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PHYTOÉCOLOGIE. — La pédoanthracologie : une nouvelle méthode d'analyse phyto-
chronologique depuis le néolithique. Note (*) de Michel Thinon, transmise par
M. Roger Buvat.
L’auteur présente une nouvelle méthode d’étude des modifications de la végétation naturelle
essentiellement sous l’action humaine. La pédoanthracologie est basée sur la détermination des
fragments de charbon de bois rencontrés dans la plupart des sols de la région méditerranéenne. Cette
méthode, semble applicable partout où l’homme a utilisé le feu dans l’exploitation des ressources
du milieu.
The author presents a new method in studying vegetation evolution based on the determination of
charcoal specimens found in the soils of most mediterranean region. This method, pedoanthracology,
has numerous applications wherever man has used Jire.
Dès la révolution pastorale et agricole du néolithique, la végétation forestière eut à souffrir
des nouvelles pratiques humaines. Rompant avec l’ordre naturel et quittant son rang de
prédateur, l’Homme s'orienta vers un nouveau mode de vie, basé sur l’exploitation souvent
irraisonnée du milieu, conduisant même certaines des régions les plus sensibles de la planète
à la désertification. Dans cette œuvre de défrichage et d’entretien des espaces parcourus
par ses troupeaux, le feu devint et demeure encore un outil universel (3). La région médi
terranéenne illustre parfaitement, en raison de son type de climat et par la physionomie
de sa végétation actuelle, les incessantes attaques de l’Homme contre le milieu forestier.
Au cours d’une étude pédologique du versant sud du Mont-Ventoux (Vaucluse), reboisé
au siècle dernier, nous avons rencontré dans tous nos profils et jusqu’à parfois plus de 1 m
de profondeur, d’assez nombreux fragments de charbons de bois. Cette présence avait
déjà été utilisée dans le cas du sol sableux de la parcelle 20 de la forêt de Fontainebleau (2).
Des prélèvements exploratoires effectués en d’autres points de la Provence, tant calcaire
que cristalline, et en Corse nous ont montré qu’il s’agissait d’un phénomène très courant
en région méditerranéenne. Lors du prélèvement, les charbons inclus dans les agrégats
du sol (le pouvoir adsorbant du charbon à l’égard des colloïdes et des argiles provoque
la formation de telles structures) n’apparaissent généralement pas. Ce n’est qu’après une
destruction ménagée de ces agrégats par tamisage sous l’eau que l’on obtient des fragments
anguleux de dimensions généralement inférieures à 3-4 mm (la fraction granulométrique
limons grossiers en contient encore beaucoup) permettant leur détermination botanique.
Il nous paraît très important de signaler, après vérification, que les méthodes analytiques
utilisées en pédologie pour le dosage du carbone organique intègrent au moins la fraction
fine du charbon de bois. Sa proportion non négligeable dans de très nombreux sols fausse
ainsi les résultats et conduit à des interprétations erronées (C/N en particulier). Dans nos
prélèvements, le poids des éléments identifiables varie de 20 à 50 mg/kg de terre fine séchée.
On rencontre ainsi, piégés dans les sols et selon une stratification qui apparaît chronologique,
les témoins de la végétation ligneuse incendiée. Ces charbons montrent, par leurs caractères
morphologiques, qu’ils n’ont pas ou peu subi de transport, critère fondamental car la présence
effective d’un taxon et la caractérisation phytoécologique des conditions stationnelles
pouvant en découler, ne sont subordonnées qu’à la précision de la diagnose de l’analyste.
L’étude des charbons de bois (anthracologie) avait été jusqu’à présent essentiellement
réalisée sur du matériel provenant des couches de remplissage des sites préhistoriques (8),
le choix de l’Homme quant à son combustible restant déterminant.
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Nous proposons pour cette nouvelle méthode d’analyse paléoécologique le vocable
pédoanthracologie.
Premiers résultats. — Nous avons confié la détermination de nos charbons à un
spécialiste du matériel préhistorique, J. L. Vernet que nous remercions vivement. Les
résultats paraissent prometteurs; 19 profils complets s’étageant entre 450 et 1 150 m d’alti
tude ont été analysés sur le versant sud du Mont-Ventoux. Nous présentons ici 3 des plus
significatifs, ainsi qu’un 4e en provenance de la Sainte-Baume, région plus littorale. Le
nombre de fragments étudiés est assez variable (de 10 à 50 par niveau) et afin de faciliter
les comparaisons, les résultats sont exprimés en pourcentages. Les 4 sols, situés sur calcaire,
sont de type rendzine.
L’interprétation paléoécologique des modifications de la composition floristique des
divers niveaux montre une évolution du milieu, paraissant liée à une pression pastorale
excessive.
Pour le Ventoux, les niveaux les plus profonds révèlent partout la présence d’une chênaie
de Chênes à feuillage caduc dominants, avec Érables, Sorbiers, parfois If, Pin sylvestre
et Genévriers. Les couches intermédiaires voient une diminution des Chênes, une augmen
tation importante des Genévriers et l’apparition locale du Buis (délaissés par le bétail).
Les niveaux de surface, plus pauvres ne présentent que de très petits fragments indéter
minables. Ceci est sans doute lié à l’apparition de pelouses ou de fruticées basses dont les
constituants se consument complètement lors du passage de l’incendie pastoral. Un document
datant du siècle dernier (4) désigne d’ailleurs la partie du massif où a été réalisée la majeure
partie des profils comme la « zone du Thym et des Lavandes ».
Le niveau supérieur de la Sainte-Baume, où les Genévriers sont encore fortement
représentés, rend bien compte de la végétation cartographiée (5) avant le dernier incendie.
La datation 14C (par comptage) des charbons du sol I donne les résultats suivants :
25-35 cm : 710B.P. ± 500; 45-55 cm : 1 540 B.P. ± 470; 95-105 cm : 1 830 B.P. ± 440.
Les erreurs statistiques importantes sont dues à la faible quantité de matériel disponible.
La forte proportion de petits fragments (0,5 mm) souvent vitrifiés par le feu a pu rajeunir
les échantillons par un phénomène de migration verticale. La nouvelle méthode de datation
par spectrographie de masse s’avère mieux adaptée en permettant de n’utiliser que les charbons
dûment identifiés.
Ces observations appellent diverses remarques : la première concerne le Chêne vert,
actuellement bien représenté sur les versants méridionaux du Ventoux et de la Sainte-Baume
et qui ne figure jamais dans les diagnoses. La seconde porte sur la présence actuelle du Hêtre
au niveau de certains sols alors que cette essence n’apparaît pas non plus dans les charbons ;
elle a été rencontrée seulement deux fois et en surface, donc dans un niveau récent.
L’étagement actuel des groupements sylvatiques du Mont-Ventoux (1) ne correspond
pas aux indications fournies par les documents pédoanthracologiques et nous pensons
que l’action humaine en est la cause principale. Une étude de la dynamique de la végétation
actuelle (7) montre que l’on assiste, à la faveur des reboisements et de la soumission au
régime forestier, à une modification assez importante de cet étagement. Déjà, l’analyse
des charbons préhistoriques et la palynologie [(6), (8)] avaient montré le recul de la chênaie
de Chênes à feuillage caduc devant le Chêne vert et le Hêtre, depuis le milieu de l’atlantique
avec accentuation dans le sub-boréal. Malgré l’intervention de changements climatiques,
l’action humaine a dû jouer un rôle prépondérant dans ce recul.
Applications et perspectives offertes par la pédoanthracologie. — Cette méthode
nous paraît applicable dans toutes les régions occupées par l’Homme pasteur ou agriculteur.
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Sols a
1978, Pro-'\ i II III IV d. Sc
2e Junip2A.uA sp. 75 %, Qu.2A.cuA sp. f.c. . P
Semestre. (T 10 cm Tidrèesn tpifeitaibtsl efsr.agments non nTornè s idpeentittisf iafbralgems.ents nTornè s idpeentittisf iafrbalgems.ents S5ttee orAr%mmb,u iiAnnP éaine4bu slA e% s5, kP3a% s.tl2%u.pm, 2l.ôAn AnAigApi oin4sop Ae%ra,m R4e so %sia,n cdéIneé dcéf. aris, t. 28
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287 (1
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° 13) 30 cm - Aplaeegimieu tac3a0nd uuZmc, A81 5c eZAZ, , gQRur..oe Ascaca.cuméi ep sepiint.A deéf-etmeuroimrln-i - QB50uu xeZuAic uiie msppe. AvfX.cA.e m5 0 % Q1u0.02A .C%U.A sp. f.c. AInndgéiotesrpmerimneasb leinsd é1t0e r%m.inées 60 %, ovemb
née 5 Z, Indéterminables 2 %. r
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C 19
40 cm 78
)
QueAcui sp. f.c. 50 %, Taxai bac- QueAcui sp. f.c. 85 % Quqacua sp. f.c. 100 %.
QueAcui sp. f.c. 50 %
50 cm■ acuta 30 %, JunipeAui sp. 10 Z, PXnui [iylveitAXi ?)
AActoitaphyloi uva-
AacXo itaphyloi uva-uAiX LO %. 15 Z.
uAiX 50 %.
SITUATION DES SOLS
I : Alt.820m, Exp.W, P ente 10%, Végétation actuelle : Taillis
de QueAcui Xlex avec Buxui iempeAvXAem.
70 cm ■ QueAcui sp. f.c. 80 %, AceA gr.
II : Voisin du précédé nt, Exp.S, Pente 7%, Végétation : Tail-
campeitAe-mompeiiuZanum 15 %,
lis de QueAcui pubeicem, QueAcui XZex avec Buxui iempeAvXAem.
AActoiXapkytoi uva-uAiX (?) 5 %.
80 cm III : Alt.1120m, Pente 0 %, Végétation : Peuplement mixte
S QueAcui pubeicem, AceA opaZui, Vaqui iulvatXca. S
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rie D 100 cm- 5Q1 0u %eZA, ,c IunAi dAsécptXe.r omift.iacnpé.h sy 8l50o i %Zu,. vJau-unAipiXeA u(?i )sp. Quqacua sp. f.C. 100 % mItVieo dnX: aV,: eRGrosaiamrnraitgA uXsuend u ài doeQ iu^leXaA ccXSutin ea-XBiJXaLuie,mx , eJ uPnX: inpAueilA t.hu5ia3 l0eompxy,e cmPedXeAni,tu ei .P0h%Xl, tyVAéegaé ta rie D
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Le choix de l’emplacement et le nombre de profils à réaliser afin d’obtenir des résultats
statistiquement significatifs restent fondamentaux. Quoique certainement très rare en
milieu forestier mésophile, l’éventualité d’incendies naturels n’est toutefois pas à exclure.
Certaines précisions, d’ordre local, pourront assez rapidement être fournies : détermination
de la végétation naturelle, datation de son recul devant la pression humaine, appréciation
de la limite altitudinale potentielle des groupements arborescents.
Les sols de la zone des savanes soumises aux feux de brousse pourraient apporter des
indications sur la végétation passée. Il en est de même pour les régions désertiques ou pré-
désertiques situées dans des zones biogéographiques charnières, là du moins où des sols
ont pu être conservés.
Pour le pédologue, la présence de charbons à une profondeur importante peut apporter
des éléments nouveaux concernant la vitesse de la pédogénèse et ses modalités sous un
type de végétation connu.
En liaison éventuelle avec les autres techniques paléoécologiques, la pédoanthracologie
permettra de réaliser de véritables cartes chronologiques de la végétation, documents
synthétiques de première valeur en paléobiogéographie, et de fournir de plus grandes
précisions quant au déterminisme climatique ou anthropique de l’évolution de la végétation
au cours des derniers millénaires.
Enfin, les mécanismes de la dynamique végétale pourront être mieux perçus et pris en
compte dans l’interprétation de la végétation actuelle.
(*) Séance du 9 octobre 1978.
(‘) M. Barbero, P. du Merle et P. Quezel, Les peuplements sylvatiques naturels du Mont-Ventoux
(Vaucluse). Documents phytosociologiques, Lille, 1976, p. 15-18 et 1-14.
(2) C. Jacquiot, A. M. Robin et M. Bedeneau, Bull. Soc. Bot. Fr., 120, p. 231-234.
(3) G. Kuhnholtz-Lordat, Mémoire du Mus. Nat. d'Hist. Nat., série B, Botanique, IX, 1958, 307 p.
(4) Ch. Martins, Ann. Sc. Nat., 2e série, 10, 1838, p. 129-150 et 222-248.
(5) R. Molinier, C.R. Sc. Soc. Biogeogr., p. 182-183-184 : 1-4. Cartes en couleurs au 1/50 000, C.N.R.S.,
1944.
(6) A. Pons et J. L. Vernet, Bull. Soc. Bot. Fr., 118, p. 841-850.
(7) M. Thinon, La Terre et la Vie, supplément 1, 1978, p. 67-109.
(8) J. L. Vernet, Étude sur l’histoire de la végétation du sud-est de la France au Quaternaire, d’après
les charbons de bois principalement. Thèse et Paléobiologie continentale, 4, n° 1, 1972, Montpellier, 90 p.
Laboratoire de Botanique et Ecologie méditerranéenne,
Université d'Aix-Marseille-lll, Centre Saint-Jérôme, 13397 Marseille Cedex 4.