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CHASSES ROMAINES
UNIVERSITÉ DE PARIS — FACULTÉ DES LETTRES
E S S AI S UR L ES
C H A S S ES
ROMAINES
Jes origines à la fin iu siècle ies Antonins
(CYNEGETICA)
THÈSE POUR LE DOCTORAT ÈS LETTRES
présentée à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris
PAR
JACQUES A Y M A RD
ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROMB
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE MONTPELLIER
PARIS
E. de Boccard, Éditeur
1. Rue de Méd ICIS, 1
IQ5I
A mes Parents
Que mon ancien maître de l'Ecole Normale et de la
Sorborme, mon « directeur de thèse », M. J. Bayet veuille
bien trouver ici le témoignage de ma gratitude profonde pour
la qualité de ses conseils, pour sa bienveillance, pour son
inlassable dévouement.
Ma très vive recormaissance va également à tous ceux ^
qui, maîtres ou amis, français ou étrangers, ont bien voulu
s'intéresser à mon travail ou à sa publication : MM. Ch.
Picard, J. Carcopino, R. Paribeni, L. Poinssot, P. Guillon,
P. Courcelle, W. Lameere, D. Van Berchem, P. Grimai,
R. Schilling. Je ne saurais oublier non plus le précieux
dévouement de M. et de Mme J. Claparède, de Mlle O.
Barenne, mes amis montpelliérains, qui ont accepté de con
sacrer de longues heures au fastidieux travail de révision
du manuscrit.
J'adresse enfin mes remerciements à M. le Directeur de
l'Ecole Française de Rome, qui a bien voulu accepter mes
Cynégétiques dans sa Collection.
I N T R O D U C T I ON
Durant les premiers siècles de son histoire, les renseigne
ments que nous possédons sur la « chasse romaine » demeu
rent obscurs et fragmentaires : Les textes proprement histo
riques sont rares ; si les allusions et les descriptions poétiques
le sont moins, il n'est pas toujours facile de faire le départ
entre la réalité d'une tradition et l'imagination de Lucrèce, de
Virgile, de Silius Italiens. Quant aux documents archéologi
ques que constituent telles œuvres d'art d'intérêt majeur
(situle de Bologne, ciste Ficoroni, sedia Gorsini, d'autres enco
re), ils apparaîtront souvent moins comme le témoignage
d'une réalité italique que comme l'écho plus ou moins nuancé
d'une civilisation, d'un art, ou à tout le moins de thèmes
étrangers. La part de la conjecture reste donc importante.
L'ITALIE TERRE RICHE EN BETES SAUVAGES
Une remarque préliminaire s'impose : le sol de l'Italie
antique faisait logiquement d'elle un terroir giboyeux. Sans
cesse attaquée au cours des siècles, la forêt a pratiquement
disparu aujourd'hui ; partout la terre nue, les essences médi
terranéennes, ou des intrus très modernes : orangers, citron
niers ont remplacé les arbres de haute futaie : chênes, hêtres,
sapins, qui firent l'admiration des anciens et singulièrement
des Grecs (1) ; du sud au nord on la trouvait, nourricière de
(1) V. Hehn, Kulturplamsen u. Hausthiere, p. 520 s. H. Nissen, ItaliscKe
Landeskunde, Berlin, 1893, p. 429-436 ; J. Slon, Italie in Géographie Uni
verselle publiée par Vidal de La Blaclie et Gallois, Paris, 1934, VU, 2 ;
B. Païs, Storia dell'Italia Antica e délia, Sicilia per l'età anteriore al
dominio Romama, I, cap. I : les Anciens considéraient l'Italie comme le
pays boisé par excellence,
8 INTRODUCTION
fauves, repaire de bêtes féroces : dans le Bruttium, en Apulie,
profondes forêts des environs de Bénévent qui furent un
obstacle aux armées de Pyrrhus ; dans le nord, Polybe, Stra-
bon pour ne citer que quelques noms signalent l'étendue des
chênaies de la Cisalpine, exportatrice de bois, où pâturaient
d'immenses hordes de porcs, et à côté d'elles croissaient
l'orme et le châtaignier. II en était de même pour le cœur du
pays ; l'arête dorsale de l'Italie aujourd'hui montagne aride
était recouverte d'arbres. La Sabine était une région de pâtu
rages et de forêts dont les glands nourrissaient de nombreux
troupeaux ; les essences d'Etrurie étaient recherchées pour
les constructions navales. Dans le Latium le sombre bois
sacré de Némi demeurait à travers les siècles l'emblème de
l'Italie antique, cependant que Théophraste décrivait en ter
mes admiratifs le pays des Latins, la luxuriance de ses
forêts (1) ; et les collines de Rome étaient elles-mêmes hau
teurs boisées (2). A côté de ces régions forestières, elles aussi
plus développées qu'aujourd'hui les zones marécageuses et
palustres couvraient de vastes cantons sur la côte, aux em
bouchures des fleuves.
Bref, et sans parler des riches terres à céréales de la plaine,
montagnes, forêts, marais, pâturages à faible densité de peu
plement se partageaient le sol de l'Italie ; c'étaient, à n'en
point douter des conditions géographiques particulièrement
favorables à l'existence d'espèces animales abondantes et
diverses.
La richesse cynégétique de l'Italie est en effet indiscutable
durant une longue période de l'histoire romaine. Denys
d'Halicarnasse l'affirme d'un mot : «*Exsi S'T) y^... xai Bïjptwv
àypa; àçeévouç ». (3)
(1) Théophr. : Eist. Plant. V, 8, 3, et la belle page de J. Frazer, Les
Origines magiques de la Royauté, trad. Loyson, 1920, p. 233, sur les forêts
du sol latin et les cultes qui en dérivèrent, cf. Païs-Bayet. Histoire Romaine
I, p. 50, n°. 73 ; encore à l'époque de Pline, N. H., XVI, 242.
(2) Par ex. Querquetual, Fagutal, Viminal.
(3) Dion. Hal. I, 37 ; de même Lucrèce qui évoque, sans exclure l'Ita
lie, les bêtes sauvages dont fourmille encore la terre... et trepido terrore
repleta est/per nemora ac montes magnos siluasque profundas, De R,
y, 4(MX.
INTRODUCTION 9
De fait, si l'Italie, terre fortunée ignore naturellement les
grands fauves à l'époque historique (1), elle nourrit toutes les
bêtes de chasse de l'Europe tempérée : loups, ours, sangliers,
cerfs, chevreuils, chamois, mouflons, lièvres, sans compter
naturellement les oiseaux, qui migrateurs ou sédentaires
constituent un élément de première importance dans toute
chasse méditerranéenne. Et l'Italie a toujours largement pra
tiqué Vaucupium, depuis la chasse à la fronde de la tombe
délia Oaccia e délia Pesca avec toute la série des pièges qu'évo
quent sans cesse les métaphores et comparaisons plautinien-
nes, en passant par la volière, annexe obligée de la villa
romaine, pour arriver à l'uccellagione de la Rome pontifi
cale (2), aux actuelles tenderies de Gapri, aux tirs aux
moineaux des Nemrods contemporains dans la campagne
romaine.
LE LOUP
Et d'abord les loups, qui des savanes où ils chassaient en
meutes, se réfugièrent d'assez bonne heure dans les bois et
les halliers impénétrables. Les étendues forestières de l'Euro
pe occidentale leur offraient à l'époque romaine de sûres
retraites : très répandus en Gaule et en Germanie, ils étaient
moins nombreux en Italie ; mais s'ils paraissaient absents de
la Corse et de la Sardaigne, la Sicile et l'Italie continentale
les connurent à toute époque (3) : leur présence est attestée
dans l'Italie du Sud, dans le Bruttium (4), en Lucanie, en
(1) Cf. le thème virgilien de l'âge d'or. At rabidœ tigres absunt. G. II.
151.
(2) Ainsi Léon X dans les environs de Viterbe pratiquait l'oisellerie
et le vol des oiseaux « con vera passione italiana » de Cupis, La Caocia,
p. 55 ; cf. id. tav. I à VIII ; et aussi entre autres exemples G. Pietro
Olina, Vcceliere, overo Discorso délia Natura e propriété di diversi
uccelU..., Roma, 1684.
(3) O. Keller. Tiere. p. 158 ss. O. Keller. Ant. Tierwelt, p. 88, ainsi
des restes de loups dans les palaflttes de la région du lac de Côme.
0. Montelius : La civilisation primitive en Italie, I, 1, col. 37 ; dans les
fonds de cabanes près d'Imola, id. ibid col. 129 ; mais ces restes sont
en petit nombre, l'animal ne servant pas à l'alimentation, ne devait pas
être poursuivi systématiquement.
(4) Paus., VI, 6, II,
10 INTRODUCTION
Apulie (1) ; on les signale en Gampanie (2), dans le Sam-
nium (3). En Etrurie, les Proto-Etrusques avaient déjà maille
à partir avec lui : sur le brûle-parfums de Gapodimonte, des
chasseurs se livrent à leur passe-temps favoi'i (chasseur muni
d'un épieu et tenant en laisse un chien), (Planche I) ou à la
défense des troupeaux contre la bête de rapines (chasseur-
archer visant un loup) (4). Si les influences orientalisantes
sont visibles, l'œuvre a été cependant adaptée et repensée sui-
v^ant une formule italique : ainsi la défense des troupeaux
contre le loup est formule d'art local, autochtone, de même
que le traitement pittoresque et réaliste des scènes erotiques
et paysannes. Et le loup continuera à hanter le terroir tyrrhé-
nien et la conscience de ses habitants (5). Plus au nord, le
fauve est également l'hôte de l'Ombrie (6) et de la Cisal
pine (7).
Quant au Latium, à la Sabine, ce sont elles aussi, terres
d'élection pour l'animal terreur des troupeaux et des ber
gers (8). On le rencontre à Formies (9), à Lanuvium (10), à
Ostie (11), à Minturnes (12). Les pâtres du Palatin avaient eu
à défendre leurs troupeaux contre les agressions du pillard
et on a pu supposer que les grossières fortiflcations de bois
(1) Hor. Od. I, 33, 7 s.
(2) Llv. XXVII, 37, 3.
(3) Strab. V, 250 ; Fest., 106.
(4) K. Paribeni, Not. d. Soavi, 192S, p. 434 ss. flg. 10, 18, 19.
(5) Pour le mufle de loup sur la tête des guerriers chasseurs toscans,
Virg. En. XI, 680, et sur celle des démons ou Ou Pluton étrusques. F. de
Ruyt, Charun démon étrusque de la mort, Bruxelles, 1934, v. Index. A.
Piganiol, Recherches sur les Jeux Romains, p. 129 et N. 5 - cf. aussi E.
Gain, Il sarcofago etrusco di Torre San Severo, Mon. Ant. XXIV, 1916,
col. 44, 45, fig. 25 et 26 ; P. Ducati, Osservagioni di demonologia etrusca.
Rend, Lincei, XXIV, 1915, p. 543 ss. — A. Grenier, Les Religions étrusque
et romaine, Paris, 1948, p. 65.
(6) Llv., X, 27, 8.
(7) Pour les grandes chasses en Cisalpine, J. Bayet, L'Evolution de
l'art de Virgile des origines aux Oéorgiques R.C.G., 1930, p. 374.
. (S) Hor. Od. I, 17, 9 ; id. 22, 9 ; chiens dressés au loup. Colum. R.R.
VII, 12.
(9) Liv. XXXII, 29, 2.
(le)Hor. Od. m, 27, 3.
(11) lui. Obseq., cap. 87.
(12) lui. Obseq., cap. 86 ; cf, aussi Virg. En. VII, 688 ; Serv, ad. Aen,
I, 273,
