Table Of ContentFONDAZIONE GIORGIO RONCHI
GIOVAN BATTISDTEAL LA PORTA
DE TELESCOPIO
coni ntrodud::tii one
VASCOR ONCHI MARIAA MALIAN ALDONI
e
FIRENZE
LEO S.O LSCHKI -EDITORE
MCMLXII
De Telescopio
GIOVAN BATTISTA DELLA PORTA
1n troduzsione.
Du De Refractione au De Telescopio (•)
V ASCO RONCHI
Que G. B. Della Porta, Napolitain divers témoignages que la préparation
( 1535-1615), ait eu une part importante du manuscrit était très avancée, per
dan!l l' invention de la lunette, tous sonne ne le retrouva après la mort de
l'admettent. Il n'eRt même pas rare de l'auteur, et on le considérait comme dis.
le voir considérer comme son véritable paru. Cependant, il se trouvait dans un
inventeur. Or, pour apprécier son mé recueil de manuscrits de l' Accademia
rite équitablement, une analyse précise Nnzionale dei Lincei, à Rome, acadé
du contenu, peut-être technique, de sa mie (ondée par le marquis Federico Cesi
contribution à l'optique s' impose, ana justement dans les premières années du
lyse que, en grande partie, nous avons XVII siècle et dont Porta fut l'un des
déjà faite dans d'autreR publications (') prem~s membres. En 1940, G. Ga
et que maintenant nous nous proposons brieli, l'érudit et fort regretté biblio
d'exposer plus complètement, mettant à thécaire de cette Académie, se voua à
profit la découverte récente d'un docu la recherche de la correspondance et
ment apportant des éléments décisifs. des œuvres des premiers « Lincei ».
Il s'agit d'un manuscrit de l'ouvrage Feuilletant un volume manuscrit de
de Porta, intitulé De Telescopio, qu' il Porta, qui portait sur la couverture le
a écrit dans les dernières années de sn titre Elementorum Curoilineorum, il eut
vie. la joyeuse surprise de trouver qu'après
Il avait témérairement annoncé ce tra les 30 premiers feuillets, effectivement
vail et s'était engagé avec l'éditeur Za consacrés à l'étude des « éléments cur
nctto, mais il est mort sans confier le vilignes », toutes les autres feuilles, plus
texte aux presses. Bien que l'on sût par d'un!" centainl'. contenaient le texte
(•) • Qa.sto arlicolo A compt~rlfO 1u: c Rnue d' Biuolre de-~ S<:ieace• • VII, 1. p•f{· 34, JQ.S-'.
(1) · V. RONCHJ, Il can,.occllliole di Galileo e la IC'il'nao del •eicento. Ed. 5<-i"nti6o:hf' Einaudi, Torino, 1958.
2 V. Ronchi
même du De Telescopio, à l'exception nuscrit aux érudits en la mallere et de
des dernières pages couvertes de frag l'entourer des renseignements que l'au
ments de tragédies et de prescriptions teur elle-même a su rassembler à son
médicales en latin, sujets qui entraient sujet, mais la critique technique est à
dans l'activité combien variée de Porta. peine effleurée, l'auteur ne s'étant pas
Gabrieli, conscient de l' importanct> crue compétente.
du manuscrit retrouvé, en commença la En revenant à notre tour sur cet ou
transcription, mais se heurta bientôt à vrage, nous nous proposons d'ajouter
de sérieuses difficultés, car un grand au:" notes historiques et chronologiques
nombre de termes techniques lui étaient un exposé critique de son contenu scien
inintelligibles. Jugeant opportune la col tifique. Cependant il nous paraît utile
laboration d'une personne compétente de donner un résumé des mémoires déjà
dn la matière, il s'adressa à l'auteur de publiés par la Dr. Naldoni et une ~-ue
ces lignes. Nous acceptâmes bien vo des connaissances optiques au moment
lontiers Ea requête et le précieux ma où le manru;crit fut compœé, car la va
nuscrit fut transféré à la Biblioteca Na leur de l'œuvre ne peut être appréciée
zionale de Florence et mis à notre dis qu'en l' insérant dans son cadre histo
position. Comme la guerre passait alors rique.
dans la zone de Florence, par sa phase Ce manuscrit est un des 4 manuscrits
aiguë, on décida de surseoir à ce tra de Porta existant dans les archives de
vail et de conserver le manuscrit en un l'Accademia Nazionale dei Lincei à Ro
lieu sûr. me. C'est un volume in-folio de 165
L.., danger passé, Mlle la Dr. Maria feuillets numérotés seulement sur le
Amalia Naldoni fut chargée de l' inter recto, relié en carton, recouvert exté
prétation littérale du texte, sous notre rieurement de parchemin. Il appartint,
direction. La transcription fut achevée du moins à l'origine, à Federico Cesi,
dans l'hiver 1945-46 et le volume re comme il résulte du cachet qui y figure
stitué à l' Accademia l'iazionale dei Lin aux pages 12 et ll2 (').
cei. L' ind.ex complet du manuscrit, tel
La transcription manuscrite, avec une que l'a donné Mlle Naldoni dans son
copie des figures, se trouve à l' Institut premier article est le suivant:
National d'Optique de Florence, Arcetri.
Mlle Maria Amalia Naldoni publia une FenilleiS 1· 30: Elcmenrorum curvilineorunr
description succincte de l'œuvre dans (Éléments <urviliBnes, 3 li
un article intitulé " Un manoscritto ine \'res).
dito di G. B. Della Porta » paru dans 31- 41: De pila crystal/ina - liber se-
les Atti della Fondazione Giorgio Ron cundu< (La sphère de verre).
chi (Ire année, nos l-2 p. 48, 1946) (*), 38- 39: appartient au De Telescopio.
suivi peu après d'un second article (id., 42- 4 7: De pila crystal/ina.
Ire année, nos 5-6, p. 180, 1946). Enfin 45- 46: fragment sur les lentilles con-
un troisième mémoire, accompagné de \'CXCS.
quelques photographies, parut dans la 48- 64: De radii.< solaribus perspicua
même revue six ans après (ïe année, corpora invadentibus liber
no l, p. 54, 1952). primus (Des rayons solaires
Dans ces trois notes, l'auteur se pro qui traversent les corps tran·
pose, entre autres, de présenter le ma- !>parPnls).
(•) ût 1rticle ~•t rPproduit J1n1 1~1 pafo!el luÎvlntf'll.
(2) . G, GABHIELLI. • G. B. Della Por1a ~. ~otiri• bibliogn6u, Rf'nd. Ace. ,'loc. dei I.lncei, CluM" Scicoorf" monli, nori
chC' c 6lo•o6che, 1932, p. ;!17.
.,
Du De Refractione au De Telescopio
.~
Feuillets 54- 55: Notes diverses, concernant le ditifs, signes indéchiffrables, remarques
De pila crysrallina. à peine esquissées afin de fixer une idée
57- 62: Petites pages avec quelques saisie au vol. Confusion et incertitude se
proposition du De radiis sola manifestent aussi dans la syntaxe et dans
ribus per&picu.a corpora inva. les expressions la tines utilisées par 1' au
dentibus. teur, latin assez original et rebelle aux
63- 64: Noies concernant le De ra règles classiques.
diis ... On doit aussi noter que la confusion
65- 68: Notes coucem1rnt le De pila formelle et linguistique augmente à me
crystallina. sure qu'on s'approche des derniers cha
69- 78: De radii• solaribu.s perspicua pitres, dont certain~ passages sont ab
corpora invadentibus. solument indéchiffrables.
79- 85: De pila crystallina. La structure de l'œuvre semble avoir
86 Fragment d'une scène de été la suivante:
Ulysse.
87 • 97: De rodiis solaribw perspicua Livre Premier. - De radiis solaribus
corpora invadentibus. perspicua corpora int:adentibus.
97v-ll0: De pila cryslallina. » IL - De pila crystallina.
lll-116: Liber terlius. De convexis » Ill. - De convexis utrinque spe-
utrinque specillis (lentilles bi cilli.•.
convexes). " IV. - De concavis utrinque spe-
ll7-120: Liber quarlw. De concavis cillis.
utrinque specillis (lentilles bi " V. - De telescopio.
concaves).
121- De Telescopio (Le téle&cope). Il semble toutefois que l'auteur avait
122-125: Liher quinlus. De Telescopio. en dans l'esprit de porter à 7 le nombre
126-131: Sni te des pages 97 ... du De des chapitres, ajoutant un De semilen
pila crystal/ina. tibus (convexes) et un De semilentibus
132-139: Liber lerlius. De convexis (concaves).
utrinque specillis. Du chapitre « De pila crystallina "•
140-141: Liber quarlw. De semilenli nous avons 4 copies, dont celle qui dé
bus (les •emi-lentilles con bute à la page 97 parait la plus com
vexes). plète et la plus définitive. Au contraire.
142-145: Liber tertius. De convexis il n'y a que 3 versions du premier livre.
utrinque specillis. Le 3ème livre •e trouve également 3 fois,
146-147: Liber quartus. De concavis les versions du 4ème se trouvent au
ulrinque specillis. nombre de deux dont l'une n'est com
l.Ji'v : Liber sPxtus. De semilentibus posée que de deux feuillets.
(lt>s semi-lentillri conraveF-L L'ossature de l'œuvre devait être la
148-165: FragmeniB de tragédies et suh·ante: on commence par étudier la
Jlrt"Scriplions médicales en réfraction dans les corps transparenb
lati·n. cn général, on passe à l'étude de la
sphère de verre, de là aux lentille,; bi
Comme il e•t évident, il s'agit d'un <"Onvexes, puis aux biconeaH·s et enfin.
recueil tout autre que définitif par sa on se propose de traiter le télescopl'.
confusion et son irrégularité. C'est un vé Les « demi-lentilles » con\'t•xes et eon
ritable brouillon dans lequel les premiers <"aves voulaient être les lt·ntilles plan
chapitres se trouvent en plusieurs co convexes et plan-conca\·e-s. Nous verrons
pies alors que le• derniers sont encore pour qul'lle raison Porta a décidé dt•
informes, avec ratures, corrections, ad- les traiter d'une façon particulière.
4 V. Ronchi
Celui qui lirait ces pages pour y trou comme l'étal d'agglomération, la tem
ver les étapes du progrès scientifique pérature, la rugosité de la surface. Le
qui s'est épanoui dans les théories op goût nou~ fait connaître la saveur oes
tiques modernes, resterait assez déçu. corps venus au contact de notre langue
Il devrait conclure qu'il s'agit d'un ou d'autres parties de la bouche, l'odo
amas d' idées sans lien et de raisonne rat nous fait sentir l'odeur des corps
ments absurdes et sans conclusion. Au quand entrent, dans le nez, les exhalai
contraire, si l'œuvre est replacée dans sons, c'est-à-dire des vapeun émises par
le cadre de la culture et du mouvement ces corps mèmes; l'ouïe nous fait en
scientifique de son époque, elle acquiert tendre les sons quand arrivent aux
nn intérêt très particulier et un carac oreilles les vibrations que les corps
tère, pour ainsi dire, dramatique. Elle oscillants communiquent au fluide am
représente en fait une des dernières ma. biant. Dans tous ces cas, il fut facile
nifestations de vitalité d'une science dé de démontrer qu' il y avait une com
sormais touchée à mort et destinée à munication entre l'objet externe et l'or
disparaître. gane du sens el que la sensation cessait
La science qui devait la remplacer si on interceptait le véhicule de la com
était déjà née et s' imposait inexora munication.
blement, accueillie avec une faveur to On en ,·int alors au sens de la vue.
tale par les esprits jeunes qui n'étaient L' idée que, dans ce cas également,
plus modelés à l'antique, tandis que quelque chose devait mettre en com
les \'ieillards (et Porta s'approche des munication l'objet externe avec l'organe
80 ans lorsqu' il écrit ces pages) étaient du sens, fut tout de suite exprimée ex
incapables de renverser les idoles de plicitement. Mais quand on voulut dé
leur vie intellectuelle el ne réussissaient finir la nature et les modalités de cette
pas à s'adaptl"r aux nouvelles concep communication, il se posa un problème
tion~. que s' ingénièrent à résoudre les esprits
les meilleurs de l'humanité, pendant
* deux milliers d'années, avant d'en trou
n~r une solution acceptable. Car le sens
Pour se faire une notion de l'optique de la vue n'apporte pas seulement une
oans lt"s premières décades du XVII sensation de lumière et de couleur,
sièrle, il faut remonter assez loin dans c'est'à-dire quelque chose de la même
le temps, jusqu'au moment où on lente nature que la saveur, l'odeur, le son,
de définir le mécanisme de la vision, mais il donne aussi la représentation de
c'est-à-dire à quelques siècles avant la forme et de la position des corps ob
Jésus-Christ ('). Il est notoire que la servés. Par coméquent, le quid qui porte
philosophie gréco-romaine étudie essen à l'organe de la vue les éléments n~s
tiellement l'homme en tant qu'être sen saires à la vision ne peut être une exha
sible et analyse les mécanismes par les laison informe, mais doit conserver en
quels l'âme, comme on l'appelait alors, lui-même l'ordre avec lequel il a été émis
en ,·ient ù connaître le monde extérieur. pas le corps extérieur, et, autre problè
Constatant qu'elle y réussit par le mes très difficile, il doit posséder une
moyen des organes des sens, on recon structure qui lui permelle de faire péné.
nut bientôt que le toucher nous reinsei trer un tel ordre dans une petite pupille,
gne sur les corps qui viennent en con où qu'elle se trouve et quelque grand que
tact avec notre épiderme et nous per soit l'émetteur.
met de connaître diverses propriétés Déjà, dans le monde gréco-romain,
(3) • V, RONCHI, Srori.a dello LPce, na Ediaîoae, Bol~na, Znicbrolli, 1952.
V. RONCHI, Hiuoire de la lumilre, Pari•, Colio, 1956.
Du De Refractione au De 'felescopio
toutes les conceptions possibles furent la main d'un aveugle, en dépit des cri
imagmees afin de résoudre une énigme tiques faciles des physiciens. Mais leur
aussi complexe. conceptions des " eidola » off rait à son
L'école des mathématiciens affronta tour une cible aussi vulnérable à la cri·
le problème avec les critères géométri tique des mathématiciens. Pour tous,
ques de la perspective, et considérant démolir, mais non construire, était aisé.
l'œil comme le point de vue, elle émit Il faut arriver au XJ siède de notre
l'hypothèse que de l'œil sortaient des ère pour assister à l'écroulement de la
entités rectilignes, dites " rayons vi théorie des rayons visuels. Le physicien
suels "• capables d'explorer le monde arabe lbn-Al-Haitham (connu sous le
extérieur comme le bâton dans la main nom vulgarisé de Alhazen) fit une ob
d'un aveugle. Elles transmettaient ainsi servation très élémentaire mais décisi·
à l'œil les éléments nécessaires et suf ve: si l'on regarde le soleil et si l'on
fisants pour que l'âme, avisée par les ferme ensuite les yeux, on continue à
renseignements qui lui provenaient à voir l'aspect du soleil pendant plusieurs
travers le nerf optique, pût reconstruire minutes encore. Il en déduisit, et tous
le monde environnant, et le reconstruire durent en convenir, que cet effet pou·
signifiait le voir. vait s'expliquer seulement en admettant
Un courant peu nombreux de phy qu'un agent très puissant était envoyé
siciens se dirigeait au contraire dans par le soleil dans les yeux, et y laissait
une voie tout opJl<lsée. Retenant eux une empreinte durable. Les rayons vi
aussi qu' une communication entre suels durent être abandonnés. L'hypo·
l'objet extérieur et l'organe de la vi thèse des physiciens surgit au premier
sion était nécessaire, ils préféraient plan, mais telle qu'elle était, on ne
imaginer que celte relation s'établis•ait pouvait l'accepter.
au moyen d'un intermédiaire qui éma Alhazen, malgré son ignorance des
nait des corps el entrait dans les yeux, lois fondamentales de l'optique, la loi
portant en soi la forme et les couleurs de la réfraction par exemple, accom·
de l'émetteur. Ainsi on en arriva à pen plit de véritables miracles à ce propos,
ser que chaque corps émettait sans cesse car il réussit à expliquer comment les
des " écorces "• pour ainsi dire, très sub " eidola " de corps ~rands <"Omme une
tiles, impalpables, se propageant à gran montagne pouvaient entrer dans la pu·
de vitesse dans toutes les directions, pille de l'œil sans admettre qu'elles se
!'ans se gêner mutuellement, mais dimi contractaient en r.oute. Il observa en
·nuant progressivement de dimensions effet qu' il suffisait de considérer la
afin d'être apte.~ à pénétrer dans une montagne comme composée d'un grand
pupille quand elles la rencontraient sur nombre d'éléments punctiformes pour
leur chemin. Ces écorces furent nom résoudre ce grand problème. Ces élé
mées " eidola » ou " images"· ments émettaient des " eidola " évidem
Outre ces deux hypothèses extrêmes, ment plus petitf'.s que la pupille, où eJ.
il en fut conçu encore une autre qui les pouvaient donc pénétrer lorsqu'el
,·oulait être comme un compromis, mais les la rencontraient sans avoir besoin
u'eut pas grand succès. L'hypothèse de diminuer en route leurs propres di
,·raiment reçue, officielle pour ainsi dire, mensions. Il suffisait d'admettre ensuite
était celle des mathématiciens. Pendant qu'elles cheminaient en ligne droite pour
plus de quatorze siècles, on continua que leur ensemble conservât, même
d'enseigner dans les écoles que la vi après avoir pénétré dans l'œil, l'ordre
~ion avait lieu au moyen des rayons vi qui avait présidé à leur émission par
suels issus de l'œil pour explorer le le corps.
monde extérieur, comme un bâton dans Bien qu'Alhazen ne réussit pus à pn-