Table Of ContentDALI
DALI
DAÜ
avec une introduction de J.-G. Ballard
ouvrage conçu et présenté par David Larkin.
Chêne
© 1973 : Ballantine Books, Inc. New York
© 1973 pour l'édition française par accord avec Ballantine Books : Sté Nlle des Editions du Chêne, Paris
Tous droits réservés
Nous sommes très reconnaissants aux artistes, collectionneurs et musées qui nous ont aimablement autorisés à reproduire les œuvres
dont ils détiennent les droits.
Imprimé en Italie par Mondadori, Vérone.
Dépôt légal n° 7721-3-1974
ISBN 2-85108-002-4
N° 34-0076-9
Les sciences spécialisées de notre époque
sont concentrées sur l'étude des trois
constantes de la vie : la pulsion sexuelle,
l'instinct de mort, et l'angoisse de l'espace-temps.»
Salvador Dali, dans «DALI de Draeger», Paris 1968
Le mariage malaisé de la raison L'art de Salvador Dali,
et du cauchemar qui a dominé le métaphore extrême à une époque
XXe siècle a donné naissance à où seul l'extrême compte,
un monde de plus en plus constitue un ensemble de
«surréel». Chaque jour davantage prophéties vis-à-vis de nous-
nous constatons que les mêmes d'une exactitude sans
événements de notre époque égal depuis l'ouvrage de Freud
prennent un sens en termes de «Malaise dans la Civilisation».
surréalisme plus qu'à n'importe Le voyeurisme, le dégoût de soi-
quel autre point de vue — qu'il même, le fondement infantile de
s'agisse des faits atroces des nos craintes et de nos désirs
camps de la mort, d'Hiroschima ardents, le besoin de poursuivre
et du Viet Nam, ou encore de notre propre psychopathologie
notre malaise nettement plus comme un jeu — ces malaises de
ambigu devant une la psyché, Dali les a diagnostiqués
transplantation d'organe et un avec une précision troublante.
fœtus extra-utérin, les confusions Sa peinture n'anticipe pas
du monde des media avec son seulement la crise psychique qui
insistance sur le clinquant, les a engendré notre paradis glauque,
effets et le bizarre, sa faim elle fournit aussi des documents
d'irrationnel et de sensationnel. sur les plaisirs douteux d'y vivre.
Les deux grands leitmotive du appareil cérébro-spinal, Dali a
XXe siècle — le sexe et la choisi d'affronter toutes les
paranoïa — président à sa vie chimères de notre esprit sous la
comme à la nôtre. Clarté de Midi.
Peintre, écrivain, graveur, A la différence encore de Ernst
illustrateur, joaillier, le génie et de Burroughs
polymorphe de Dali va de pair dont les personnalités solitaires
avec celui de Léonard. Max se fondent dans les ombres qui
Ernst, William Burroughs et lui les entourent, l'identité de Dali
forment un trio d'hommes de reste entièrement évidente. Don
génie prêts à mettre leur art à Quichotte en complet veston de
l'entière disposition de soie, il galope excentriquement à
l'inconscient. Toutefois, là où travers un désert visqueux et
Ernst et Burroughs transmettent suréclairé, sous la seule
leurs messages à Minuit, partant protection de ses impétueuses
des sentiers obscurs de notre moustaches.
Les sables mouvants de l'automatisme
et des rêves disparaissent au réveil.
Mais les roches de l'imagination subsistent. »
Salvador Dali, dans «Dali de gala». Bibliothèque des Arts, 1962
Il va sans dire que, pour de désert, le surréalisme a joui ces
nombreuses personnes, Dali a dernières années d'une vogue
toujours et avec excès tenu à soudaine; mais d'une certaine
jouer son propre personnage. façon Dali est resté à l'écart —
;
Après une longue traversée du d'abord à cause de la presse
internationale qui a toujours qui le sujet de Dali, comme
encouragé ses bouffonneries l'excrément qu'il peignit dans le
exhibitionnistes et aussi du fait de «Jeu Lugubre», rappelle beaucoup
l'intelligentsia puritaine d'Europe trop toutes les capitulations
occidentale et d'Amérique à psychiques de notre enfance.
A l'âge de six ans je voulais être cuisinier.
A sept ans, je voulais être Napoléon. Et
mon ambition a toujours grandi régulièrement
depuis. »
Salvador Dali, dans «la Vie secrète de Salvador Dali», La Table Ronde, Paris, 1952.
Le personnage qu'évoque le nom gouvernantes pleines
de Dali, tout à la fois clown, d'indulgence, de professeurs d'art
muezzin fou déclamant du haut originaux, de vieilles
de sa tour phallique un hymne à mendiantes... A l'école d'art il
la psychanalyse et à l'auto- développa précocement sa
confession, génie pour le meilleur brillante personnalité et
et pour le pire échappe à toute découvrit la psychanalyse. A
classification. Etrangement cette époque, c'est-à-dire au cours
pourtant, les années de formation des années 20, le surréalisme
de Dali se sont écoulées dans la était déjà un mouvement
banalité. Il est né à Figueras, près artistique reconnu. Chirico,
de Barcelone, le 11 mai 1904, Duchamp et Max Ernst en
second fils d'un notaire aisé, et a étaient les aînés. Dali fût
bénéficié d'une enfance sans cependant le premier surréaliste
contrainte et choyée, entouré de à accepter entièrement la logique
de l'âge freudien et à décrire le Ernst, Tanguy et Magritte
monde extraordinaire de la décrivent pour la plupart des
psyché du XXe siècle en termes mondes impossibles ou
d'éléments de la vie quotidienne : symboliques — les événements
téléphones, montres-bracelets, relatés s'y sont bien produits,
œufs sur le plat, armoires, plages. mais dans un sens métaphorique.
Ce qui distingue par-dessus tout Dans la peinture de Dali, les
son œuvre, c'est le naturalisme événements ne sont guère
hallucinatoire de son style éloignés de notre réalité
«Renaissance». Les paysages de quotidienne.
A près Freud, c'est le monde extérieur, le
monde de la physique qui devra être
érotisé et quantifié.»
Salvador Dali, dans «Dali de Gala», Bibliothèque des Arts, Paris, 1962.
Ceci reflète l'engagement total de depuis l'enfance fusionnent avec
Dali dans la vision freudienne de les paysages polymorphes du
l'inconscient prise comme scène présent pour créer un futur
narrative. Les éléments issus des étrange et ambigu. Les contours
zones marginales de l'esprit — les d'un dos de femme, la
gestes de la vie courante, les signification de certaines formes
mouvements à travers les portes, rectilignes épousent nos
un coup d'œil par un balcon — souvenirs et nos désirs. Les rôles
se transforment en matériaux habituels sont remis en question.
d'un drame bizarre. Les conflits Christophe Colomb, à son
œdipiens que nous avons traînés débarquement, vient de découvrir
les fesses d'une jeune femme; une que nous avons de la réalité. La
gouvernante domine encore le signification latente du curviligne
rivage de sa vie, des fenêtres opposé au rectiligne ou des
s'incmstent dans son corps formes molles opposées aux
comme dans les murs de sa formes géométriques dures, sont
chambre d'enfant. Plus tard, des thèmes qui nous perturbent
dans la maturité de Dali, les autant que le souvenir d'un ogre
formes nucléaires et paternel. En appliquant le
fragmentaires transcrivent les principe de Freud, nous pouvons
attitudes de la Vierge, des voir que la raison rationalise sans
explosions tachistes illuminent danger pour nous la réalité. Dali
la cosmogonie de la bombe H, détraque un monde mécanique
les images de la physique bien huilé. Pour décrire les
nucléaire sont introduites pour paysages du XXe siècle, il utilise
évoquer une classique madone ses propres techniques, son
de la Renaissance. névrotisme délibéré et son auto
Etant donné le caractère complaisance. Il y a cependant
extraordinairement familier des derrière cela l'acuité visuelle
peintures de Dali, il est d'un chimrgien.
surprenant que si peu de gens En outre, la technique du
semblent les avoir regardées réalisme photographique de Dali
attentivement. S'ils s'en et le style cinématographique
souviennent quelque peu, c'est particulier qu'il a adopté
d'une manière vague et gênante dérangent le spectateur trop
qui prouve que ce n'est pas enfermé dans son propre confort.
seulement Œdipe et d'autres Là où Ernst, Magritte et Tanguy
symboles inconscients qui nous se référaient largement à un
effraient, mais plutôt la espace narratif traditionnel,
dislocation des notions courantes présentant le sujet de front avec
une stmcture temporelle générale, 1 .Laphase classique freudienne.
Dali réalise ses tableaux comme Le choc de la naissance comme
si chacun d'eux était l'unique dans «Le Jeu Lugubre» et
image d'un film. Baignée dans «Persistance de la Mémoire»,
une lumière inquiétante, plus l'irréconciliable mélancolie de
artificielle que solaire, ses l'embryon mis au jour. Ce monde
peintures évoquent les photos de plages en fusion et de lumière
d'un excellent film d'actualités, surchauffée est celui que perçoit
dénué de sentiments et tourné l'enfant isolé. Les surfaces
à l'intérieur de notre tête. nerveuses sont des blessures sur
Prise dans son ensemble, l'œuvre le cortex cérébral. Les êtres qui
de Dali témoigne d'un degré peuplent cette toute première
d'homogénéité remarquable, période du surréalisme de Dali,
d'une hardiesse et d'une les personnages œdipiens et les
puissance d'imagination amants délaissés, sont ceux que
soutenues. Dali est fidèle par l'on perçoit à travers les vitres de
dessus tout à ses obsessions, ne l'enfance et l'adolescence. Les
dissimulant rien, même, à obsessions sont : le pénis mou,
l'occasion, sa virtuosité ou son l'excrément, l'anxiété, le lieu hors
sens de l'absurde. Plus que de du temps, l'attitude menaçante,
n'importe quel autre peintre, on la sur-réalité hallucinatoire des
peut dire de Dali qu'il est tout tables et du mobilier, la
entier présent dans son art. Cette géométrie inquiétante des
sincérité met en lumière son chambres et des escaliers.
véritable modernisme.
En retraçant l'évolution de ses 2. La phase métamorphique. Une
y
peintures, nous voyons qu'elles se période perverse-polymorphe,
répartissent en un certain une liberté totale de l'image et
nombre de groupes distincts : de l'identité. A cette période qui