CR annuels 1844-1880 corrigé A RELIRE0001.mdi

408 Pages·2006·3.15 MB·French

by  Michèle Sorriaux

1844
01 - 1844
[9]
RAPPORT
FAIT A L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE 1844,
PAR
M. GENEVAY, SECRÉTAIRE.

MESSIEURS,
J’aurais souhaité que, pour retracer ses travaux et l’état actuel de l’Association, le Comité eût choisi
un membre plus capable que moi ; je l’aurais d’autant plus désiré que, pour la première fois qu’il se présente
devant vous, le Comité doit à votre confiance et à lui-même d’établir nettement les principes, qui l’ont guidé
et soutenu dans tous les efforts, qu’il a tentés pour l’amélioration et la propagation d’une idée à laquelle vous
vous êtes si noblement et si ardemment associés.
Toutefois la crainte que j’éprouve n’est pas sans quelque mélange d’orgueil, et je sens le besoin de
remercier mes collègues, qui ont bien voulu se confier à moi pour vous annoncer nos succès et nos espérances.
Autour d’un homme dont la vie tout entière a été consacrée au culte de l’art, d’un homme qui a passé
toutes ses heures à instruire, à encourager et à soulager les artistes ; autour de M. le baron TAYLOR, au
commencement de l’année qui vient d’
10 expirer, se sont réunis quelques hommes profondément touchés de ce qu’avait de triste l’état d’isolement,
dans lequel vivaient les membres de la grande famille musicale. C’est là, Messieurs, l’origine de
L’ASSOCIATION DES ARTISTES MUSICIENS.
Cet état, Messieurs, leur semblait à tous déplorable et funeste. Avec lui, au point de vue de l’art, rien
de grand, rien de fort, rien de durable n’était possible, et l’artiste, livré à ses propres forces, abandonné au
milieu d’une société dans laquelle il passe souvent sans s’y mêler, ne devait, en cas de malheur, compter que
sur une existence précaire, que sur les efforts, généreux sans doute, mais souvent impuissants, d’une amitié
qui trop souvent se fatigue.
Le mal signalé, il fallait trouver un remède, il fallait attacher par un lien commun toutes ces
existences isolées, les réunir autour d’un intérêt général puissant, reconstruire en un mot la grande famille, en
même temps que lui donner cette vie des capitaux qui seuls étaient capables de remédier aux maux de
l’infortune, et pouvaient permettre à l’art de vivre dans des conditions et meilleures et plus hautes.
Pour se décider à agir, pour prendre l’initiative, fallait-il convier tous les artistes à la réalisation du
problème, convoquer un congrès, attendre enfin, attendre encore que le temps fît de nouvelles victimes ?
Votre Comité ne l’a point pensé, votre
11 adhésion a répondu à son attente, et votre concours a noblement prouvé aux fondateurs de l’Association qu’ils
avaient bien fait d’avoir foi dans la pureté de leur intention et de se constituer sur les bases qu’ils avaient
fixées dans un acte mûrement examiné et longuement débattu sous les yeux d’un homme aussi éclairé que
bienveillant, Me Bonnaire, notaire de la Société.
D’ailleurs, Messieurs, ce n’était point une usurpation de pouvoir : on n’usurpe qu’une chose ou
qu’un droit préexistant, et le Comité était fondateur de cette chose et de ce droit. Si nous avions pu hésiter,
n’avions-nous pas, en faveur de la résolution que nous adoptions, l’exemple si concluant de la Société des
Artistes dramatiques. On ne saurait se dérober à l’autorité des précédents, surtout lorsqu’ils ont produit
d’aussi éclatants résultats que ceux réalisés par nos amis de l’Association des Artistes dramatiques.
Pour que notre Société pût obtenir la prospérité à laquelle elle est en droit d’aspirer, pour qu’elle
atteignît le but en vue duquel elle était créée, il fallait qu’elle appelât les forces de tous, et pour cela elle devait
établir le chiffre de ses cotisations de telle sorte que nul de nos Confrères ne pût arguer de la modicité de ses
ressources. C’est dans cet esprit que la cotisation mensuelle a été, en droit, fixée à 50 centimes, et c’est à la
modicité de l’apport individuel que nous sommes redevables des résultats obtenus
12 et de la popularité qui environne et honore notre naissante institution.
Pour arriver à cet état prospère, il a fallu bien de l’activité, bien des démarches ; répéter bien des fois
les mêmes paroles, le même enseignement. C’était le devoir qui nous était imposé par le mandat dont nous
honoraient vos adhésions. Nous ne devons pas vous dissimuler que nous avons eu souvent à lutter contre
l’indifférence, contre des objections persévérantes et tenaces ; mais si nous n’avons pas toujours triomphé, si
nous n’avons pas toujours converti des intelligences difficiles, nous laissons au temps le soin de ramener à
nous des hommes qui, tout en reconnaissant la dureté des conditions dans lesquelles ils vivent, ont cependant
peu de foi dans les conceptions nouvelles, dans les innovations, lors même qu’elles sont fondées comme la
nôtre sur l’inaliénable accumulation des capitaux, sur la résultante des forces et de la bonne volonté de tous.
Quelques membres de l’Association nous ont demandé de déterminer d’une manière nette et précise
la part annuelle qui reviendrait à chacun des Associés dans la distribution des intérêts des sommes
accumulées. Vous le comprenez, Messieurs, sans que le Comité ait besoin d’entrer dans la moindre
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explication à ce sujet, il est impossible de statuer encore. Tout dépend des ressources que nous posséderons,
de la rapidité de la constitution du capital social comparé au nombre des souscripteurs
13 associés. Ce n’est qu’avec ces éléments encore ignorés que, plus tard, votre Comité, par la voie légale du
Conseil d’État, sera capable de fixer et les conditions nécessaires pour avoir droit à la retraite, et le chiffre des
pensions. Cependant, Messieurs, le Comité a admis en principe qu’il serait tenu un compte exact et sévère de
l’époque à laquelle le membre postulant serait entré au sein de l’Association, de la durée de sa participation,
et enfin des services qu’il aurait rendus. Toute autre résolution eût été contraire aux lois de la saine justice.
La presse française ainsi que les journaux étrangers nous ont prêté leur appui dont nous sommes fiers
et reconnaissants. Comme les feuilles de Paris, Lyon, Bordeaux, Orléans, etc., etc., les gazettes de Leipzig, de
Vienne, de Bruxelles, ont reconnu l’esprit de sagesse et de prévoyance qui nous avait réunis. Cet appui
bienveillant de la presse allemande est dû en grande partie au zèle de M. Kastner.
A ces approbations si flatteuses, joignez, Messieurs, les adhésions des hommes qui sont en
possession de la plus belle gloire musicale, de MM. Meyerbeer, Berton, Spontini, Auber, Onslow, Halévy, A.
Adam, Liszt, Thalberg, etc., etc., et vous reconnaîtrez qu’avec l’appui et la coopération active de telles
intelligences, nos progrès ne peuvent manquer d’être sûrs et rapides.
Parmi les noms que nous venons de citer, il en est quelques-uns que le Comité doit signaler à votre
14 reconnaissance d’une manière plus spéciale. Ce sont d’abord M. Liszt, qui, avec une générosité digne de son
talent, a fait parvenir au Comité, pour sa cotisation annuelle, la somme de 1,000 f ; M. Meyerbeer, dont
l’offrande a été de 500 fr. ; MM. le baron Taylor, Troupenas et d’autres encore dont ce serait peut-être blesser
la modestie que de citer les noms dans cette enceinte. Néanmoins, il y aurait, de notre part, ingratitude à ne
pas signaler à votre mémoire reconnaissante le Lycée musical qui a donné le concert auquel Mme Damoreau,
MM. Artot, Dorus, Levasseur, Ponchard, Poultier, F. Prevost et Potier ont bien voulu concourir. La
munificence royale a contribué noblement au produit que nous avons obtenu dans ce jour de fête.
Il y aurait une égale ingratitude à ne pas vous révéler la générosité pleine de grâce avec laquelle M.
Herz a mis à notre disposition pour ce concert sa vaste et riche salle. L’exemple donné par cet artiste sera,
nous en avons l’espérance, suivi par tous les hommes qui aiment vraiment leurs confrères d’un amour
intelligent et élevé. C’est cet esprit qui a engagé MM. Moreau-Sainti, Potier, David, Horn, à nous prêter cette
enceinte pour cette grande et importante solennité.
Disons aussi que nous avons trouvé un médecin, M. le baron Yvan, qui, se dérobant à une riche
clientèle, a mis en faveur des artistes malheureux sa science à la disposition du Comité.
15 Nous avons rencontré en province des correspondants pleins de zèle qui ont relié à notre œuvre des villes du
premier ordre ; ce sont : à Lyon, M. Donjon ; au Mans, M. Aubry ; à Angers, M. Nerbonne ; à Amiens, M.
Deneuse ; à Bordeaux, M. Delenclos ; à Toulouse, M. Vignières ; à Troyes, M. Lascoretz ; à Sens, M.
Jacquemart ; à Dijon, M. Pousset ; à Aix, M. Sylvain Saint-Étienne ; à Saint-Quentin, M. Quenescourt ; etc.,
etc. ; à Londres enfin M. Rousselot. Les artistes de cette riche capitale ont été jaloux d’entrer dans la vaste
famille au sein de laquelle nous convions tout ce qui aime, honore et cultive la musique.
Les orchestres des amateurs et des théâtres de Paris ont adopté notre Institution avec une chaleur qui
honore le caractère des hommes qui les composent et de ceux qui les dirigent, parmi lesquels nous nous
faisons un plaisir de citer MM. DOCHE et HORMILLE. Nous devons aussi une mention particulière aux
musiques des légions de la garde nationale parisienne : elles sont venues à nous, et nous n’avons qu’à nous
louer de la bienveillance de leur concours.
Grâce à tous ces éléments de succès, voici quels sont les résultats financiers que nous avons obtenus.
Ne considérez pas les chiffres en eux-mêmes seulement, mais appréciez les légitimes espérances qu’ils font
concevoir. Le résultat obtenu, c’est la vie : la force viendra ensuite.
16 Au 15 janvier le nombre des Sociétaires s’élevait à 1 200.
Le total de la recette montait à 12,383 17
et celui de la dépense à 1,807 81
On avait acheté, en rentes 5 p. 0/0, 420 fr. pour 10,205 30
Restait en caisse 370 06
Avoir de la Société 10,575 36
Quoique ce résultat soit satisfaisant sans doute, nous avions compté vous présenter un chiffre plus
élevé ; mais le festival sur lequel nous fondions nos espérances a été retardé malgré tous nos efforts et malgré
le zèle de M. BERLIOZ, qui ne s’est pas découragé un seul instant. Ce n’est point dès son début, qu’une
institution nouvelle peut espérer, Messieurs, de marcher dans une voie sans entraves.
De notre capital primitif, 12,383 francs 17 cent., nous avons distrait quelques parcelles, qui vous
semblaient peut-être bien légères ; mais, gardiens scrupuleux des deniers de l’Association, nous avons dû, aux
premiers jours de son établissement, nous montrer parcimonieux et sévères : nous n’avons pris que le côté
pénible de notre mandat, pour laisser à des Comités plus heureux des fonds qui leur permettront d’avoir une
bienfaisance plus large et plus effective.
Au sein du Comité, Messieurs, nous avons
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17 toujours trouvé des hommes de dévouement et de charité, qui n’ont reculé devant aucun sacrifice de temps,
devant aucune démarche fatiguante, pour éclairer notre sévère économie. Parmi eux, le Comité doit une
mention spéciale à MM. Dauverné, Béchem, Ch. de Bez, Raoul, Tolbecque, Zimmerman et Laty. MM.
Bourges et Bureau, comme secrétaires, ont rempli leurs fonctions avec une assiduité, un talent, auxquels il
nous est doux de rendre hommage.
Je suis également l’organe du Comité, en venant vous faire connaître le zèle de M. E. Monnais, qui,
pendant l’absence de M. le baron Taylor, a occupé le fauteuil de la présidence ; l’Association tout entière lui
doit d’honorables remerciements. Nous devons aussi vous signaler les membres de la Commission des
finances qui ont rempli toute notre attente. Ils ont trouvé dans notre agent comptable, M. Thuillier, un esprit
d’ordre et de probité qu’il est de mon mandat de vous faire connaître.
Le Comité, dans ces derniers temps, a reçu la démission de M. Schiltz : conformément à ses
règlements, le Comité a appelé à le remplacer un homme dont le nom est connu de l’Europe entière, M.
Spontini.
Nous avons fait cette année une perte bien douloureuse : un artiste qui avait toute votre confiance,
toute notre estime, M. Demouy, après une vie courte, mais bien remplie, a été enlevé à sa
18 famille et à vous, Messieurs, pour lesquels il était un ami. Nous avons rendu à sa dépouille mortelle un juste
hommage de regrets et de deuil. Nous associer à toutes les douleurs privées qui frappent les membres de la
Société, n’est-ce pas pour nous un devoir doux et sacré ? n’est-ce pas fortifier les liens de cœur qui doivent
nous réunir désormais ? n’est-ce pas enfin nous engager à nous tenir tous dans ces principes de vie morale qui
ennoblissent et couvrent la tombe ?
Ce côté de l’Association que vous avez fondée n’est peut-être pas celui qui frappera le moins
vivement la plupart d’entre vous, et il viendra un temps où faire partie de votre œuvre sera un témoignage
non seulement d’un esprit sage et prévoyant, mais encore d’une pensée sérieuse et profondément morale.
Pour le Comité, dont, suivant notre charte, notre acte constitutif, vous allez être appelé à nommer
neuf membres, il est encore un dernier devoir à remplir : il prie tous les Associés de vouloir bien se montrer
exacts dans le paiement mensuel de leur cotisation. Notre principe de capitalisation le réclame, et un autre
intérêt le sollicite impérieusement : plus une rentrée est lente et difficile, plus son recouvrement est onéreux.
C’est là un résultat sur lequel nous appelons toute votre sollicitude.
Le Comité a lieu d’espérer qu’il pourra cet hiver, par le produit des fêtes musicales, hausser
19 rapidement le chiffre de vos capitaux ; dans cette pensée, il s’adresse à tout votre zèle ; il serait inutile de
parler de talent dans cette enceinte.
Pour le jugement que vous porterez, Messieurs, sur l’ensemble de nos travaux, veuillez tenir compte
des embarras d’une opération naissante et songer aux difficultés qui ont quelquefois paralysé notre zèle. Je
vous prie aussi, Messieurs, de vouloir bien accorder au secrétaire investi de la confiance du Comité une
indulgence dont il sera profondément reconnaissant.

Après la lecture du compte rendu, M. le président demande à l’assemblée, si elle approuve les
travaux du Comité et si elle le croit légalement constitué. L’assemblée entière témoigne son assentiment par
de nombreuses acclamations.
On procède au tirage au sort.
Les neuf membres sortants sont : MM. Berlioz, Zimmerman, Bechem, Spontini, Girard, Tolbecque,
Carafa, E. Monnais, Nargeot.
Les neuf membres élus sont : MM. Berlioz, Zimmerman, Bechem, Spontini, Girard, Tolbecque,
Carafa, E. Monnais, Erard.
Le président déclare le Comité constitué.
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RAPPORT
FAIT A L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE 1845,
PAR
M. MAURICE BOURGES, SECRÉTAIRE.

MESSIEURS,
En me choisissant pour avoir l’honneur de placer sous vos yeux le tableau de ses laborieuses
opérations, le Comité m’a accordé une faveur, dont vous me permettrez de lui exprimer ici toute ma
reconnaissance. Nulle mission ne pouvait m’être plus agréable que celle de vous annoncer la marche
progressive et les succès d’une entreprise entourée de toutes vos sympathies. Vous voudrez bien, Messieurs,
faire grâce à l’insuffisance de l’interprète pour ne songer qu’aux heureuses nouvelles dont il est porteur.
L’éloquence la plus puissante est, à coup sûr, l’éloquence des faits ; celle-là, du moins, ne manquera pas à
l’exposé des travaux, que j’ai hâte de vous soumettre.
Ces travaux, poursuivis avec conviction et persévérance, ont abouti à un résultat aussi satisfaisant
que possible, supérieur même, il faut le dire, aux espérances qu’une sage prévision se croit permis de
concevoir.
Vous n’avez pas oublié qu’au 15 janvier 1844 l’Association des Artistes Musiciens, qui comptait
seulement une année d’existence, était parvenue à réaliser un capital brut de 12,383 fr. 17 c., péniblement
amassé, au milieu des difficultés sans nombre d’une institution naissante. Une deuxième année, en fortifiant
le crédit de l’entreprise, en démontrant par la pratique sa vaste influence sur l’avenir de
9 l’art et des artistes, devait être, et réellement a été beaucoup plus productive.
Au 15 janvier 1845, la recette brute de cette second année était de 29,947 fr. 95 c. : elle a, vous le
voyez, dépassé, de plus du double, celle de la précédente.
Le devoir de votre Comité, Messieurs, est de vous faire connaître les divers éléments qui la
composent.
C’est, d’abord, le montant des cotisations mensuelles : puis, un certain nombre de libéralités soit en
argent, soit en nature ; enfin, le produit 1° de deux concerts, donnés au bénéfice de votre caisse par des
artistes éminents ; 2° d’une riche loterie et de la grande solennité musicale du 1er novembre, organisée par M.
Habeneck et le Comité, avec l’assistance des Sociétaires les plus dévoués.
Voici quelques éclaircissements sur ces différentes sources de notre prospérité financière.
Le chiffre des cotisations, perçues pendant le cours du dernier exercice, s’est élevé à 6,426 fr. 50 c.
pour Paris, et à 2,016 fr. 50 c. dans les départements.
Les souscripteurs sont aujourd’hui au nombre de 1,450.
Quoique l’Association ait attiré à elle près de trois cents membres nouveaux, depuis janvier 1844, il
faut convenir que son développement eût été plus rapide encore, si tous les départements avaient répondu avec
la même ardeur que Paris à l’appel de votre Comité. Mais des préventions funestes, des vues étroites, des
craintes frivoles, ont réprimé, sur plusieurs points, l’élan sympathique, qui n’a pu être communiqué en
province et à l’étranger qu’aux intelligences les plus avancées.
Profondément pénétré de la haute morale de sa mission, votre Comité travaille sans relâche à
combattre cet esprit d’égoïsme mesquin,
10 décentralisateur, hostile aux fortes conceptions, incapable lui-même de la moindre entreprise durable. Cette
résistance peu éclairée doit céder, n’en doutez pas, à l’empire du temps, au spectacle des avantages toujours
croissants de cette institution, à la puissance des exemples de dévouement et de générosité.
A ce dernier mot, Messieurs, votre mémoire reconnaissante devance les remerciements que le Comité
est heureux d’adresser à plusieurs bienfaiteurs de notre Association. Il n’est pas besoin de vous rappeler
l’offrande magnifique de M. Erard, et la libéralité spontanée qui inspira à M. Maurice Schlesinger la bonne
pensée d’ajouter encore à ce don déjà si riche. Qui ne se souvient de la brillante loterie, tirée le 9 juin, dans
cette enceinte même, que l’obligeance accoutumée de MM. les propriétaires de l’Ecole lyrique nous avait
gratuitement ouverte, alors comme aujourd’hui ? Sur dix mille billets émis, le numéro 2,316 fut le plus
heureux, et rendit propriétaire du piano à queue M. Simon Lévy, un artiste. Les mille vingt morceaux de
musique et les dix partitions, donnés par M. Schlesinger, échurent aux porteurs des mille trente numéros,
dont la liste a été publiée peu après le tirage. Cette loterie fructueuse, pour laquelle l’administration de la
caisse Lafarge a bien voulu nous prêter une de ses roues, a produit une recette de 9,726 fr. Citer un pareil
résultat, c’est rendre un éclatant hommage à la conduite de cette opération, comme à la munificence de MM.
Erard et Schlesinger.
Le Comité, Messieurs, se félicite de pouvoir vous annoncer qu’ils ont déjà trouvé de dignes
imitateurs.
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En juillet dernier, un des luthiers les plus célèbres de Paris, M. Vuillaume, a offert à l’Association un
quatuor complet d’instruments à cordes,
11 choisi dans ses ateliers. Votre Comité a accueilli avec une vive gratitude cette manifestation au-dessus de tout
éloge. Il se propose d’organiser prochainement une nouvelle loterie sur des bases plus larges, s’il est possible,
que celles de la précédente. On y verra figurer un grand nombre d’offrandes intéressantes, telles que des
compositions de différents genres, données par leurs auteurs, MM. Arnaud-Baumès, Barsotti de Marseille,
Beaulieu de Niort, Doche, Gambaro, Kastner, Méreaux, Zimmermann ; une collection des Quatuors d’Haydn,
présent de M. Gerdès ; une riche partition de la Mort d’Adam de Lesueur, gracieusement envoyée d’Aix par
Mme la comtesse d’Albertas ; enfin un choix de morceaux promis ou livrés par plusieurs éditeurs, entre
lesquels nous mentionnerons MM. Lemoine et Schlesinger.
Un facteur de premier ordre, qu’il y aurait peut-être de l’indiscrétion à nommer d’avance, se propose
d’enrichir d’un très beau piano à queue cette splendide loterie, dont il ne m’est pas permis de vous énumérer
tous les attraits.
Mais n’anticipons pas sur l’avenir ; le passé est assez brillant de lui-même.
Indépendamment des bénéfices déjà signalés, différentes sommes, plus ou moins importantes ont été
versées dans votre caisse à titre gratuit. Ainsi, S. M. la Reine des Français a daigné accorder cent francs ; M.
Chevreuil en a donné soixante ; M. de Jumillac, cinquante ; M. Roselje d’Amsterdam, cinquante aussi, avec
promesse de renouveler, chaque année, cette libéralité.
Un virtuose dont le talent appelle la louange, M. Théodore Dohler, a également acquis de bien justes
droits à votre reconnaissance, en consacrant, au profit de l’Association une somme de 1,016 fr. 50 c., produit
net de sa troisième Matinée
12 musicale. M. Doehler, ne sera pas, nous l’espérons, le seul pianiste qui aura placé nos intérêts sous le
patronage de sa renommée. MM. Liszt et Thalberg se souviendront sans doute des espérances qu’ils ont fait
naître.
Tandis que M. Doehler méritait si noblement de la Société, M. Amédée Méreaux, l’un des plus
fermes propagateurs de nos principes, arrivait de Rouen, pour mettre à la disposition de votre Comité son
érudition musicale et son exécution savante. Si le produit net du Concert historique, donné le 5 mai par M.
Méreaux, n’a pas atteint un chiffre très élevé, il en faut chercher la cause dans un concours malheureux de
circonstances impossibles à prévoir. Parmi les nombreux Sociétaires qui ont multiplié, en cette occasion, les
preuves de leur activité et de leur zèle, le Comité doit nommer MM. d’Henneville, Doche, Bureau, Raoul,
Pastou, Schlesinger, Charles de Bez, ainsi que tous les artistes de l’orchestre et des chœurs. Mlle Anna Zerr et
M. Delsarte ont prouvé, en participant à ce concert, que le talent est toujours bien inspiré lorsqu’il contribue à
l’accomplissement d’une bonne œuvre.
Cette vérité s’est manifestée plus hautement encore dans une occasion solennelle et récente, où l’élite
des artistes s’est élevée à une beauté d’exécution extraordinaire, en secondant les vues bienfaisantes du
Comité. Vous comprenez, Messieurs, que je touche au point culminant des travaux de l’année, à la plus
importante de nos opérations, à celle qui tout d’un coup a porté si haut dans l’opinion l’Association des
Artistes-Musiciens ; qui lui a révélé à elle-même le secret de sa puissance ; qui, enfin, a jeté les germes du
plus fécond avenir.
Jusque-là notre Société n’avait encore travaillé que pour l’artiste. C’était beaucoup sans doute,
13 mais ce n’était pas tout. Le jour où elle a interprété avec tant d’éclat et de retentissement, dans la salle de
l’Opéra, le chef-d’œuvre d’Haydn, la Création, elle a rempli un devoir sacré, elle a uni deux fonctions
inséparables, elle e confondu, dans ses préoccupations, les intérêts de l’art et de l’artiste.
Si le Comité insiste, Messieurs, sur une solennité dont le succès a été si unanimement consacré par
l’opinion et par la presse, c’est qu’il est important de l’envisager sous son jour véritable. Non, ce n’est pas
une simple question de chiffres, une pure affaire d’argent, un fait financier isolé. Sans doute une recette de
12,166 fr. n’est pas d’une médiocre considération ; mais il y a plus encore : ce qu’il faut estimer avant tout, ce
qui garantit la réussite d’une série d’opérations futures du même genre (quelque élevées que soient désormais
les prétentions du Comité dans la fixation du tarif des places), c’est l’énorme bénéfice d’une recette morale,
presque sans exemple ; c’est la valeur prodigieuse que notre institution a soudainement acquise ; c’est
l’imposante influence, dont l’a dotée l’enthousiasme universel.
Là, Messieurs, réside le vrai capital, dont les intérêts à venir sont incalculables.
Loin de nous donc la pensée que tant de ressources, d’efforts, de talents aient été combinés en pure
perte, ou n’aient abouti qu’à un résultat modique ! Songez que, s’il eût fallu payer tous les frais de cette fête
musicale, à laquelle nulle autre ne saurait être comparée, trente mille francs auraient suffi à peine.
Votre Comité, après avoir acquitté des mémoires, bien onéreux sans doute, mais discutés avec la
dernière rigueur, a eu moins la satisfaction d’augmenter vos ressources financières d’environ quatre mille
francs.
14 Grâce à la persévérance du plus ardent défenseur de vos intérêts, de M. le baron Taylor, M. le
Directeur de l’Opéra, M. Contant, constructeur de l’estrade dressée le jour de la Toussaint, M. Clémenceau,
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chargé d’illuminer la salle et l’orchestre, M. Vinchon, imprimeur, enfin MM. les copistes, ont consenti à des
réductions proportionnelles, qui ont fait rentrer dans notre caisse une somme de cinq cents francs.
Nous devrons peut-être encore à l’entremise infatigable de M. le président la restitution d’une autre
somme de 500 fr., perçue par le Conseil d’administration des hospices, qui n’a pas craint de prélever le
huitième de la recette brute ; impôt d’autant plus accablant, qu’il s’agissait d’une œuvre de bienfaisance, et
que l’Opéra, entreprise subventionnée et de pure spéculation, ne paie jamais que le onzième.
Mais, Messieurs, si nous avons eu à subir les atteintes de l’esprit mercantile, du côté même où nous
devions nous y attendre le moins, combien il nous est doux de remercier publiquement tous ceux qui nous ont
accordé un bienveillant appui ! De hautes sympathies se sont prononcées en notre faveur : S. M. le Roi des
Français a daigné envoyer mille francs ; les Princes et les Princesses ont accordé, chacun, cent francs ; lord
Cowley, ambassadeur d’Angleterre, a donné pareille somme.
Mgr. le prince de Joinville a bien voulu accepter le patronage de cette solennité vraiment royale.
D’autre part, M. le ministre de l’intérieur, MM. d’Henneville, Lambert, Germain Delavigne ont
consenti, non seulement à nous prêter une partie du matériel de la couronne, mais encore à mettre à couvert et
à garder provisoirement, dans les magasins des Menus-Plaisirs, toutes les pièces de bois servant à la
construction de la vaste estrade,
15 qui est aujourd’hui la propriété de l’Association. Ces parties de notre matériel ont été marquées d’ailleurs
d’une estampille spéciale ; il en existe aux Archives un plan et un état détaillé.
MM. Crosnier, Vatel, Léon Pillet, Henri Deshayes, ont favorisé de tout leur pouvoir la grande
tentative de votre Comité. M. le Directeur de l’Opéra-Comique a même changé l’ordre du répertoire de la
semaine, pour ne pas entraver notre représentation.
MM. Thiboust, Gand, Bernardel, ont fourni gratuitement, avec une obligeance parfaite, tous les
instruments demandés. M. Cicéri, après avoir travaillé à la décoration de l’estrade, n’a voulu recevoir du
Comité que la promesse de recourir en toute occasion à son dévouement.
Vous le savez déjà : Mmes Damoreau-Cinti, Dorus-Gras, Dobré, Méquillet, MM. Duprez, Roger,
Levasseur, Baroilhet, Hermann-Léon, artistes aussi grands par l’âme que par le talent, ont mis à contribuer à
cette solennité un empressement bien rare.
Il y aurait ingratitude à ne pas signaler aussi le zèle de MM. Benoist, Laty, Dietsh, Tariot, qui ont
mérité une bonne partie des applaudissements distribués aux masses vocales placées sous leur direction.
N’oublions pas davantage la Commission chargée des détails infinis d’une entreprise aussi
compliquée ; l’activité et l’intelligence qu’elle a déployées font honneur aux sentiments de MM. Edouard
Monnais, Rousselot, Kastner, Tolbecque, Fessy, Génevay, Raoul, Gouffé, Hormille, Mercadier, Meifred,
Girard, Tilman, Tulou..... Mais je m’arrête, Messieurs, car je m’aperçois que, pour acquitter entièrement la
dette contractée envers le dévouement absolu et le talent désintéressé, il faudrait
16 citer tous les hommes de cœur qui ont pris part au congrès musical du 1er novembre.
Désireux de donner à sa reconnaissance une considération imposante, votre Comité a décidé qu’un
diplôme serait décerné à chacun d’eux, et que tous seraient inscrits à la suite du scénario de la Création,
petite brochure répandue à un très grand nombre d’exemplaires en province et à l’étranger.
En tête de cette liste figure un nom cher à tous les artistes, un nom respecté de l’Europe entière.
Vous comprenez, Messieurs, qu’il s’agit d’un chef d’orchestre célèbre, que les plus habiles n’hésitent pas à
accepter pour guide. M. Habeneck a beaucoup fait pour nous. Reportons sur lui l’honneur d’une soirée si
mémorable dans nos annales.
L’Association ne doit pas moins à notre honorable Président, qui ne se lasse point de mettre au
service de vos intérêts son temps, son crédit, ses lumières. Votre Comité ne saurait louer plus dignement M. le
baron Taylor, qu’en avouant que, sans lui, notre institution, dont il est l’âme, n’existerait pas encore, ou du
moins ne serait pas entrée si avant dans la voie de prospérité, où elle marche d’un pas assuré.
Poursuivons, Messieurs, l’examen des travaux qu’une main expérimentée a si heureusement dirigés.
Votre Comité a tenu, cette année, 59 séances, dont les procès-verbaux sont conservés dans les
archives et confiés à la surveillance de M. Dauverné. La coopération assidue de MM. les Secrétaires entre
lesquels je citerai MM. Génevay, Bureau, Béchem, Meifred, a permis d’expédier à l’extérieur 2000
exemplaires du dernier annuaire ; 1500 circulaires envoyées à MM. les Maires de France pour les gagner à
notre cause ; plus de deux mille lettres particulières adressées aux Directeurs des Sociétés
17 philarmoniques ; à MM. les Préfets, et à nos délégués en province.
Parmi ces derniers, le Comité distingue comme les plus empressés : MM. Beaulieu, à Niort ;
Barsotti, à Marseille ; Boissier-Durand à Fribourg ; Chrétien, à Besançon ; Deneuse, à Amiens ; Gandois, à
Limoges ; Hasselmans, à Nantes ; Hermann et Dou, à Alger ; Maresse à Orléans ; Méreaux, à Rouen ;
Propser, à Troyes ; Rousselot, à Londres ; Solomé, à Bruxelles ; Silvain Saint-Etienne, à Aix en Provence.
Plusieurs ont formellement promis d’organiser des concerts au bénéfice de notre caisse. Ce sont :
MM. Desvignes, à Metz ; De Nerbonne, à Angers ; Jubinal, à Montpellier ; Hoerter et Prédigam, à
Strasbourg, et Vignères, à Toulouse.
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1845
C’est ici le lieu de payer un juste tribut d’éloges aux efforts de MM. Béchem, Doche, Hormille,
Kastner, Massart, Rousselot, Tolbecque, qui ont travaillé avec succès à féconder sur différents points, les
doctrines philanthropiques de l’Association.
M. Battanchon parcourt en ce moment, les départements du sud-ouest, dans le même esprit de
propagande.
Une activité, également louable, animait MM. Zimmermann et Schlesinger, lorsqu’ils parvenaient à
placer, le premier plus de mille billets de loterie, le second deux mille cinq cents.
Avec l’appui d’une si constante émulation, votre Comité a pu remplir la partie la plus importante et
la plus délicate de son mandat. Si les statuts lui font une loi de venir en aide à l’infortune, son premier devoir
est aussi de s’assurer que sa religion n’a pas été trompée. A cet égard, nous sommes en droit d’affirmer, que
les plus scrupuleuses enquêtes ont toujours précédé les distributions de secours. Le Comité s’est imposé
comme règle inviolable, de ne les accorder qu’aux membres de l’Association.
18 Plus d’une fois même, pour ne pas manquer à ce principe fondamental, plusieurs sociétaires ont acquitté, de
leurs deniers, la cotisation des indigents dont l’affreuse misère réclamait une prompte assistance. Cette année,
une somme de 615 fr. a été employée en secours.
N’oubliez pas, Messieurs, qu’elle est loin d’égaler le chiffre de vos revenus ; car l’Association est, en
ce moment, propriétaire de 1250 fr. de rentes 5 % sur l’Etat.
Elle avait acquis, la premières année, 420 fr. de rentes. Pendant le dernier exercice, elle a acheté 830
fr. de rentes qui ont coûté 20,258 fr. 25 c.
Au 15 janvier dernier il restait encore en caisse une somme de 198 fr. 78 c.
L’état financier, qui sera imprimé en tête de l’annuaire de 1845, donnera le tableau précis des
recettes et des dépenses.
Vous y remarquerez, Messieurs, que le total des sommes perçues dans le cours des deux années par
votre agent comptable, dont le zèle grandit avec les fonctions, est de 42,108 fr. 62 cent.
C’est à cette situation prospère, que votre Comité doit d’avoir pu réaliser une généreuse pensée, qu’il
regardait comme le but principal de notre institution. Que de fois, en accordant à la vieillesse ou aux
infirmités des secours simplement temporaires, avait-il regretté de ne pouvoir revêtir votre offrande de
garanties d’irrévocabilité et de durée ! Désormais du moins, quelques sociétaires, désignés à votre
bienfaisance par une infortune honorable, tiendront de vos mains des ressources assurées, positives, viagères,
qui ne seront point exposées périodiquement aux variations du scrutin. La création de quatre pensions, de 200
fr. chacune, au bout de deux années d’existence seulement, est un immense résultat, un fait de haute portée,
que notre
19 Société peut livrer avec orgueil à l’appréciation publique.
Sept candidats, MM. Exevin, Bonardot, Jaumotte, Falcon, Jeanssen, Hamler, Miel ont été
successivement recommandés au Comité. Après un examen rigoureux de leurs titres, son choix s’est arrêté sur
MM. Bonardot, ancien chef d’orchestre du théâtre Louvois et de l’Odéon (âgé de 83 ans), Falcon, musicien
aveugle (âgé de 80 ans), Jeanssen artiste de l’Opéra-Comique (âgé de 67 ans), et Jaumotte, plus malheureux
encore que tous les autres, puisque de cruelles infirmités l’ont frappé à 49 ans d’une vieillesse prématurée.
Ici, Messieurs, permettez-moi de fixer un instant vos regards sur la belle conduite de M. le docteur
Charles Simon. Non content de prodiguer à la famille Jaumotte tout entière les soins les plus attentifs, les plus
délicats, M. Simon a poussé l’esprit de charité jusqu’à lui fournir momentanément des moyens de subsistance.
Votre Comité éprouve un véritable bonheur en remerciant aussi devant vous M. le docteur baron
Yvan, dont la science égale le zèle, et qui ne nous a failli dans aucune occasion ; MM. Vinchon, Hillairet,
Chammartin, Tessereau, Faivre, tous membres du conseil médical ; enfin M. Barbier, avocat, qui s’est mis
complètement à notre disposition dans une circonstance épineuse.
C’est avec des sentiments semblables d’officieuse sympathie, que presque tous les journaux nous ont
ouvert leurs colonnes, chaque fois que nous avons fait appel à leur désintéressement.
Dans le même esprit, M. Lablache a promis de monter, avec le bienveillant concours des artistes
italiens, une représentation au bénéfice de la Société.
Non moins obligeante, la maison Pleyel a fait don au Comité d’un piano, encore en très bon état,
20 destiné à être prêté, s’il en est besoin, à des artistes indigents.
De son côté, M. Meyer, directeur du théâtre de la Gaîté, a décidé que les amendes, infligées aux
musiciens de son orchestre, seraient versées dans votre caisse. Espérons que cette mesure de discipline, qui
tourne au profit de la bienfaisance, sera adoptée par d’autres administrations, plus spécialement vouées à l’art
musical.
Des manifestations, si touchantes par leur caractère et leur unanimité, ne sauraient cependant nous
faire oublier des blessures cruelles. Consacrez avec nous, messieurs, un douloureux souvenir à la mémoire de
deux hommes éminents, que le Comité se félicitait de compter au nombre de ses membres. Un compositeur
aimable et gracieux, un protecteur fervent et éclairé des artistes nous ont été enlevés, en avril dernier, dans la
personne du célèbre Berton et de l’honorable marquis de Louvois.
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1845
S’il est des compensations à des pertes aussi sensibles, nous les avons trouvées dans le mérite et la
chaleur de zèle de M. d’Henneville, appelé à remplir l’une des deux places vacantes, tandis que l’autre était
acceptée par M. Valentino.
C’est à une heureuse pensée de M. d’Henneville, que nous devrons, Messieurs, la faculté de créer
prochainement une pension nouvelle. Grâce à son intervention et à celle de M. le président, M. Auber a bien
voulu autoriser les élèves du Conservatoire à donner une représentation publique au profit de l’Association.
M. Habeneck a mis le comble à ses services, en promettant de conduire l’orchestre. Appeler de jeunes talents
à contribuer au soulagement de la vieillesse, n’est-ce pas une inspiration grande et belle ? N’est-ce pas une
haute leçon d’union et de fraternité ?
Il faut renoncer, messieurs, à louer
21 convenablement des concessions aussi bienveillantes. Écartons les vaines formules. Un simple récit est
souvent lui-même le plus pompeux éloge.
Cette conviction me permet de passer sans préambule à un rare témoignage de générosité, dont il me
reste à vous entretenir.
Il s’est rencontré, Messieurs, un musicien assez ami de ses confrères, une âme assez pénétrée des
grands principes de charité, un esprit élevé assez confiant dans les destinées de votre Association, pour
vouloir lui léguer ce qu’un artiste a de plus cher, de plus précieux, l’œuvre de sa pensée. L’auteur de la
Vestale et de Fernand-Cortez, M. Spontini (aujourd’hui comte de Sant’-Andréa), qui a déjà fondé tant
d’établissements de bienfaisance en Italie, est dans l’intention de donner par testament et en toute propriété, à
l’Association des Artistes Musiciens, 1° ses droits d’auteur en France ; 2° ses bibliothèques de Paris ; 3° les
autographes de ses compositions, déjà publiées pour le théâtre, l’église ou le concert ; 4° ses compositions
inédites de tout genre, dont le nombre est très élevé, entre autres plusieurs grands opéras écrits pour
l’Allemagne, et représentés à Berlin avec un immense succès ; 5° ses ouvrages didactiques, ses collections
d’observations, de notes et de souvenirs, propres à fournir de curieux mémoires ; 6° une correspondance aussi
intéressante que considérable avec une foule de compositeurs, de littérateurs, d’artistes célèbres et de très-
hauts personnages.
Une commission spéciale, choisie dans le sein du comité par M. Spontini lui-même, procédera
bientôt à un soigneux inventaire de toutes les parties de cette magnifique donation.
A vous, Messieurs, d’apprécier une preuve si éclatante de sympathie. A vous de remercier dignement
l’illustre bienfaiteur de la Société.
22 Pour moi, je ne saurais mieux terminer la tâche, dont le Comité a bien voulu me charger aujourd’hui,
qu’en mettant à l’abri de ce beau nom et de cet acte glorieux, un travail qui a besoin de toute votre
bienveillante indulgence.

Après la lecture du compte rendu, accueilli avec le plus vif intérêt par l’assemblée, on procède au
tirage au sort, conformément à l’article 12.
Les neuf membres sortants sont : MM. Girard, Raoul, Laty, Thalberg, Zimmermann, Tolbecque,
Bureau, Dauverné, Bechem.
Les neuf membres élus sont : MM. Girard, Raoul, Laty, Thalberg, Zimmermann, Tolbecque, Bureau,
Dauverné, Bechem.
Le président déclare le Comité constitué.
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1846
03 - 1846
[11]
RAPPORT
FAIT A L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE 1846,
PAR
M. ALLYRE BUREAU, SECRÉTAIRE.

MESSIEURS,
L’Association des Artistes musiciens entre dans sa quatrième année d’existence. En présence des
travaux accomplis, des résultats obtenus dans le court espace de trois ans, nous pouvons, je parle ici au nom
de tous, nous pouvons, dis-je, nous féliciter de notre œuvre. Cependant, les résultats financiers obtenus en
1844 avaient dû faire concevoir pour l’exercice de 1845 des espérances dont des circonstances fâcheuses, des
évènements plus forts que notre zèle n’ont point permis la réalisation. Le total des recettes de l’année dernière
dépassant de plus du double celui de la première année, s’était élevé à 29,947 fr. 95 c. ; il n’a pas dépassé en
1845, la somme de 15,894 fr. 30 c. Mais il faudrait bien se garder de donner à ce rapprochement de chiffres
une signification qu’il ne peut avoir. Si l’on tient compte de deux sources importantes de bénéfice qui n’ont
pu être exploitées cette année et qui ont produit l’année dernière plus de 18,000 fr.,
12 on comprendra que, nonobstant l’infériorité du chiffre de 1845, il y a eu accroissement de nos recettes
normales. Loin de nous décourager nous devons donc redoubler de zèle, car le succès est sûr et nous sommes
dans la voie. En examinant attentivement les faits, en comprenant bien leurs conséquences, vous partagerez
pleinement la conviction qui anime votre Comité ; vous reconnaîtrez que les Artistes musiciens ont plus que
jamais à se louer de s’être reliés en corps, et que l’avenir s’ouvre devant nous plein de promesses dont rien,
dans le temps, ne pourra empêcher l’accomplissement, car la fécondité du principe sur lequel nous nous
appuyons, l’ASSOCIATION, est irrésistible.
J’aborde l’examen que nous vous devons des faits accomplis.
Le total des sommes perçues jusqu’à ce jour par notre caisse s’élève à 58,225 fr. 25 c., dont 15,894
fr. 30 c. ont été produits par les recettes de 1845. Dans ce dernier chiffre, les cotisations figurent pour 8,679
fr. 05 c., savoir : 7,325 fr. fournis par Paris et 1,345 fr. 05 c. par les départements.
Le nombre des Sociétaires inscrits est aujourd’hui de 1,730. Il était l’année dernière de 1,450. Il y a
donc eu 280 adhésions nouvelles. La disproportion entre Paris et les départements pour le nombre des
Sociétaires continue à être très grande. Cette disproportion tient toujours aux mêmes causes qui vous ont été
signalées précédemment. L’existence de la Société n’est point assez connue et les services qu’elle est appelée
à rendre ne sont point suffisamment appréciés. De plus, les Artistes des départements pensent à tort que
l’éloignement empêchera de participer aux secours et aux pensions ceux d’entre eux que la misère atteindra,
et ils craignent que le Comité siégeant à Paris n’étende
13 pas sa sollicitude et ses investigations au-delà de Paris. Nous continuons à combattre dans toute notre
correspondance cette fâcheuse disposition des esprits. Mais des paroles seules seraient impuissantes pour
triompher de la défiance si des faits ne venaient prouver de quelle manière le Comité comprend la hauteur de
sa mission et l’étendue de ses devoirs. Par des faits que nous sommes en mesure d’alléguer, nos confrères des
départements pourront reconnaître que le degré de la souffrance et les témoignages honorables sont les seuls
éléments dont le Comité tienne compte dans la distribution des secours. Ils doivent donc s’unir à nous en
toute confiance. Ils le doivent d’autant plus qu’en les appelant nous les convions à participer à des ressources
que les éléments artistiques dont Paris dispose peuvent seuls fournir, et grâce auxquelles ils pourront,
moyennant un faible sacrifice, conquérir pour leurs frères malheureux la sécurité de l’avenir.
Le produit d’un seul concert donné par l’Association figure cette année dans le tableau de nos
recettes, et pour une somme de 4,688 fr. 50 c. Malgré tous les efforts de votre Comité, la grande fête musicale
par laquelle l’Association doit, chaque année, manifester sa puissance, n’a pu avoir lieu. Nous avions voulu
consacrer, comme l’année dernière le jour de la Toussaint à cette solennité. Pour ce jour, la salle de l’Opéra,
la seule à Paris où puissent se donner des fêtes de ce genre, n’a pu être mise à notre disposition. Plusieurs
ajournements rendus obligatoires par des circonstances regrettables nous ont conduit jusqu’aujourd’hui.
L’année 1846 sera, nous l’espérons, plus propice à l’Association sous ce rapport. Tous les efforts de votre
Comité sont dirigés dans ce sens, car, indépendamment
14 de l’intérêt financier qui s’attache à ces fêtes, l’Association ne doit pas perdre de vue que sa mission est
double, et que son expansion, sa grandeur et sa puissance sont intimement liées à l’action qu’elle exercera sur
les destinées mêmes de l’art.
Par ce qui s’est passé pour le concert donné le 29 avril 1845, dans la salle des Italiens, le Comité a
pu reconnaître une fois encore quel fond il peut faire sur le dévouement intelligent et chaleureux des Artistes
de Paris. Sur son appel, il s’est présenté deux fois plus d’exécutants qu’on n’en pouvait utiliser. Un pareil
empressement, Messieurs, est significatif ; il témoigne hautement en faveur de l’œuvre qui le provoque, et il
donne la mesure de ce que l’Association peut entreprendre. Ce n’est jamais du côté des exécutants que le zèle
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et le concours dévoué feront défaut. M. Habeneck, dans cette circonstance, comme six mois auparavant, a mis
au service de l’Association son admirable talent de direction et l’influente autorité de son nom. Nous devons
dire, à l’honneur de M. Thalberg, que ce concert a été organisé sur l’initiative de son offre. Nous savons tous
l’immense part qu’il a prise au succès et à l’éclat de cette soirée. Notre reconnaissance est également acquise
à MM. Ponchard, Géraldy, Alard et à Mlle Lavoye, qui nous ont prêté l’appui de leur belle réputation et le
concours de leur brillant talent. MM. Lambert, Germain Delavigne et d’Henneville nous ont rendu, à cette
occasion, des services qu’ils nous est d’autant moins permis d’oublier, que nous les savons prêts à nous
témoigner toujours la même excessive obligeance. M. Maurice Schlesinger, avec une générosité dont
l’Association a déjà reçu des preuves, a spontanément réduit de 500 francs le prix convenu de la location de la
salle.
15 Dans nos recettes se trouve comprise une somme de 1,023 fr. 75 cent., produit des amendes de
l’Opéra-Comique, dont M. Crosnier a libéralement doté la caisse de l’Association. Tout le monde applaudira
au sentiment délicat et élevé, qui a inspiré à M. Crosnier ce noble emploi d’une somme résultant de retenues
opérées sur le traitement des Artistes. C’est un bel exemple qu’avait déjà donné M. Meyer, directeur du
théâtre de la Gaîté. C’est un acte de dignité en même temps qu’une bonne œuvre.
Le total de nos recettes a été complété par les deux semestres de la rente, montant ensemble à 1,430
fr., et par le produit du concert que Mme Farrenc a donné au bénéfice de l’Association.
La rente de l’Association s’élève aujourd’hui à 1,730 fr.
Nous ne comprenons point dans cette somme la rente achetée avec le prix des premiers billets de
l’importante loterie, que de riches présents nous ont permis d’organiser. Le produit entier de cette loterie sera
reporté sur l’exercice dans lequel nous entrons. Je n’ai pas besoin de vous dire, Messieurs, combien les
grandes loteries de Petit-Bourg, Monville, l’Asile Fénelon, etc., qui ont jeté sur la place pour près de deux
millions de billets, ont augmenté les difficultés de la nôtre. Loin de nous la pensée de jalouser étroitement le
succès des grandes œuvres de bienfaisance, en vous signalant la concurrence que nous avons rencontrée ;
nous n’articulons pas une plainte, nous voulons seulement expliquer le retard éprouvé par cette opération, qui
aurait dû grossir d’une somme importante le chiffre de nos recettes pendant le dernier exercice. Plût à Dieu
que dans notre Société, la concurrence ne se rencontrât que sur le terrain de la charité !
16 Les ressources de l’Association nous ont permis de distribuer dans le courant de l’année 1,131 fr. de
secours, indépendamment de 850 fr. payés à titre de pension. C’est encore bien peu sans doute ; néanmoins,
nous avons la douce satisfaction d’avoir soulagé de cruelles souffrances qui, sans l’Association, n’auraient eu
d’autres recours que les chances précaires de la charité privée, ou le budget toujours insuffisant de la charité
publique.
L’Association comptait au commencement de l’année 1845 quatre pensionnaires à 200 fr. Elle a pu
créer depuis deux nouvelles pensions de 200 fr. et une de 300 fr.
Cette dernière pension a été accordée à un Artiste dont la douloureuse position a excité chez tous la
plus vive sympathie. Votre Comité n’a jamais plus déploré la faiblesse des ressources dont il dispose que dans
cette circonstance, où il s’agissait de soulager la misère la plus digne de compassion, la plus imprévue, la plus
imméritée. Personne de vous n’ignore la situation cruelle où se trouve le digne camarade dont nous parlons
ici, M. Javaux, frappé à la fleur de l’âge, dans la plénitude d’un talent si justement admiré, par une paralysie
qui lui enlève, avec l’exercice de son art, tous les moyens d’existence.
Vous apprendrez avec intérêt que M. le docteur P. Laroche, qui entoure M. Javaux des soins les plus
assidus et les plus désintéressés, nous a communiqué l’espoir de voir réussir un traitement énergique qu’il
vient d’entreprendre. Puisse cet espoir s’accomplir ! Nous apprenons à l’instant qu’une amélioration s’est
déjà manifestée.
L’une des deux pensions de 200 fr. récemment accordée, a été créée en faveur de M. Collin, artiste
de Nantes, recommandé par le Comité
17 correspondant de cette ville. Tous les titres qui établissaient les droits de M. Collin à cette pension, ont été
scrupuleusement examinés par les membres de la commission des pensions, au zèle desquels nous devons
rendre hommage, et le Comité a été heureux que cette occasion se présentât de témoigner son impartialité
dans la distribution des secours. A mesure que les départements entreront pour une plus grande part dans le
nombre des Sociétaires, ils acquerront des droits à être compris pour une somme plus grande dans la
répartition des revenus. La seconde pension de 200 fr. a été accordée à M. Grossaint, ancien choriste au
théâtre de l’Opéra-Comique, qui la méritait à tous égards.
Si le chiffre des sommes distribuées dans un an paraît encore bien peu élevé eu égard aux
nombreuses misères qui sont à soulager, il faut observer, Messieurs, que par le seul fait de son existence et
indépendamment des fonds dont elle dispose, l’Association provoque au bénéfice de ses membres des secours
d’une autre nature qui ne lui coûtent rien. C’est ainsi que sur l’invitation du Comité des médecins généreux,
comprenant noblement les obligations que la science impose s’empressent de donner des soins aux malades
que le Comité leur désigne.
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