail au sein des ministères financiers
Par Anne Marchal.................................................................................................................Page 47
Fiscalité
La taxe générale sur les activités polluantes et les déchets : un contentieux florissant
ou une usine à gaz ?
Par Agnès Maîtrepierre .........................................................................................................Page 51
La qualification des prélèvements affectés au financement de la sécurité sociale :
la jurisprudence de la Cour de cassation
Par Xavier Prétot...................................................................................................................Page 55
Droit public
Contrôle des produits « halal » et respect du principe de laïcité
Par Serge Marasco...............................................................................................................Page 60
La Poste : l’établissement public est mort, vive la société anonyme !
Par Tatiana Ayrault et Lila Zarfaoui........................................................................................Page 66
Commande publique
Arrêté du 14 décembre 2009 : nouvel outil de la dématérialisation
Par Véronique Vogel.............................................................................................................Page 73
La jurisprudence Commune de Béziers, ou une redéfinition de l’office du juge du contrat
Par Anne Breillon..................................................................................................................Page 80
Ce numéro est imprimé sur du papier recyclé
Éditorial
Le Courrier juridique des finances a renouvelé son comité éditorial, et accueille de nouveaux
contributeurs. Ce numéro traduit cette évolution. Des personnalités de haut niveau vous livrent
leur analyse de spécialiste sur des sujets qu’elles ont eu à traiter dans le cadre de leurs fonctions,
ou sur leur démarche.
Régis Fraisse, Chef du service juridique du Conseil constitutionnel, présente dans ces colonnes
une étude magistrale sur la question prioritaire de constitutionnalité devant le juge administratif.
À travers un exposé didactique de la procédure devant chaque juridiction, du tribunal administratif
au Conseil constitutionnel, en passant par les cours d’appel et le Conseil d’État, Régis Fraisse
apporte un éclairage essentiel sur une procédure nouvelle, appelée à nourrir un contentieux
potentiellement très abondant.
La Cour de cassation est également représentée dans ces pages. L’article de Xavier Prétot,
Conseiller en service extraordinaire à la Cour de cassation et Professeur associé à l’université
Panthéon-Assas, est consacré à la délicate question de la qualification des prélèvements affectés
au financement de la sécurité sociale, dont le régime juridique doit beaucoup à la jurisprudence
de la Cour.
Les deux sujets traités par Agnès Maîtrepierre, Conseiller référendaire à la chambre commerciale,
ont alimenté l’actualité juridique. La taxe générale sur les activités polluantes, qui fait application
du principe pollueur-payeur, est un des principaux leviers d’action du Grenelle de l’environnement.
L’article sur le rôle des juridictions de l’ordre judiciaire en matière d’aide d’État s’inscrit dans
une actualité encore sensible : le Tribunal de l’Union européenne a rendu, fin 2009, deux décisions
emportant des conséquences pécuniaires non négligeables pour le budget de l’État.
Ces décisions sont d’ailleurs commentées dans un dossier spécial sur les aides d’État, sujet
de travail quotidien à la direction des affaires juridiques de Bercy. Ce dossier retrace l’actualité
de ce droit à part dans l’ordre juridique européen, et préfigure les nouveaux éléments qui figureront
dans le prochain « Vademecum des aides d’État ». Rappelons qu’une édition mise à jour de
cet ouvrage, dont le succès ne se dément pas, paraîtra au début du mois de mai.
Catherine Bergeal,
Directrice des affaires juridiques
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 1
Étude
La question prioritaire de constitutionnalité
devant le juge administratif
Par Régis Fraisse
En offrant à tout justiciable la possibilité de contester une disposition législative
contraire aux droits et libertés de valeur constitutionnelle, le constituant a voulu
donner à chacun un droit nouveau et replacer la Constitution au sommet de l’ordre
juridique : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction,
il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que
la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question
sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un
délai déterminé ».
La présente étude, publiée quelques jours ne maîtrise pas suffisamment le droit public
après l’entrée en vigueur de la question en général et le contentieux administratif
prioritaire de constitutionnalité (QPC), a pour en particulier.
but d’apporter aux justiciables, aux avocats
et aux magistrats une première aide En tout état de cause, le justiciable qui
pratique. Compte tenu de la diversité des bénéficie de l’aide juridictionnelle devant le
procédures applicables devant les juridictions juge qui a transmis la QPC continue à en
ayant vocation à mettre en œuvre ce nouveau bénéficier pour cette dernière devant le
droit, il a paru nécessaire de la cantonner à Conseil d’État ainsi que, le cas échéant,
une seule catégorie de juridictions. Le choix devant le Conseil constitutionnel. Pour
s’est porté sur la juridiction administrative l’avocat, cela se traduit par une majoration
de droit commun : les tribunaux adminis- de sa rétribution2.
tratifs, les cours administratives d’appel et
le Conseil d’État.
1.1.1.2. Produire un mémoire distinct
et motivé
1. La QPC devant le tribunal
administratif Si l’exigence d’un mémoire distinct est
connue de la procédure contentieuse
administrative3, c’est la première fois qu’une
1.1. L’introduction de la question
telle règle est instituée pour l’exposé d’un
moyen. Il est vrai que ce moyen est
1.1.1. Les conditions de forme
particulier puisque, s’il prospère, il peut
aboutir à l’abrogation d’une disposition
1.1.1.1. Bénéficier ou non des conseils
législative.
d’un avocat
La QPC doit être Dès lors que l’article 61-1 de la Constitution Selon l’article R. 771-3 du code de justice
posée « à exige que la question soit posée « à administrative (CJA), ce mémoire distinct
l’occasion d’une l’occasion d’une instance en cours devant ainsi que, le cas échéant, l’enveloppe qui
instance en cours une juridiction », les règles relatives à la le contient, portent la mention « question
devant une représentation par un avocat sont celles prioritaire de constitutionnalité ». Cette
juridiction » applicables à l’instance « en cours ». mention, qui n’est pas impartie à peine
d’irrecevabilité, contrairement à l’exigence
Devant les tribunaux administratifs, les du mémoire distinct et motivé, est destinée
exceptions au principe de la représentation à ne pas retarder le traitement rapide
obligatoire sont si nombreuses1 que la des QPC.
plupart des litiges sont dispensés de
l’obligation de ministère d’avocat.
2 Décret n° 2010-149 du 16 février 2010 modifiant
le décret du 19 décembre 1991 portant application
Toutefois, compte tenu de la complexité du de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide
droit, l’intervention de ce praticien est juridique.
vivement conseillée pour tout justiciable qui
3 C’est le cas pour le référé suspension (art. R. 522-
1 du CJA), le sursis à l’exécution de décisions
1 Art. R. 431-2 et R. 431-3 du CJA, et R. 97 du code juridictionnelles (art. R. 811-17-1 et R. 821-5-1) ou
électoral. une intervention (art. R. 811-17-1 et R. 821-5-1).
2 Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010
Étude
De même, dès lors que le Conseil constitu- tionnel ou, dans la négative, la justification
tionnel a décidé de mettre en place une des circonstances nouvelles de nature à
procédure dématérialisée, il est conseillé permettre un nouveau contrôle et, enfin, le
aux parties et, le cas échéant, à leur avocat caractère suffisamment sérieux de la
d’indiquer, dans les mémoires et obser- question.
vations qu’ils produiront à tous les stades
de la procédure, l’adresse électronique qui
sera ultérieurement utilisée par le Conseil 1.1.2. Le contenu du mémoire
constitutionnel pour la notification des actes
et pièces de procédure, si la question lui 1.1.2.1. Identifier la disposition légis-
est renvoyée. lative
La deuxième exigence veut que ce mémoire La disposition législative doit être
soit motivé. Il s’agit d’une règle d’autant plus précisément identifiée dans sa version
impérative que le juge ne peut pas soulever applicable : « tel article ou tel alinéa de tel
d’office une QPC et que « seuls l’écrit ou le article de telle loi ou de tel code ». Sa
mémoire « distinct et motivé » ainsi que les citation complète est même recommandée.
mémoires et conclusions propres à cette L’indication de son origine, facilement
question prioritaire de constitutionnalité consultable sur le site Légifrance, peut
devront […] être transmis » au Conseil également être opportune : « tel article de
constitutionnel dès lors qu’il n’est « pas tel code, dans sa rédaction issue de tel
compétent pour connaître de l’instance à article de telle loi ».
l’occasion de laquelle la question prioritaire
de constitutionnalité a été posée4 ». Elle doit avoir été adoptée par l’autorité
disposant du pouvoir législatif, en principe
L’absence de Une absence de motivation pourra entraîner par le Parlement, auquel cas elle porte alors
motivation peut l’irrecevabilité d’office du moyen, sans que le nom de « loi ». Mais, à certaines
entraîner les parties en soient préalablement périodes de notre histoire, le pouvoir
l’irrecevabilité informées ou aient été invitées à régulariser législatif a été attribué au pouvoir exécutif
d’office du (non-application des articles R. 611-7 qui légiférait alors par ordonnances6. Ce fut
moyen et R. 612-1 du CJA). Cette irrecevabilité le cas des ordonnances du Gouvernement
pourra être prononcée par l’ordonnance ou provisoire de la République française7 ou de
le jugement statuant sur la requête. Une celles prises d’octobre 1958 à février 1959
motivation insuffisante ne présente pas le sur le fondement de l’article 92 de la
même risque5 mais pourra entraîner un Constitution8.
refus de transmission au Conseil d’État au
motif que ne serait pas remplie la troisième En revanche, les ordonnances prises sur
Les ordonnances
condition prévue par l’article 23-2 de le fondement de l’article 38 de la
prises sur le
l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre Constitution et, depuis 2003 pour l’outre-
fondement de
1958 et relative au caractère suffisamment mer, sur celui de son article 74-1, ne sont
l’article 38
sérieux de la question. pas des dispositions législatives tant
doivent être
qu’elles n’ont pas été ratifiées par le
ratifiées pour
Aussi, les parties et leurs conseils doivent- Parlement. Celles de l’article 38 doivent faire
faire l’objet
ils apporter le plus grand soin à la motivation l’objet d’une loi d’habilitation et deviennent
d’une QPC
de la QPC qu’ils souhaitent poser. Leur caduques si le projet de loi de ratification
mémoire, pour être complet, doit comporter n’est pas déposé dans le délai fixé par la
les quatre éléments qui vont être développés
ci-dessous : l’identification de la disposition
6 Pour des actes législatifs plus anciens, voir :
législative et les trois conditions fixées par
Odent, « Contentieux administratif », 6ème éd., Paris,
l’article 23-2 de l’ordonnance de 1958 :
Les Cours de droit, 1977-1981, fasc. I, p. 214 et sq.
l’applicabilité de cette disposition au litige,
7 Par exemple, l’ordonnance n° 45-174 du 2 février
la non-validation par le Conseil constitu-
1945 relative à l’enfance délinquante.
8 Par exemple, l’ordonnance n° 58-1275 du
4 Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009,
22 décembre 1958 relative au contentieux de la
cons. 27.
sécurité sociale, qui a été introduite dans le code
5 Sauf si est utilisé le 7° de l’article R. 222-1 du CJA de la sécurité sociale par le décret n° 85-1353 du
applicable aux « moyens qui […] ne sont manifes- 17 décembre 1985, étant précisée qu’une
tement pas assortis des précisions permettant d’en codification par décret ne modifie pas la forme
apprécier le bien-fondé ». législative de la disposition codifiée.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 3
Étude
loi d’habilitation9. Celles de l’article 74-1 matière de contravention de grande voirie,
bénéficient d’une habilitation permanente la plupart des mémoires posant une QPC
mais deviennent caduques si elles n’ont pas devraient comporter une motivation relative
été ratifiées dans le délai de dix-huit mois à l’applicabilité au litige de la disposition
suivant leur publication10. législative contestée. Ce devrait être la seule
partie du mémoire faisant état des faits du
Il est donc nécessaire de rechercher si litige.
l’ordonnance a été ratifiée. Cette recherche
peut être facilitée en consultant le site de La plupart du temps, cette justification sera
l’Assemblée nationale qui répertorie, dans évidente. Parfois, elle le sera moins,
sa rubrique « Documents parlementaires11 », notamment lorsque plusieurs législations
les ordonnances ratifiées depuis 2002, ou peuvent trouver à s’appliquer ou lorsqu’un
celui du Sénat qui comporte une étude acte réglementaire s’intercale entre la
juridique de grande qualité sur les disposition législative et la décision
ordonnances12. attaquée : l’atteinte aux droits et libertés
doit provenir de la loi et non d’un acte
S’il s’agit d’un article codifié dans la partie réglementaire ou d’une décision individuelle.
législative d’un code, il convient de vérifier
si cette disposition a bien une « forme Si un requérant se voit opposer par
législative » au sens de l’article 37 de la ordonnance un refus de transmission au motif
Constitution en recherchant, comme il est que cette condition n’est pas remplie, alors
dit ci-dessus, quelle est la nature de la que l’instruction établira par la suite que la
disposition qui l’a introduite dans le code. disposition était bien applicable, il pourra,
sur le fondement de l’article R. 771-10 du
CJA, demander au tribunal statuant au fond
1.1.2.2. Dire en quoi la disposition de se rétracter en déclarant non avenu ce
législative est applicable au refus et, en conséquence, de procéder à
litige cette transmission. C’est le seul cas où cette
rétractation est possible.
La première condition que pose l’article 23-2
de l’ordonnance de 1958 pour que la QPC
soit transmise est que « la disposition 1.1.2.3. Constater que la disposition
contestée est applicable au litige ou à la législative n’a pas été validée
procédure, ou constitue le fondement des par le Conseil constitutionnel
poursuites ».
La deuxième condition est que la
Si l’on met à part les rares dispositions disposition législative « n’a pas déjà été
législatives applicables à la procédure déclarée conforme à la Constitution dans
administrative contentieuse et celles les motifs et le dispositif d’une décision du
constituant le fondement des poursuites en Conseil constitutionnel, sauf changement
des circonstances ».
9 Cas d’une ordonnance devenue caduque : CE,
Pour vérifier cette condition, les services du
Le « fichier 2 avril 2003, Conseil régional de Guadeloupe,
n° 246748. Conseil constitutionnel ont établi un fichier,
positif », sur le
dénommé en interne « fichier positif », qui
site du Conseil 10 Voir : Ordonnance n° 2009-538 du 14 mai 2009
recense depuis 1959 l’ensemble des
constitutionnel, ayant pour objet de remédier à la caducité de
l’ordonnance n° 2007-1134 du 25 juillet 2007 portant dispositions des lois ordinaires validées
recense les
extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dans les motifs et le dispositif des décisions
dispositions
diverses dispositions relatives aux communes et du Conseil constitutionnel. Ce fichier,
législatives aux sociétés d’économie mixte locales, faute de
continuellement mis à jour, peut être
validées ratification dans le délai de dix-huit mois.
consulté par les internautes sur le site du
depuis 1959
11 L’accès aux ordonnances se fait par la sous-
Conseil constitutionnel. Il se présente sous
rubrique « Vote de la loi »
forme de tableau avec un tri par disposition
(http://www.assembleenationale.fr/13/documents/
index-ordonnances.asp). législative et un tri par décision du Conseil
constitutionnel.
12 Les ordonnances : Bilan au 31 décembre 2007,
« Les documents de travail du Sénat, Série Études
juridiques », n° EJ 4, mars 2008 Il a été établi en se fondant sur la règle qui
(http://www.senat.fr/ej/ej_ordonnance/ veut que, lorsque le Conseil constitutionnel
ej_ordonnance.html). a écarté un ou plusieurs griefs présentés
4 Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010
Étude
par les requérants contre une disposition recherche sur le fichier positif montre que
législative, celle-ci a été déclarée conforme ces articles n’ont pas été déclarés
à la Constitution dans son intégralité et non conformes à la Constitution. Mais s’agissant
au regard des seuls droits et libertés d’un code récent, il est opportun de
invoqués. consulter la table de correspondance entre
les nouvelles références et les anciennes
Ce fichier n’a pas de valeur officielle. Il ne références qui a été établie lors de la
constitue qu’une aide permettant aux codification et qui figure sur le site de
justiciables et aux juridictions de vérifier Légifrance. On constate alors que
facilement dans le texte des décisions si l’article L. 741-4 est issu de l’article 8,
la deuxième condition, prévue par alinéas 3 à 8, de la loi n° 52-893 du 25 juillet
l’article 23-2 de l’ordonnance de 1958, est 1952 relative au droit d’asile et
remplie. l’article L. 742-1 de son article 9, alinéa 1.
En inscrivant dans la cellule de recherche
Il est précisé, en outre, que les dispositions du tableau : 52-893, on s’aperçoit que les
qui y sont recensées sont les dispositions articles 8 et 9 ont été déclarés conformes
dans leur rédaction validée par le Conseil à la Constitution dans les considérants 48
constitutionnel, c’est-à-dire à la date de la et 58 et dans l’article 1er du dispositif de la
promulgation de la loi déférée. décision n° 2003-485 DC du 4 décembre
2003.
Prenons l’exemple d’un producteur
d’électricité hydraulique qui conteste devant Quant au « changement des circonstances »
le tribunal administratif l’imposition forfaitaire prévu par l’article 23-2 de l’ordonnance, il
sur les entreprises de réseaux, à laquelle il devrait être exceptionnel dès lors que, pour
est assujetti, au motif qu’elle serait contraire le Conseil constitutionnel, il doit être limité
au principe d’égalité devant les charges aux « changements intervenus, depuis la
publiques. Cette imposition repose sur les précédente décision, dans les normes de
articles 1635-0 quinquies et 1519 F du code constitutionnalité applicables ou dans les
général des impôts. En inscrivant dans la circonstances, de droit ou de fait, qui
cellule de recherche du tableau : 1519 F, affectent la portée de la disposition
puis : 1635, on s’aperçoit que ces deux législative critiquée14 » sans englober les
dispositions ont été déclarées conformes circonstances individuelles et propres au
à la Constitution dans le considérant 74 et procès en cours. Dans tous les cas, si un
dans l’article 2 du dispositif de la décision justiciable souhaite invoquer ce changement
n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009. Une des circonstances pour écarter la chose
rapide vérification sur le site de Légifrance jugée par le Conseil constitutionnel, il devra
montre que la rédaction des articles présenter une motivation à la fois argumentée
contestés est bien celle qui a été déférée et pertinente.
au Conseil constitutionnel : article 2 de la
loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009.
1.1.2.4. Expliquer en quoi la question
Autre exemple plus complexe, celui d’une n’est pas dépourvue de
disposition validée par le Conseil caractère sérieux
constitutionnel et ultérieurement codifiée.
Prenons l’exemple d’un étranger qui Cette condition est moins stricte que celle
conteste un refus de séjour au motif que la applicable devant le Conseil d’État puisque
procédure prioritaire appliquée à l’examen pour que celui-ci la renvoie au Conseil
de sa demande d’asile est contraire au droit constitutionnel, il faut que la question
d’asile garanti par le préambule de la présente un caractère sérieux15. La notion
Constitution de 1946. Cette procédure est de « caractère sérieux », souvent utilisée
prévue par les articles L. 741-4 et L. 742-1 par les textes de procédure, est
du code de l’entrée et du séjour des traditionnellement décrite comme « de
étrangers et du droit d’asile13, non modifiés nature à faire naître un doute dans un esprit
depuis la création de ce code. Une rapide éclairé ». Une question fantaisiste, dilatoire
13 Un exemplaire de ce code, à jour au 1er mars 2010,
14 Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009,
figurant sur le site du Conseil Constitutionnel, fait
cons. 13.
apparaître en gras les dispositions déclarées
conformes à la Constitution. 15 Article 23-5, alinéa 3, de l’ordonnance de 1958.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 5
Étude
ou manifestement infondée devrait donc faire 1.2. La procédure et la décision
La disposition l’objet d’un refus de transmission par
législative doit le juge. 1.2.1. La procédure
être conforme à
1.2.1.1. Il s’agit d’une procédure
l’ensemble du Le mémoire doit donc procéder à une
d’urgence
bloc de analyse sommaire de la compatibilité de la
constitutionnalité disposition législative avec les droits et
*
libertés qui figurent dans : L’obligation de statuer « sans délai »
• la Constitution du 4 octobre 1958 telle La portée de cette obligation est éclairée par
que modifiée à plusieurs reprises ; par le commentaire de la décision du
exemple l’autorité judiciaire, gardienne 3 décembre 2009 publiée aux Cahiers du
de la liberté individuelle (art. 66) ; Conseil constitutionnel et consultable sur son
Les délais de
site : « Comme le Conseil constitutionnel l’a
transmission et
• les textes auxquels renvoie le Préambule jugé en 2003 à propos des délais impartis
d’examen de la
de la Constitution du 4 octobre 1958, à au premier président de la cour d’appel pour
QPC sont brefs
savoir : se prononcer sur la demande d’effet
suspensif de l’appel émanant du procureur
- la Déclaration des droits de l’homme de la République, « sans délai » signifie
et du citoyen de 1789, qui contient « dans le plus bref délai ». Le but recherché
la majeure partie des droits et par cette disposition est que le temps
libertés, d’examen de la transmission et du renvoi de
la question prioritaire de constitutionnalité,
- le Préambule de la Constitution puis le temps d’examen de la question
de 1946, prioritaire de constitutionnalité elle-même
s’impute sur le délai d’instruction de l’affaire
- les principes fondamentaux reconnus et ne la rallonge pas. »
par les lois de la République
(auxquels renvoie le Préambule de On peut penser que, sauf circonstance
la Constitution de 1946) : par particulière, « le plus bref délai » dans
exemple, la liberté d’association ou lequel le tribunal administratif doit se
la liberté d’enseignement, prononcer est de l’ordre de deux à trois mois
lorsqu’une procédure contradictoire a été
- la Charte de l’environnement diligentée.
de 2004.
Toutefois, le tribunal n’est pas tenu de
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, transmettre une QPC mettant en cause, par
qui peut être consultée sur son site internet les mêmes motifs, une disposition
en texte intégral ou en analyses classées législative dont le Conseil d’État ou le
de façon thématique, est une source Conseil constitutionnel est déjà saisi
incontournable pour qui veut procéder à (art. R.* 771-6 du CJA). Il s’agit là d’une
cette analyse sommaire de façon optimale. exception justifiée par l’objectif de valeur
En effet, si le Conseil constitutionnel a déjà constitutionnelle de bonne administration de
déclaré contraire à la Constitution une la justice. À cet effet, tant le Conseil d’État,
disposition similaire à celle contestée par comme il a été dit, que le Conseil
la QPC, le caractère sérieux sera évident. constitutionnel indiqueront sur leur site, à
En revanche, s’il l’a déclarée conforme, la l’attention des justiciables et des
motivation devra être beaucoup plus juridictions, les QPC transmises ou
argumentée pour franchir les filtres du renvoyées, selon un classement
premier juge mais surtout celui du Conseil chronologique pour les lois et alphabétique
d’État. pour les codes.
En outre, le fichier du Conseil d’État,
*
consultable sur internet et recensant les Le caractère « prioritaire » de
QPC transmises au Conseil d’État et la QPC
renvoyées ou non au Conseil
constitutionnel, constituera une aide Ce caractère « prioritaire » est directement
précieuse pour l’examen de ce critère. lié à l’obligation de statuer « sans délai ».
Il signifie que le juge, saisi d’une QPC, doit
6 Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010
Étude
« se prononcer par priorité sur la trans- Dans les cas où le sursis à statuer a été
mission de la question de constitutionnalité prononcé, c’est la réception de la décision
au Conseil d’État » avant de trancher le du Conseil d’État refusant de renvoyer la
litige, et notamment d’examiner les moyens QPC au Conseil constitutionnel ou, en cas
de conventionnalité. de renvoi, de celle du Conseil constitutionnel
qui permet au juge d’examiner les autres
En particulier, ce caractère prioritaire, qui
questions du litige, et notamment celles
s’inscrit dans le cadre de l’autonomie
relatives à la conventionnalité.
procédurale que la Cour de justice de l’Union
européenne reconnaît aux États membres
dans la mise en œuvre du droit européen 1.2.1.2. La procédure doit, en principe,
par les juridictions nationales, se borne à être contradictoire
instituer un ordre d’examen des questions
qui, sauf abrogation de la loi, ne dessaisit La procédure contradictoire n’est pas
pas le juge qui a transmis la question de requise :
son pouvoir d’écarter une loi contraire aux
exigences communautaires. Il respecte • lorsque le président du tribunal
ainsi, comme l’a démontré le Conseil d’État administratif, le vice-président du tribunal
belge dans un avis du 3 mars 2009, tant le administratif de Paris ou les présidents
principe de coopération loyale énoncé à de formation de jugement peuvent
l’article 5 du traité sur l’Union européenne recourir à l’article R. 222-1 du CJA
que la jurisprudence Simmenthal16 de la notamment pour rejeter des requêtes
Cour de justice. manifestement irrecevables non
susceptibles de régularisation
Cette priorité d’examen connaît toutefois
(art. R.* 771-8 du CJA) ;
trois tempéraments dans sa portée ou ses
effets : • lorsqu’il est manifeste que la question
• Elle reste applicable dans le cas où le ne doit pas être transmise au Conseil
d’État, parce que la disposition n’est pas
juge peut ne pas surseoir à statuer (en
de forme législative, qu’elle n’est pas
cas de délai déterminé ou d’urgence),
manifestement applicable au litige,
c’est-à-dire en matière de référé, de
qu’elle a été validée par le Conseil
contentieux électoral, de reconduite à
constitutionnel sans qu’un changement
la frontière, de refus de séjour assorti
de circonstances ne soit invoqué ou que
d’une obligation de quitter le territoire
la question n’est évidemment pas
français… Mais, dans ce cas, le juge
sérieuse (art. R.* 771-5 du CJA).
n’a pas, s’il décide de transmettre la
question, à attendre la réponse du
Dans les autres cas, la procédure devrait
Conseil d’État ou du Conseil
être contradictoire afin que les parties qui
constitutionnel pour trancher les
ne sont pas à l’origine de la question
questions de conventionnalité (troisième
puissent disposer d’un délai, même bref,
alinéa de l’article 23-3 de l’ordonnance
pour présenter des observations sur les
de 1958).
quatre éléments détaillés ci-dessus.
• Elle ne suspend pas l’instruction de
l’affaire : une expertise peut être En tout état de cause, une question ne
ordonnée, une enquête diligentée, une devrait pas pouvoir être transmise au
question posée à la Cour de justice de Conseil d’État sans procédure
l’Union européenne. contradictoire préalable.
• Elle n’interdit pas au juge, lorsque le
sursis à statuer risquerait d’entraîner des 1.2.2. La décision
conséquences irrémédiables ou manifes-
tement excessives pour les droits d’une Afin de permettre de statuer en urgence, la
partie, de statuer sur les points qui doivent décision se prononçant sur la transmission
être immédiatement tranchés (quatrième de la QPC peut être prise, sans audience
alinéa de l’article 23-3 de l’ordonnance publique et sans conclusions du rapporteur
de 1958). public, par un juge unique : le président du
tribunal administratif, le vice-président du
16 CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, n° 106/77.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 7
Étude
tribunal administratif de Paris, un des décision réglant tout ou partie du litige
présidents de formation de jugement ou un (art. 23-2 de l’ordonnance de 1958). Encore
des magistrats désignés à cet effet par le faut-il, s’il était requérant en première
chef de juridiction (art. R*. 771-7 du CJA). instance, que les conclusions de sa requête
Elle peut également être rendue par une principale aient été rejetées. Sinon, il serait
formation collégiale après audience publique sans intérêt à faire appel et à contester le
et conclusions du rapporteur public, refus de transmission.
notamment si l’intérêt de la question le
justifie. Il peut en aller autrement si la partie adverse
fait appel du jugement du tribunal
En principe, l’ordonnance ou le jugement administratif. Dans ce cas, il lui sera
avant dire droit dessaisit le juge du fond, possible, par la voie du recours incident,
lequel ne peut se rétracter, comme on l’a de contester le refus de transmission.
vu ci-dessus, qu’en cas de conflit
d’appréciation sur la loi applicable au litige. Quelle que soit la nature de l’appel, la
contestation du refus de transmission doit
La transmission de la question au Conseil toujours, à peine d’irrecevabilité, faire l’objet
d’État est opérée par le greffe du tribunal d’un mémoire distinct et motivé,
administratif et non par les parties. accompagné d’une copie de la décision de
refus de transmission. Il en est de même
des mémoires en défense et en réplique.
2. La QPC devant la cour
administrative d’appel Lorsque la cour administrative d’appel est
saisie en appel, elle n’est pas tenue de
2.1. La cour administrative d’appel statuer « sans délai », même si l’objectif
saisie pour la première fois doit être de faire en sorte que le jugement
de l’affaire ne soit pas retardé de façon
La QPC peut être L’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre anormale par la transmission de la QPC.
posée « pour la 1958, dans sa rédaction issue de la loi du En revanche, le caractère prioritaire de
première fois en 10 décembre 2009, dispose qu’« un tel l’examen de la question lui est applicable,
cause d’appel » moyen peut être soulevé pour la première de même que le sursis à statuer. Elle peut
fois en cause d’appel ». En ce cas, la toutefois ne pas surseoir à statuer si elle
question prioritaire de constitutionnalité est est elle-même tenue de se prononcer dans
soumise aux mêmes règles qu’en première un délai déterminé ou en urgence (troisième
instance (art. R.* 771-11 du CJA) : ainsi le alinéa de l’article 23-3 de l’ordonnance
mémoire distinct et motivé, l’urgence, le de 1958).
caractère prioritaire, la possibilité de statuer
à juge unique et le sursis à statuer (avec
3. La QPC devant le conseil
ses exceptions) trouvent à s’appliquer dans
les mêmes conditions et sous les mêmes d’État
réserves.
3.1. Le Conseil d’État en tant que filtre
La seule spécificité procédurale qui mérite
d’être signalée est celle relative à l’obligation Ce n’est pas la partie demanderesse mais
de ministère d’avocat qui est presque le tribunal administratif ou la cour
généralisée en appel17. administrative d’appel qui est chargé de
transmettre la question et le dossier au
Conseil d’État.
2.2. La cour administrative d’appel
saisie en appel Concomitamment à cette transmission, les
parties sont informées qu’elles ont la
Le justiciable qui estimerait que c’est à tort possibilité de produire des observations
que la QPC qu’il a posée devant le tribunal devant le Conseil d’État dans le délai d’un
administratif n’a pas été transmise au mois. Il ne s’agit nullement d’une obligation.
Conseil d’État ne peut contester ce refus
qu’à l’occasion d’un recours contre la Si des observations sont présentées, elles
doivent l’être par un avocat au Conseil d’État
si l’affaire n’est pas dispensée du ministère
17 Art. R. 811-7 du CJA.
8 Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010
Description:de la QPC peut être prise, sans audience publique et sans . production d'un mémoire distinct et motivé (art le site internet du Conseil constitutionnel. Les effets de la logiciel ad hoc sur tous les documents électroniques pour