Table Of ContentCOLLECTION FONDÉE
PAR JEAN-CLAUDE SIMOËN
La liste des ouvrages du même auteur figure en fin de volume
© Editions Plon, un département d’Edi8, et Anne Carrière, 2017
Editions Plon
12, avenue d’Italie
75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
www.plon.fr
Dessins intérieurs d’Alain Bouldouyre
La Jeune Fille en bleu, 1928, André Derain © Bridgeman Art Library © ADAGP
Photographie auteur © Olivier Touron
Graphisme : d’après www.atelierdominiquetoutain.com
EAN : 978-2-259-26410-5
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Pour Louise.
Pour mes cariatides :
Christiane Dermardirossian qui, avec sa finesse
et son intelligence, m’accompagne
depuis toujours dans ma carrière
et Claude Capelier qui, en philosophe,
m’a posé les questions propres
à « accoucher » mes pensées
dans une meilleure clarté.
A tous les parents, grands-parents, éducateurs…
qui m’ont fait, me font confiance
et autorisent une rencontre avec leurs enfants
ou leurs adolescents afin que les symptômes prennent sens
– condition préalable pour que ces consultations
puissent devenir thérapeutiques.
« La condescendance des adultes transforme l’enfant en une espèce
dont tous les individus s’équivalent : rien ne m’irritait davantage
[…] ; je n’étais pas “une enfant” : j’étais moi. »
SIMONE DE BEAUVOIR
« L’importance des souvenirs d’enfance dans la vie des auteurs
découle en dernier lieu de l’hypothèse d’après laquelle l’œuvre
littéraire, comme le rêve diurne, serait une continuation et une
substitution des jeux enfantins d’autrefois. »
SIGMUND FREUD
« La mémoire est artiste. »
CHARLES BAUDOIN
Introduction
L’enfant, en tant que personne à part entière, non seulement réceptive
mais aussi active dès sa naissance et même in utero, est, paradoxalement,
une découverte du XXe siècle.
Cette conviction a pourtant pris une telle force d’évidence que nous
avons aujourd’hui un certain mal à comprendre pourquoi elle ne s’est pas
imposée plus tôt. De fait, elle nous est devenue si naturelle qu’elle tend à
nous faire sous-estimer le bouleversement profond de l’idée d’humanité
qui l’a accompagnée et rendue possible, illustré notamment par la place
centrale désormais reconnue à notre part d’enfance.
Car notre époque se distingue de toutes celles qui l’ont précédée par le
mouvement qui la porte à intégrer, dans ce qui donne sens et valeur à la
condition  humaine,  des  dimensions  de  l’existence  jusque-là  négligées,
méprisées ou réprimées : non seulement notre part d’enfance, mais aussi
la sexualité, les dispositions féminines chez l’homme ou masculines chez
la femme, notre animalité, ce que nous devons à la nature, nos grains de
folie ou la sensibilité aux charmes de la vie quotidienne dans ce qu’elle a
de plus banal. L’art contemporain a trouvé là ses thèmes de prédilection.
Plus  généralement,  ces  penchants,  dont  on  s’employait  à  détourner  les
enfants et qui étaient jadis relégués, au mieux, dans la sphère privée, sont
à  présent  au  cœur  des  grands  enjeux  des  politiques  publiques  :  on
revendique  la  mise  en  place  d’un  système  éducatif  et  d’un  marché  du
travail qui donnent à chacun l’opportunité de réaliser pleinement toutes
ses potentialités (y compris les plus singulières) ; on veut une offre en
matière de santé toujours plus personnalisée ; chacun aspire à une société
où  il  puisse  faire  valoir  et  reconnaître  toutes  ses  «  différences  »  ; la
préoccupation  écologique  comme  celle  de  la  protection  des  animaux
s’affirment  à  proportion  de  notre  sentiment  d’appartenance  au  monde
naturel et animal.
Cette vision élargie de ce qui est susceptible de donner plus d’intensité
à  l’existence  n’est  évidemment  pas  pour  rien  dans  le  fait  que
l’adolescence tend maintenant à se prolonger indéfiniment, commençant
plus  tôt  (en  réponse  à  la  liberté  plus  grande  reconnue  à  l’enfant)  et
finissant  plus  tard  (afin  de  différer  autant  que  possible  le  moment
d’assumer ce que l’on est comme adulte, avec nos forces mais aussi nos
limites).
Avant cette transmutation des valeurs, par laquelle l’enfance en nous
s’est  révélée  constituer  une  dimension  essentielle  du  sens  de  notre
existence, on tendait à ne voir, dans l’enfant, que l’esquisse maladroite de
l’adulte en devenir, un adulte inachevé et donc, par définition, imparfait.
Rien qui justifiât qu’on s’y penche, sinon pour le contenir et le conformer
aussi  vite  que  possible  au  modèle  adulte,  dont  les  représentations,  la
raison, les idéaux, les œuvres paraissaient seuls dignes d’intérêt. Les traits
propres à l’enfance semblaient dénués de toute valeur intrinsèque : ils ne
pouvaient être que manque ou regrettables défauts de jeunesse ! Ce n’est
pas par hasard ni par défaut de maîtrise que, dans les tableaux des maîtres
de la Renaissance ou du classicisme, les bébés ont des traits d’adultes !
Certes, dès le XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau a été le premier
penseur à tenter de comprendre, dans l’Emile, son traité d’éducation, les
spécificités  des  étapes  successives  de  l’enfance  et  à  proposer  que  la
pédagogie s’y adapte au lieu de les soumettre prématurément aux normes
du savoir académique. Mais, s’il plaidait pour que l’on veille à prendre en
compte  les  caractéristiques  intellectuelles,  affectives  et  physiques  de