analyses et accompagne

13 Pages·2014·0.58 MB·French

INRA Prod. Anim., Implications organisationnelles
2014, 27 (4),303-316
de la sélection génomique chez les bovins
et ovins laitiers en France :
analyses et accompagnement
J. LABATUT1,2,3,4, J.-M. ASTRUC5, F. BARILLET6,7,8,9, D. BOICHARD10,11,
V. DUCROCQ10,11, L. GRIFFON12, G. LAGRIFFOUL5
1INRA UMR1248 AGIR, F-31326 Castanet-Tolosan, France
2ENSAT UMR1248 AGIR, F-31326 Castanet-Tolosan, France
3Université de Toulouse INPT UMR1248 AGIR, F-31029 Toulouse, France
4 Université de Toulouse INPT, Ecole d’Ingénieurs de Purpan, UMR1248 AGIR, F-31076 Toulouse, France
5 Institut de l’Elevage, BP42118, F-31321 Castanet-Tolosan, France
6 INRA, UMR1388 GenPhySE, F-31326 Castanet-Tolosan, France
7Université de Toulouse INPT ENSAT, UMR1388 GenPhySE, F-31326 Castanet-Tolosan, France
8Université de Toulouse INPT ENVT, UMR1388 GenPhySE, F-31076 Toulouse, France
9 Université de Toulouse INPT, Ecole d’Ingénieurs de Purpan, UMR1388 GenPhySE, F-31076 Toulouse, France
10INRA, UMR1313 GABI, F-78352 Jouy-en-Josas, France
11AgroParisTech, UMR1313 GABI, 16 rue Claude Bernard, F-75321 Paris, France
12 Institut de l’élevage, 149 rue de Bercy, F-75012 Paris, France
Courriel: [email protected]
Le déploiement de la sélection génomique chez les ruminants s’accompagne de changements
organisationnels importants dans les activités de recherche et les activités de sélection.
Cet article présente une synthèse des premiers travaux visant à analyser et accompagner ces
changements dans les filières laitières bovines et ovines.
Les méthodes et les pratiques de sélec- de connaissances scientifiques (Peerbaye des entreprises et organismes de sélec-
tion connaissent depuis quelques années 2004). Du point de vue de son application tion, de repérer et d’analyser ces change-
de profondes mutations, notamment en sélection animale, la génomique est ments pour les accompagner au mieux
avec le développement de la sélection vue comme une ouverture du champ des (Verrier et Saint-Dizier 2011), tout en
génomique. Cette nouvelle méthode, possibles, permettant d’évaluer le poten- maintenant les capacités collectives
mise en œuvre en 2009 pour les trois tiel génétique d’un animal sans avoir à le actuelles et futures de sélection des popu-
principales races bovines laitières fran- tester sur sa descendance. lations animales. Ainsi, si ces change-
çaises, est présentée comme une révo- ments sont déjà à l’œuvre dans quatre
lution à la fois scientifique (Peerbaye Mais la sélection génomique n’a pas races bovines laitières présentes en France
2004) et technique (Bidanel et al 2008, que des implications techniques fortes, (Montbéliarde, Normande, Holstein et
Guillaumeet al2011, Institut de l’Elevage elle s’accompagne également de chan- Brune), les acteurs d’autres espèces (ovins
et INRA 2011, Robert-Graniéet al2011, gements organisationnels importants dans laitiers notamment mais aussi caprins) et
Boichardet al2012), équivalente au déve- les filières de la sélection animale, d’une d’autres races bovines (races allaitantes
loppement de l’insémination animale. part en amont pour le développement de et races à plus faibles effectifs) s’inter-
En effet, d’un point de vue scientifique, cette méthode et, d’autre part, en aval rogent sur la manière de saisir et déve-
la génomique est considérée comme une pour gérer les modifications induites par lopper les opportunités techniques de la
rupture épistémologique et comme un sa mise en place. Ceux-ci s’inscrivent sélection génomique tout en anticipant
espace cognitif nouveau (Peerbaye 2004). en France dans une évolution politique du ces changements.
Comme l’indique cet auteur, une telle secteur de la génétique animale au travers
rupture permet de construire et d’explo- de la réforme de la Loi sur l’Elevage Plusieurs travaux et projets ont ainsi
rer des « espaces de problèmes qui dans le cadre de la Loi d’Orientation été conduits depuis 2010 visant à la fois
étaient auparavant trop grands pour Agricole de 2006. Ces changements ont à explorer, analyser et accompagner ces
l’être», notamment au travers de masses été relativement peu analysés jusqu’à changements dans les filières bovines
colossales de données, mais aussi de présent, notamment du fait de leur carac- laitières et allaitantes, et ovines laitières.
concevoir de nouveaux espaces de recher- tère récent et pour certains d’entre eux, Après une première phase exploratoire
ches et d’applications. La génomique transitoires. Pourtant, il est important (2010) ayant permis de réaliser des
conduirait également à réviser la place pour les différents acteurs de la sélection enquêtes auprès des acteurs nationaux
respective des expériences, des hypo- animale, qu’il s’agisse des organismes de principaux de la sélection (INRA, Institut
thèses et des données dans la production recherche et de développement comme de l’Elevage, UNCEIA1, Races de France)
1Union Nationale des Coopératives d’Insémination Artificielle.
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deux projets interdisciplinaires (entre sur l’Elevage. Dans un deuxième temps, nées généalogiques ou génétiques (Laba-
science de gestion et génétique) ont été nous présentons les résultats obtenus dans tut et al 2013a). Ainsi depuis plusieurs
conduits et valorisés (Astrucet al2012, le cadre des enquêtes auprès des races siècles, les activités de sélection se sont
Labatut 2013, Labatut et al 2013a, bovines, en identifiant quatre dimensions accompagnées de la création de disposi-
Labatutet al2013b) : dans les changements observés. Enfin, tifs de gestion de ces informations (par
nous détaillons les pistes identifiées lors exemple, les Livres Généalogiques). Ce
- Le projet STRING (Stratégies
des ateliers de réflexion menés avec les caractère « commun » est une construc-
d’Acteurs face à l’Innovation Génomi-
acteurs des filières ovines laitières. tion à la fois sociale et technique. Ainsi,
que) financé par le département SAD2
contrairement aux variétés, la sélection
de l’INRA puis par Apis-gène et FGE3,
1/Sélectionner des ruminants des races de ruminants a reposé sur la
analysait ces évolutions dans le cas des
construction de dispositifs collectifs
bovins. Ce projet portait à la fois sur des
basés sur la coopération entre une diver-
races pour lesquelles la sélection géno-
mique était déjà à l’œuvre (Montbéliarde, 1.1/Constitution d’un régime de sité d’acteurs. Historiquement, l’Etat
et les scientifiques ont considéré que
Limousine, Brune) et d’autres pour les- sélection coopératif et public
c’était au moyen d’un encadrement fort
quelles elle est au stade de programmes
des activités de sélection et d’une poli-
de recherche (Tarentaise, Aubrac). Afin de comprendre les enjeux orga-
tique substantive pour générer et traiter
nisationnels actuels autour de la sélec-
-Le projet COSEGOV (refondation des la grande quantité d’informations géné-
tion génomique des ruminants, il est
COntrats de SElection et d’utilisation tiques nécessaires à la sélection des ani-
important de rappeler les principes his-
en OVin en lien avec l’émergence de la maux au travers du « testage sur descen-
toriques d’organisation des acteurs et
Génomique), financé par FGE, se centrait dance », ou des « stations de contrôle
des activités sur lesquels cette sélection
sur les races ovines laitières des trois de performances » que le niveau géné-
a été réalisée. En effet, les activités de
principaux bassins français (Lacaune, tique du cheptel ruminant français
sélection des ruminants comportent des
Manech Tête Rousse, Manech Tête Noire, pourrait s’améliorer de manière efficace
spécificités organisationnelles par rap-
Basco-Béarnaise et race Corse). De façon afin de pouvoir atteindre les niveaux de
port à celles de la sélection des volailles
prospective (la sélection génomique était pays tels que les Pays-Bas ou les Etats-
ou encore de la sélection végétale, qui
au stade de recherche et de développe- Unis, pour les bovins laitiers (Vissac
sont principalement caractérisées par
ment), ce projet visait à accompagner 2002, Labatut 2009, Labatut et al
i) une forte intégration verticale, ii) la
les acteurs des schémas de sélection en 2011).
sélection par lignées et la production
ovins laitiers dans leur réflexion sur
d’individus croisés et iii)des droits de
l’évolution du fonctionnement organisa- Pour favoriser une sélection efficace
propriété privée sur ces ressources
tionnel des schémas et l’adaptation des du cheptel français, l’Etat a donc à la
(Larivière et Leroy 2008, Bonneuil et
contrats de sélection dans le cas du déve- fois organisé la division du travail de
Thomas 2009). D’une part, pour des rai-
loppement de la sélection génomique. sélection, centralisé la production et la
sons biologiques (le nombre d’animaux
gestion des données génétiques, et enca-
que l’on peut réunir par hectare ou la
Ces deux projets associaient à chaque dré les marchés du progrès génétique.
fois le département SAD et les départe- faible capacité de multiplication des Ainsi jusqu’au début des années 2000,
ments Génétique Animale de l’INRA et femelles reproductrices, par exemple) et l’Etat a financé une part importante des
de l’Institut de l’Elevage. Deux méthodes de structure des exploitations françaises activités de sélection des ruminants, et
ont principalement été mises en œuvre (de bien trop petite taille pour constituer organisé ces activités au travers de la
dans ces travaux. Dans le cadre du projet isolément des noyaux de sélection), sélec- CNAG (Commission Nationale d’Amé-
STRING, nous avons travaillé principa- tionner les ruminants a impliqué d’orga- lioration Génétique). C’est à l’INRA et
lement par entretiens (avec une diversité niser les fermes privées en un réseau à ce qui est devenu l’Institut de l’Elevage
d’acteurs, éleveurs, responsables d’orga- d’élevages à la fois producteurs et utilisa- que l’Etat a confié la gestion des sys-
nismes et d’entreprises de sélection, teurs du progrès génétique. D’autre part, tèmes nationaux d’information généti-
acteurs de la recherche et du développe- la Loi sur l’Elevage de 1966 a défini les que, dans lesquels ces informations sont
ment…), observations (lors de réunions races comme la propriété collective d’une « publiques » au sens où elles sont par-
professionnelles, de colloques scienti- communauté d’éleveurs qui s’accordent tagées par l’ensemble des acteurs de la
fiques et professionnels…) et analyse sur la définition de ses caractéristiques. sélection. La fonction régalienne de cal-
de documents professionnels et scienti- Les races animales correspondent donc à cul des estimations de valeur génétique
fiques. Dans le cadre du projet COSE- ce que l’on peut appeler des « communs » des animaux que l’on appelle index a
GOV, la méthode utilisée a reposé sur (Ostrom 1990, Labatutet al2013a) : ces été confiée à l’INRA. Leur diffusion a
l’organisation d’ateliers collectifs de ressources ne font pas l’objet de droits quant à elle été confiée à l’Institut de
réflexion, conjugués à des entretiens indi- de propriété privée, elles sont en libre l’Elevage. La production des données
viduels. Ces ateliers réunissaient, par accès, mais il peut y avoir « rivalité » sur de performance nécessaires au calcul
Entreprise de Sélection puis par Orga- la ressource. Par exemple, une trop forte des valeurs génétiques est assurée par
nisme de Sélection, les responsables utilisation d’un faible nombre de repro- les organismes de Contrôle de Perfor-
techniques et les éleveurs impliqués dans ducteurs peut conduire à une augmenta- mance qui bénéficiaient jusqu’en 2015
les conseils d’administration. tion de la consanguinité et une mise en d’une protection contre la concurrence,
danger de la race pour le futur. A l’inverse, pour assurer la couverture territoriale.
Nous rendons ici compte des premiers la trop faible utilisation d’une race peut Les orientations de sélection des races,
résultats issus de ces deux projets. Dans conduire à sa disparition. Mais il est ainsi que leur promotion et la tenue des
un premier temps, nous rappellerons les important de noter que ce qui est com- Livres Généalogiques, ont été dévolues
principes organisationnels sur lesquels mun dans la sélection des races anima- aux UPRA (Unions pour la sélection
ont été fondées les activités de sélection les, ce sont bien sûr des ressources bio- et la Promotion des Races, devenues
génétique des ruminants jusqu’à la révo- logiques, mais également des ressources Organismes de Sélection à partir de
lution génomique et la réforme de la Loi informationnelles, qu’il s’agisse de don- 2006), réunissant l’ensemble des usagers
2Sciences pour l’Action et le Développement.
3France Génétique Elevage.
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de la race, et reconnues comme des filières aquacoles et bovines de l’autre, Service Universel de l’Insémination
« Parlements » définissant la gestion des et visant à orienter les recherches autour Artificielle (SUIA). Le marché des biens
races en tant que Communs. L’Etat a de la génomique ; Apis-gène, société et des services génétiques est donc ouvert
organisé le marché de la semence en par actions simplifiée constituée par sur les territoires français. Les centres
définissant un monopole de zone pour l’UNCEIA, le CNIEL, INTERBEV, la de production de semence deviennent des
les coopératives d’Insémination Animale CNE et l’Institut de l’Elevage, finançant Entreprises de Sélection (ES), et les
(IA), dans le but de limiter la « guerre une partie de ces recherches. A partir de UPRAdes Organismes de Sélection (OS),
des prix » et d’assurer un prix et un 2003-2004, puis avec le séquençage du au sein desquels la place des filières est
accès équitables à la génétique vial’IA à génome bovin, les travaux sur les SNP à renforcée (Verrier et al 2010). Dans ce
tous les éleveurs français. Ce monopole haut débit débutent (technologies de milieu plus concurrentiel, l’Etat réaffirme
territorial et l’orientation des races prises génotypage à haut débit par puces à SNP, le rôle de l’INRA comme seul organisme
à l’échelle des UPRA entraînaient une « Single Nucleotide Polymorphism »). agréé à calculer des index « officiels ».
offre relativement équivalente de la part Une première SAM sur SNP à haut L’Etat délègue une partie de la gouver-
de l’ensemble des coopératives de sélec- débit, dite SAM2, a été mise en œuvre nance du dispositif génétique français à
tion (peu de stratégies différenciées). Ce dès l’automne 2008, donnant lieu à la profession avec la création de FGE,
dispositif collectif et public permettait des index officiels mâles en juin 2009 qui organise le périmètre des activités
donc de produire et gérer à la fois les (Institut de l’Elevage et INRA 2011). mutualisées et participe davantage au
ressources biologiques et les ressources financement du dispositif.
informationnelles nécessaires à la sélec- Parallèlement à ces évolutions scienti-
tion. Il s’est révélé d’une grande effica- fiques et organisationnelles, le système La première évaluation utilisant les
cité, notamment grâce à la mutualisation de sélection français, et notamment le informations des puces pangénomiques
des efforts de recherche et a permis à la monopole de zone des coopératives dites «50k» (permettant de typer 50000
France de rattraper ses concurrents inter- d’insémination, est soumis aux coups marqueurs de type SNP répartis sur tout
nationaux en termes de niveau géné- de boutoirs de concurrents nationaux le génome) est réalisée en octobre 2008,
tique. ou internationaux qui souhaitent déve- mais ces index génomiques restent d’un
lopper leur activité d’insémination ou de usage « privé » pour les ES. C’est en 2009
1.2 / Des bouleversements tech- vente de semence sur le marché français, que les travaux conduits par la recher-
niques et politiques sans passer par les coopératives d’insé- che et les acteurs de la sélection sont
mination. Ainsi le Conseil de la concur- officiellement diffusés dans les trois
Différentes évolutions à la fois techni- rence français condamnera la filière à une principales races bovines laitières fran-
ques et politiques ont amené à reconfi- amende pour entrave à la libre concur- çaises: la Holstein, la Normande et la
gurer ce régime de sélection (Labatutet rence. Les acteurs de la sélection géné- Montbéliarde, qui reçoivent leurs pre-
al2013a). De 2001 à 2008, des collabo- tique s’investissent alors de manière miers index génomiques « officiels » et
rations entre l’INRA et l’UNCEIA (Union proactive à la refondation de l’organisa- peuvent alors diffuser la semence de
Nationale des Coopératives d’Insémi- tion du secteur telle que définie dans taureaux sur la base de leurs index géno-
nation Artificielle) ont permis le déve- la Loi sur l’Elevage de 1966, au travers miques. Cette nouvelle méthode de sélec-
loppement de la Sélection Assistée par de la réforme de la Loi d’Orientation tion permet alors d’obtenir sans testage
Marqueurs (SAM), nécessitant aupara- Agricole de 2006, modifiant radicalement sur descendance des index (dits « géno-
vant une détection de QTL (« quanti- l’organisation de la sélection (Verrieret miques ») ayant une fiabilité suffisante
tative trait loci» : région du génome à al 2010). Cette réforme répond aussi à pour sélectionner les reproducteurs pour
caractère d’intérêt quantitatif)4. Des struc- la volonté de l’Etat de réduire sa partici- la vente de doses de semence (figure1).
tures support de cette nouvelle forme de pation financière aux activités de sélec-
partenariat public-privé sont apparues: tion. Dans cette nouvelle Loi, le mono- Quels sont les changements organi-
le GIS Agenae réunissant au départ pole de zone est supprimé et remplacé sationnels et institutionnels dans les
l’INRA et le CIRAD d’un côté et les pour les zones les plus difficiles par un activités de sélection des bovins qui ont
Figure 1.Déroulement de l'évaluation génétique des taureaux, avant et après la sélection génomique (inspiré de Rousseau 2012).
4Programme de recherche privé initié dès le milieu des années 1990 pour la recherche de QTL.
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accompagné cette innovation dans un tandis qu’avant les années 2000 les tion continue des efforts de recherche et
contexte de réforme politique ? L’objet de seules recherches menées à l’UNCEIA d’innovation »7tout en ouvrant l’utilisa-
la partie suivante est de fournir quelques étaient tournées vers la reproduction (à tion à tous. Valogène permet également
éléments de réponse à cette question. l’Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort), de mutualiser les commandes de puces à
l’UNCEIA et l’INRA ont créé un poste SNP pour obtenir des tarifs raisonnables
2 / Implications organisation- d’interface entre les deux organisa- pour la filière bovine, que ce soit pour
tions, poste d’ingénieur embauché par les recherches ou pour l’application et la
nelles dans la filière bovine :
l’UNCEIA, mais en étroite collaboration réalisation de la sélection génomique.
quatre dimensions soulevées avec l’INRA pour le développement de
la SAM. Ces nouvelles formes de partenariats
public-privé et de mutualisation des
Les changements au sein des activités Ces relations de coopération ont éga- investissements de recherche s’accom-
de sélection liés au développement de lement accompagné la formation d’un pagnent en parallèle d’un accroissement
la sélection génomique et de la réforme nouveau niveau de production et de ges- des dynamiques privées et indivi-
de la Loi sur l’Elevage sont fortement tion de données génétiques : les popula- duelles de recherche, et de l’éclatement
interconnectés et traversent les différentes tions de référence. Une population de de ces compétences. Comme indiqué dès
fonctions organisationnelles impliquées référence est une population d’animaux 2010 par l’UNCEIA dans son rapport
(des activités de production génétique, génotypés avec des informations sur leurs d’orientation, les entreprises de sélection
de calcul des index, de contrôle de per- performances. C’est à partir de cette cherchent à se différencier de leurs
formances…). Pour les expliciter, nous population que l’on peut mettre en rela- concurrents. L’UNCEIA rappelait l’im-
proposons ici un découpage en quatre tion phénotypes et génotypes, permettant portance d’articuler les recherches collec-
grands axes de changements. Le premier ensuite de prédire les valeurs génétiques tives et ces dynamiques de différencia-
concerne les activités de recherche et de de jeunes animaux à travers des index tions. Comme le souligne le responsable
développement autour de la sélection génomiques sans avoir connaissance de de l’UNCEIA dans le rapport d’orienta-
génomique. Le deuxième est celui des leurs performances réelles ou de celles tion 2010: « Certes, je comprends le souci
changements observés au niveau des de leurs descendants. Comme l’indique des uns et des autres de se différencier de
entreprises de sélection. Le troisième est l’UNCEIA dans l’un de ses communiqués leurs concurrents. Cela est possible mais
celui des rapports entre acteurs de la de presse, « ces recherches ont bénéficié impose que l’on sépare bien les travaux
sélection et les éleveurs. Le quatrième du système mutualisé français permettant de fond qui permettront la mise au point
concerne la gouvernance des races. Pour d’accéder dans les meilleures conditions de techniques innovantes des travaux
chacun de ces axes, nous évoquons les aux animaux et à leurs informations ». d’application à tel ou tel caractère pour
opportunités et les risques que ces chan- Cependant, c’est la première fois (au créer la différence entre entreprises.
gements peuvent amener. Nous obser- moins à cette échelle) que le partenariat Parce qu’ils sont onéreux, qu’ils s’inscri-
vons ces changements dans l’action. entre la recherche publique et les acteurs vent dans la durée et que leurs résultats
Certains sont donc sans doute transitoires, de la sélection aboutit à la construction ouvrent sur diverses applications, les
d’autres s’institutionnaliseront peut être, d’outils privés réservés aux entreprises premiers sont à conduire collectivement
ce que la continuité de ces travaux per- de sélection membres du consortium alors que les seconds relèvent de la stra-
mettra d’observer. ayant investi dans ces recherches. Trois tégie propre à chaque entreprise ».
générations d’outils ont ainsi vu le jour :
2.1/Reconfiguration des rapports la sélection assistée par marqueurs micro- Les investissements individuels des
entre la recherche publique et les satellites de première génération, dite entreprises et organismes de sélection
acteursde la sélection SAM1, de 2001 à 2007 ; son extension dans des activités de recherche et de
à un plus grand nombre de QTL suivis développement visant la différenciation
Comme évoqué dans le point 1.2, les par des marqueurs SNP, ou SAM2, en vis-à-vis des concurrents prennent plu-
activités de recherche et de développe- 2008-2009 ; une généralisation à un grand sieurs formes. On observe le déve-
ment sur les outils de la sélection géno- nombre de QTL couvrant tout le génome, loppement, au sein de certaines entre-
mique ont reposé sur la mise en place dite Sélection Assistée par Marqueurs prises de sélection, de compétences de
de nouvelles formes de coopération entre Généralisée (SAMG) ou plus générale- recherche propres, ainsi que de partena-
acteurs. Ainsi huit entreprises de sélec- ment Sélection Génomique (SG) à partir riats avec de nouveaux types d’acteurs
tion5, engagées dans la sélection des races de 2010. Par la suite, pour valoriser et (privés ou publics) qui n’étaient aupa-
Holstein, Montbéliarde et Normande, ont ouvrir cet outil privé, les entreprises de ravant pas impliqués dans des activités
formé un consortium et conclu un contrat sélection membres du consortium ont de recherche en génétique animale en
exclusif avec l’INRA et le GIE LABO- créé en 2010 la société Valogène, ayant France. Une entreprise de sélection a
GENA6. Cette collaboration spécifique, jusqu’en 2015 l’exclusivité de la licence par exemple créé une plateforme géno-
initiée en 2001, est une nouvelle forme d’exploitation du procédé d’évaluation mique interne, en nouant des relations
de coopération entre la recherche publi- génomique des bovins laitiers et de la avec une fondation de recherche pri-
que et les acteurs de la sélection. Diffé- fourniture de ce service aux éleveurs ou vée et a récemment proposé la diffu-
rents projets de recherche ont ainsi été organismes souhaitant y avoir accès en sion d’indicateurs non officiels sur de
cofinancés entre l’Agence Nationale de race Holstein, Normande et Montbéliarde. nouveaux caractères autour de la santé
la Recherche, l’INRA et Apis-gène (par L’INRA reste propriétaire du procédé et du pied. Un organisme de sélection a
exemple les programmes Cartofine, 2006- responsable de sa mise en œuvre. Cet créé, en partenariat avec un laboratoire
2008, et AMASGEN, 2010-2012). Ce accord inédit de valorisation devait assu- universitaire, une start-up de biotechnolo-
partenariat s’est traduit par des change- rer le retour sur investissement des en- gie proposant ses propres outils d’évalua-
ments organisationnels concrets. Ainsi, treprises de sélection et la « mobilisa- tion génomique8. On observe également
5Jura Bétail et Umotest en race Montbéliarde, GNA en race Normande, UNECO, GENOE, Midatest, URCEO et GDH en race Holstein.
6Laboratoire d’Analyses Génétiques pour les Espèces Animales.
7Dossier de presse du 9 septembre 2010, « La sélection génomique, une révolution pour la sélection des vaches laitières ». Accord de partenariat entre l’INRA,
l’UNCEIA et Apis-gène, 8 pages.
8Ingenomix.
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Implications organisationnelles de la sélection génomique chez les bovins et ovins laitiers en France…/ 307
le développement de relations directes tions de plusieurs races (GEMBAL) dont en 2006 dans un premier temps, puis avec
entre des entreprises et des laboratoires l’enjeu est pourtant considérable pour le développement de la sélection géno-
français ou étrangers pour certains pro- un grand nombre de races, a rencontré mique. Ce mouvement a pris diverses
grammes de recherche, sans passer par de fortes difficultés à reproduire ce type formes. Pour les entreprises de mise en
la mutualisation des demandes et des de partenariat du fait du nombre d’ac- place, l’objectif a été avant tout de faire
programmes que le Dispositif Généti- teurs impliqués qui est beaucoup plus face à la suppression du monopole de
que Français avait organisé en confiant important, de rapports de force et de zone et de se préparer à affronter une
ce travail à l’INRA. L’INRA n’est plus questions de pouvoir entre ces acteurs concurrence accrue. Pour les entreprises
considéré comme le seul partenaire de (notamment le rapport entre la capacité de sélection, les objectifs sont de favo-
recherche. d’investissement financier et celle de riser les économies d’échelle, d’assurer
l’apport en matériel biologique). Par l’accès à de nouvelles technologies, d’ac-
Ces démarches peuvent avoir différents ailleurs, les opérateurs sont confrontés croître les parts de marché. Ainsi, le
objectifs : le développement d’outils au risque d’une perte d’efficacité des groupe Evolution, dans le grand Ouest,
d’évaluation génomique pour la vente activités de recherche. En effet, l’éclate- illustre ce mouvement, avec l’union de
de ce service (parfois pour des races pour ment des capacités de recherche mutua- GENOE et de l’URCEO en 2008, for-
lesquelles les outils génomiques n’ont lisées, qui ont fait le socle commun du mant Créavia, puis l’union de Créavia
pas encore été développés par les consor- dispositif génétique français au cours des avec Amélys en 2013, formant le groupe
tiums nationaux), et/ou le développement décennies passées, amène différents Evolution, deuxième groupe européen de
de recherches sur des caractères spéci- opérateurs à investir dans des recherches sélection animale aujourd’hui. Accélérer
fiques innovants pour lesquels les entre- similaires en parallèle, tout en ayant une la progression du groupe dans les nou-
prises développeraient des activités de moindre capacité d’investissement que velles technologies, notamment la géno-
phénotypage puis des gammes de tau- dans le cas de la mutualisation. Cela mique, mais également le sexage de la
reaux différenciées de leurs concurrents. pourrait entraîner le risque d’une hétéro- semence et les services à l’éleveur, est
Le développement de ces recherches sur généité de qualité des évaluations pour clairement mis en avant comme l’une des
des données phénotypiques privées, une dénomination identique (plusieurs justifications de ce regroupement.
des caractères spécifiques, est en effet niveaux de qualité des index en fonction
vu comme une opportunité d'avantage des biais potentiels et de leur précision) et Si dans le cas d’Evolution, le regrou-
compétitif dans un contexte de plus en poserait la question de la transparence des pement va jusqu’à la fusion en une seule
plus concurrentiel. Dans ce contexte, méthodes utilisées (s’il n’y a pas de publi- organisation, d’autres formes de regrou-
l’organisation historique du Système cation officielle par exemple) ainsi que de pements peuvent être observées. Ainsi
National d’Information Génétique (SNIG) leur objectivité (dans la mesure où les certaines entreprises de sélection ont
bovin, c’est-à-dire avec accès partagé vendeurs de semence seraient aussi les regroupé une part de leurs ressources,
aux données et mutualisation totale de évaluateurs de ces mêmes semences), ce mais ont gardé des entités séparées et une
celles-ci, est questionnée face à cette qui était l’une des motivations de l’Etat partie de leurs activités indépendantes.
augmentation de la concurrence sur les à confier l’évaluation à un tiers n’ayant C’est le cas de Midatest, entreprise de
données génétiques. La segmentation du aucun intérêt dans les programmes de sélection du Sud-Ouest, qui a mutualisé
statut des données (selon qu’elles sont sélection. Certaines de ces recherches son programme Holstein avec Evolution:
publiques ou à accès plus ou moins seraient menées plus efficacement de «En race Holstein, nous avons encore un
limité, voire privatives), se traduit par programme qui est conduit avec Evolu-
manière collective. Un risque supplé-
des droits restreints d’accès aux don- mentaire est que la privatisation des tion : nous représentons 10%des volumes
nées, voire à la remise en cause de la recherches conduise à réduire d’autant et avons droit à 10%des taureaux, contre
gestion de certaines données dans la les investissements tournés vers les races 90%pour Evolution. L’enjeu principal
base nationale gérée par l’INRA. de la génomique est la capacité à recru-
et espèces de moindre importance en
ter des candidats de façon très large, puis
termes d’effectif ou de rentabilité écono-
Ces nouvelles formes de partenariat et de les trier efficacement. Aujourd’hui, le
mique pour les entreprises de sélection.
le développement des capacités indivi- fait d’être adossés à ces partenaires-là
duelles de recherche, de développement fait que nous avons un nombre de tau-
2.2 / Les relations entre les opé-
et d’application de l’évaluation géno- reaux disponibles sans commune mesure
rateurs de la sélection et de la
mique comportent à la fois des risques à ce que Midatest aurait seul. C’est le
et des opportunités. L’une des opportuni- production de données principal avantage » (responsable
tés, en diversifiant et démultipliant les Midatest). C’est aussi pour pouvoir
démarches de recherche, et en différen- Dans cette partie nous abordons dans bénéficier de la technologie de sexage
ciant l’offre, est de favoriser l’innova- un premier temps les changements entre de la semence en Holstein que Midatest
tion pour mieux répondre à la diversité les opérateurs de la sélection proprement a mutualisé son programme Holstein.
des attentes des utilisateurs des races, dite (ES et Entreprises de Mise en Place
en amont (éleveurs) comme en aval (filiè- - EMP), puis dans un deuxième temps Mais ce sont aussi les relations entre
res de valorisation). Cependant, plusieurs nous évoquons l’évolution des rapports entreprises de sélection et entreprises de
risques peuvent être identifiés. D’une entre ces opérateurs et ceux impliqués mise en place de la semence qui ont
part, la forme de partenariat qui a permis dans la production de données de phé- évolué. En effet, historiquement, certaines
aux trois races Holstein, Montbéliarde notypage, qui reste à approfondir face à entreprises de sélection ont au départ
et Normande de développer la sélection l’ouverture à la concurrence des services été créées à travers la mutualisation de
génomique n’est pas aussi facilement de contrôle de performance en 2015. l’activité de production de semences par
reproductible pour d’autres races, pour les coopératives d’insémination : « dans
lesquelles les capacités d’investissement Ainsi, l’un des changements les plus les années 1970, on a créé Midatest en
et le poids de l’insémination artificielle importants dans l’organisation de la sélec- partenariat avec d’autres coopératives.
par rapport à la monte naturelle seraient tion des bovins a été le regroupement de A l’époque, chaque coopérative avait son
moindres, ainsi que la quantité de don- nombreuses ES et EMP françaises. Si programme et les doses et les taureaux
nées issues du contrôle de performance. l’origine de ce mouvement est antérieure étaient mis en commun dans Midatest ».
Par exemple, l’un des programmes de à l’arrivée de la sélection génomique, il Aujourd’hui, certains acteurs considèrent
recherche en cours sur les perspectives s’est accéléré ces dernières années, dès la que le rapport entre entreprises de sélec-
de la génomique combinant les informa- réforme du Dispositif Génétique Français tion et coopératives d’inséminations s’est
INRAProductions Animales, 2014, numéro 4
308 / J. LABATUT et al
inversé, comme l’exprime l’un des direc- de contrôle de performances et de conseil très variés vis-à-vis de l’index génomique,
teurs d’ES rencontrés : « Les coopératives en élevage (elles-mêmes souvent en allant de la méfiance à une confiance
avaient la légitimité du terrain et consi- forterestructuration notamment dans un sans mesure. Ainsi, des acteurs rencon-
déraient que l’Entreprise de Sélection contexte de libéralisation des services de trés font part d’un manque de confiance
représentait les services communs, le contrôle de performances), se rappro- potentiel de la part de certains éleveurs,
«back office». […] Aujourd’hui […] chent. On n’observe généralement pas notamment ceux pour lesquels le nombre
avec la génomique […] le back office de fusions de structure, mais plutôt des de filles de testage était pris en compte
prend le leadership »(entretien directeur accords contractuels pour le développe- dans leurs décisions. Il s’agit, en effet,
d’entreprise de sélection, 2011). ment d’activités et de mise à disposition d’un mode d’utilisation des taureaux qui
de moyens ou de données. En effet, le nécessite des apprentissages. Une autre
En revanche, dans d’autres cas, les rela- contrôle de performances est devenu une crainte exprimée est celle d’une utilisa-
tions entre certaines entreprises de sélec- entreprise à part entière, avec la volonté tion des doses de taureaux avec index
tion ont plutôt évolué vers une remise en de valoriser les données produites, en génomique sans prise en compte de la
question de rapports de coopération particulier les données de type nouveau fiabilité de ces index (exprimée par le
historiques et une augmentation de la non réglementées (données de santé ou Coefficient de Détermination), qui est
compétition, notamment concernant les de composition fine du lait, par exem- un peu moindre pour les index géno-
investissements de recherche dans le ple). De leur côté, comme nous l’avons miques qu’après testage sur descendance,
phénotypage de nouveaux caractères. vu précédemment, les ES ont besoin notamment pour les caractères de pro-
Ainsi, deux entreprises importantes qui de nouveaux phénotypes à prendre en duction. « Il y a un risque […] comme
collaboraient jusqu’alors dans des pro- compte en sélection et des populations on l’a vu pour les caractères de produc-
jets de recherche en partenariat avec les deréférence correspondantes. L’analyse tion […] qu’on survalorise la qualité
instituts de recherche et développement reste à approfondir quant au position- des informations utilisées. On donne plus
(INRA et Institut de l’Elevage) autour nement des entreprises de conseil en d’importance aux informations géno-
de nouveaux critères de sélection, ont élevage. miques parce que c’est à la mode […].
récemment développé des stratégies Le risque, y compris en allaitant, est que
divergentes. L’une a continué sa collabo- 2.3/Les rapports entre les acteurs les gens se concentrent trop sur cette
ration historique avec ces instituts, tandis de la sélection et les éleveurs information génomique et soient déçus
que l’autre n’a pas souhaité mutualiser à cause du manque de précision » (entre-
ces recherches, pariant sur une stratégie La sélection génomique participe éga- tien responsable génétique ES, 2012).
de différenciation pour faire face à l’aug- lement à une évolution des rapports entre Des préconisations sont faites aussi
mentation de la concurrence nationale éleveurs et entreprises de sélection, tant bien par les scientifiques que par ceux
et internationale. Ainsi, si la logique de au niveau de leur participation à la créa- qui réalisent chez les éleveurs les plans
«coopétition» (coopération entre concur- tion de progrès génétique qu’au niveau d’accouplement, comme par exemple
rents) a été largement mise en avant au de l’utilisation des biens et services pro- celle de « ne pas mettre tous ses œufs
début de la sélection génomique (comme posés par les entreprises. Du côté de la dans le même panier »et d’encourager
par exemple lors de l’Assemblée Géné- création de progrès génétique et du rôle l’utilisation d’une large gamme de tau-
rale de l’UNCEIA en février 2011), cela des éleveurs sélectionneurs dans celle-ci, reaux lorsque ceux-ci n’ont pas encore
n’a clairement pas suffi à assurer le la sélection génomique rend possible pour été évalués sur descendance. Mais le
maintien du travail historique de mutua- les ES la recherche de taureaux dans une développement et l’utilisation d’un nou-
lisation des activités. Les risques sont plus grande diversité d’élevages et non vel indicateur est une période d’incerti-
alors, pour les collectifs concernés (l’en- plus uniquement chez les éleveurs les tude qui entraîne des apprentissages qui
semble des entreprises, les éleveurs et plus impliqués historiquement, fournis- peuvent être accompagnés ou non. Il
leurs races), d’investir deux fois dans seurs habituels des taureaux aux schémas sera nécessaire d’analyser plus précisé-
les mêmes recherches avec des moyens de sélection. Par ailleurs, la temporalité ment la façon dont les éleveurs s’en sai-
moindres (et donc potentiellement des de l’évaluation des jeunes taureaux évo- sissent lorsque les index génomiques
résultats moins bons), ou de voir la sélec- luant, ceux-ci obtiennent maintenant seront devenus un outil habituel.
tion française prendre du retard sur cer- des index génomiques alors qu’ils sont
tains caractères innovants (sanitaire, par encore chez les éleveurs. Cela implique Il est nécessaire d’être attentif à cette
exemple) pour les races pour lesquelles certaines modifications dans les contrats période d’incertitude envers ce nouvel
la coopération entre l’ensemble des par- de sélection quant à la propriété des tau- outil, car certaines entreprises étrangères
tenaires se délite. reaux et de leurs index, le temps qu’ils commercialisant de la semence peuvent
restent chez les éleveurs. « surfer» sur la vague d’une potentielle
On observe donc à la fois des oppor- crise de confiance, voire l’entretenir
tunités d'investissements mutualisés, et On observe également une évolution de en partie, pour se démarquer des opéra-
des acteurs privilégiant des stratégies l’offre génétique. De nouveaux « biens » teurs historiques français auprès des éle-
individuelles pour tenter de développer et services sont apparus depuis 2009, veurs. Pour cela, ils élaborent un dis-
un éventuel avantage compétitif et faire qu’il s’agisse des jeunes taureaux avec cours à la fois technique et commercial.
face à la menace de la compétition, index génomique ou du service de géno- Ils mettent en avant la fiabilité moins
révélant deux comportements possibles typage des femelles. Passer de la com- bonne des index génomiques par rap-
face à l’augmentation de la concurrence: mercialisation de doses de taureaux avec port aux index sur descendance, et l’im-
coopérer ou se différencier. index sur descendance à celle de doses portance de n’utiliser principalement que
de taureaux avec index génomique, est-ce des taureaux testés sur descendance. Ils
Enfin, peut être plus récemment, du vraiment différent ? Cela a-t-il des impli- construisent ainsi des démonstrations
fait de l’augmentation des enjeux straté- cations autres que le simple remplace- techniques visant à former leurs com-
giques autour du phénotypage, la nature ment presque invisible pour les éleveurs merciaux sur ce qu’ils considèrent com-
des rapports entre les acteurs impliqués d’une valeur par une autre ? Pour l’ins- me les limites de l’évaluation génomique
dans la production et l’utilisation des tant, les premiers entretiens réalisés et la différence de stratégie de leur pays
données de phénotypes évolue. Ainsi, révèlent une perte de repères dont il fau- d’origine, présentée comme plus pruden-
tirant parti de leur implantation géogra- dra étudier la persistance ou non. Les te, par rapport à la France:« Ça n’est
phique commune et des synergies entre éléments tirés des projets présentés ici pas bon pour notre image de marque
leurs activités, les ES et les entreprises mettent en avant des usages et réactions quand un taureau ne confirme pas. […]
INRAProductions Animales, 2014, numéro 4
Implications organisationnelles de la sélection génomique chez les bovins et ovins laitiers en France…/ 309
J’insiste là-dessus au moment la vente. techniciens des organismes de contrôle définir les objectifs de sélection communs
Nous souhaitons garder nos éleveurs laitier, mais ces questionnements sont et partagés, et pour assurer la promotion
et vendre plusieurs fois chez eux. Je aussi apparus auprès des inséminateurs. de la race. Couplée à la mutualisation des
conseille plutôt les taureaux testés. […] Ils expriment ces difficultés également activités de recherche-développement et
On vend quand même 20% à peu près ressenties par les éleveurs : « Pour moi, de l’évaluation, les offres génétiques par
de doses de jeunes taureaux. Mais en ça n’est pas compliqué : je suis complè- les Entreprises de Sélection étaient donc
France ils en sont à 80%(…) on ne veut tement dépassée. Je trouve qu’avoir une relativement peu distinctes. Comme nous
pas en faire plus » (entretien commer- série de nouveaux taureaux tous les trois l’avons vu précédemment, la sélection
cial entreprise étrangère, mai 2013). mois est très difficile à gérer pour nous génomique rend possible le développe-
au quotidien. Avant la génomique, nous ment de stratégies différenciées de la
Alors que nous sommes en période faisions quelques plannings d’accou- part des entreprises de sélection en leur
transitoire, ces éléments permettent de plements mais on en fait pratiquement permettant de gérer beaucoup plus fine-
pointer du doigt l'importance qu’il y a plus aujourd’hui. […] On est perdus, on ment le choix de leurs taureaux et de
aujourd’hui de prendre en compte ce qui a décidé de laisser tomber » (entretien leurs mères à taureaux, mais également
se joue en termes de discours et d’appren- collectif techniciens ECEL, avril 2013) au travers de la constitution d’offres
tissages relatifs aux index génomiques spécifiques sous forme de « profils » de
ou plus généralement à la sélection Il serait nécessaire d’analyser les évo- taureaux. Des ES cherchent également à
génomique dont les index sont un outil. lutions, à plus long terme, de cette « ano- développer des objectifs de sélection qui
Cela est d’autant plus essentiel dans un nymisation » des taureaux10 et de cet leur sont propres, au travers d’investis-
contexte où l’apparition d’indicateurs accroissement du turn-over des données, sements privés de recherche dans du
non officiels est possible et alors même à la fois sur les pratiques des éleveurs phénotypage et la création de popula-
que l’origine des index officiels est sou- pour la sélection de leur troupeau, et sur tions de références privées (elles produi-
vent invisible pour l’utilisateur final. la redéfinition des compétences et des sent ainsi leur propre index de synthèse,
Quelle connaissance les usagers finaux rôles des différents opérateurs impliqués ce qui va au-delà de la simple segmenta-
ont-ils du circuit de production des index dans le conseil aux élevages. Quels seront tion de l’offre en « profils » de taureaux).
entre les organismes de contrôle de les sélectionneurs et les utilisateurs de Ces dynamiques amènent certains
performances, l’INRA et l’Institut de demain ? Quelles seront leurs pratiques acteurs représentant des OS (dont font
l’Elevage ? vis-à-vis de ces nouveaux services ? Ces partie les ES) à s’interroger sur l’évolu-
tion du rôle de ces organismes et de ce
questionnements devront être traités en
Comme Colleau et al(2009) l’ont indi- qui était reconnu comme le « parlement
prenant en compte l’évolution plus géné-
qué au travers de simulations, la gestion de la race ». Qu’advient-il de la construc-
rale des systèmes d’élevage, des filières,
des accouplements sous le « régime de tion de stratégie de sélection commune
dans un contexte de suppression des
la génomique» ne doit plus se faire dans le contexte d’un développement de
quotas et d’agrandissement des cheptels.
selon la logique du « star system». Le stratégies individuelles ? La place de ces
En effet, dans d’autres domaines tels
« star system » était la pratique par structures communes que sont les OS
que les télécommunications par exemple,
laquelle les éleveurs privilégiaient l’achat dans le développement de la sélection
la libéralisation des services couplée au
de doses provenant d’un très petit nom- génomique est complexe, car tandis que
développement de nouvelles technolo-
bre de taureaux, considérés comme des ces organismes ont peu de moyens finan-
giesa conduit à l’évolution des identités :
« stars» nationales voire internationales ciers à proprement parler, leur rôle
« l’usager » est devenu « consommateur »
pendant plusieurs années. Ce système9 d’orientation de la race et de représentant
(Fijalkow 2006). Dans le cas de la sélec-
est apparu avec le développement de des propriétaires collectifs de la race et
tion des ruminants, les éleveurs sont
l’insémination artificielle, qui a permis de ses usagers (éleveurs, sélectionneurs,
pour l’instant à la fois usagers et pro-
de diffuser largement certains taureaux. filières d’aval, territoires) est important.
ducteurs du progrès génétique. Il est
Il a eu des effets négatifs importants sur En effet, leur rôle est indispensable pour
important d’analyser ces changements
la variabilité génétique, sur l’apparition assurer l’adhésion et la coopération avec
dans les identités professionnelles des
d’anomalies génétiques, sur la dégrada- l’ensemble des acteurs d'une race, des éle-
éleveurs (éleveur-sélectionneur, éleveur-
tion de certains caractères non sélection- veurs et associations d’éleveurs jusqu’aux
utilisateur…). Cela implique, par exem-
nés. Il faut maintenant profiter pour les usagers de l’aval, autour de la race comme
ple, de repenser l’accompagnement de la
bovins laitiers du fait que les jeunes bien commun et comme institution. Ainsi,
gestion de la reproduction des troupeaux,
taureaux avec index génomiques mis le responsable de l’un des OS rencon-
d’imaginer la construction de logiciels
en marché ont une précision moindre et trés a évoqué les difficultés de ce parle-
d’accouplements adéquats, d’analyser
qu’un plus grand nombre de jeunes tau- ment racial à pouvoir « arbitrer pour
les usages des nouveaux services tels
reaux peuvent être commercialisés, pour l’intérêt collectif » face à des stratégies
que l’évaluation génomique des femel-
favoriser l’emploi au niveau de chaque différenciées entre les ES et une augmen-
les et d’adapter les contrats de sélection
éleveur de plus de taureaux et ainsi tation de la concurrence entre elles.
à ces changements de pratiques des éle-
protéger le bien commun. Les premiers L’analyse de l’évolution de la gouvernan-
veurs vis-à-vis des produits et services
entretiens révèlent que ce changement ce des races, processus sur le temps long,
génétiques.
de pratique n’est pas toujours facile à reste à approfondir dans la suite des pro-
mettre en œuvre. Certains parlent de jets de recherche présentés ici.
2.4/Des évolutions dans la gou-
choc culturel. Les informations sur les
taureaux et les taureaux eux-mêmes vernance des races? Ces analyses donnent quelques exem-
connaissent un turn-over beaucoup plus ples des reconfigurations des rapports
rapide qu’auparavant. Certains techni- Les Organismes de Sélection (OS) sont entre acteurs dans le cas d’une rupture
ciens rencontrés nous ont ainsi fait part définis par la Loi comme étant la struc- technologique profonde, associée à la
de leurs difficultés à se « tenir à jour », ture en charge de la gouvernance des races. libéralisation d’un système. Ainsi, on ne
notamment ceux qui ne sont pas spéciali- Les différents acteurs impliqués dans la peut pas simplement penser qu’il y a
sés uniquement en sélection comme les gestion et la sélection s’y retrouvent pour « plus » ou « moins » de coopération à
9Qui n’existe pas en ovins laitiers, du fait de l’utilisation de semence fraiche.
10On se rapprocherait alors du système utilisé pour les ovins laitiers.
INRAProductions Animales, 2014, numéro 4
310 / J. LABATUT et al
l’ère de la sélection génomique, mais il une gestion pyramidale de la population béliers avec index génomiques, et l’aval
est en revanche assez clair qu'il y a une en sélection avec une dichotomie claire de cette production avec la diffusion de ces
redéfinition du paysage organisationnel entre éleveurs sélectionneurs et utilisa- index et de ces béliers (Rousseau 2012).
de la sélection, des rôles et des compé- teurs. Une action innovante de FGE a
tences des acteurs, et de leurs identités ainsi été mise en place, permettant d’or- 3.1 / Accompagner et maintenir
professionnelles. Jusqu’en 2006, les rela- ganiser une réflexion en amont sur les l’action collective
tions de coopération entre les acteurs conséquences potentielles de la sélection
étaient relativement clairement établies, génomique sur les collectifs de sélection,
L’enjeu de maintenir l’action collective
avec les nombreuses règles définies dans et les manières de les anticiper pour
de sélection (cf. encadré) et la coopéra-
la Loi sur l’élevage de 1966. Depuis 2006, assurer le maintien de ces collectifs. Les
tion entre l’ensemble des acteurs (qu’il
puis 2009, ces règles ont changé, et le trois bassins ovins laitiers ont été impli-
s’agisse des éleveurs sélectionneurs ou
contexte technologique aussi : les champs qués, sachant que ce sont principalement
utilisateurs, des entreprises de sélection,
d'innovation sont nouveaux, les acteurs le Rayon de Roquefort et les Pyrénées-
des OS ou de la recherche) a été claire-
se retrouvent dans une période de forte Atlantiques qui sont concernés à court
ment réaffirmé dans les discours : « on
incertitude aussi bien sur les connais- terme.
veut resserrer le collectif» (responsable
sances (qui sont à construire) que sur les
ES), face au risque de développement de
relations (qui sont à (re)construire aussi Le projet COSEGOV porté par le
circuits de diffusion parallèles et privés
ou à faire évoluer). D’un côté, il y a né- Comité National Brebis Laitières (action
qui menaceraient l’efficacité des schémas.
cessité de plus de coopération pour com- innovante bénéficiant d’un financement
En effet, plus encore que chez les bovins,
penser des investissements lourds de de FGE)11a reposé sur une méthode de
l’engagement financier important que
recherche-développement. De l’autre, il recherche innovante. Dans un premier
représente la génomique ne peut fonc-
existe moins de règles collectives, plus temps, nous avons organisé des ateliers
tionner à long terme que si les collectifs
de compétition, mais davantage « d’op- de réflexion collectifs, réunissant dans
se maintiennent et que les comportements
portunités » pour l’individualisme dans chaque bassin les responsables techni-
individualistes sont limités.
un contexte plus compétitif. Les diffé- ques, administratifs et professionnels des
rents cas observés en bovins laitiers et schémas de sélection, les ingénieurs de
Pour maintenir l’action collective, les
allaitants révèlent la diversité des stra- l’Institut de l’Elevage et les chercheurs
acteurs rencontrés considèrent qu’il faut
tégies des acteurs face à ce contexte. de l’INRA. Ces ateliers étaient organi-
à la fois maintenir l’engagement des éle-
L’évolution du contexte économique de sés en deux temps : un premier temps de
veurs sélectionneurs, dont le travail est
l’élevage influence aussi forcément ces partage de connaissances autour de la
nécessaire pour la production et la col-
stratégies, notamment concernant les génomique et de la méthode d’évaluation
lecte des phénotypes, et l’entretien de la
attentes des éleveurs dans un contexte génomique en elle-même, mais aussi
population de référence (qui remplacera
de fluctuation des prix. autour du fonctionnement organisation-
le testage sur descendance du schéma
nel actuel des schémas et de leur évo-
actuel), et s’assurer de la durabilité de
3/Accompagner les change- lution en version génomique ; un deuxiè-
la collaboration avec la recherche-déve-
me temps de réflexions dirigées où les
ments organisationnels : le cas loppement (collaboration qui se matéria-
participants ont pu échanger autour de
des ovins laitiers différentes thématiques (la place des lise au sein du Comité National Brebis
Laitières, association loi 1901 fédérant
sélectionneurs et des utilisateurs, la dif-
fusion des index génomiques, la gestion les organismes du dispositif génétique
Les acteurs de la sélection des ovins des populations de référence, les contrats ovin lait et qui représente au sein de
laitiers dans les trois bassins de produc- de sélection...) et identifier les risques et FGE et de sa commission ovine la filière
tion (Roquefort, Pyrénées-Atlantiques opportunités de la génomique. Au total, ovin lait).
et Corse) ont pu observer, de l’extérieur, 14 heures d’ateliers ont été enregistrées
les bouleversements récents apparus dans et analysées. Dans une deuxième phase, Concernant l’engagement des éleveurs
le secteur de la génétique bovine laitière. des entretiens individuels ont été réalisés sélectionneurs, il est nécessaire de main-
Dès 2009, les bassins de Roquefort et des auprès d’une diversité d’acteurs dans tenir les incitations individuelles pour
Pyrénées-Atlantiques se sont parallèle- chaque bassin (éleveurs sélectionneurs assurer la participation au collectif. Dans
ment engagés dans des programmes de en contrôle laitier officiel, éleveurs uti- le cas des éleveurs en CLO, il s’agit de
recherche pour tester la faisabilité de la lisateurs hors contrôle laitier officiel, res- préserver la supériorité génétique moyenne
sélection génomique des ovins laitiers ponsables d’OS, responsables et techni- de leurs troupeaux par rapport aux
(Roquefort’in, Genomia) (Ducheminet ciens d’ES). L’objectif était d’appro- troupeaux des éleveurs utilisateurs (en
al 2012, Baloche et al 2014). Ils ont fondir les thèmes ayant émergé des contrôle laitier simplifié ou hors contrôle
rapidement pris conscience que tout en ateliers collectifs et d’obtenir des infor- laitier) : en pratique les IA en semence
développant les aspects « techniques » mations et des points de vue qui n’au- fraîche (avec des lots moyens de 150 à
de la génomique, il était indispensable raient pas été abordés durant la phase 200 brebis inséminées par élevage et
de réfléchir aux évolutions organisation- collective. Ainsi, 15 entretiens ont été par jour) signifient qu’aucun éleveur ne
nelles nécessaires au développement de réalisés dans la zone de Roquefort (race choisit ses béliers d’IA. Le pack de béliers
cette technologie ou induites par celle- Lacaune), 9 en Pyrénées-Atlantiques d’IA (nombre de béliers et de doses par
ci, afin de les accompagner. Les acteurs (races ovines laitières des Pyrénées) et 1 bélier) par élevage est donc planifié de
des trois bassins se sont interrogés sur la en Corse (race Corse). telle façon que la valeur génétique soit
façon dont ils pouvaient se préparer à comparable entre sélectionneurs et supé-
ces changements afin d’assurer le main- Trois axes de réflexion sur les change- rieure à la valeur génétique du pack de
tien des capacités collectives de recher- ments à anticiper sont fortement ressortis béliers d’IA pour les élevages utilisa-
che, de développement et de sélection des entretiens et des ateliers : le main- teurs, la différence entre les deux types
qui ont assuré l'efficacité des schémas tien de l’action collective, l’amont de la d’élevage correspondant à un écart de
de sélection jusqu’à présent, fondés sur production d’index génomiques et de 3-4 ans. Autrement dit, le schéma de
11COSEGOV, 2013, « Refondation des Contrats de Sélection et d’Utilisation en Ovin en lien avec l’émergence de la Génomique ». Compte-rendu final,
Convention n° 611fge043, 14p.
INRAProductions Animales, 2014, numéro 4
Implications organisationnelles de la sélection génomique chez les bovins et ovins laitiers en France…/ 311
sachant que le noyau de sélection produit
Encadré.Organisation des schémas de sélection en ovins laitiers. chaque année à la fois des béliers d’IA
et de MN (figure 2).
Contrairement aux bovins laitiers, la spécificité des schémas de sélection en ovins laitiers
est d’être fondée sur une gestion pyramidale de la population, avec un noyau de sélection L’apparition de nouvelles données (les
d’environ 20%de la population à améliorer (10 à 30%en fait selon sa taille), composé index génomiques) pose la question des
d’éleveurs sélectionneurs chez qui sont concentrés tous les outils nécessaires à la sélection droits de propriété associés. La gestion
à la fois des béliers pour l’Insémination Artificielle (IA) et pour la Monte Naturelle (MN) requis
des agneaux en attente de génotypage
pour tous les éleveurs, sélectionneurs et utilisateurs (Barillet 1997) : les éleveurs sélectionneurs
est un aspect important de la réorganisa-
en Contrôle Laitier Officiel (CLO) s’engagent à réaliser la mesure des phénotypes de tous
tion des centres de sélection. Les enjeux
les caractères sélectionnés, la gestion des paternités en IA et MN, le testage des béliers
d’IA à hauteur d’environ 50%des IA et les accouplements raisonnés pour la procréation des organisationnels sont différents selon les
béliers d’IA et de MN nécessaires aux besoins de toute la population. Une fraction importante modalités de fonctionnement actuelles de
de ces jeunes mâles nés d’accouplements raisonnés entre en centres d’élevage de jeunes chaque entreprise de sélection. Ainsi, en
mâles, pour approvisionner les centres d’IA ou être diffusés comme béliers de MN chez les races Lacaune et Pyrénéennes, les trois
éleveurs utilisateurs. L’engagement des éleveurs sélectionneurs en CLO est coûteux en temps entreprises de sélection (Confédération de
et représente un investissement financier important, compensé par le fait qu’ils bénéficient
Roquefort et Ovitest pour la race Lacaune,
toujours en priorité du progrès génétique produit par le schéma, par exemple en privilégiant
CDEO12pour les races Pyrénéennes) ont
les IA avec les béliers élites (Pères à Béliers-PAB) chez les sélectionneurs.
des modes de gestion des agneaux diffé-
rents. Pour l’une des ES Lacaune, tous
les agneaux mâles nés d’accouplements
raisonnés chez les sélectionneurs appar-
tiennent à l’ES et intègrent le centre
d’élevage (ceux destinés au centre d’IA
et également les futurs béliers de monte
naturelle) qui a une capacité importante:
les agneaux qui seront génotypés atten-
dront donc la publication de leurs index
génomiques dans le centre d’élevage.
En revanche, pour l’autre ES Lacaune,
n’entre en centre d’élevage que le nombre
d’agneaux nécessaire au besoin pour le
testage. Une fois la sélection génomique
mise en œuvre, cette ES devra s’organiser
pour faire entrer plus d’agneaux en centre
d’élevage qu’actuellement de façon à
pouvoir exercer la pression de sélection
génomique requise, avec les limites d’or-
drestructurel (capacité limitée des ber-
geries). Enfin, dans l’ES des Pyrénées,
pour faire entrer l’ensemble des agneaux
sélection pyramidal actuel, bien loin du Concernant la coopération entre les à génotyper en centre d’élevage, il fau-
« star système » décrit auparavant en acteurs de terrain et les acteurs de la drait investir dans de nouvelles berge-
bovins laitiers, mime déjà parfaitement recherche et du développement, l’analyse ries : la solution envisagée est de laisser
la stratégie génomique de packs de mâles des ateliers et des entretiens a mis en les agneaux chez les éleveurs dans l’at-
d’IA assurant le maintien de la diversité avant la nécessaire adéquation entre les tente des index génomiques, mais cela
génétique et gérant au mieux la prise de moyens d’ingénierie et les outils mis à implique une gestion différente de ces
risque sur la valeur finale des animaux disposition par l’INRA et l’Institut de agneaux par les éleveurs, et des contrats
(« pas tous les œufs dans le même l’Elevage dans le cadre de l’UMT GGPR, différents avec l’ES pour compenser la
panier »). C’est donc de façon consciente avec un sentiment, de la part des acteurs charge que représente l’entretien de l’en-
que les éleveurs sélectionneurs veulent de terrain, d’un éloignement progressif semble des agneaux candidats nécessaires
préserver cette réalité, la sélection géno- de la recherche des réalités de celui-ci. durant cette période.
mique ne remettant pas en cause cette L’une des craintes identifiées a été le
organisation pyramidale, d’autant que La sélection génomique implique pour
risque d’accroissement de l’écart d’inves-
l’arrivée de la génomique pourrait im- ces dispositifs collectifs de financer le
tissement scientifique entre bovins et
pliquer le développement de nouvelles coût du génotypage d’un nombre suffi-
ovins: la recherche publique va-t-elle
tâches pour ces éleveurs sélectionneurs : sant d’agneaux permettant d’exercer une
continuer à investir dans les filières ovi-
garder les agneaux plus longtemps sur pression de sélection génomique en rap-
nes ? Va-t-elle continuer à investir dans
leur exploitation dans l’attente des résul- port avec le gain génétique recherché.
les filières qui n’auront pas développé la
tats des génotypages, ou réaliser de nou- Or, contrairement au cas des bovins
sélection génomique ?
velles mesures de phénotypes pour de laitiers, les économies financières possi-
nouveaux caractères à sélectionner. Les bles en retour sont moindres. Du fait de
3.2 / Organiser la production
acteurs rencontrés ont ainsi mis en avant la distribution en semence fraiche, les
la nécessité de bien mesurer ces nouveaux d’index génomiques entreprises ont l’obligation de disposer
investissements individuels à réaliser d’un cheptel de béliers en centre d’insé-
de la part des éleveurs sélectionneurs, et Le deuxième axe thématique a été mination animale suffisant pour la dif-
d’assurer une contrepartie suffisante pour l’organisation amont de la production fusion, et ce d’autant plus que la période
maintenir leur engagement dans les d’index génomiques et la gestion de de reproduction est très saisonnée. La
schémas de sélection. béliers avec ou sans index génomiques, réduction du nombre de mâles dans les
12Centre Départemental de l’Elevage Ovin.
INRAProductions Animales, 2014, numéro 4
312 / J. LABATUT et al
Figure 2. Différentes catégories possibles de béliers avec index génomiques (issu de l’utilisation de l’insémination artifi-
de Rousseau 2012). cielle au niveau du bassin. En revanche,
il est fréquemment ressorti des ateliers
et des entretiens le risque que ces béliers
avec index génomique puissent fortement
intéresser les acheteurs hors bassin ou
étrangers. Deux stratégies ont alors été
envisagées et discutées : soit ne pas com-
muniquer l’index génomique, aussi bien
au niveau national qu’international, mais
cela bloque toute possibilité de retour sur
investissement de la génomique (impos-
sibilité de vendre plus cher des béliers
de MN avec de bons index génomiques) ;
soit communiquer l’index génomique
pour vendre les béliers à un prix plus
élevé, et assurer ainsi une plus-value pour
le dispositif collectif. Mais cette deuxième
stratégie comporte des risques concernant
la gestion des exportations à l’étranger.
centres d’IA sera donc moins importante, également au cœur de l’équilibre écono- Si l’index génomique est communiqué
mais constitue tout de même un élément mique du schéma génomique. au niveau national, il est impossible de
clé de l’équilibre technico-économique ne pas le fournir au niveau international,
de la sélection génomique en ovin laitier. 3.3/Gérer la diffusion des index des éleveurs ou d’autres intervenants pou-
Le contrôle de performances ne pourra génomiques vant par exemple développer un marché
également pas être réduit, puisque c’est parallèle de vente de béliers avec index
déjà le cas avec l’organisation pyrami- génomique à l’étranger. De plus, la maî-
Une fois les index génomiques obtenus,
dale. Les cycles biologiques des ovins trise du marché de l’export et l’avance du
comment gérer ces résultats et leur dif-
étant plus courts, la réduction de l’inter- schéma de sélection Lacaune seraient
fusion ? C’est le troisième axe thématique
valle de génération avec la sélection géno- peut-être plus difficiles à conserver si les
abordé dans le projet COSEGOV, autour
mique est négligeable à l’inverse des importateurs pouvaient avoir une meil-
duquel les débats lors des ateliers et
bovins, et la précision des index géno- leure connaissance des valeurs génétiques
les entretiens ont soulevé d’importantes
miques chez les ovins laitiers sera éga- des béliers de MN achetés, à condition
questions. Il est bon de rappeler ici que
lement moindre que chez les bovins lai- d’en faire un bon usage. D’une part il se
la monte naturelle en ovins laitiers est
tiers. L’ensemble de ces aspects entraî- pourrait qu’ils réclament de meilleurs
importante, même lorsque l’IA est déve-
nera une augmentation du gain génétique béliers, d’autre part ils pourraient peut-
loppée, car il n’y a qu’une IA (IA sur lots
moins importante qu’en bovins laitiers. être développer plus facilement leur
de brebis synchronisées), les retours étant
De plus, la puce ovine est plus chère propre schéma grâce à cette meilleure
assurés par des béliers de monte naturelle :
que la puce bovine, alors que la valeur connaissance de la valeur des béliers.
il y a donc toujours des béliers de monte
financière d’un bélier est moindre que
naturelle (de l’ordre de 4 à 8 par troupeau)
celle d’un taureau. Le prix du génoty- Dans les Pyrénées-Atlantiques, les
dans les élevages. Le recours à l’IA ne
page d’un bélier est donc plus élevé, et risques de développement de la monte
concernant que 44% des brebis laitiè-
les béliers sont plus nombreux dans les naturelle au détriment de l’IA avec une
res en France (à comparer à 94% des
entreprises de sélection. Tous ces para- meilleure connaissance de la valeur
vaches laitières et 4% des ovins vian-
mètres font que la supériorité technique génétique des béliers de MN sont plus
de)13, il y a donc un marché de reproduc-
et économique de la sélection génomique importants. En effet, contrairement au
teurs de monte naturelle en ovins laitiers.
sur la sélection classique, très forte en Rayon de Roquefort où les éleveurs
Une partie des agneaux avec un bon index
bovin, est comparativement plus faible perçoivent l’IA comme un outil de
en ovins. La mise en place de la sélection sur ascendance classique (nés d’accou- gestion de l’élevage aux multiples inté-
génomique pour les ovins laitiers impli- plements raisonnés), qui aurait donc rêts (facilité de travail, synchronisation
que donc de calibrer un schéma de sélec- été valorisée dans le schéma classique, des lots…) et où l’IA est un outil de
tion génomique au plus juste en optimi- aura après génotypage des index géno- maîtrise de l’étalement de la production
sant un compromis entre gain génétique miques moyens à faibles. Pour préserver imposé par la filière, dans les Pyrénées-
et réduction du nombre de béliers en la confiance des éleveurs envers les Atlantiques l’IA est encore perçue surtout
centre d’IA (par suppression de la période schémas de sélection, ces agneaux ne comme un outil génétique. La concur-
d’attente avant connaissance de la valeur pourront être vendus et devront être éli- rence entre IA et béliers de MN avec
génétique sur descendance et optimisa- minés, ou alors vendus à un prix inférieur, index génomique pourrait donc être plus
tion de la gestion des béliers) pour com- ce qui là encore ajoutera un coût certain forte.
penser les coûts liés au génotypage. Bien au schéma. Dans le cas où les agneaux
sûr, une réduction significative (espérée) restent la propriété des sélectionneurs, Il est donc important de réfléchir à la
des coûts de génotypage permettrait comment gérer la diffusion de l’infor- forme et aux conditions sous lesquelles
d’augmenter la pression de sélection et mation « index génomique » ? Celle-ci les index génomiques, particulièrement
donc le gain génétique de +15 à 30% doit-elle être diffusée ? Les sélectionneurs ceux des béliers de MN, seront diffusés.
par rapport au schéma actuel, tout en risquent-ils de décider d’utiliser leurs L’index génomique en tant que tel sera-
conservant un bon compromis technico- « bons béliers » au détriment de l'insémi- t-il diffusé quelle que soit sa valeur ?
économique. La question de l’optimi- nation artificielle ? Les acteurs rencontrés S’agira-t-il d’un système de classement
sation de la capacité des béliers d’IA à dans le Rayon de Roquefort ont indiqué avec des fourchettes de valeur ? Ou bien
produire de la semence de qualité est qu’ils étaient confiants sur le maintien uniquement de la garantie que lorsqu’un
13Données FGE 2013.
INRAProductions Animales, 2014, numéro 4