Amour sauce piquante

164 Pages·2011·0.46 MB·French

by  Leigh Roberta

Amour sauce piquante
Roberta Leigh
HARLEQUIN S.A.
80, avenue Victor-Hugo - Paris XVIe
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :
CUPBOARD LOVE
© 1976, Roberta Leigh.
© 1978, Harlequin S.A. Traduction française
ISBN 2-86259-036-3
1
– Ton père et moi préférerions que tu viennes avec nous au
Koweït, répéta Mme Jones à sa fille Marilyn. La plupart des
filles sauteraient sur l'occasion.
– Pour les vacances, peut-être, répondit Marilyn, mais pas pour
deux ans.
– Tu n'es pas obligée de rester si tu ne t'y plais pas.
– Non, maman.
Marilyn chassa de son front une longue mèche de cheveux noirs.
– Le petit oiseau veut quitter le nid, et l'offre de Barbara est
exactement ce que je cherche.
– Mais elle est si terre à terre et...
– Si elle ne l'était pas, tu aurais trouvé cela comme excuse, dit
Marilyn avec impatience. Il vaut mieux que je vive avec une
fille qui a les pieds sur terre, plutôt qu'avec une jeune innocente,
tant qu'à faire !
– Si l'on veut, admit Mme Jones d'un air de doute, tu as peut-être
raison.
Marilyn comprit à cette réponse que sa mère se résignait enfin.
Elle aurait pris le mors aux dents depuis longtemps si elle n'avait
pas été retenue par son bon cœur, mais il était difficile de se
rebeller contre des parents qui faisaient tout ce qu'ils pouvaient
pour répondre à ses désirs – sauf celui de liberté. Maintenant
enfin, elle allait être satisfaite, même sur ce point, et seule
l'inquiétude de sa mère la retenait de laisser éclater sa joie.
– Ton père déposera de l'argent sur ton compte en banque,
continua Mme Jones. Et si ton travail avec Barbara ne te plaît
pas, tu pourras prendre l'avion et nous rejoindre.
– Je suis sûre que ça va me plaire de travailler avec elle. C'est
une grande chance pour moi, maman.
Mme Jones soupira.
– Lorsque nous avons accepté que tu suives les cours de Mme
Elise, nous ne pensions pas que tu deviendrais une cuisinière
professionnelle. Nous voyions cela comme un avantage pour toi
quand tu te marierais.
– Oh, mais ce sera un grand avantage pour moi, lui assura
Marilyn, et même maintenant que je suis célibataire.
Pour prévenir tout autre commentaire, Marilyn embrassa sa
mère, comptant en silence les jours qui la séparaient de son
déménagement pour s'installer chez son amie. Barbara, elle,
n'avait pas eu à se préoccuper de ses parents : orpheline élevée
par un cousin revêche, elle avait mené sa carrière seule.
– Mon cousin m'a envoyé chez Madame Elise, lui avait dit un
jour Barbara, car elle voulait me prendre à son service comme
gouvernante. Lorsque Madame m'a demandé d'être son
assistante, j'étais au septième ciel !
Barbara enseignait à l'école quand Marilyn y était entrée, et,
sans avoir le talent culinaire de Barbara, elle se situait vraiment
au-dessus de la moyenne. Les deux jeunes filles étaient restées
amies après que Marilyn eût obtenu son diplôme, puis Barbara
avait également quitté l'école pour s'installer à son compte. Six
mois plus tard, elle demandait à Marilyn de se joindre à elle.
– J'ai deux employées, et nous préparons les repas des directeurs
de trois sociétés dans le quartier des affaires de Londres. J'ai
besoin de quelqu'un pour m'aider ; qu'en dis-tu ?
Sans hésiter, Marilyn avait accepté, sans savoir que ses parents
partiraient à l'étranger pour deux ans, et que Barbara, sachant
cela, lui proposerait de partager son appartement.
– Devras-tu porter un uniforme ?
La question de Mme Jones ramena Marilyn à la réalité présente.
– Simplement un tablier et une coiffe, pour éviter que mes
cheveux ne tombent dans les plats.
– Ça va être un travail très dur.
– Je finirai tous les jours à trois heures, dit Marilyn d'un ton
ferme. De toutes façons, je me porte comme un charme !
Elle se redressa fièrement devant sa mère. De petite taille, elle
était délicatement bâtie et avait quelque chose d'insaisissable qui
contrastait violemment avec son teint mat, ses cheveux d'un noir
de jais – épais et soyeux, soigneusement attachés – et ses grands
yeux d'un bleu profond. Ses yeux étaient ce qui frappait le plus
dans son visage, de grands yeux en amande qui lui donnaient un
air provocant, malgré son caractère décidé et franc.
– Tu n'as pas à t'inquiéter pour mon travail, continua-t-elle.
Avec l'enseignement de Mme Elise, je suis parfaitement capable
de préparer des repas pour des directeurs.
Elle posa la main sur sa hanche.
– La Parfaite Cuisinière à votre service ! Tu pourrais en profiter
pour me laisser préparer le dîner ce soir.
Mme Jones sourit.
– Je dois reconnaître que j'ai beaucoup de chance avec une fille
comme toi – même si je n'accepte pas ta proposition. Ton père et
moi voulons t'emmener au restaurant... pour notre départ, ajouta-
t-elle en soupirant.
– Tu vas te plaire, une fois installée là-bas, dit Marilyn. Parties
de bridge l'après-midi et bavardages de vieilles commères !
– Aie un peu de respect pour mes cheveux gris, réprimanda
Mme Jones.
– Je ne peux pas respecter ce que tu n'as pas.
– Prends garde que ta conduite ne m'en donne pas !
– Avec Barbara comme ange gardien, je suis sûre de ne pas
m'écarter du droit chemin, répondit solennellement Marilyn. Elle
est encore plus autoritaire que toi !
– Tu es ici chez toi, dit Barbara Gould en montrant la pièce à
Marilyn.
Celle-ci eut un petit rire étouffé.
– Qu'as-tu ? demanda Barbara.
– Rien, je suis simplement contente d'être enfin traitée comme
une adulte.
– Pourquoi ne le serais-tu pas ? Tu as plus de vingt et un ans –
bien que je doive reconnaître que tu ne les paraisses pas, tu es si
frêle.
Elle indiqua un placard à Marilyn.
– Si tu n'as pas assez de place pour tes vêtements, il y en a un
autre dans l'entrée.
– Ce sera suffisant.
Marilyn se pencha et ouvrit une de ses valises.
– Je suis ordonnée, tu sais, je ne prendrai pas tant de place.
– Tu es ordonnée et capable, acquiesça Barbara, et tu as la
chance de ne pas en avoir l'air.
– La chance ? demanda Marilyn.
– Bien sûr. Les hommes n'aiment pas les petites amies
accomplies ; ils n'aiment que les épouses accomplies.
– Il faut être d'abord une petite amie.
– Tâche d'être une petite amie sans aucune initiative.
Barbara ouvrit la porte.
– Rejoins-moi au salon quand tu auras fini de ranger tes affaires.
Une heure plus tard, Marilyn rejoignit son amie ; elle pensait
avec nostalgie à ses parents, à des milliers de kilomètres de là, et
à la nouvelle vie qui commençait pour elle.
– Parle-moi du travail que je vais faire, dit-elle, refoulant
l'étrange vague à l'âme qui s'emparait d'elle.
– Je t'en ai déjà parlé.
Barbara passa la main dans ses cheveux bouclés châtains. C'était
une forte fille dont les manières brusques cachaient une bonne
nature. Elle était également très compétente, et l'entreprise de
cuisine qu'elle avait mise sur pied depuis peu lui avait déjà
permis d'acheter une petite camionnette.
– Nous préparons les repas de trois sociétés : une agence
immobilière, une banque commerciale et un cabinet d'avocats.
– Je pensais que seules, les grosses sociétés avaient leur propre
restaurant ?
– Les sociétés moins importantes peuvent aussi y trouver un
avantage, expliqua Barbara, surtout si elles ont de la place
disponible pour une salle à manger et une cuisine. Si tu penses à
combien te revient un repas à l'extérieur, au temps que tu perds
pour aller au restaurant et en revenir, il est plus économique
d'avoir des gens comme nous sur place qui préparent tout. Nous
commandons ce qu'il faut et veillons à ce que tout se passe bien
dans la cuisine. Une fois par semaine, chaque société nous
donne la liste de ses invités, et nous prévoyons les menus que
nous leur soumettons.
– A qui ? Au P.D.G. ?
– Non, je n'ai jamais vu le P.D.G. d'aucune société. Un des
directeurs est chargé de s'occuper du restaurant, et c'est à lui que
nous avons affaire si nous avons un problème particulier. Mais
c'est généralement le maître d'hôtel qui s'en charge.
– Je ne croyais pas que nous aurions des maîtres d'hôtel. Cela
facilite le service.
– Mes cuisinières ne servent jamais à table, dit Barbara avec
force. Nous préparons des repas élaborés, Marilyn, et nous
avons beaucoup à faire dans la cuisine.
Le cabinet d'avocats et l'agence immobilière ont un maître
d'hôtel et une serveuse, et la banque commerciale un maître
d'hôtel également et un serveur. Mais ne t'inquiète pas de cela
pour l'instant. Pour les mois à venir, tu n'auras qu'à te
préoccuper du ravitaillement.
– J'ai l'horrible impression que c'est la tâche la plus ingrate !
– Si tu aimes traîner au lit, c'est sûr, fit Barbara avec un sourire
grimaçant. Il faut se lever à la pointe de l'aube, si l'on veut avoir
les meilleurs fruits et légumes.
– A la pointe de l'aube ?
– Je plaisante. Si tu possédais une boutique, tu devrais y être à
six heures, mais pour nous, sept heures et demie, c'est suffisant.
J'ai trouvé quelques grossistes qui ont de la belle marchandise et
je leur suis fidèle. Pour ce que nous achetons, ce n'est pas la
peine d'être là-bas à l'aube.
– Amen, dit Marilyn avec ferveur, et Barbara fit une nouvelle
grimace.
La première semaine, se lever à six heures fut une véritable
agonie, mais la jeune fille s'habitua et finit par se réveiller
automatiquement. Elle fut rapidement connue des marchands et
ne manqua pas d'aides complaisants pour lui porter ses paniers
jusqu'à la camionnette. Un simple regard de ses yeux d'aigue-
marine, et il y avait toujours quelqu'un qui se proposait pour
l'aider.
En plus du marché quotidien, Marilyn était responsable de la
distribution des marchandises dans chaque cuisine. Un matin, le
commissionnaire de la banque commerciale l'accueillit avec un
air angoissé.
– Je vous cherchais, dit-il. Votre collègue d'ici est malade.
– Qu'a-t-elle ?
– J'sais pas. On m'a juste dit de ne pas vous laisser repartir
quand vous arriveriez ce matin.
Elle sauta de la camionnette. Un jeune homme portant un tablier
rayé bleu et blanc vint vers elle.
– Je m'appelle Bert, dit-il, je suis l'assistant de M. Judd, et le
préposé aux légumes ! Miss Gould a demandé que vous
l'appeliez dès votre arrivée. Le téléphone est là-bas.
– Où est Miss Robinson ? demanda Marilyn en composant le
numéro de Barbara.
– Un des directeurs l'a conduite à l'hôpital il y a une heure. C'est
l'appendicite, je crois. Ou bien alors, elle est enceinte !
Marilyn lui jeta un regard froid et se tourna vers le téléphone
pour entendre Barbara lui dire que Mary Robinson était en train
de se faire opérer, probablement d'une péritonite.
– Il va falloir que tu restes et que tu la remplaces, ajouta
Barbara. J'aurais préféré que ça arrive ailleurs qu'à la banque.
– Pourquoi ?
Le cœur de Marilyn se mit à battre.
– Ils sont difficiles ?
– La moitié des directeurs se considèrent comme des gourmets –
j'ai bien dit « se considèrent ».
– Je m'en sortirai, répondit Marilyn d'un ton mal assuré. De
toutes façons, les menus sont établis, je n'ai qu'à les suivre.
– Ça me tranquillise de t'avoir, soupira Barbara, mais, si tu as un
problème, n'hésite pas à m'appeler.
– Je n'aurai pas besoin de t'appeler, répondit Marilyn. A ce soir.
Elle raccrocha et se tourna vers Bert, qui avait écouté avec un
vif intérêt.
– Je peux vous aider, Miss. Je connais toutes les ficelles du
métier.
– Hum, veillez donc à ce que je ne m'y emmêle pas !
Marilyn quitta sa veste.
– Je ne pense pas que Miss Robinson ait laissé son tablier ici,
n'est-ce pas ?
Il sortit du placard une blouse de nylon blanche et un bandeau.
– Le vestiaire pour dames est au bout du couloir.
Miss Robinson avait l'habitude de se changer là-bas et d'y laisser
ses affaires.
– Eh bien, je ferai de même. Marilyn prit les vêtements et sortit.
Lorsqu'elle revint, flottant dans la blouse de Mary, Bert
remarqua en souriant :
– Vous êtes petite, hein ?
– Petite mais décidée, rétorqua Marilyn. Maintenant, si vous me
faisiez visiter la cuisine, pour me montrer où sont rangés les
ustensiles.
– Miss Robinson a revu tous les menus avec Judd, le maître
d'hôtel, dit Bert.
Marilyn feuilleta le livre avant de le reposer dans le tiroir. Elle
l'emporterait ce soir pour étudier les menus chez elle. Tout en
respectant les enseignements de Mme Elise, selon le désir de
Barbara, les cuisinières étaient suffisamment créatives pour
élaborer leurs propres recettes. Or, si c'était le cas de Mary,