Cahiers de l'AQPF Vol. 6 no 4

33 Pages·2016·1.9 MB·French

CAHIERS
CAHIERS
s
e
CAHL IERS
L’AQPF
L’AQPF
L’AQPFe
d
Association québécoise
des professeurs de français
Mot de la présidente
Volume 6 no 4

Juin 2016
Sommaire
Je suis la présidente par intérim de notre association. Le com-
plément « par intérim » est important : cela signifie que, pour
l’instant, j’exerce cette fonction parce que personne d’autre ne s’est
manifesté et que le poste devait être pourvu rapidement pour as-
surer le bon fonctionnement de l’association en attendant notre
Mot de la présidente ...................... 1
prochain congrès, qui aura lieu en janvier prochain, à Montréal.
Lors de ce congrès, vous pourrez y élire en bonne et due forme
Nouvelles des sections .....................3
la personne que vous souhaitez voir remplir cette fonction : ce
Vie de l’Association .........................4 sera peut-être moi, mais peut-être aussi une personne en qui vous
auriez davantage confiance.
Dossier : théâtre ...............................6
En attendant janvier 2017, pour remplir mon rôle de présidente
de mon mieux, je fais appel à vous.
Impromptu .....................................31
Le premier (et plus important) mandat de la présidente d’une as-
sociation est celui de représenter ses membres. Ce mandat, il me
fera plaisir de le remplir pour les mois à venir, mais pour cela, j’ai
besoin que vous m’y aidiez. Je ne peux prendre la parole en votre
nom sans vous avoir consultés, sans connaitre vos préoccupations
actuelles, vos désirs, vos revendications, bref, sans vous connaitre.
Qu’aimeriez-vous me voir défendre? Quels sont les dossiers en
lien avec l’enseignement du français qui vous intéressent, qui vous
http://www.aqpf.qc.ca inquiètent? Quels sont les enjeux que les membres du C.A. de
votre association devraient considérer dans leurs réflexions et dans
Comité de rédaction leurs discussions pour les mois à venir?
Christiane Blaser Une association est un regroupement de personnes qui ont un
Madeleine Gauthier
objectif commun. Le nôtre, c’est de voir notre profession rayonner.
Nancy Granger
Et même si je suis une enseignante de français au secondaire et à
Michèle Prince
Sandra Roy-Mercier, coordonnatrice l’université, cela ne signifie pas que je ne souhaite pas représenter
ISSN 1925-9158 aussi les enseignants du collégial, de la formation des adultes, du
Conception graphique
primaire.
Sylvie Côté

Nouvelles
Nouvelles
des sections
Mot de la présidente (suite)
Nouvelles
Qui êtes-vous, chers
collègues? Que puis-je faire
pour vous? Montréal-et-Ouest-du-Québec
Je vous invite à faire l’exercice
L’équipe de la section Montréal-et-Ouest-du-Québec travaille à préparer le pro-
suivant collectivement, dans
chain congrès de l’AQPF qui aura lieu les 12 et 13 janvier 2017 au Collège Mai-
vos établissements scolaires res-
sonneuve à Montréal.
pectifs (maintenant où à n’im-
porte quel moment que vous Vous avez réalisé un projet intéressant avec vos élèves et vous aimeriez partager
jugez opportun dans l’année) : votre expérience avec des collègues? C’est le temps de soumettre votre proposition!
notez quelques demandes/pro- Saviez-vous que les animateurs n’ont pas à payer les frais d’inscription?
positions/recommandations/ Compte tenu des budgets de formation limités dans les écoles, animer un
besoins/commentaires et en- atelier peut être une solution intéressante afin de participer au congrès à
voyez-moi vos notes par cour- faible cout.
riel : marie-pierre.dufour@fse.
Nous vous invitons à soumettre vos propositions d’atelier ou de stage directement sur le
ulaval.ca. Soyez certains que je
site Web de l’AQPF (www.aqpf.qc.ca) en cliquant sur le lien « Appel aux communications »
me ferai un devoir de transmet- situé dans le menu de gauche.
tre vos idées et demandes aux
autres membres du C.A. lors de
Centre-du-Québec Québec-et-Est-du-
nos rencontres.
Québec
J’en profite ici pour remercier L’équipe de la section Centre-du-Qué-
les membres de notre associa- bec prépare un court questionnaire en
La section Québec-et-Est-du-Qué-
tion qui ont été des nôtres lors ligne qui sera envoyé à tous les mem-
bec est en train de concocter plu-
du Conseil d’orientation d’avril bres de son territoire. Ce questionnaire
sieurs activités régionales pour l’an
2016, à Trois-Rivières : ce fut aura pour objectif d’apprendre à mieux
prochain. Nous souhaitons renouve-
un moment d’échanges fort in- connaitre les membres de la section et
ler les types et les sujets d’activités
téressant et utile. Merci de vous de sonder leurs intérêts et leurs besoins
que nous offrons aux enseignants de
être déplacés pour venir nous quant à la formation continue et aux
notre région. D’ailleurs, nous sommes
parler de ce qui vous intéresse! activités de la section.
ouverts à toutes les idées, qui peuvent
Les autres membres du C.A. et
L’équipe travaille déjà aussi très fort à toucher le primaire, le secondaire ou
moi travaillerons fort, dans les
l’organisation du congrès de l’année le collégial. N’hésitez pas à m’écrire
mois à venir, pour que toutes les
scolaire 2017-2018 et plusieurs belles à [email protected] et
belles idées qui ont été lancées
idées devraient se concrétiser d’ici quel- soyez à l’affut de nos annonces dès
lors de cette journée de discus-
ques semaines. Nous vous tiendrons au l’automne!
sions se réalisent dans des pro-
courant des développements! D’ici là,
jets novateurs et intéressants L’année n’a pas été de tout repos pour
nous vous souhaitons, à tous et à toutes,
pour nous tous, enseignants de les artisanes et artisans de l’enseigne-
une bonne fin d’année scolaire et du re-
français. ment du français. Profitez bien de vos
pos bien mérité!
vacances et faites le plein d’énergie!
Guillaume Poulin
Au plaisir de vous connaitre! Pascal Riverin
Marie-Pierre Dufour pour l’équipe de la section
président de la section
Centre-du-Québec
Présidente par intérim Québec-et-Est-du-Québec
Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4 
de classe
de l’association
de clase
VPraieti ques
de l’association
Vie
Pratiques
de l’association
Vie
Un évènement annuel important :
le conseil d’orientation de notre association
* Marie-Hélène Marcoux
Chaque fois que revient le printemps, les
membres de l’AQPF sont invités à partici-
per au conseil d’orientation annuel. Même si
cette année, le printemps a tardé à se montrer
le bout du nez, plusieurs membres des trois
conseils de section et les membres du conseil
d’administration se sont réunis à Trois-Riviè-
res le 16 avril dernier. Nous poursuivions des
intentions précises :
• Dresser un bilan global du modèle de no-
tre congrès annuel pour en assurer la pé-
rennité. avancé que l’on pense à celui chargé du recru-
tement (l’AQPF compte à ce jour 603 mem-
• Réfléchir aux activités de section pour leur
bres) ou à celui du renouvèlement du site Web
donner un nouvel élan.
de l’association (des changements sont à pré-
• Bonifier la stratégie de recrutement de
voir bientôt!).
nouveaux membres.
Assurer la pérennité du congrès annuel
• Réfléchir au Prix d’innovation en enseigne-
ment de la poésie.
Ce qui ressort de nos échanges est tout d’abord
• Échanger sur les différents dossiers d’ac-
qu’il est nécessaire de réfléchir à la formule de
tualité pour les prioriser.
nos congrès en analysant différentes options
Tout un défi! à offrir aux membres : proposer davantage
de symposiums, organiser des tables rondes
Oui, je l’admets, le défi était grand pour par- (quelque peu délaissées au cours des derniers
venir à faire le tour de toutes ces intentions congrès), inviter des conférenciers à s’expri-
plus intéressantes et stimulantes les unes que mer autour d’une thématique précise, voilà ici
les autres. Cela étant dit, nous avons réussi quelques idées qui ont émergé.
à profiter de ce temps de discussion, de par-
Dynamiser les activités de section
tage et d’échange pour réfléchir aux actions
de l’AQPF et à son avenir tout en faisant un
La discussion autour de la vitalité des activités
court bilan des réalisations issues du dernier
de section est certainement celle qui a sus-
conseil d’orientation. Les travaux de deux
cité le plus d’enthousiasme. Avec l’arrivée des
des trois comités formés l’an dernier ont bien
nouvelles technologies qui nous proposent
4 Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4
de l’association
de clase
Vie
de l’association de l’association
Vie Vie
Pratiques
Faire entendre la voix de l’AQPF
une panoplie de conférences en ligne, la par-
ticipation aux activités de section est en baisse
Enfin, une partie de la journée a été consacrée
depuis quelques années. Or, les membres pré-
aux différents dossiers sur l’enseignement du
sents ont soumis plusieurs idées novatrices
français au Québec qu’il faut surveiller. En-
pour renouveler ces moments de rencontre et
core une fois, nous avons fait le point sur l’or-
d’échanges dans chacune des régions : pour-
thographe rectifiée qui a fait les manchettes
quoi ne pas proposer un cercle de lecture di-
dernièrement, mais il est clair que c’est la for-
dactique ? Pourquoi ne pas discuter autour
mation continue des enseignants qui demeure
d’un « verre pédagogique » ? Je vous incite
un dossier prioritaire. L’AQPF entend réité-
à surveiller les activités de section qui vous
rer son importance.
seront proposées à l’automne puisque vous
J’ai également présenté brièvement le der-
pourriez être étonnés.
nier Avis du Conseil supérieur de la langue
Bonifier la stratégie de recrutement française Rehausser la maitrise du français pour
raffermir la cohésion sociale et favoriser la réus-
Le recrutement de nouveaux membres est
site scolaire auquel Suzanne Richard, ex-prési-
un point qui revient chaque année. Les par-
dente de l’AQPF, a contribué et qui présente
ticipants ont eu plusieurs idées pour tenter
douze recommandations fondamentales pour
d’augmenter le nombre de membres si bien
l’enseignement du français au Québec. Cet
qu’il a été suggéré de créer deux comités qui
Avis réaffirme que « le français est le fondement
réfléchiront à ces différentes options : un co-
sur lequel s’appuient tous les apprentissages sco-
mité « communication » et un deuxième qui
laires, à l’école primaire comme à l’école secondaire
développera un réseau de membres « ambas-
de langue française; sa maitrise favorise la réus-
sadeurs » dans les régions plus éloignées pour
site. En ce sens, le français se distingue de toutes
les dynamiser et leur permettre de prendre
les autres disciplines. » Je vous invite à le lire en
part aux activités de section par l’utilisation de
consultant le site suivant : http://www.cslf.
ressources technologiques.
gouv.qc.ca/publications/avis207/a207.pdf
Publiciser le Prix d’innovation en
À suivre…
enseignement de la poésie
Lors du congrès de Montréal en janvier pro-
Nous avons également discuté du Prix d’in- chain, c’est avec grand plaisir que je vous ferai
novation en enseignement de la poésie que nous un compte rendu des démarches entreprises.
coordonnons en collaboration avec le Festival Les trois comités de section, les membres du
international de poésie de Trois-Rivières. Ce conseil d’administration et d’autres membres
prix, encore méconnu, mérite toute notre at- auront fait progresser notre association par
tention. Il est décerné chaque année à un en- une volonté d’unir leurs forces et de donner du
seignant qui a vécu un projet novateur en en- sens à leurs actions. Je vous invite à venir vous
seignement de la poésie. Nous avons tenté de prévaloir de votre droit de parole lors de l’as-
définir des moyens simples qui permettraient semblée générale annuelle pour partager vos
de promouvoir ce prix. En attendant, je vous idées et enrichir celles des membres du conseil
invite dès maintenant à consulter le site In- d’administration et je vous invite également à
ternet du Festival international de poésie de prendre part au prochain conseil d’orientation
Trois-Rivières. Vous avez jusqu’au 30 juin en avril de chaque année. Au plaisir de vous
pour présenter un projet et possiblement vous y retrouver.
mériter une bourse de 1000 $.
* Vice-présidente à la pédagogie
Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4 5
Dossier
Dossier
théâtre
Dossier
Enseigner le texte théâtral en classe de français
*Michèle Prince
Tout au long de ma scolarité secondaire, j’ai
connu chaque année le règne du « Molière
obligatoire ». Je trouvais ces textes classiques
mortellement ennuyeux : vocabulaire désuet,
expressions inconnues, civilisation ancienne
qui me paraissait étrangère. Mais un beau jour
de 3e secondaire, une enseignante de français,
la seule dont, près de soixante ans plus tard, je
me rappelle encore le nom, nous a amenées à
l’abri du préau de l’école, nous a installées en
cercle, a confié à deux volontaires la fameuse
scène de la galère1 des Fourberies de Scapin et
mené pendant une heure, la théâtralisation sur
une modeste estrade de ce monument de lit-
térature, sollicitant chacune de nous comme
metteur(e) en scène, renouvelant les actrices,
essayant chaque scénographie proposée. Ma
passion du théâtre a commencé ce jour-là.
Quelques années plus tard, nouvelle émotion :
une inoubliable rencontre avec Albert Camus.
Pour quelle raison cet écrivain philosophe
nous a-t-il parlé de théâtre? Je ne m’en sou-
viens plus. Mais je me souviens de la passion
qui animait son regard quand il nous a présen-
té son théâtre, particulièrement les Justes, ce
texte magnifique trop peu souvent joué. C’est
la première pièce que nous avons montée lors-
torze ans : un texte de théâtre n’a pas de sens
qu’étudiante, j’avais, avec quelques collègues,
sans la scénographie, la mise en scène et l’in-
créé et animé une troupe de théâtre amateur.
terprétation qui lui donnent vie, lui rendent sa
Quand j’enseignais au secondaire en France, le signification et son éclat. Le jeu scénique et
« Molière obligatoire » était encore en vigueur, la voix valent souvent mieux que la meilleure
mais je n’avais pas oublié la leçon de mes qua- des explications de texte. Essayer une théâtra-
1 Acte II, scène 7.
6 Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4
Dossier
Dossier
Dossier
lisation, même dans le lieu clos d’une salle de dans la classe. Toutefois, si les tout-petits et
classe, nous révèle parfois des talents insoup- les jeunes enfants voient chaque année éclore
çonnés chez nos élèves. Exprimer son avis sur un nombre important de créations nouvelles,
un texte avec des mots est souvent difficile et si les adolescents peuvent trouver un complé-
demande un certain niveau d’abstraction. Lire ment dans le théâtre tout public, les préado-
les longues phrases successives d’un texte lit- lescents, entre 10 et 13 ans, restent un peu les
téraire tient parfois du supplice. Mais échan- « parents pauvres » de la création québécoise.
ger de courtes répliques, dans un langage plus
De plus, on a tendance à les confiner dans
proche de l’oral, permet de pratiquer sponta-
leurs problèmes d’adolescence. Rares (et pré-
nément une lecture expressive et de montrer
cieuses) sont les pièces qui les confrontent à
ainsi qu’on a compris. La lecture théâtrale per-
des problèmes sociaux contemporains. S’ajou-
met d’aiguiser de manière naturelle l’œil criti-
te à cela la difficulté de se procurer les textes
que de nos élèves. Elle leur permet d’exprimer,
de ces créations. Certes, une pièce de théâtre
de façon presque instinctive, par la voix et
pour préados fait rarement un grand succès
par le corps, les réflexions métalinguistiques
de librairie. Toutefois, c’est pour les ensei-
qu’ils ne savent pas (encore) formuler. Au fil
gnants un outil de travail précieux2 pour re-
des années, j’ai vu plusieurs jeunes en diffi-
lier la lecture au spectacle, prendre conscience
culté raccrocher en français grâce aux activités
de la construction de la pièce, se confronter
théâtrales.
aux exigences du genre, apprendre quelques
Toutefois, mettre nos élèves en contact avec le termes techniques importants pour un ama-
théâtre est rarement facile, même aujourd’hui teur de théâtre et jouer avec les mots et les in-
où le théâtre jeune public, particulièrement flexions de sa voix.
au Québec, s’est développé. Soucieuses de la
Selon le niveau et la personnalité de la clas-
qualité de leurs spectacles, les compagnies de
se, il sera plus ou moins intéressant de com-
théâtre jeune public refusent de jouer sous les
mencer ou de terminer par le spectacle. Une
préaux ou dans des gymnases non équipés. Il
bonne classe initiée au code théâtral pourra
faut donc se rendre au théâtre. C’est une sortie
commencer par l’étude du texte. Cette façon
scolaire couteuse en temps, en énergie et en
de procéder permet aux jeunes d’anticiper la
argent. Les difficultés sont parfois insurmon-
scénographie et l’interprétation du texte. La
tables. Beaucoup de nos collègues se découra-
situation idéale est alors de pouvoir partici-
gent et le théâtre disparait peu à peu de nos
per à une répétition, mais c’est très rare; c’est
cours de français.
un véritable alignement des planètes. Grâce
Or, le théâtre fonctionne grâce à un code à un ami metteur en scène, j’ai pu le réaliser
conventionnel qu’il faut aborder le plus tôt une seule fois, encore à propos du « Molière
possible pour qu’il nous devienne familier. obligatoire », avec une classe de 4e secondaire.
La création québécoise est de ce point de vue Le texte, Tartuffe, était difficile (5 actes d’un
riche et diversifiée. La plupart des créations
2 Certains sont toutefois conservés par
proposées sont de bonne qualité, généralement
l’ANETH (aux nouvelles écritures théâtrales)
adaptées à l’âge annoncé. Les textes, simples www.aneth.net
sans mièvrerie, posent des questions de société 3 En fait, j’avais choisi de prendre un peu de
ou de relations interpersonnelles qui vont bien liberté avec le Molière obligatoire : Tartuffe
au-delà du divertissement. Les mises en scène faisait partie des textes proposés en 5e secon-
sont soignées et laissent toujours planer ce brin daire. Mais c’est Tartuffe que mon ami Michel
montait dans un adorable petit théâtre de la
de mystère qui crée une atmosphère poétique,
banlieue de Grenoble pour l’ouverture de la
permet le débat et favorise les prolongements
saison suivante.
Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4 
Dossier
Dossier
texte en alexandrins), mais la classe brillante dialogues écrits ou « reconstituables » pour que
et passionnée : l’aventure paraissait possible. l’exercice soit possible sans être long et fasti-
Elle fut toutefois laborieuse. C’est la deuxième dieux. Les fabliaux transcrits en langue mo-
participation aux répétitions qui permit le suc- derne ou certains des contes traditionnels du
cès de l’entreprise. À mon grand étonnement, Québec sont de bons textes supports.
un jeune garçon plutôt réservé se leva, s’ap-
Nos élèves en effet n’ont pas (encore) la mai-
procha de Michel, le metteur en scène, et lui
trise d’un grand écrivain philosophe. Hésitant
dit tranquillement : « Tu sais, ce passage, moi,
entre une inscription en lettres classiques ou
je le voyais pas du tout comme ça! ». S’ensui-
en histoire, deux ans après ma découverte des
vit une discussion passionnante et passionnée
Justes d’Albert Camus, je m’étais intéressée à
entre les deux protagonistes, dont élèves et
la première révolution russe de 1905 dont un
comédiens ne perdaient pas une miette. On
évènement, l’assassinat du Grand-duc Serge
essaya la proposition de Jean-Philippe, très
Alexandrovitch5, oncle du Tsar, sert d’argu-
fier de voir Michel dodeliner de la tête tout en
ment à la pièce. Le texte historique, évène-
lui disant : « Ben, mon gars, je pense que t’as
mentiel et froid, m’avait fortement déçue. La
raison!4 ». Au retour en classe, le travail sur le
Grande-duchesse y était à peine citée, quand
texte trouva son second souffle. Mes élèves
la confrontation entre celle-ci et l’assassin de
avaient changé de classe lorsque la pièce fut
son mari est un moment extrêmement puis-
créée en septembre, mais pas un ne manquait
sant de la pièce. L’évènement, dépouillé de
le jour de la Première.
l’absurde et de la révolte, relégué au rang de
Il est également très intéressant de jouer sur fait divers, avait perdu son humanité. Toute
l’effet de surprise pour permettre aux enfants la magie du théâtre est peut-être là, dans une
de connaitre une vraie découverte théâtrale, imagination créatrice et visionnaire servie par
mais je pense qu’on ne doit pas en rester là. Le une langue ni savante ni familière, tout sim-
retour au texte permet d’approfondir le sou- plement savoureuse.
venir que l’on garde de la pièce, d’expliciter les
parti-pris de mise en scène et de donner un
sens à la lecture à haute voix d’une scène de *Enseignante et chercheure retraitée
théâtre.
Tout ce travail peut (et à mon sens doit) dé-
boucher sur un travail d’écriture. Le théâtre,
comme le conte, la nouvelle ou le roman, ra-
conte une histoire. Mais les contraintes gé-
nériques en sont radicalement différentes. La
comparaison entre les genres facilite la prise
de conscience de ces contraintes. La transpo-
sition aussi. Passer du récit au texte de théâtre
est un moyen très efficace de mettre en évi-
dence les critères de réalisation de l’un et de
l’autre. La difficulté consiste alors à trouver un
texte qui puisse comporter suffisamment de
4 Jean-Philippe n’est pas pour autant devenu
comédien. Il est aujourd’hui un brillant avo-
cat spécialiste de droit international, ce qui, 5 17 février 1905 : une bombe artisanale fut
avouons-le, conserve toutefois un certain lien jetée dans son cabriolet par un poète révolu-
avec la mise en scène. tionnaire, Ivan Kaliayev.
8 Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4
Dossier Dossier
Dossier
AnnExE A AnnExE B
Pour écrire Pour passer du récit au
un texte de théâtre texte de théâtre
Liste de critères Liste de critères
• •
Avant chaque réplique, on trouve le nom Certaines parties du récit (les gestes, tout
du personnage en majuscules, un tiret (ex : ce qui peut se voir) deviennent des didas-
MAGIE - .......) calies.
• •
Pas de guillemets. Le discours indirect devient du discours
Des didascalies (indications de jeu, de ton, direct (plus de verbe introducteur, plus de
de mise en scène, de décor etc. AU PRE- subordonnées complétives, passage à la
SENT) première personne ...)
• AUCUN verbe introducteur ni phrase • Les temps du passé disparaissent : le texte
incise (« dit Julien nerveusement » est un est écrit au présent (passé composé, fu-
passage de récit. - « JULIEN (nerveux) » tur).
•
est un passage de théâtre) Les verbes introducteurs et les proposi-
• Inscrire l’acte en chiffres romains, et la tions incises disparaissent.
•
scène en chiffres arabes (acte I, scène 1) Le nom de celui qui parle est écrit en ma-
• On change d’acte quand on change de lieu, juscules devant ses paroles.
•
ou que du temps s’écoule sans que rien ne Les paroles supposées dans le texte sont
se passe sur la scène. reconstituées.
• •
On change de scène quand un personnage Certaines parties du récit, invisibles au
entre ou sort. théâtre, sont supprimées.
• •
Certains personnages peuvent utiliser du Le découpage en actes et en scènes est re-
langage courant ou familier. constitué.
• •
Le niveau de langue des didascalies est Le style devient plus proche du langage
courant ou soutenu. parlé.
•
Tout le texte est exprimé aux temps du
discours (présent, passé composé, futur), Liste réalisée par une classe de 1ere secondaire
sauf certaines répliques comportant un récit.
•
Au début, en didascalies, on trouve quel-
ques indications sur les personnages et le
décor.
•
Les phrases sont en général courtes et pré-
cises : c’est du langage parlé.
•
La présentation des personnages est inté-
grée dans les répliques.

Les pensées sont des monologues ou des
apartés.
•
Les répliques s’enchaînent logiquement.
Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4 9
Dossier
Dossier
AnnExE C
Estula
Adaptation scénique du fabliau par des
élèves de 3e secondaire
Devant le rideau.
Deux jeunes, vêtus de haillons, sont assis à
terre. Ils frissonnent et se frottent les bras. Ils
semblent très fatigués. d’faim? Père est mort au travail. Bucheron,
toujours dehors, c’pas facile. Mère est partie
Jehan : J’ai froid!
peu après, en couches. Et nous, valets de ferme
Robin, lui tendant une couverture trouée : Moi
en été et mendiants en hiver. C’est-y une vie?
aussi, j’ai froid. Mais que faire? Nous sommes
On tiendra pas longtemps, nous non plus.
pauvres. Pas un sol pour se chauffer… (dans
Un silence, puis il reprend, pensif, à voix basse :
un soupir) Ni pour manger d’ailleurs…
Deux-trois choux et une brebis, une seule! Ça
Jehan se roule dans la couverture, puis à mi-
fait pas de différence… Il le verra même pas,
voix : Ça peut pas durer! Faut trouver quelque
j’te dis! Mais faut y aller de nuit… par un soir
chose…
de brume… quand le brouillard remonte de la
Robin : Plus facile à dire qu’à faire! rivière…
Jehan : J’ai froid. Et j’ai faim aussi. On va Ils sortent.
pas encore manger une mauvaise soupe claire
Le rideau s’ouvre sur un décor campagnard pris
sans un pouce de gras! Après un silence : C’est
dans le brouillard. Au fond, à peu près au milieu
pas juste. Regarde Adelphe, le voisin. Il vaut
du décor, la façade d’une maison coupée de peti-
pas mieux que nous. Et pourtant, il est gros
tes fenêtres, sans lumière; à l’avant, côté cour, un
et gras!
potager planté de divers légumes; de gros choux
Robin : et y manque pas de viande avec son serrés sont visibles au milieu d’une allée; côté jar-
troupeau de brebis… din, au fond, une cabane dans laquelle s’agitent
Jehan : et tous les choux qui poussent dans manifestement des animaux; au premier plan, du
son courtil… même côté, un poteau marquant la limite de la
propriété . On entend le bruit d’une grille métal-
Robin : Il roule sur l’or!
lique qui s’ouvre en grinçant faiblement, suivi de
Jehan, il glisse sur les fesses et se rapproche de son
chuchotements. Les deux frères entrent côté cour.
frère. Il murmure à son oreille : Je suis sûr que,
Jehan porte un grand sac accroché à son cou, Ro-
si on lui en prenait une…
bin tient un sac de jute dans la main gauche, un
Robin, fâché : C’est pas chrétien ce que tu dis grand couteau à la main droite. Il part vers les
là! choux; son frère entre dans la cabane après avoir
bataillé quelques secondes avec la serrure. On en-
Jehan : J’suis sûr qu’y l’verrait même pas avec
tend des coups de sabot et un bêlement. À ce mo-
toute c’qu’y a au bercail!
ment, une faible lumière éclaire les fenêtres de la
Robin : C’est pas chrétien, je te….
maison. Une ombre s’approche d’une des vitres,
Jehan, l’interrompant vivement, les larmes aux puis va à l’autre, se gratte la tête puis se retourne
yeux : Et tu crois qu’c’est chrétien d’crever vers l’intérieur.
10 Les Cahiers de l’AQPF, volume 6, numéro 4