Table Of ContentVolume 5
Cet ouvrage est paru à l’origine aux Éditions Larousse en 1973 ;
sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL. Cette
édition numérique a été spécialement recomposée par
les Éditions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la BnF
pour la bibliothèque numérique Gallica.
La Grande Encyclopédie Larousse -Vol. 5
douce. De petite taille, ils habitent les continue, torsadée sur elle-même. Les plongées. Cet organe, appelé melon,
Cétacés
eaux chaudes des grands fleuves d’Asie Narvals vivent dans les mers boréales, ou organe du blanc ou du spermaceti,
et d’Amérique du Sud. Ils sont ichtyo- sur les côtes du Spitzberg, du Groen- contient une huile de très haute qua-
Mammifères aquatiques au corps pis- phages. L’un d’eux, le Boutou, peut se land, du Canada septentrional, de l’Eu- lité, qui, refroidie, se présente comme
ciforme, vivant dans les océans et dans
rencontrer à 2 000 km de l’embouchure rope du Nord. Ils mangent du poisson, un corps blanc et onctueux. Les gros
quelques grands fleuves.
de l’Amazone, tandis que le Lipotes vit des Seiches. On les recherche pour
sujets en fournissent près de 5 t.
Les Cétacés ont la tête allongée, le dans le Yangzijiang (Yang-tseu-kiang) leur graisse. Leurs défenses, de 2 m de
Les Cachalots vivent en troupeaux
cou très court ou inexistant ; leur corps, et à 1 000 km de l’embouchure, dans le long, sont de beaux trophées de chasse
de vingt à trente individus, qui évo-
fuselé, se termine par une queue apla- lac Dongtinghu (Tong-t’ing-hou). Le très appréciés.
luent en croisière à la vitesse de 8
tie horizontalement. Leur peau est lisse Dauphin du Río de La Plata vit dans ce
Les Cachalots sont des animaux
avec quelques poils tactiles sur la tête. fleuve et ses abords marins. à 10 km/h. Ils font une inspiration
massifs. Les mâles ont de 12 à 20 m
toutes les quinze secondes. Quand ils
Ils sont enrobés d’une épaisse couche Les Marsouins ont aussi été étudiés
de long et pèsent jusqu’à 50 t. Les
soufflent, ils envoient par un évent
de graisse dermique, le lard, qui, chez en aquarium. De petite taille (2 m), on
femelles, de 9 à 12 m de long, pèsent
certains, atteint 20 cm d’épaisseur. les rencontre souvent sur les côtes de unique et dévié vers la gauche un jet
jusqu’à 13 t. La tête des Cachalots est
Cette graisse les isole du froid, leur France, où ils sont très gênants pour les de vapeur de 10 à 15 m de haut, incliné
tronquée sur le devant et représente le
sert de réserve nutritive et, par son pêcheurs, car ils sont gros consomma- à 45° vers l’avant. Ils seraient capables
tiers de la longueur totale. La mâchoire
élasticité, modifierait par variation de teurs de poissons. de plonger jusqu’à 600 m et resteraient
inférieure, qui n’atteint pas l’extrémité
volume leur poids spécifique au cours sous l’eau pendant une heure et, dans
Les Dauphins blancs, ou Bélugas antérieure de la tête, porte de chaque
de la plongée. certains cas, jusqu’à quatre-vingt-dix
(Bélougas), plus gros, causent encore côté vingt-cinq fortes dents coniques,
Les membres antérieurs, transfor- plus de préjudice aux pêcheurs. Il faut toutes semblables entre elles. La mâ- minutes ! La période de reproduction se
més en puissantes nageoires-battoirs, leur faire la chasse sur nos côtes. Ce choire supérieure n’a pas de dents. Les situe d’août à décembre. Les femelles
leur permettent une nage rapide ; les sont les « Sea canary » des auteurs Cachalots ont dans la tête un organe ne portent que tous les deux ans et sont
membres postérieurs ont totalement américains, qui les ont bien étudiés. Ils pubères à quinze mois. La durée de la
richement innervé, chargé de graisse
disparu. Les Cétacés ont souvent une poussent des cris spéciaux qui auraient et de forme à peu près sphérique, qui gestation est d’un an. Les nouveau-nés,
nageoire dorsale bien développée, mais certainement une signification sociale. pourrait être susceptible de rensei- longs de 4 m, sont allaités pendant huit
sans support osseux comme la nageoire
Les Narvals sont blanc et noir. Les gner les animaux sur les variations de mois avec un lait contenant 400 g de
caudale.
mâles ont une énorme dent à croissance pression qu’ils subissent au cours des matière grasse par litre.
La tête est volumineuse ; le cerveau,
toutes proportions gardées, est plus
grand que chez les autres Mammifères.
Les narines, repoussées en arrière vers
le sommet du crâne, sont représentées
par un ou deux orifices, les évents,
pouvant s’obturer en cours de plongée
(l’existence d’un seul évent caractérise
le sous-ordre des Odontocètes). Les
yeux sont petits, à cristallin sphérique.
L’oreille externe n’est qu’un petit
orifice, mais l’oreille interne pourrait
enregistrer les vibrations de l’air et de
l’eau. Certains Cétacés ont un dispo-
sitif leur permettant d’émettre et de
percevoir des ultrasons pour commu-
niquer entre eux, situer leur position ou
repérer une proie.
L’estomac est pluriloculaire ; l’in-
testin est long. Les femelles ont une
paire de mamelles inguinales, mas-
quées par un repli cutané, avec un dis-
positif musculaire qui permet d’injec-
ter rapidement le lait sous pression
dans la bouche du jeune.
Les mâchoires, puissantes, sont
parfois munies de dents coniques ; la
présence de ces dents est le second
caractère distinctif des Odontocètes ;
leur absence caractérise le sous-ordre
des Mysticètes, qui sont les Baleines à
fanons, ou vraies Baleines*.
Les Odontocètes les plus intéres-
sants sont les Dauphins*, qui sont
marins. Ils sont élevés depuis peu en
aquarium, ce qui a permis de faire sur
eux des observations scientifiques.
Mais il existe aussi des Dauphins d’eau
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 5
Un Cachalot de 50 t fournit 5 t par une nouvelle pyramide de près de cies, cependant que le paludisme n’est dous, bien qu’il y ait d’assez nombreux
de blanc, 8 t de viande, 13 t de lard, 2 000 m. Le reste du pays a moins de qu’épidémique dans la zone humide. chrétiens parmi eux.
310 kg de foie et reins, 330 kg d’or- 300 m d’altitude : le Nord et l’Est sont
Sont étrangers, outre les « Indian
ganes destinés à l’opothérapie. Le reste un grand plateau parsemé de buttes aux Les hommes
Tamil », des Malais, des Pakistanais,
est converti en engrais. Il donne aussi flancs abrupts, qui est une pédiplaine
ou Indiens musulmans (Indian Moors),
La population ceylanaise a dépassé
un produit, l’« ambre gris », concrétion à inselberg typique : au sud-ouest se
des Européens. En dépit de la pré-
13,7 millions d’habitants en 1977. Le
intestinale d’odeur très puissante et déroulent des basses collines (moins
pondérance des bouddhistes, Ceylan
groupe humain le plus nombreux, le
destinée à la parfumerie (de 40 à 50 kg de 100 m), parfois coiffées de latérite,
contient donc une forte population hin-
plus anciennement installé et le plus
par sujet). aux flancs convexes ; la presqu’île de
doue, musulmane et chrétienne.
original est le groupe cinghalais. Les
Jaffna, à l’extrême nord, est un bas
L’Hyperoodon est le genre le plus
La population s’accroît très rapide-
plateau subhorizontal. Des plaines pro- Cinghalais sont de couleur assez claire
représentatif des « Baleines à bec ». Sa
ment. Elle était de 6 657 000 habitants
tête, à front très bombé, se termine par prement dites n’apparaissent qu’en une (mélange ethnique aryen-dravidien)
en 1946, de 8 098 000 en 1953, année
un bec. Il a très peu de dents ; il mange frange côtière, étroite et discontinue. et de langue aryenne, alors que toute
du premier recensement après l’indé-
Les côtes sont généralement basses et l’Inde méridionale parle des langues
des Céphalopodes et des Poissons.
pendance, de 9 165 000 en 1957 et de
Les animaux appartenant à ce groupe plates, bordées tantôt de belles plages, dravidiennes ; ils sont sans doute venus
10 620 000 en 1962. La natalité est très
vivent en bandes, nagent vite et sont de tantôt de cordons littoraux enfermant de l’Inde du Nord par mer. Ils ont
élevée (39 p. 1 000), et la mortalité
bons plongeurs (1 h 30). Ils fréquentent des lagunes plus ou moins colmatées ; connu une très brillante civilisation,
assez faible (11 p. 1 000). L’excédent
les mers chaudes et ne remontent vers une exception remarquable est consti- dont le support fut le bouddhisme*.
annuel est proche de 3 p. 100.
le nord que pendant la belle saison. tuée par l’admirable rade de Trinco- C’est à Ceylan qu’est née l’école
malee, sur la côte est. bouddhique Theravda, dite « du Petit Or, d’ores et déjà, la densité est très
De temps en temps, des erreurs de
Véhicule » (Hnayna). Cette réflexion élevée : elle approche 200 habitants au
navigation de la part des conducteurs Ceylan, île tropicale où les tem-
des troupeaux font échouer ces ani- pératures sont constantes toute l’an- sur la douleur à partir du dogme de la kilomètre carré. C’est une population
maux sur les plages, et les habitants des née (l’amplitude thermique est de transmigration, commun avec l’hin- encore essentiellement rurale. En 1971,
côtes en profitent pour exploiter leur 1,7 °C à Colombo, où la température douisme, et cette sagesse imprègnent la population urbaine ne représentait
viande et leur graisse. moyenne annuelle dépasse 25 °C), est toute la vie cinghalaise. Les monas- que 9 p. 100 de la population totale ;
très arrosée. Toute la partie sud-ouest tères sont le centre de la vie rurale ; les une seule grande ville, la capitale, Co-
P. B.
reçoit plus de 2 m de pluies : 2,36 m moines, en robe jaune, jouent un rôle lombo (562 000 hab.). Il faut ajouter
F Baleine / Dauphin.
qu’il n’y a aucune industrie importante
à Colombo, 4 m à Ratnapura, 2,38 m culturel fondamental, des écoles de
et que la population de Colombo est
à Kandy, de 4 à 6 m sur les massifs monastère jusqu’à l’université boudd-
montagneux exposés à l’ouest ; c’est hique Vidyodaya ; ils ont aussi une très largement sous-employée ou en
chômage, en dépit de l’activité du port
cétones la Wet zone des auteurs anglais, aux grande influence politique. Ce sont les
et de l’existence d’un secteur tertiaire
pluies continues (climat équatorial jours saints (« Poya days ») qui inter-
hypertrophié. Enfin, la masse rurale
et subéquatorial). À Colombo, aucun rompent périodiquement les journées
F CARBONYLÉS (dérivés).
de la population est très inégalement
mois ne reçoit moins de 60 mm (il y a de travail. Le bouddhisme prêchant le
répartie. La zone sèche, dans son en-
deux minimums, en février et en août) ; respect de la vie, l’élevage du petit bé-
la végétation naturelle est ici la forêt tail est quasi nul, le gros bétail n’étant semble, est très peu peuplée, à l’excep-
tion de la presqu’île de Jaffna (dont la
dense, d’une particulière beauté. Le élevé que pour le travail et le lait. La
Ceylan
reste de l’île constitue ce que les auteurs société cinghalaise connaît les castes, densité est de l’ordre de 272 hab. au
km : la densité est de 51 habitants au
anglais ont appelé, quelque peu abusi- mais ce sont des castes strictement pro- 2)
État insulaire de l’Asie méridionale ; vement, la Dry zone. En effet, aucune fessionnelles, en décadence d’ailleurs, kilomètre carré dans la North Central
66 000 km 2 ; 13 730 000 hab. Capit. station ne reçoit moins de 1 000 mm de Province (districts d’Anuradhapura et
sans hiérarchisation, sans brahmanes
Colombo. En 1972, il a pris le nom de pluies (la station la plus sèche, Man- de Polonnaruwa), de 31 dans le district
ni intouchables. Les Cinghalais sont
SRI LANKA. nar, accuse 1 009 mm), et la plupart de Mannar, de 25 dans celui de Vavu-
très largement majoritaires dans toute
reçoivent plus de 1 400 mm (ainsi, niya (Northern Province), de 72 dans
la région humide (Wet zone). Il y a une
Anurdhapura reçoit-elle 1 447 mm) ; l’Eastern Province, de 95 dans la pro-
LA GÉOGRAPHIE assez forte minorité cinghalaise chré-
mais la saison sèche est souvent longue vince d’Uva. Par contre, les densités
tienne, portant des noms d’origine por-
et sévère (3 mois à Anurdhapura, sont extrêmement fortes dans la Wet
À peine séparée du sous-continent tugaise ou hollandaise, et des musul-
7 mois à Jaffna), et le nombre de jours zone : la Southern Province (Galle,
indien par le détroit de Palk, que le mans dans la région de Puttalam, les
« biologiquement secs » peut être élevé Matara) a 299 habitants au kilomètre
« Pont d’Adam » (Adam’s Bridge) Moors, nombreux en particulier.
(82 jours à Anurdhapura, 149 jours carré, la province de Sabaragamuwa
permet aisément de franchir, l’île a
à Jaffna, 158 jours à Mannar). Cette Une forte minorité tamoule existe (Ratnapura) 267, la Central Province
cependant une forte personnalité, liée
période sèche se situe le plus souvent à côté de la majorité cinghalaise ; elle (Kandy) atteint 350, la Western Pro-
à l’originalité de son histoire.
en été ; c’est donc un climat tropi- comprend des Tamouls installés de vince (avec Colombo) plus de 900.
cal à saisons inversées. Les pluies longue date (en anglais, les « Ceylon. D’ores et déjà, la Wet zone, compte
Les paysages
tombent d’octobre à janvier. Aucune Tamil »), à qui la nationalité ceyla- tenu de ses ressources, est surpeuplée.
Les paysages sont d’une étonnante région de Ceylan n’est aussi sèche que naise est reconnue, majoritaires dans la L’exploitation paysanne moyenne est
beauté, surtout dans la région monta- la plus grande partie du Tamilnd, et presqu’île de Jaffna et dans une partie très petite, inférieure à 1 ha. Or, si les
gneuse, au centre-sud de l’île. Les trois la formation végétale dominante est de la zone sèche (à l’est, notamment). conditions climatiques sont favorables,
pyramides hardies du Pidurutalagala une forêt dense sèche, aux arbres de Elle comprend aussi des Tamouls d’im- les sols sont, pour la plupart, des sols
(2 524 m), du pic d’Adam (2 243 m) taille médiocre, composant une strate migration récente (« Indian Tamil » ferralitiques lessivés de médiocre ferti-
et du Namunakuli (2 033 m) dessinent semi-décidue fermée de 10 à 20 m de établis depuis la seconde moitié du lité ; les rendements, en riz notamment,
une sorte de bastion triangulaire. Ce hauteur, dominant un sous-étage buis- XIXe s.), venus essentiellement pour sont médiocres (15 q à l’ha). Dans ces
bastion est flanqué au sud. au-delà de sonnant riche en épineux. La zone travailler dans les plantations d’hévéas conditions, la moitié des paysans ne
la dépression de Ratnapura, par des « sèche » connaissait jusqu’à ces der- et de théiers. Les Tamouls parlent leur peuvent tirer des revenus suffisants de
crêtes parallèles atteignant 1 358 m et, nières années une malaria endémique langue, la plus célèbre des langues dra- la terre (50 p. 100 d’entre eux ont un
au nord, au-delà du bassin de Kandy, très violente, due à Anophèles culicifa- vidiennes, et sont, pour la plupart, hin- revenu non agricole, dans les régions
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basses surtout, et, pour 25 p. 100, ce ville et Galle, et même Tangalla, mais du riz Yala. Ailleurs, les pentes sont celle des grands royaumes cinghalais,
revenu non agricole est prépondérant). il est ici mêlé sur les collines aux arbres livrées aux chena, où la longue jachère dont l’agriculture reposait sur un ré-
fruitiers et à d’autres plantes commer- a dû être raccourcie sous la pression seau d’irrigation alimenté par des tanks
Les grandes propriétés supérieures
ciales (hévéas, théiers, etc.), tandis démographique : ils portent millets, (wewa). Dans ces conditions, dès 1870,
à 20 ha (Estate Sector) occupent
30 p. 100 des terres. Parmi elles, il y que les rizières sont plus importantes maïs, manioc, patates douces. Enfin, mais surtout à partir de 1931, l’idée se
(riz Yala, semé en mars et récolté en autour des villages, toujours dirigés fit jour de tenter une véritable coloni-
a les « Estates » à proprement parler,
les plantations de théiers, d’hévéas juillet ; riz Maha, semé en octobre et par leurs conseils, se trouvent les jar- sation de la zone sèche. Avec la prise
et de cocotiers (à faire-valoir direct, récolté en janvier). dins ; ils présentent un grand mélange de conscience du surpeuplement de la
avec main-d’oeuvre salariée). Dans L’hévéa est cultivé au pied occiden- d’arbres et d’arbustes, de plantes an- zone humide, il apparut que la conquête
les régions de cultures commerciales, tal des montagnes centrales, notam- nuelles, mais, en réalité, chaque plante de la zone sèche était la seule solution.
les paysans n’ont, de ce fait, que de ment au nord de Ratnapura, en région a sa place suivant ses exigences écolo- L’idée, ingénieuse, fut de remettre en
très petites parcelles. Mais il y a sur- très humide (2 900 mm), sur sols fer- giques pour assurer à la famille vita- état l’ancien réseau d’irrigation ! Dès
tout des propriétés, qui ne sont pas ralitiques ; il s’agit tantôt de planta- mines, protides, sels minéraux néces- avant 1914, une partie du réseau des
réellement grandes, entre les mains tions (appartenant pour 45 p. 100 à des saires et pour pallier une éventuelle wewa était restaurée (Kalawewa, Yoda
de propriétaires non cultivateurs. Tel étrangers), tantôt de petites exploita- mauvaise récolte de riz. Ela, Minneriya, etc.), mais la popula-
est notamment le cas en zone de ri- tions. Cette zone, qui dessine une sorte La zone sèche ne porte que des tion restait à peu près nulle. Les tra-
zières. Nombre de paysans, outre les de croissant de Ratnapura à Kegalla, cultures alimentaires, et principale- vaux furent poursuivis entre 1914 et
salariés des plantations, n’ont donc n’était pas vide : elle était peuplée ment du riz. La région la mieux culti- 1939, la superficie irriguée atteignant
pas de terre : les métayers représentent de Cinghalais de Kandy, cultivateurs vée et la plus peuplée est la presqu’île 68 000 ha. Des « colonies » furent ins-
29 p. 100 des paysans dans le district de rizières et de champs sur brûlis de Jaffna, où les « Ceylon Tamil » tallées (la première à Nachaduwa en
de Colombo, 44 p. 100 dans le district à longue jachère (chena) ; les chena, cultivent du riz et, dans des jardins 1920). Mais les résultats ne vinrent
de Matara, 43 p. 100 dans celui de considérés comme terres vides, furent soigneusement irrigués par des puits, qu’après guerre, lorsque l’utilisation
Kandy et 49 p. 100 dans celui de Rat- confisqués par la Couronne et concédés du tabac, des piments, des oignons, du du D. D. T. eut permis de vaincre le
napura. Il faut ajouter un nombre non à des planteurs à partir de 1904. Dé- manioc, des légumes verts. Le reste de paludisme. De 1948 à 1953, seize « co-
négligeable de copropriétaires : chaque possédés de leurs chena, les Cingha- la zone sèche était presque vide et très lonies », groupant 90 000 personnes,
copropriétaire exploite la terre un an à lais quittèrent la région, cependant peu exploité (la pêche est assez active furent installées, et la surface irriguée
tour de rôle et se trouve sans terre le qu’arrivait une main-d’oeuvre tamoule. toutefois, notamment autour de Put- atteignit 110 000 ha. En 1949, enfin,
reste du temps. 35 p. 100 de la terre de L’hévéa obtient des rendements assez talam). Or, cette zone sèche avait été était constitué le Gai Oya Development
la Wet zone sont exploités totalement faibles et n’a guère connu les remar-
ou partiellement par des non-proprié- quables progrès techniques réalisés ail-
taires ; 11 p. 100 des terres sont en
leurs (Malaisie, Cambodge).
métayage (mais 42 p. 100 des rizières
Le théier couvre 240 000 ha, dans
et même 51 p. 100 de celles du district
les montagnes du centre de l’île,
de Matara), et le métayer doit donner
entre 600 et 1 300 m (thés « d’alti-
la moitié de la récolte. Si l’on ajoute
tude moyenne ») et au-dessus de
que les terres sont très morcelées, on
1 300 m (thés « des hauteurs », les
voit que la paysannerie ceylanaise de
plus renommés). Les pluies sont très
la Wet zone est dans une situation très
abondantes : pluies en toutes saisons à
difficile, qui se traduit en particulier
l’ouest (Nuwara Eliya), pluies surtout
par l’endettement.
d’octobre à janvier à l’est (Badulla).
Le pays était vide à l’arrivée des An-
La mise en valeur
glais, couvert de forêts et de savanes
L’économie est dominée par l’impor- (patana) ; les pentes furent plantées
tance de trois plantes commerciales : d’abord en caféiers (1830-1880), puis
le cocotier (360 000 ha), l’hévéa en théiers ; ceux-ci forment la seule
(230 000 ha) et le théier (240 000 ha), couverture des versants, et l’érosion
toutes trois en Wet zone. Le coprah, le des sols est considérable. Bien que l’on
caoutchouc et le thé doivent servir non compte plus de 110 000 petites exploi-
seulement à payer les importations de tations (« small holdings » : moins de
produits finis, mais aussi les importa- 4 ha), l’essentiel de la production est le
tions de riz, dont la production est for- fait d’environ 3 000 plantations, appar-
tement déficitaire. La Dry zone joue un tenant pour 80 p. 100 à des Européens,
rôle économique très limité. surtout en sociétés ; la main-d’oeuvre
est tamoule. Soigneusement cueillies,
La grande région du cocotier s’étend
les feuilles sont traitées en usine et
dans le triangle Colombo-Chilaw-Ku-
donnent un produit de haute qualité.
runegala, sur basses collines à versants
Un institut de recherches se trouve à
convexes ; le cocotier couvre toutes ces
Talawakele.
collines en petites exploitations fami-
liales, bien qu’il y ait aussi des plan- Les cultures commerciales ne jouent
tations ; les rizières sont confinées aux qu’un rôle secondaire dans ce qui fut
vallons à fonds plats ; le peuplement le coeur de l’île, la région de Kandy,
est récent (il date de 1900 environ), très fortement peuplée. Toutes les val-
lié au « boom » du cocotier. Cet arbre lées et bassins sont en rizières ; mais
est également fréquent dans la région les rizières escaladent aussi les pentes
côtière, au sud de Colombo, entre cette en terrasses, portant du riz Maha et
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Board, sur le modèle de la Tennessee Les tentatives gais et celui du souverain autochtone à Ceylan que la Révolution française
Valley Authority, visant à la mise en de Kandy. Entre ces deux puissances, ne tarde pas à bouleverser toutes les
portugaises
valeur totale d’un vaste secteur de la l’antagonisme est tel qu’un conflit données. Primitivement alliés des Bri-
et hollandaises
région est ; 30 000 personnes ont été devient inévitable, d’autant plus que tanniques, les Hollandais deviennent,
(1505-1796)
implantées (5 800 familles), pratiquant le souverain kandyen a dans les Hol- avec la fondation de la République
une riziculture intensive à double Trois dates servent de repères : landais des alliés potentiels ; la supré- batave, alliés de la France. Leur posi-
récolte (une récolte de riz Maha, une 1505 les premiers navires portugais ap- matie maritime des Portugais décline tion à Ceylan s’en ressent. En 1796, ils
récolte de riz Yala) avec emploi d’en- paraissent dans les eaux cinghalaises ; sans cesse. subissent l’assaut des Britanniques :
grais ; les rendements atteignent par- 1658 la chute du fort de Jaffna marque Initialement mal accueillis, les l’appui de la France et du souverain
fois 50 quintaux à l’hectare. Ce vaste aussi celle de la présence portugaise de Mysore, Tippu Sahib, leur faisant
Hollandais n’en seront pas moins les
effort a eu des résultats : la North Cen- dans l’île ; arbitres de la situation, en s’imposant défaut, ils ne peuvent que s’incliner, et
tral Province, qui avait 97 000 habi- 1796 les Hollandais cèdent la place aux Colombo capitule le 15 février 1796.
comme un allié du roi de Kandy contre
tants en 1931, en comptait 553 000 en Britanniques. les Portugais. Leur aide est officiel- Le janvier 1797, Ceylan est ratta-
1er
1971. Cependant, les travaux ont coûté y L’installation des Portugais. Deux lement demandée en 1636, et, deux chée à la présidence de Madras.
fort cher, et les résultats ne sont pas sortes de motifs expliquent l’installa- ans plus tard, est signé un traité entre
Evincés, les Hollandais n’en ont pas
suffisants : la zone sèche est encore tion des Portugais : l’importance stra- l’amiral Westerwolt et le roi de Kandy
moins apporté une contribution essen-
une vaste forêt. Il est permis de se tégique de Ceylan et son rôle en tant Rjasinha II, aux termes duquel, en
tielle en jetant un pont administratif et
demander si elle n’est pas handicapée que producteur de cinnamone. Mais échange de leur aide militaire contre
politique entre l’époque médiévale et
par la médiocrité des sols et si la mise l’événement initial est une erreur de les Portugais, le souverain kandyen
le XIXe s. colonial, héritage que les Bri-
en valeur n’est pas réellement aléa- navigation qui, en novembre 1505, garantit aux Hollandais des avantages
tanniques se contenteront bien souvent
toire. Par contre, l’introduction du « riz fait arriver près de Ceylan dom Lou- commerciaux constituant en fait un
de moderniser.
miracle », l’IR 8, dans les rizières de renço de Almeida. véritable monopole. Cette aide est
la zone humide permet d’espérer une efficace et, avec la prise de Jaffna, en
Dans un premier stade, les Portu- L’implantation
forte augmentation des rendements et 1658, prend fin la domination portu-
gais s’efforcent surtout de passer des
britannique (1797-1947)
peut-être la solution du problème ali- gaise sur Ceylan.
accords commerciaux : ainsi celui qui
mentaire de Ceylan.
est passé avec le roi de Ktt Dharma y La colonisation hollandaise. Peu y Les débuts. Rattacher une partie
J.D. Parkrama Bhu VIII, qui leur garan- différente dans le fond et dans la de Ceylan à la présidence de Madras
tit, en échange d’une « couverture na- forme de celle des Portugais, la co- ne règle pas le problème des rapports
L’HISTOIRE vale », le paiement annuel d’un tribut lonisation hollandaise a été préparée avec le royaume de Kandy. Dès 1800,
de 400 bahars (mesures) de cinnamone. dès 1602 par la création de la com- les relations se tendent. De violences
pagnie néerlandaise des Indes orien- en répressions, l’affrontement est
La période précoloniale L’infiltration proprement politique
tales (dotée de véritables droits réga- fatal au prince cinghalais, dont la
ne commence vraiment qu’après 1540,
L’histoire ancienne de l’île ne nous est liens par les états généraux) et par les déchéance héréditaire est proclamée
quand les Portugais profitent des riva-
guère parvenue que par de douteuses négociations entamées avec le roi de en mars 1815. Le royaume de Kandy
lités des princes locaux. Ils réussissent,
chroniques en pli. Selon certaines de Kandy, Vimala Dharma Surya, par connaît le sort du reste de Ceylan,
en 1551, à placer sur le trône de Ktt
ces chroniques, le premier véritable l’amiral Sebald de Weert. Tout cela qui, en 1802, avait été rattachée di-
une de leurs créatures, Dharmapla,
souverain de Ceylan, Vijaya, des- préfigure le traité de 1638 et la vic- rectement à la Couronne britannique.
qui devient dom Juan Dharmapla
cendait par sa mère de souverains de toire hollandaise de 1658. Évitant les maladresses commises en
après son baptême en 1557. Cet acte
l’Inde du Nord et se serait installé dans Inde à la même époque, les Anglais
achève de le déconsidérer aux yeux de Jusqu’en 1796, deux options essen-
l’île au Ve s. avant notre ère, y fondant s’efforcent, par le respect de leurs
ses sujets et favorisa momentanément tielles caractérisent cette colonisation :
notamment ce qui devint la capitale, droits et privilèges, de faire des indi-
son rival, le roi de Sitavka : celui-ci la nécessité d’assurer le monopole
Anurdhapura. gènes des alliés sûrs en même temps
parvient presque à refaire à son pro- commercial et, pour ce faire, au prix
qu’ils observent une stricte neutralité
En fait, nos connaissances fit l’unité de Ceylan ; mais sa mort, d’une dangereuse escalade, d’obtenir
religieuse.
ne deviennent précises qu’avec en 1592, sonne le glas des velléités le contrôle de plus en plus étroit de la
Dvnampiya Tissa (247-207 av. J.- d’indépendance de l’île. La recon- région du golfe du Bengale ; les essais Mais une si brusque mutation
C.), sous le règne duquel, grâce au quête portugaise de Ceylan est aisée en vue de procurer à l’île de nouvelles des structures sociales et politiques
prosélytisme de l’empereur Aoka, le et, en 1597, à la mort de dom Juan ressources commerciales en y déve- entraîne en 1817-18 l’explosion de
bouddhisme* s’implante solidement Dharmapla, Philippe II d’Espagne, roi loppant certaines cultures (textile dans l’équivalent cinghalais de la « révolte
dans l’île, formant avec le pouvoir du Portugal, est proclamé roi de Ceylan le district de Jaffna, chaya [garance des Cipayes ». Comme la mutinerie de
royal une alliance du trône et de l’autel. (l’île dépendant du vice-roi de Goa), indienne], tentatives de culture du poi- 1857, cette date marque pour Ceylan
Dès lors, et jusqu’à l’arrivée des Eu- les Portugais faisant même cautionner vrier, du caféier, développement de la la fin du vieil ordre établi : celui du
ropéens au XVIe s., l’histoire de Ceylan ce rattachement par une pseudo-assem- canne à sucre, du cocotier, du tabac et royaume de Kandy. Les Britanniques
blée cinghalaise. du riz). Ces transformations agraires tirent certaines leçons de la révolte :
se réduit à une série de luttes contre les
invasions tamoules du royaume cola Jusqu’en 1656, l’île va être gouver- entraînent la constitution d’une nou- ils réforment l’Administration et favo-
velle classe de propriétaires fonciers risent l’essor des travaux publics, qui
(ou chola) [v. Inde]. Ainsi, après son née par un capitaine général assisté
pillage, Anurdhapura est abandonnée d’un ministre des Finances et d’un dévoués aux Hollandais. permettent une meilleure infrastructure
routière et, par là même, un contrôle
en tant que capitale. 1070 voit néan- garde des Sceaux. Elle est divisée en À son apogée, vers 1770, la domi-
militaire plus aisé.
moins une revanche des Cinghalais sur provinces, celle de Jaffna gardant une nation hollandaise va ensuite décliner,
les Tamouls et l’établissement d’une certaine autonomie. Enfin, cet enca- non pour des causes internes, mais plus Des raisons fiscales (crainte — jus-
nouvelle capitale, stratégiquement drement administratif est complété par simplement dans la mesure où Ceylan tifiée ou non — d’une augmentation
mieux située, Polonnaruwa. Mais cet de nombreux monopoles commerciaux représente un atout dans le conflit qui d’impôts) et des expropriations abu-
« âge d’or » du XIe s. ne dure guère, et octroyés aux Portugais. Mais cette opposait les Pays-Bas, la Grande-Bre- sives, en liaison avec le développement
le royaume cinghalais recule devant la suzeraineté portugaise ne doit néan- tagne et la France. Il devient d’autant d’une économie de plantation, pro-
poussée des Tamouls, qui s’établissent moins pas cacher que deux pouvoirs plus difficile aux Hollandais, déjà voquent une nouvelle insurrection en
dans le nord-est de l’île. se partagent Ceylan : celui des Portu- dépassés en Europe, de se maintenir 1848. Maté en quatre jours, le mouve-
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La Grande Encyclopédie Larousse -Vol. 5
ment est surtout grave par la répression outre, possède de nombreux avantages Le 28 mai, jour de la célébration cinghalaise lancer le slogan « Inde-
disproportionnée qu’il entraîne. propres : il a en Grande-Bretagne un de la naissance du Bouddha (Vesak pendence for Ceylon » (cf. le Prna
marché assuré ; il peut pousser à n’im- Day), des troubles éclatent notam- Svarj de Nehru), franchissant ainsi un
Néanmoins, les Anglais ont réussi
à s’implanter solidement, et la Pax porte quelle altitude et, toujours vert, ment à Kandy : violences et pillages degré décisif dans l’escalade politique
britannica peut s’établir dans toute sa se cueille n’importe quand, évitant les entraînent, le 2 juin, la proclamation et se réclamant de plus en plus de Marx,
plénitude. à-coups du café. de la loi martiale. Mais, ainsi qu’en de Lénine ou de Trotski. En 1935, cette
1848, la répression gouvernementale, tendance se trouve officialisée par la
y Pax britannica. L’oeuvre écono- Peu à peu, le thé devient l’élément
disproportionnée par rapport aux évé- fondation du L. S. S. P. (Lank Sama
mique majeure des Britanniques est essentiel de l’économie cinghalaise,
nements, manque complètement ses Samja Party) par Philip Gunavardena
d’intégrer Ceylan dans le cadre d’une permettant même, par l’accumulation
effets. et N. M. Perera, entre autres : ce parti
économie de plantation. Cette muta- de capitaux qu’il provoque, le déve-
est plutôt représentatif des masses
Malgré ces incidents de 1848 et de
tion est de toute évidence une des loppement d’autres cultures de plan-
urbaines. En 1937, c’est la petite et
1915, le XIXe siècle cinghalais est dans
pièces maîtresses de l’empreinte bri- tation : notamment l’hévéa, qui, intro-
moyenne bourgeoisie qui se regroupe
l’ensemble paisible et bien représenta-
tannique à Ceylan. Elle se fait surtout duit à Ceylan dès 1876, végète jusque
au sein du Sinhala Maha Sabha, fondé
tif de l’âge d’or victorien.
par le biais de deux productions : le vers 1910, date à laquelle l’énorme
par Solomon West Ridgeway Dias
café et le thé. demande de la toute jeune industrie La Première Guerre mondiale,
Bandaranaike.
Le café, dès 1830-1835, sonne le automobile américaine lui donne un comme en Inde, va plus ou moins trou-
Comme celle de 1914-1918, la Se-
glas de la traditionnelle agriculture vi- essor décisif. bler ce bel ordre établi en développant
conde Guerre mondiale est un remar-
chez la bourgeoisie libérale de Ceylan
vrière. Pour Ceylan, le développement Économique, la pénétration britan-
quable accélérateur de l’évolution
un désir sinon d’autonomie, du moins
sur une grande échelle de la caféicul- nique s’exerce aussi dans un cadre
historique. Ceylan est déclarée en état
de plus grande participation aux af-
ture est une révolution comparable, politique et institutionnel. Soustraite
de belligérance avec l’Allemagne. En
faires publiques.
toutes proportions gardées, à la révolu- en 1802 au contrôle de la Compagnie
compensation, le gouvernement britan-
tion industrielle britannique. Il marque Dès le début du XIXe s., l’Association
des Indes, Ceylan devient colonie de la
nique prosmet, en 1941, de procéder
une coupure décisive aussi bien dans Couronne britannique et, comme telle, nationale cinghalaise devient le lieu de
à de larges réformes après la fin de
le domaine économique que dans celui dépend du Colonial Office. L’île est regroupement de tous ceux qui désirent
la guerre. Promesses renouvelées en
des structures sociales ou du contrôle une réforme constitutionnelle. En 1917
sous le contrôle du gouverneur, assisté 1943. Ainsi, d’échéance en échéance,
politique. se crée la Ceylon Reform League, et
d’un Conseil consultatif de six fonc- on aboutit : à la Constitution de mai
1919 voit la constitution, sur le mo-
C’est dans la région de Kandy que, tionnaires. Mais les transformations 1946 (très proche de la Constitution
dèle indien, mais en plus modéré, du
de 1830 à 1880, ce développement sociales dues au passage à une écono- britannique) ; à l’Acte d’indépendance
Congrès national cinghalais, dont les
est le plus spectaculaire. Le café de- mie de marché rendent nécessaires cer- de Ceylan de décembre 1947 ; à l’ou-
principales revendications sont : la
vient même l’objet d’une spéculation taines réformes politiques, ne serait-ce verture solennelle, le 4 février 1948,
« cinghalisation » des hauts emplois
foncière effrénée aux conséquences que pour se concilier une élite cingha- par le duc de Gloucester, du premier
administratifs ; l’élargissement du
sociales et humaines souvent déplo- laise de plus en plus anglicisée. Tel est Parlement de Ceylan indépendant.
Conseil législatif, dont la majorité de-
rables : l’introduction d’une culture le but du Conseil législatif de 1833, qui
vrait être composée de membres élus et
spéculative entraîne une « privatisa- doit obligatoirement donner son aval Ceylan depuis
non plus nommés par le gouvernement,
tion » assez large du domaine public à toutes les décisions financières ou l’indépendance
et dont la présidence irait de droit à un
ou royal (nindagama), causant à de législatives : il est composé de vingt et
membre élu et non plus au gouverneur.
multiples petits paysans la perte de L’Acte d’indépendance donne à l’île
un membres, dont onze fonctionnaires
récoltes secondaires, qui constituaient L’agitation croissante contraint un statut de dominion au sein du Com-
et dix non-fonctionnaires, censés re-
souvent leur seul surplus commerciali- la Grande-Bretagne à accorder une monwealth. Passé l’euphorie de l’indé-
présenter les diverses collectivités
sable, et les privant d’une sorte de droit nouvelle Constitution en 1924. Cette pendance, le jeune État se trouve vite
cinghalaises.
de vaine pâture. Cette appropriation du Constitution donne la majorité aux confronté à une série de difficultés éco-
Ainsi tracé, le cadre institutionnel
domaine royal se fait dans l’immense conseillers élus et élargit les compé- nomiques, ethniques et politiques.
britannique changera peu. Tout au
majorité des cas au profit des classes tences du Conseil. Les difficultés économiques tiennent
plus dans la seconde moitié du XIXe s.
dirigeantes britanniques (militaires ou Mais, par un processus inéluc- à trois causes principales : des diffi-
s’efforcera-t-on d’exiger des fonction-
fonctionnaires). Par ailleurs, la culture table, les revendications se radica- cultés naturelles ; la généralisation, au
naires britanniques à Ceylan une com-
du café accélère, quand elle ne crée lisent vite. Le développement de la XIXe s., d’une économie de plantation à
pétence et une intégrité égales à celles
pas, une immigration des Indiens du classe moyenne (favorisé par le boom caractère spéculatif ; le contraste entre
des agents de l’Indian Civil Service.
Sud, immigration de la misère dont les sur le caoutchouc) aboutit à de nou- une agriculture commerciale capita-
(V. Inde.)
participants sont souvent en butte aux velles revendications politiques, car la liste et une agriculture traditionnelle
mauvais traitements des planteurs. En 1915 éclatent des troubles dus Constitution de 1924 maintenait aux aux tenures exiguës et à peine inté-
essentiellement au fanatisme religieux. gouverneurs un pouvoir de décision grée à l’économie monétaire. Si l’on
Le thé achève cette intégration éco-
Tout débute à cause du sectarisme des en matière législative et financière ; la ajoute un potentiel de ressources ex-
nomique de Ceylan dans le circuit
mondial. Introduite de 1820 à 1840 Moors, ou Maures de la côte (com- nouvelle Constitution de 1931 instaure ploitables assez faible, on comprend
merçants musulmans de l’Inde du Sud un véritable suffrage universel (bien aisément les problèmes économiques
soit de Chine, soit de l’Assam, ce n’est
qu’en 1867 que la culture du thé prend récemment immigrés), qui voient d’un qu’avec quelques exceptions). Dans ce auxquels Ceylan se trouve confrontée.
son véritable essor, remplaçant à partir mauvais oeil passer des processions contexte, il devient possible de confier C’est en 1950 qu’est adopté le plan de
de 1880-1895 celle du café. Pourtant, bouddhistes devant leurs mosquées. à des Cinghalais certaines responsabi- Colombo, qui tend à promouvoir le
ce développement est assez lent, car les Or, si les Moors anciennement établis lités ministérielles : éducation, santé, développement économique des pays
cours internationaux du café montrent se sont bien intégrés dans la popula- agriculture (cf. l’action du ministre de du Commonwealth.
une remarquable tenue. Plusieurs fac- tion, il n’en va pas de même pour les l’Agriculture D. S. Senanayake). D’une grande importance, ces dif-
teurs lui permettent de s’imposer. La nouveaux arrivants, que leur intransi- Les années 30 marquent une cou- ficultés ne doivent, néanmoins, pas
rouille qui, dès 1868, a fait son appa- geance rend bientôt suspects aux yeux pure décisive dans les revendications cacher celles qui découlent de la multi-
rition, tend à se généraliser dans les d’une population déjà exacerbée par les politiques cinghalaises : c’est l’époque plicité ethnique et religieuse. L’un des
années 1880, entraînant une décadence difficultés économiques consécutives à où les options virent franchement problèmes essentiels de Ceylan réside
irrémédiable du caféier. Le thé, en la guerre (hausse des prix notamment). à gauche. 1934 voit l’intelligentsia dans la présence d’un fort contingent
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 5
de Tamouls indiens. Avec moins d’in- intransigeants formant le Fédéral Party sièges, devient la seule organisation tenter d’assurer l’indépendance écono-
tensité, ce problème ressemble à celui (ce titre constitue à lui seul tout un représentative des Tamouls. mique de l’île, notamment en diversi-
des Indiens du Natal, dont Gndh* programme). fiant son agriculture par la réduction
1956-1965 : l’ère Bandaranaike. À
s’était fait le défenseur. Les dirigeants des cultures de plantation, trop sou-
1951 est une année noire pour le propos de cette ère, on parle aussi de
cinghalais doivent s’efforcer d’établir mises aux fluctuations des cours mon-
gouvernement, qui enregistre la démis- révolution bouddhiste dans la mesure
un équilibre entre deux communautés diaux, et en développant les cultures
sion du ministre de la Santé S. W. R. D. où l’on peut considérer qu’il s’agit
se craignant mutuellement. Les griefs vivrières.
Bandaranaike. Celui-ci, en désaccord d’une réaction cinghalaise contre cer-
sont nombreux : crainte des Cinghalais
avec la majorité, fonde le S. L. F. P. tains éléments trop anglicisés ou trop Mais la rigueur budgétaire, les
devant le dynamisme démographique
(Sri Lank Freedom Party). « tamoulisés ». impératifs de l’équilibre financier le
des Tamouls ; présence, dans le nord
contraignent à prendre des mesures im-
En 1952, le Premier ministre, Solomon West Ridgeway Dias Ban-
du pays (région de Jaffna), d’une zone
populaires : ainsi la baisse de 50 p. 100
D. S. Senanayake meurt accidentelle- daranaike (1899-1959), le Premier mi-
à prépondérance dravidienne, qui, à
de la ration hebdomadaire gratuite de
ment, et son fils Dudley (né en 1911) nistre, est bien représentatif de l’aris-
certains Cinghalais, semble être une at-
quatre livres de riz en 1968. Si l’on y
lui succède en mars. Il prononce la tocratie cinghalaise anglicisée. Il s’est,
teinte à l’intégrité territoriale du pays ;
ajoute un certain marasme économique,
dissolution du Parlement, et de nou- dès son retour d’Oxford, initié à l’ac-
rivalité linguistique entre le cinghalais
une mévente du thé et une hausse géné-
velles élections ont lieu en mai. Elles tion politique ; abandonnant son ver-
et le tamoul dans l’Administration, et
ralisée des prix, on comprend mieux
consacrent le triomphe de l’U. N. P. nis occidental, il a fondé très vite une
surtout présence d’un million de tra-
le résultat des élections de mai 1970 :
(54 sièges de députés sur 92). Vide po- organisation, le Sinhala Maha Sabh,
vailleurs indiens des plantations. En
le Sri Lank Freedom Party obtient la
litique au sein de l’opposition, fidélité dans laquelle la classe moyenne peut
1964, un accord entre le Premier mi-
majorité absolue (91 sièges sur 151) ;
électorale quasi sentimentale, plusieurs se reconnaître. Ministre depuis 1936,
nistre indien L. B. Shastri et Mme Ban-
l’U. N. P. est écrasé (17 sièges).
hypothèses peuvent être avancées pour il a démissionné en 1951, et sa tâche
daranaike est conclu. Il prévoit que, sur
expliquer cet accaparement électoral de Premier ministre s’annonce double- En 1970, Mme Srimavo Bandara-
ce million d’Indiens, 525 000 devront
du pays par l’U. N. P. ment difficile : tenter de résoudre les naike retrouve le pouvoir. Plusieurs
réintégrer l’Inde en quinze ans et que
problèmes économiques et communa- tâches urgentes l’attendent : rajuste-
300 000 se verront octroyer une pleine Ce succès ne doit d’ailleurs pas faire
listes en même temps que préserver un ment de la ration de riz ; relance des
citoyenneté cinghalaise ; quant aux illusion : les difficultés économiques
minimum de la plate-forme électorale. nationalisations ; application de l’ac-
175 000 restants, rien n’est envisagé. en limitent la portée.
C’est dans cette optique qu’il faut pla- cord de 1964 prévoyant le rapatriement
Mais cet accord ne règle rien en fait. Le Certes, en 1952, le gouvernement
cer le « Sinhalese Only Bill », qui fait d’au moins 500 000 Tamouls indiens ;
problème de ces travailleurs tamouls
signe un accord commercial avec la
du cinghalais la seule langue officielle, pratique, en politique extérieure, d’un
reste entier, et c’est dans ce double
Chine (malgré les pressions des États-
certaines nationalisations — notam- neutralisme plus actif. Mais surtout
contexte de difficultés économiques et
Unis) particulièrement avantageux
ment celle des moyens de transport se pose le crucial problème du sous-
d’antagonismes ethnico-religieux que
pour Ceylan, mais, en 1953, le gou-
— et les négociations que le gouver- emploi, qui traque environ un habitant
s’est déroulée la vie politique de Cey-
vernement, en supprimant le « prix
nement entame avec le leader du parti sur dix. Il s’agit bien là d’un problème
lan depuis 1948.
politique du riz » (en n’offrant plus de
fédéraliste Chelvanayagam. qui conditionne la solution de tous les
y Gouvernement de l’U. N. P. (1948- primes à l’importation), provoque une
autres.
Cependant se manifeste une oppo-
1956). De 1948 à 1956, il y a vérita- hausse de cette denrée de base et une
sition croissante au sein du gouverne- En mars 1971 éclate une révolte ani-
blement identification du gouverne- baisse du niveau de vie. Le méconten-
mée par un groupe d’extrême gauche,
ment cinghalais et de l’U. N. P. (Parti tement populaire est grand, et le Lank ment entre conservateurs et socialistes
le Front de libération populaire, qui
de tendance marxiste. La situation
national uni), fondé en 1947. Ce der- Sama Samja Party appelle à un Hartal
devient même explosive à partir de réclame des mesures radicales, telles
nier sera d’ailleurs souvent accusé de (grève générale) pour le 12 août : les
que la nationalisation de la presse,
népotisme. À vrai dire, plus que dans incidents, nombreux, font une dizaine mai 1958 et entraîne la proclamation
des plantations et des banques. Cette
de l’état d’urgence (jusqu’au 13 mars
ce reproche, la faiblesse essentielle du de morts et contraignent peu après Du-
insurrection voit, pour la première fois,
parti au pouvoir est d’être seulement dley Senanayake à démissionner. 1959). En septembre 1959, assassiné
un rassemblement de personnalités et par un moine, Bandaranaike est rem- une partie de la population se soulever
Le leader de la Chambre des dépu-
sans qu’aucun problème ethnique soit
non pas l’émanation d’une ou de plu- placé par sa femme, Srimavo Ratwatte
tés, sir John Kotelawala, lui succède.
en jeu : elle provoque une sanglante
sieurs couches sociales. Dominé par Dias Bandaranaike (née en 1916), qui
Mais l’antagonisme entre Tamouls et
répression.
la forte personnalité de Don Stephen « gauchise » sensiblement sa politique,
Cinghalais le contraint à dissoudre la
Senanayake (1884-1952), l’U. N. P. notamment dans le domaine des natio- Le 22 mai 1972, aux termes d’une
Chambre par anticipation.
se trouve confronté à des problèmes nalisations (écoles privées, assurances, nouvelle Constitution, Ceylan devient
C’est sur cet antagonisme que se
qui dépassent parfois sa représentati- moyens de transport, réseau de distri- la « République de Sr Lanka » et
cristallisent les prises de position. Un
vité : ainsi le problème des Tamouls bution des carburants, etc.), privant rompt ses liens institutionnels avec
regroupement politique s’opère entre le
indiens. Après l’indépendance, des son pays de l’aide américaine et d’une la Grande-Bretagne tout en demeu-
Sri Lank Freedom Party, une organi-
rencontres ont lieu avec Nehru pour partie du soutien de la bourgeoisie cin- rant dans le Commonwealth. L’ancien
sation de Bhikkhus (moines), la Eksath
tenter de régler cette délicate ques- ghalaise. Les élections de 1965 concré- représentant de la Couronne, William
Bhikkshu Peramuna et la fraction dissi-
tion. Aucun résultat positif n’en tisent ce recul et le retour en force de Gopallawa, est nommé président de la
dente de P. Gunavardena.
découle. Pire, en 1948 et en 1949, l’U. N. P. (66 sièges sur 152). République.
le gouvernement cinghalais décide Ce Front unifié du peuple (Mahjana 1965-1970 : le retour de D. Se- J.K.
de trancher lui-même entre ceux des Eksath Peramuna [M. E. P.]) passe des nanayake. Dudley Senanayake est Mais le régime de MmeBandaranaike
Tamouls indiens qui pourront obtenir accords électoraux avec le Lank Sama accueilli favorablement par la droite doit faire face à une très grave crise
la nationalité, donc le droit de vote, et Samja Party et le parti communiste.
cinghalaise et les milieux dirigeants économique. Ebranlé par les événe-
les autres. Aux élections de 1956, le M. E. P. occidentaux. Son action gouvernemen- ments de 1971, le gouvernement mit
De plus, en 1949, les actes de ci- triomphe (48 sièges contre 8 à tale tend vers un double but : rassurer en oeuvre un programme de réforme
toyenneté indien et pakistanais font l’U. N. P.), et Bandaranaike forme le politiquement et économiquement (re- agraire (comprenant notamment la
de la majorité des travailleurs de gouvernement ; pour la première fois lâchement des relations diplomatiques nationalisation des plantations de thé
plantations de véritables apatrides, ce depuis l’indépendanee, il n’y a aucun avec Pékin, indemnisation des compa- et d’hévéas), mais il maintint l’état
qui provoque une scission au sein du représentant tamoul au sein du Cabinet, gnies pétrolières nationalisées, réduc- d’urgence. Aux élections de 1977,
Tamil Congress, les éléments les plus et le F. P. (parti fédéraliste), avec dix tion des impôts sur le revenu, etc.) ; Mme Bandaranaike est battue par le
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La Grande Encyclopédie Larousse -Vol. 5
conservateur Junius Jayawardene, qui point d’aboutissement, deviendra très tôt rapporté le début des travaux d’irrigation le Vajrsana ; prsda, constructions
devient président de la République en un centre de rayonnement vers l’Asie du et de construction de barrages qui, jusqu’à mixtes à étages, dont ne subsistent que
Sud-Est et l’Extrême-Orient. Spécialement la conquête chola du XIe s., assureront à l’île les bases et les piliers du rez-de-chaussée
1978 et laisse ses fonctions de Premier
concentrée autour des anciennes capi- sa prospérité. (Lohapsda, ou Palais d’airain, restauré
ministre à Ranasinche Pramadasa.
tales, qui sont à juste titre les sites les plus par Parkrama Bhu Ier). La sculpture,
F Bouddhisme / Empire britannique / Inde. célèbres de Ceylan, la richesse archéolo- y La période d’Anurdhapura presque exclusivement en bas relief, est
G. C. Mendis, The Early History of Ceylon gique et artistique de l’île est considérable. Au coeur d’une région autrefois savamment de caractère souvent symbolique et trahit
(Calcutta, 1932). / W. I. Jennings, Nationalism aménagée du point de vue hydraulique, une forte influence de l’art Andhra. Dans
and Political Development in Ceylon (New L’ART ET L’HISTOIRE l’ancienne capitale, mentionnée dès le IIIes. la seconde phase, qui s’achève en 992, les
York, 1950). / W. H. Wriggins, Ceylon, Dilemmas av. J.-C., doit son renom à son importance stpa restent les fondations les plus fré-
L’activité de Ceylan, durant la préhistoire,
of a New Nation (Princeton, 1960). / E. F. C. Lu- quentes et évoluent vers un aspect plus
politique et surtout religieuse. Son rôle
dowyk, The Story of Ceylon (Londres, 1962) ; ne diffère pas sensiblement de celle de original. D’abord colossaux, ils en viennent
politique prend fin en 992, lorsqu’elle est
The Modern History of Ceylon (Londres, 1966). / l’Inde contemporaine. L’âge de la pierre à des dimensions plus modestes aux
ravagée par les Colas (ou Cholas), mais les
Notes et études documentaires, nos 982 et 3442 s’y termine par la même phase microli- VIIIe-IXe s. et s’enferment parfois dans une
souverains y procéderont à de nombreuses
(la Documentation française, 1948 et 1967). thique ; le Chalcolithique et l’âge du fer
enceinte circulaire (cetiyaghara). Deux
/ R. Dumont, Paysanneries aux abois (Éd. du restaurations jusqu’en 1290. Les premiers
marquent le passage à la protohistoire.
types de sanctuaires se développent :
Seuil, 1972). travaux de l’époque moderne répondaient
Quelques caves comportent des gravures
l’un de plan carré, avec cella isolée par
d’abord à un sentiment religieux que légi-
et des peintures antérieures à la période
un couloir pourtournant ; l’autre de plan
timent les fondations les plus vénérables
L’art historique. Des dolmens et des cistes se barlong, avec piliers intérieurs. Comme les
de la cité : stpa élevés pour des Reliques
rencontrent dans les provinces est et nord- jardins d’agrément du Palais, les grands
corporelles du Bouddha, temple abritant
Souvent considéré comme un simple pro- centrale. La céramique est représentée, monastères s’ornent de nombreux bas-
une bouture de l’Arbre de la Bodhi de
longement de l’art de l’Inde, avec lequel il dès le Mésolithique, par une poterie noir et sins aménagés dans un souci évident de
Bodh-Gay*.
a d’ailleurs d’étroits rapports, l’art de Cey- rouge, puis par des poteries en terre gros- composition. À Sgiriy, la forteresse-palais
lan révèle toujours, en dépit du rôle joué sière, à décor sommairement gravé. Rema- Deux phases peuvent être distin- construite par le roi Kassapa Ier (473-491)
par un fonds religieux commun et par les niés, les vestiges contemporains de l’intro- guées. Des origines à la fin du règne de affirme cette volonté avec ses perspectives
périodes de sujétion politique, une indé- duction du bouddhisme sont localisés Mahsena (v. 300) apparaissent les pre- savantes et ses terrasses étagées. À côté de
niable et constante originalité, préservée, grâce aux chroniques ; les contacts avec mières constructions en brique ou en la terre cuite et du stuc, le bas-relief joue
surtout dans le domaine des arts mineurs, le commerce romain ne sont attestés que pierre : stpa, de dimensions souvent un rôle prépondérant dans la sculpture et
jusque durant la période coloniale. Comme par les monnaies impériales découvertes, considérables (Anurdhapura, Mihinal, acquiert sa parfaite originalité dans la dis-
l’histoire, l’art est d’abord lié aux progrès assez nombreuses, au cours des fouilles. Mahgma, etc.) et progressivement enri- tinction :stèles ornées de gardiens, pierres
du bouddhisme, progrès tels que l’île, À la première période historique doit être chis ; trônes de pierre (sana) évoquant de seuil... La sculpture rupestre, avec des
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 5
images monumentales (Avukana, Buduru- importants, des petites chapelles, des Die buddistische Plastik auf Ceylon (Leipzig, devant les tracas quotidiens et la dif-
vegala, etc.), connaît une vogue certaine. autels pour les offrandes. À l’intérieur, 1963). / D. B. Dhanapala, Peintures de temples ficulté des rapports humains, toujours
et de sanctuaires à Ceylan (Flammarion, 1964).
Les statues en ronde bosse, pierre ou une chambre reliquaire, généralement à
insatisfait aussi, il choisit la fuite en de
bronze, sont des images du Bouddha ou trois étages, au plafond soulagé par des
perpétuels changements de résidence.
des divinités mahyniques. La peinture vides de la maçonnerie, abrite les dépôts
Il cherche des refuges et, son mariage
murale est représentée par les « fresques » précieux. Certains stpa comportent un
de Sgiriy et des chambres reliquaires des soubassement carré, avec emmarche- Cézanne (Paul) n’ayant guère été une réussite, déclare
stpa (Mihinal). ments ; d’autres s’enferment à l’intérieur dans sa vieillesse : « Je m’appuie sur
d’enceintes de piliers et d’une muraille, ma soeur Marie, qui s’appuie sur son
y La période de Polonnaruwa Peintre français (Aix-en-Provence
sans doute associées à des toitures légères
confesseur, qui s’appuie sur Rome. »
Avec la conquête chola, responsable (Anurdhapura : Thprama ; Polonna- 1839 - id. 1906).
Mais, jaloux de sa liberté (« personne
de la ruine du système d’irrigation, le ruwa : Thprama ; Vaadg). Pour les
ne mettra le grappin sur moi »), c’est
pouvoir administratif passe à Polonna- sanctuaires, la construction à étages, sur
Introduction
encore dans le travail solitaire qu’il
ruwa, dont l’importance est attestée dès piliers, associant pierre et bois, joue un rôle
le VIIIe s. Durant le XIe s., la soumission de important. Il n’est sans doute aucun artiste mo- trouvera le meilleur réconfort : par-delà
Ceylan aux Cholas réduit les ateliers cin- L’architecture de la première période ne derne qui ait été aussi méprisé par la les incertitudes longtemps affichées
ghalais (ou, mieux, singhalais) à l’inaction,
liaisonne la brique qu’au mortier d’argile grande masse de ses contemporains et les crises de découragement (toiles
et les seules fondations de Polonnaruwa
et assemble la pierre suivant des procédés pour devenir ensuite un inspirateur détruites ou laissées inachevées), il y
sont les temples ivaïques élevés par les
de charpenterie. Au XIe s., les monuments exercera une volonté qu’au vu du déve-
occupants dans le style dravidien pour commun à tant de courants divers
dravidiens élevés par les Cholas seront
des idoles qui semblent avoir été impor- durant un demi-siècle, et dont l’oeuvre loppement entier de son oeuvre on peut
sans influence sur l’architecture locale, qui,
tées (bronzes). Avec la restauration de la ait suscité de pareilles difficultés d’in- juger lucide et inflexible. Rebelle aux
dans la période de Polonnaruwa, revient
souveraineté cinghalaise (Vijaya Bhu Ier théories et n’empruntant, aux peintres
aux compositions traditionnelles. L’utili- terprétation. Parfois taxée de beso-
[1056-1110]), l’Administration demeure à
sation du mortier de chaux lui permettra gneuse platitude, elle est pour la plu- qu’il admire, rien qui ne soit conforme
Polonnaruwa, suscitant restaurations et
de réaliser de vastes salles voûtées pour à son authentique sentiment intérieur,
part des « connaisseurs », en dépit de
fondations nouvelles (Aadg, temple de
les images monumentales (Laktilaka). il passera de l’expression provocante
la Dent-Relique). Après quarante années ses maladresses réelles ou apparentes,
Constamment, l’architecture de Ceylan
de luttes intestines, la véritable renais- d’une richesse et d’une plénitude de sa subjectivité à des synthèses suc-
attache un prix particulier aux perspec-
sance débute avec le règne de Parkrama cessives qui lui permettront, en repre-
exceptionnelles.
tives comme à la beauté et à la sobriété
Bhu Ier (1153-1186). Le souverain et son nant contact avec la réalité sensible
du décor.
Moins bien reçue encore, de son
successeur s’efforceront de restaurer les
puis en la dépassant, de résoudre ses
fondations utilitaires et religieuses, et temps, que celle des autres impression-
LA SCULPTURE obsessions dans un parti créateur.
développeront un vaste programme de nistes (au sens large du terme), cette
construction qui répond à une politique C’est dans l’art du bas-relief et dans ses en- Il est commode de distinguer quatre
oeuvre édifie progressivement, sans
de grandeur. Les stpa, la salle d’audience sembles rupestres que la sculpture révèle phases dans cette évolution, mais sans
les ruptures violentes qui suivront,
du Palais, les grands temples de Tivaka ses qualités de distinction, de douceur et
perdre de vue que la dialectique qui
un rapport nouveau de la nature et du
et de Laktilaka, l’ensemble rupestre de d’esprit. Après une première phase très
s’y dessine d’étape en étape admet
fait pictural, premier en date des deux
Gal-Vihra comptent parmi les réalisations indienne et un peu raide, elle connaît son
maints retours sur elle-même et qu’elle
les plus remarquables de cette époque, âge d’or dans la période d’Anurdhapura, grands pôles qui orienteront le XXe s., le
dont les stucs, les bois sculptés, la peinture et les réalisations des VIIIe et IXe s. sont second étant représenté par la contes- est souvent présente dans la dualité
murale ont exercé une très forte influence d’une qualité que ne retrouvera plus l’art même de telle ou telle oeuvre prise en
tation culturelle du dadaïsme. Mis à
sur l’art du Sud-Est asiatique. de Polonnaruwa, déjà un peu maniéré, en particulier.
part quelques académies du temps de
dépit de la grandeur mesurée de certaines
L’attaque de Mgha, avec des forces du
ses études de dessin, Cézanne, dès ses
oeuvres (« Parkrama Bhu » de Polonna-
Kerala, met fin à cette période (1236). Mar-
Impulsivité romantique
débuts et un peu à la manière de Dau-
quée par l’instabilité politique, la longue ruwa). Sauf dans l’art du bronze, très libre,
période de déclin qui s’ensuit voit encore la ronde-bosse paraît souvent hiératique, mier*, s’évade de la représentation Des tâtonnements initiaux à la maîtrise,
élever, dans les capitales éphémères, des et une tendance à la stylisation s’impose à traditionnelle à la fois en transgressant
les dix premières années, environ, de
ensembles remarquables, tels que les for- partir du XIIIe s. pour aboutir à l’art conven- certains des principes de la perspec-
la carrière de Cézanne sont dominées
tifications de Ypahuva (XIIIe s.) et leur cé- tionnel de la période de Kandy, la vie se tive « scientifique » instituée par la
par l’hypertrophie des effets, la projec-
lèbre porche précédé de terrasses étagées. réfugiant alors dans la sculpture sur bois et
Renaissance et en fuyant le « fini » des
dans l’art des ivoiriers. tion d’une imagination romantique de
académistes de son époque. Il enten-
y La période de Kandy caractère sensuel et souvent macabre,
LA PEINTURE dra, selon les propos qu’ont recueillis
Siège de la royauté indépendante de 1592 traduite dans une palette à dominante
à 1815, dans un site admirable, Kandy est L’élégance de l’art du bas-relief se re- ses divers interlocuteurs, réaliser dans sombre : ce que le peintre, avec le verbe
le dernier centre où se sont épanouies les son art une « harmonie parallèle à la
trouve, alliée à un graphisme très sûr, dans coloré qui lui était habituel, appellera
traditions cinghalaises. Les édifices, au les célèbres peintures de Sgiriy, proches nature » et « faire de l’impression-
plus tard sa « manière couillarde ».
charme coloré, n’ont plus, néanmoins, la
de l’art d’Aja*, et dans celles des nisme quelque chose de solide et de
Le rejet du métier académique assure
classe des constructions antérieures. Tous
chambres reliquaires. Les unes et les autres
durable comme l’art des musées ».
font une place importante au décor de bois déjà l’unité du contenu mental et de
témoignent de la qualité des oeuvres de
Cette répugnance à l’égard de l’aspect
sculpté (ancienne salle d’audience, temple la forme plastique. Toute une série de
la période d’Anurdhapura, comme les
de la Dent-Relique). La sculpture et la pein- « périssable » de l’oeuvre d’un Monet*
« fresques » deTivaka caractérisent l’art portraits puisent leur robustesse dans
ture acquièrent un caractère plus popu- ou d’un Pissarro* nous met au coeur
de Polonnaruwa. La période de Kandy se le traitement au couteau à palette d’une
laire, une certaine sécheresse et s’accom-
fait moins raffinée, mais, très active, pleine des conflits internes qui caractérisent
couleur épaisse remplaçant le clair-
modent de diverses influences indiennes
de verve, elle donnera à sa production la la personnalité de Cézanne et dont on
obscur. Les scènes à personnages, que
et occidentales ; mais les arts mineurs
saveur de l’imagerie.
ne peut douter qu’ils aient déterminé
conservent une remarquable vitalité. semblent avoir parfois inspirées les
J. B. non sa vocation de peintre, qu’une pro-
gravures de la vie contemporaine pu-
L’ARCHITECTURE bable « sublimation » ne suffit pas à
bliées par des journaux comme le Ma-
F Inde / Thaïlande.
expliquer, mais du moins le cours de
Porté par trois terrasses étagées, le stpa gasin pittoresque, trouvent leur unité
(dgba) est d’abord hémisphérique, A. K. Coomaraswamy, Medieval Sinhalese son oeuvre et sa fécondité. dans certains artifices de composition,
Art (Broad Campden, 1908 ; 2e éd., New York,
et ce n’est que tardivement que seront
On s’accorde à voir en Cézanne un contours appuyés, traitement par plans
1956). / S. Paranavitna, The Stpa in Ceylon
définis six types différents. Le ypa octo-
(Colombo, 1946) ; Art and Architecture of Cey- écorché vif, un immature affectif « vi- nettement différenciés en profondeur
gonal du sommet fera place à une flèche
lon (Colombo, 1954). / D. T. Devendra, Classi-
vant en retrait de la société ou lui mani- (Paul Alexis lisant un manuscrit à
conique évoquant l’empilement des para-
cal Sinhalese Sculpture, c. 300 BC to 1 000 AD
festant malencontreusement son agres- Zola, 1869-70, musée de São Paulo),
sols (VIIIe s.). Autour du stpa apparaissent (Londres, 1958). / N. Wijesekera, Early Sin-
des retables (vhalkaa) de plus en plus halese Sculpture (Colombo, 1962). / H. Mode, sivité » (Dr Gaston Ferdière). Désarmé compositions tournoyantes comme
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La Grande Encyclopédie Larousse -Vol. 5
celles de l’Orgie (v. 1864-1866) ou puissamment maçonné de Madame différentes versions du Golfe de Mar- d’angoisse. Dans le Garçon au gilet
de la toile dite Don Quichotte sur les Cézanne au fauteuil rouge (1877, seille vu de l’Estaque à un panorama rouge de la collection Bührle à Zurich
rives de Barbarie (1870), et aussi dans coll. priv., États-Unis), oeuvre presque de ciel et d’eau, et réussit la gageure de (v. 1890-1895), le schéma abstrait s’ha-
la couleur, souvent d’une grande qua- bidimensionnelle comme les natures faire sentir les lointains à la fois dans bille d’un coloris brillant, et la touche
lité (le Déjeuner sur l’herbe, v. 1868- mortes de la même époque, et où l’air leur profondeur et dans leur corrélation nerveuse, le modelé délicat du visage,
1870) [ces trois toiles, coll. priv.]. ne circule guère. En fait, de 1875 à au premier plan, leur participation à la l’extraordinaire vibration de certains
Les figures, étonnamment baroques 1882 environ, le peintre revient sans réalité bidimensionnelle de la toile. À contours (tracés intermittents ou redou-
dans les trois dernières oeuvres, restent cesse à des expériences antérieures travers cette spéculation plastique qui blés) donnent toute sa vie au jeune mo-
pourtant mal liées entre elles comme (ce qui rend les datations particuliè- prend la réalité comme prétexte, perce dèle. Cette nouvelle liberté de la touche
à l’espace ambiant. Aussi bien, dans rement difficiles), il semble tâtonner, une tendance à l’abstraction que l’on et l’ouverture des formes à l’espace
les tableaux hallucinés où se projettent mais parvient ce faisant à une tech- voit culminer avec le sévère traitement ambiant donnent aux toiles de l’époque
les fantasmes surtout sexuels du jeune nique originale. Sa touche prend une géométrique des maisons dans les pay- une apparence de facture rapide, spon-
peintre, cet espace, écrit l’esthéticien orientation unitaire qui joue, dans les sages de Gardanne. tanée — en dépit des innombrables
Jean Paris, « n’est pas d’ordre phy- passages entre les formes, un rôle d’ac- Combinant ses diverses expériences, séances de pose que l’artiste impose à
sique. [...] Si des lois le régissent, ce compagnement. Les plans s’organisent le peintre en vient à jouer, avec une ses modèles, se plaignant sans cesse de
sont celles que Freud découvre dans avec autant de précision que de com- liberté de plus en plus grande, de ces ne pouvoir « réaliser » —, et cela peut
l’exercice de l’inconscient... » plexité, le coloris est intense : « Quand couples de tension que sont rigueur et être rapproché de l’importance prise par
Mais, durant la même période, et en la couleur est à sa richesse, la forme lyrisme, stabilité et mouvement, exac- l’aquarelle dans l’oeuvre de Cézanne :
faisant son profit des exemples d’un est à sa plénitude. » La transformation titude et déformation. La composition technique permettant la notation rapide
Courbet* ou d’un Manet*, Cézanne prend toute son ampleur dans les na- au Vase bleu (v. 1883-1887, Louvre) des sensations chromatiques, elle tend
affirme sa volonté d’opposer au sujet tures mortes : outre le traitement des fonde ainsi sa richesse, son aisance, alors à supplanter le dessin. Chargées
de symbolisme comme la Nature morte
imaginaire le motif puisé dans la com- célèbres pommes (dont Meyer Shapiro sur la coordination d’un ensemble de
préhension du monde visible, et de affirme le contenu sexuel) en petites moyens complexes (notamment une à l’Amour en plâtre (v. 1895, institut
Courtauld), austères ou enrichies de
lui imprimer une stricte architecture, facettes accusant le volume avec très subversion « équilibrée » des verti-
lourds rideaux chamarrés, les natures
comme dans le Paul Alexis et Zola déjà peu de modelé classique par l’ombre cales et des horizontales), tandis que
mortes reflètent avec perfection tout
cité. Plus encore que dans ces portraits et la lumière, on y décèle une recréa- les échelonnements subtils, la scansion
l’acquis de cette période ; elles sont
et dans les premiers paysages, c’est tion de l’espace due au traitement iden- et l’arabesque de la Montagne Sainte-
d’ailleurs pour beaucoup dans le courant
dans le champ plus resserré de la nature tique des plans en profondeur et aux Victoire au grand pn (v. 1885-1887,
d’admiration qui commence à se dessi-
morte, comme celle à la Pendule noire déformations du dessin perspectif ; les Londres, institut Courtauld) suggèrent
ner à l’égard du peintre.
(1869-70, coll. priv., États-Unis), qu’il objets semblent être cernés par de mul- un espace dilaté, à la fois distant et
parvient à résoudre les relations de la tiples points de vision. Les contours proche, idéal et vivant. À partir de 1900 et jusqu’à sa mort,
surface, des formes et de l’espace en de à la fois fermes et allusifs permettent Cézanne se consacre aux trois toiles des
Vers la fin des années 1880, Cézanne,
purs rythmes picturaux. à la touche colorée de jouer son rôle Grandes Baigneuses, qui illustrent son
qui a appris à fondre dans le paysage
rythmique et unificateur d’un élément à ambition de renouer avec les grandes
les silhouettes prétextes de ses Bai-
Rencontre de l’autre de la composition : c’est ce que compositions de la peinture classique.
gneurs et Baigneuses, s’attaque, à côté
Cézanne appelle modulation. Le nu féminin n’a plus d’autre raison
l’impressionnisme
de nombreux autoportraits, à des com-
d’être que de concourir à l’édification
Il est intéressant de constater, avec positions aux personnages individuali-
En 1872 et 1873, Cézanne travaille en de l’oeuvre en tant que système construit
le professeur Théodore Reff, que l’in- sés, qu’il est maintenant en mesure de
Île-de-France auprès de Camille Pis- et rythmé de formes et de couleurs ; et
novation de cette touche constructive lier à l’atmosphère environnante. Si les
sarro (« quelque chose comme le bon c’est à partir de cette condition tech-
semble être intervenue d’abord dans procédés de construction utilisés dans
Dieu », écrira-t-il plus tard). Il éclair- nique réalisée que l’image cézannienne
une nouvelle série d’oeuvres d’imagi- le Mardi gras (1888, Moscou, musée
cit sa palette, raccourcit sa touche, peut s’amplifier dans une sorte de sym-
nation, tel le parodique Éternel Fémi- Pouchkine) créent un espace quelque
commence à remplacer le modelé par biose universelle, incluant l’espace du
nin, datable de 1875-76 (coll. part., peu artificiel, d’ailleurs approprié à
l’étude des tons. Pourtant, s’il cultive réel comme celui de la pensée. Un ac-
États-Unis). Le procédé aurait donc l’imaginaire du sujet théâtral, la série
son intuition visuelle, sa « petite sensa- cord de la connaissance rationnelle et du
joué un rôle non d’analyse en face du des Joueurs de cartes (entre 1885 et
tion », il évite de creuser l’espace par la lyrisme, du minéral et du végétal, de la
réel, mais de contrôle du contenu pictu- 1892) atteint une plénitude classique,
perspective linéaire et de faire papillo- pérennité et de la vie s’affirme dans les
ral sur le terrain même que menaçaient du moins dans la version du Louvre,
ter la lumière à la manière de Monet toiles de Bibemus et du Château Noir,
les impulsions les plus turbulentes ; et, à deux personnages seulement. Un
et de Pissarro. La Maison du pendu pour culminer dans le jeu de taches et de
dans une dualité résolue, ce serait ainsi réseau de tensions compensées donne
(1873, Louvre) conserve des formes facettes des dernières Sainte-Victoire,
le versant romantique de l’inspiration son équilibre à cette oeuvre réduite à
ramassées, une matière épaisse posée qui semblent procéder d’un véritable
du peintre qui aurait doté de matériaux l’essentiel, toute de calme énergie et
avec une scrupuleuse lenteur. Mais, sentiment cosmique.
déterminants la phase classique de son d’harmonie monumentale. Mais Cé-
au même moment, la touche la plus
« Je suis le primitif d’un art nou-
art. zanne garde toujours en lui, au-delà de
brillante se met au service d’une veine
veau », disait Cézanne à la fin de sa vie.
cet humanisme serein, les ressources
imaginaire non tarie dans la tourbillon-
Et, assurément, il est au premier rang
Synthèse « classique » d’une vie plus explosive, d’une plus
nante seconde version d’Une moderne
des initiateurs de cette « peinture pure »,
grande exaltation.
Olympia (1873, Louvre). Vers 1876, À l’Estaque, en 1883, Cézanne scrute débarrassée du concept d’imitation, dont
Cézanne a pleinement assimilé la leçon
avec des yeux nouveaux la nature mé- il ne faut pourtant pas oublier que, loin
Synthèse « lyrique »
de l’impressionnisme. Il en utilise la diterranéenne, en découvre la perma- d’être close dans son formalisme, elle
touche brève et variée en direction, en
nence et la majesté. Mais il s’emploie C’est durant les années 1888-1895 que s’ouvre chez lui sur tout un monde d’im-
observe les jeux de reflets qui, dans ses à transposer son motif, à l’architec- l’idéal « constructif » devient une don- plications psychiques, de prolongements
vues du Jas de Bouffan, se répercutent
turer en remodelant selon l’exigence née suffisamment assimilée, sous-enten- imaginaires. Si, à côté d’un Matisse*
entre le plan d’eau de la villa et les
organique du tableau les éléments trop due, pour laisser libre cours à d’autres ou d’un Kandinsky*, ses admirateurs
feuillages.
peu accentués ou hiérarchisés du réel. impulsions, à l’éclatement de la couleur les plus zélés (Émile Bernard, Maurice
Cependant, la tendance constructive Il a l’audace, lui qui refuse les effets et parfois à un baroquisme qui peut être Denis, Henri Lhote) ne furent pas — et
se fait à nouveau jour dans le portrait atmosphériques, de s’attaquer dans les opulence mais aussi, parfois, expression cela se conçoit — les plus grands, son
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