Table Of ContentLE NOMBRE PLASTIQUE
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LE NOMBRE PLASTIQUE
Quinze leçons sur
L'ORDONNANCE ARCHITECTONIQUE
par
DOM H. VAN DER LAAN
Traduit du manuscrit hollandais
par dom Xavier Botte
LEIDEN
J.
E. BRILL
1960
A tous les amis et étuaiants
Copyright Ig60 by E. ]. BriU, Leiden, Netherlands. qui ont rendu possible la publication
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de mon co"rs d'architecture à Bois-le-Duc
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je aédie ce livre
written permission trom the p"blisher.
en signe de reconnaissance
PRINTED IN THE NETHERLANDS
AVANT-PROPOS
Il Y a quelque quatre ans, m'arrivaient de Hollande, à
intervalles réguliers, des petits feuillets polycopiés dont je
m'efforçais en vain de démêler la terminologie inusitée. C'était
le résumé du cours d'architecture, d'un genre tout nouveau,
que le Père van der Laan donnait à Bois-le-D,tG.
Mes contacts avec le moine architecte remontaient à Plus
longue date. Celui-ci m'avait progressivement initié à une
vision des choses dont i'avais entrev'l{, l'immense portée, mais
à laquelle, de toute évidence, il avait, lui, singulièrement
accordé sa vie.
Je l'écoutais toujours avec intérêt. Quant aux notes techni
ques qu'il m'envoyait, je me contentais de les parcourir sans
y comprendre grand' chose.
Un jour, il me reprocha de rester en surface. Piqué au jeu,
je pris la décision d'affronter le problème dans toute sa rigueur.
Je m'emparai résolument de ses notes et entrepris de les élu
cider point après point.
Des circonstances privilégiées devaient me fournir l'occasion
de me livrer complètement à cette étude, ainsi que l'avantage
exceptionnel de pouvoir à tout moment confronter la théorie et
la réalité concrète. Un séjour de Plusieurs mois dans la Pénin
sule sorrentine, une cellule proPice à la réflexion et, aux alen
tours, un champ d'aPPlication très vaste, que me fallait-il de
Plus? C'est là que je vis peu â pet, se préciser à mes yeux les
arcanes du nombre plastique; c'est là que j'allais découvrir,
dans l'observation de la Pierre architecturée, la projection
• sensible d'une doctrine elle-même nourrie de la contemplation
des choses et qui, sans cette concrétisation, demeurerait toujours
abstraite, inefficace et sans portée.
VIn AVANT-PROPOS AVANT-PROPOS IX
Herculanum et PomPéi étaient to"t proches, à q,.elq"es toute leur objectivité, les lois fondamentales et intrinsèques
stations à peine sur le traiet de la circumvesuviana, et Cumes, de l'architecture. Mieux que tant d'essais condamnés à l'oubli
et Pouzzoles. Il y avait aussi Paestum et sa trilogie dorique. après une vogue éPhémère, elles semblent devoir apporter une
Et la Sicile, dont ,In geste d'amitié fervente et fraternelle me réPonse durable à bien des questions et fournir réellement la
permit d'accomPlir deux fois le PériPle: la Sicile de Ségeste, clef de possibilités nMtVelles.
de Sélinonte et d'Agrigente; celle de San Cataldo et de Saint Pour ma part, ie m'estime heureux d' avoir p~f" en trad'uisant
] ean-des-Ermites; celle de Cefalù et de la M artorana. Et Rome, ces pages, apporter l'appui d'une aide fraternelle à une œuvre
bien sûr, et Ostie l'Antique! que fe crois riche de promesses.
Dans ce dialogue avec le visible, dans cette confrontation
assidue avec le concret, les théories de dOtn van der Laan me Dom Xavier BOTTE,
sont apparues sous leur vrai Jo/ur. Abbaye de Saint-André, Bruges,
Quiconque abordera l'étude des textes qui suivent regrettera en la fête de l'Épiphanie,
peut-être de n' y trouver a'ucune illustration, aucune anecdote, le 6 janvier I96o.
aucun exemPle frappant. C'est délibérément que l'a,deur a
VO'lÛU que fût gardée à ses démonstrations toute leur austérité
première, afin qu' auctme diversion ne vienne interrompre
le fil d'une démonstration serrée, et que ne s'égare pas à mi
chemin, par des aPPlications prématurées, le vrai labeur d'une
réflexion personnelle.
S'adressant donc avant tout à ceux qlte préoccupe le pro
blème de l'art, l'exposé que voici est de nature à projeter
quelque lumière sur ce qui fait l'objet de tant de recherches
confuses.
Ayant dû nous-même assurer, pendant Plus de dix ans,
la direction d'tme revue d'art et d'architecture, nous n'ignorons
ni les besoins ni les angoisses de bien des artistes, de bien des
architectes surtout, a'l-tx prises avec les imPératifs immédiats
de leur tâche. Non qu'il s'agisse de réinventer pour eux et de
construire des systèmes tout faits, de codifier canons et for
mules, ou de forger une nouvelle esthétique. Pour ce qui nous
occupe, - et il ne sera pas superflu d' y insister - les
théories de l'ordonnance architectonique ne fournissent aucune
recette; elles ne font appel ni à l'emPloi de modules, ni aux
correctifs toujours arbitraires d'un quelconq"e traci régulate-ur.
Elles semblent pourtant constituer une réPonse authentique à
beaucoup de tâtonn~ments, car elles nous restituent, dans
INTRODUCTION
Dans la construction d'un édifice plusieurs facteurs
entrent en ligne de compte et chacun d'eux contribue
pour sa part à lui donner sa forme plénière et définitive.
Ce sont, pour ne citer que les plus importants, les exigences
pratiques des habitants, l'argent dont on dispose, la con
figuration et la nature du terrain, la qualité des matériaux,
la technique utilisée, les usages reçus dans la société, la
classe ou le rang de l'édifice. Autant de facteurs dont l'in
fluence sur la forme est réelle, mais qui n'en constituent
pourtant que la matière et l'occasion éloignée. Quant aux
éléments mêmes dont se compose l'édifice, COll1me les
murs, le toit, les portes et les fenêtres, quoiqu'ils puissent,
par leurs bonnes proportions et la justesse de leur emplace
ment, présenter en soi un aspect agréable, ils ne constituent
tout au plus qu'une dispositon dernière à l'ordonnance
architectonique proprement dite. Celle-ci, il est vrai, laisse
à tous ces facteurs leurs pleins droits et accorde à chacun
l'importance qui lui revient, mais elle les dépasse tous et
les assume dans un tout d'ordre supérieur. L'architecture
ne se révèle aux yeux émerveillés de l'honune qu'à partir
du moment où toutes les parties de l'édifice sont perçues
comme autant de données plastiques qui présentent entre
elles des rapports d'ordre spatial.
Le procédé selon lequel s'opère cet accord des étendues
spatiales reçoit à juste titre l'appellation de "nombre",
par analogie avec la quantité discrète. De même que la
quantité, exprimée par exemple par le nombre dix, ne
nous est connue que par sa relation avec l'unité - et c'est
précisément cette relation qui s'appelle "nombre" au sens
Xl! INTRODUCTION INTRODUCTION XIII
prelmer - , de lllênle une quantité continue, par exemple connaissance et de vérité? Or cette passion de connaître
l'étendue d'un édifice, ne peut être appréciée comme telle et cette recherche de vérité ne trouvent apaisement total
que pour autant qu'elle entre en relation avec un élément et parfait repos que lorsque l'homme se voit libéré de la
de l'édifice, qui représente l'unité. Par conséquent, la servitude de l'abstraction, et qu'il atteint à une intelligence
relation qui s'établit entre les volumes architectoniques ultime sous l'emprise des apparences concrètes. D'après
et leur unité spatiale répond parfaitement à la notion de Platon, c'est là l'insigne privilège du beau: éclat tombé
nombre. du paradis, jet de lumière irradiant du monde des purs
Or ces rapports abstraits, si clairelnent exprimés dans esprits sur notre condition corporelle.
l'ordonnance architectonique, se trouvent concrétisés dans Chose étonnante, l'homme qui semble se perdre dans la
le visible. Leur parfaite lisibilité nous ravit et littéralement contemplation des harmonies spatiales, s'y retrouve lui
nous captive. Elle nous force à regarder sans cesse, elle même du fait que, dans le jeu des pleins et des vides, il voit
nous lie au concret, parce qu'elle est comme déposée dans pour ainsi dire projetées sous ses yeux les relations mêmes
les volunles 11lêmes qui déterminent l'édifice dans son qui le situent dans l'espace. Car la fonction de la maison
étendue plastique. est de servir d'approche, de rencontre, de conciliation
C'est pourquoi nous parlons de "nombre" pour expriuler entre le corps, qui semble n'être quasi rien, et l'espace
la claire perception d'un rapport; mais nous disons "nombre illimité de l'univers.
plastique", parce que cette clarté perçue par l'esprit nous Ce n'est pas le moment de développer ici comment la
vient directement des mesures concrètes de l'édifice. maison adapte et réduit aux dimensions humaines l'im
mensité de l'espace, ni comment, d'autre part, elle devient
En énumérant les facteurs qui contribuent à déterminer l'auréole, le cadre, le prolongement du corps humain;
dans sa plénitude la farule d'un édifice, nous avons cité en conunent la demeure, en tant qu'espace en réduction, est
tout premier lieu les exigences pratiques de ses habitants. réalisée par ses vides, tandis que, par ses éléments massifs,
Cet aspect utilitaire intéresse l'homme de la manière la elle est une sorte de corps "à plus grande échelle". C'est,
plus directe. Mais, par dessus ce facteur premier et sur en effet, dans la relation plein et vide, clairement exprimée,
passant aussi tous les autres, c'est l'ordonnance de l'espace que devient manifeste à l'homme sa propre situation dans
arcbitectonique qui réclame la primauté. Comme il s'agit l'espace. Lorsqu'il contemple en spectateur ce "jeu spatial",
ici de relations mutuelles qui s'établissent entre les élé . il expérimente et sait qu'il est lui-même l'enjeu principal
ments de Plein et de viae, il semble que l'homme n'y soit de ce dialogue.
guère impliqué que comme un spectateur du dehors. Et
pourtant, la singulière importance de l' oraonnance se justifie Quoique le nombre plastique ne s'adresse explicitement
et s'explique du fait que, par elle seule, l'homme se voit qu'aux architectes, les mettant sur la voie pour transposer
apaisé dans ses besoins les plus élevés et les plus spécifiques, sur des données spatiales l'ordre et la clarté de l'esprit,
qui sont ceux de l'esprit. C'est là aussi que l'architecture, il est évident que ces considérations s'appliquent d'une
dont l'homme est en même temps l'auteur et le but, donnera manière analogue aux autres arts et aux métiers qui tou
sa pleine mesure. chent de près ou de loin au domaine de l'activité créatrice.
Car y a-t-il un plus grand besoin chez l'honmle que de Car, si les branches de cette activité diffèrent, tant par le
XIV INTRODUCTION
genre des matériaux que par toutes sortes d'autres facteurs,
qui limitent les divers champs d'action en imposant des
restrictions et des exigences d'ordre pratique, il reste qu'en
TABLE DES MATIÈRES
définitive il s'agit toujours d'une simple donnée physique,
d'une réalité matérielle qui doit, en tant que matière, être
PRÉLIMINAIRES
entièrement dominée et transformée par le "nombre",
principe ordonnateur de l'espace et du temps. Leçon I. Nombre et mesure dans la genèse d'un
C'est ainsi que, dans la poésie, l'art du son et la danse, édifice. . . . . . . . . . . 1
autant que dans les arts plastiques, s'exprime une même
Leçon II. Définitions de l'ordonnance et du
sagesse humaine qui prend corps dans l'espace ou dans le
nombre plastique. . . . . . 8
temps.
L'enseignement du nombre plastique trouve son applica
tion bien au delà des limites de J'architecture; elle nous STADE DE L'OBSERVATION
fait communier à tous les domaines de la création artis
Leçon III. Un instrument de travail 18
tique, précisément par ce qui constitue, pour chacun
d'eux, leur essence profonde, leur âme. Leçon IV. Types et ordres de grandeur . 27
fr. F. H. Résumé du premier stade . . 32
STADE DE LA RÉFLEXION
Leçon V. Propriétés de la grandeur architectoni-
que. 34
Leçon VI. Détermination du rapport fondamental 41
Leçon VII. Systèmes de mesures 52
Résumé du second stade 60
ST ADE DE LA CONNAISSANCE
Leçon VIII. Expression numérique du rapport fon
damental et des autres rapports d'un
système ......... . 62
Leçon IX. Jeu des marges . . . . . . 69
Leçon X. Expression numérique des rapports
dérivés . . . . . . . . . 78
Résumé du troisième stade. . 86
-
XVI TABLE DES MATIÈRES
Tà 8è O''t'epea [J.l.oc !J.È:v où8bt'o't't, BOo St ad
STADE DE L'EXERCICE
l-le:cr6'O)'te<; Ouva:pfL6noucnv.
Leçon XI. Caractéristiques des rapports 88 L'harmonie entre les étendues plastiques
n'est jamais l'effet d'un seul, mais toujours
Leçon XII. Cinq exercices ..... . 98 de deux termes moyens. PLATON, Timée, 3zb.
Résumé du quatrième stade. 108
1
STADE DE LA MISE EN ŒUVRE
Leçon XIII. Disposition architectonique 109 N omlYre et mesure dans la genèse d'un édifice
Leçon XIV. Juxtaposition et superposition Il8
I. L'architecte, nul n'en disconviendra, est un homme
Leçon XV. Réalisation du nombre plastique 129 sans cesse occupé de mesures et de nombres. Ses dessins
Résumé du cinquième stade. . 135 sont couverts de chiffres, et la règle graduée est toujours à
portée de sa main.
Il en est de même, et pll1s encore peut-être, du dessinateur
et du contremaître. Avant que le projet de l'architecte
arrive à réalisation, il s'est produit tout un enchaînement
de mesurages. Ce que l'architecte met sur papier, le des
sinateur le relève pour faire des dessins prêts à l'exécution.
A leur tour, le contremaître et les ouvriers relèvent sur ces
dessins les mesures dont ils jalonnent le terrain.
Ce processus comporte deux façons de mesurer qui se
succèdent alternativement: ce qui est relevé sur un premier
dessin est reporté sur le suivant, jusqu'à ce qu'un dernier
relevé fournisse les mesures pour l'exécution.
2. Il Y a lieu d'examiner de près en quoi consiste
exactement ce double procédé.
Relever une mesure, c'est compter combien de fois
l'unité de mesure peut être appliquée sur une grandeur
concrète. Le but est de pouvoir exprimer cette grandeur
par un nombre.
Reporter une mesure correspond à l'opération inverse.
Ce qui est fourni ici, c'est précisément le nombre, qui
exprime la grandeur concrète selon telle ou telle unité de
mesure. Le report consistera donc à multiplier cette unité
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