Table Of ContentUNIVERSITÉ DU MAINE, LE MANS.
FACULTÉ DES LETTRES, LANGUES ET SCIENCES
HUMAINES
DOCTORAT
Linguistique
Estèle DUPUY-PARANT
LA CONTINUITÉ RÉFÉRENTIELLE EN MOYEN FRANÇAIS :
RÈGLES SYNTACTICO-SÉMANTIQUES
Thèse dirigée par
Christiane MARCHELLO-NIZIA
Professeur des Universités,
École normale supérieure Lettres et Sciences humaines.
Directrice de l’Institut de linguistique française
(CNRS, Paris).
Soutenue le 15 septembre 2006
Jury :
M. Bernard COMBETTES, Professeur à l’Université de Nancy 2, rapporteur, Président du jury.
M. Joël BLANCHARD, Professeur à l’Université du Mans, co-directeur de thèse.
M. Walter De MULDER, Professeur à l’Université d’Anvers, Belgique.
M. Edoardo LOMBARDI VALLAURI, Professeur à l’Université de Rome 3, Italie.
Mme Christiane MARCHELLO-NIZIA, Professeur à l’École normale supérieure-LSH, directrice de thèse.
Mme Catherine SCHNEDECKER, Professeur à l’Université de Strasbourg 2, rapporteur.
À Joël, Camille et Constance
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à Christiane Marchello-Nizia qui a dirigé
ma thèse. J’exprime aussi ma profonde reconnaissance à Joël Blanchard qui l’a co-
dirigée. Je les remercie de m’avoir accompagnée, guidée, encouragée et donné
confiance en moi sur le plan scientifique mais aussi personnel, de m’avoir fait
progresser et de n’avoir jamais douté de moi.
Je remercie Bernard Combettes, Walter De Mulder, Edoardo Lombardi Vallauri et
Catherine Schnedecker qui m’ont fait l’honneur de participer à mon Jury de thèse,
sans oublier Christiane Marchello-Nizia et Joël Blanchard.
Je souhaite également remercier mes collègues de l’Université du Mans : Daniel
Luzzati (mon tuteur durant le monitorat) pour ses conseils et sa bienveillance ;
Corinne Féron qui m’a accompagnée à mes débuts dans la recherche et
l’enseignement et qui, avec Nathalie Prince, m’a aidée par ses conseils ainsi que dans
la relecture de certaines parties de ce travail ; je n’oublie pas Richard Tholoniat,
Patrick Besnier et Jean Vignes qui m’ont permis de commencer à enseigner. Mes
remerciements vont également à mes collègues de l’Université de Poitiers qui ont
tout mis en œuvre pour que je termine ma thèse dans de bonnes conditions : Cinzia
Pignatelli qui m’a accueillie, Claudio Galderisi pour la confiance qu’il a su me
témoigner, et pour leur soutien, Brigitte Buffard-Moret, Philippe Caron, Pierre-Marie
Joris, Liliane Jagueneau et Sybille Lajus dont l’aide m’a permis de finir sereinement
la rédaction, ainsi que tous les membres du département de Philologie romane et
linguistique française. Je témoigne également ma reconnaissance à Jean-Louis
Duchet, Doyen de la Faculté des Lettres et des Langues, pour son aide, sa
disponibilité et la confiance qu’il m’accorde.
Je tiens à remercier l’Institut de Linguistique Française pour m’avoir accueillie ainsi
que les membres du GDR 2349-CNRS « Diachronie du français et évolution des
langues » notamment Sophie Prévost pour ses conseils, son soutien et sa gentillesse.
Je remercie également les divers Comités scientifiques qui m’ont permis de présenter
une partie de mes recherches à l’occasion de colloques ou d’articles.
Merci à ma famille et à mes amis de m’avoir toujours soutenue et encouragée.
SOMMAIRE
Chapitre 1 – Introduction 9
Chapitre 2 – Cadre théorique : corpus, notions et concepts 21
Chapitre 3 – Anaphores et expressions anaphoriques 63
Chapitre 4 – Le récit : La règle de concurrence référentielle 111
Chapitre 5 – Le récit : Trois règles valentico-référentielles 305
Chapitre 6 – Le récit : Règle syntactico-valentielle : 511
propositions régies vs non régies
Chapitre 7 – Le discours direct : Spécificités de la 561
continuité référentielle
Chapitre 8 – Le discours indirect : Spécificités de la 617
continuité référentielle
Chapitre 9 – Bilan et perspectives 657
Bibliographie 673
Index nominum 689
Index rerum 691
Table des matières 705
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
1. Thème de la recherche
1.1. Préambule1
Le domaine de recherche de notre thèse est l’anaphore et la continuité référentielle.
La question qui préside à cette étude porte sur le tissage informationnel du texte.
Quand nous lisons ou écoutons, nous ne prêtons aucune attention à la présence et à la
nature de ce qui nous permet de suivre le fil d’un texte, et pourtant ce processus est
possible. Quels sont les mécanismes qui permettent de maintenir cette continuité
informationnelle ? Ce n’est pas parce que nous ne les percevons pas que ces
mécanismes n’existent pas. Il est donc légitime de présupposer que des
fonctionnements spécifiques permettent de savoir, de préférence de manière
univoque, de quoi l’on parle à n’importe quel moment du déroulement textuel et
engendrent ainsi un phénomène de continuité textuelle.
1.2. Sujet
Pour répondre à cette question de la continuité et de la transmission du sens, il nous a
paru incontournable de travailler sur l’anaphore, puisque c’est l’un des processus
fondamentaux qui permettent de véhiculer l’information au fil du texte.
L’interrogation qui s’ensuit est celle de l’existence ou non de mécanismes
anaphoriques réguliers et donc repérables qui permettraient de maintenir cette
continuité référentielle. Les connaissances relatives aux chaînages anaphoriques
restent très minces encore aujourd’hui, et elles concernent surtout les langues
modernes. Elles intéressent soit l’observation des différentes expressions
anaphoriques et l’établissement d’une terminologie qui signale le maintien ou le
changement de l’expression anaphorique par rapport à l’expression anaphorique
utilisée précédemment ; soit l’étude de la relation entre le référent (au sens d’ ‘‘objet
fictif ou réel visé par le sémantisme de l’expression anaphorique’’) et l’expression
anaphorique, notamment lorsque cette relation anaphorique est particulière2 ; soit, les
relations entre anaphore et deixis3. Les seuls travaux qui commencent à envisager
l’anaphore en tant que phénomène ‘‘non isolé’’ aboutissant à la prise en compte de la
chaîne anaphorique en tant que chaîne à part entière sont ceux qui portent sur les
1 Nous citons ici les quelques abréviations qui jalonneront ce travail : AF (pour ‘Ancien français’),
DD (pour ‘discours direct’), DI (pour ‘discours indirect’), DIL (pour ‘discours indirect libre’), DR
(pour ‘discours rapporté’), FM (pour ‘Français moderne’), GN (pour ‘groupe nominal’), MF (pour
‘Moyen français’), ms. (pour ‘manuscrit’), pers. 6 (pour ‘personne verbale 6’), QJM (pour ‘Quinze
joies de mariage’), SN (pour ‘syntagme nominal’), SV (pour ‘syntagme verbal’), vs (pour ‘versus’).
2 Nous pensons entre autres aux anaphores associatives, indirectes ou aux référents évolutifs d’après
les travaux de G. Kleiber, M. Charolles, F. Corblin, W. De Mulder, J.-Cl. Milner, C. Schnedecker,
A. Reboul, B. Combettes.
3 De B. Wiederspiel (1989) à G. Kleiber (1991).
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Chapitre 1
chaînes référentielles4 délimitées par le nom propre. Cependant, si les chaînes
référentielles s’arrêtent à l’apparition d’un nouveau nom propre, elles ne rendent pas
compte de la chaîne anaphorique dans son ensemble, qui, elle, jalonne le texte en y
véhiculant des informations référentielles qui permettent une continuité référentielle
d’ensemble, de plus grande envergure.
C’est pour cette raison que nous avons abordé le thème de l’anaphore non pas en tant
que procédé ponctuel (étude d’un type d’anaphore, comme l’anaphore associative,
par exemple) mais dans l’optique d’un chaînage anaphorique. La question qui s’est
alors posée est celle de l’alternance des expressions anaphoriques au sein de la
chaîne anaphorique. Partant du postulat selon lequel la continuité référentielle est
assurée puisque aucune ambiguïté référentielle n’est perceptible (à de très rares
exceptions près qui sont par ailleurs peu gênantes pour la compréhension globale),
l’alternance de ces expressions anaphoriques est sans doute en lien avec la continuité
référentielle. Découvrir les mécanismes de relais entre les différentes expressions
anaphoriques est donc probablement la clef de la continuité référentielle.
1.3. Objectif et résultats attendus
Notre recherche s’appuie donc sur l’hypothèse d’un mécanisme – ou de
mécanismes – de la continuité référentielle dans la prose française du XIVème à la fin
du XVème siècle5 selon des règles linguistiques excluant une totale subjectivité du
choix de l’expression anaphorique. Cette recherche se veut pluridisciplinaire au sens
où elle ne se cantonne pas à l’expression anaphorique, mais où elle met en jeu
d’autres contraintes telles que la sémantique verbale, la syntaxe ou l’impact du
milieu discursif6 sur le choix de l’expression anaphorique et précise un peu plus les
rapports entre langue et cognition.
Notre objectif a été de dégager des régularités de fonctionnement dans les chaînes
anaphoriques concernant le choix des expressions anaphoriques en explicitant leur
relais tant en récit qu’en discours direct (désormais DD) ou en discours indirect
(désormais DI). Au delà de ces régularités, nous avons tenté de déterminer des règles
qui permettent de justifier la présence de telle ou telle forme d’expression
anaphorique. En effet, si la continuité référentielle est sauve, il existe sans aucun
doute des règles contraignant le choix des expressions anaphoriques qui, nous le
verrons, ne véhiculent pas le même type d’apport informationnel.
1.4. Méthode et corpus
Après étude des notions et des concepts dans le domaine de l’anaphore, nous avons
utilisé une méthode empirique appuyée par une linguistique de corpus et guidée par
les notions et les concepts déjà mis au jour dans ce domaine sans pour autant nous
limiter à ces théories déjà énoncées. Nous sommes donc partie d’un corpus en y
appliquant une analyse systématique et pointilliste des chaînes anaphoriques, de leur
relation et de l’impact potentiel sur leurs expressions anaphoriques dans le but de
4 De T. Givon à C. Schnedecker.
5 A une époque où la langue n’est pas encore explicitement normée.
6 Au sens ‘écologique’ du terme, par métaphore.
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Introduction
dégager des règles poussant à l’alternance entre les expressions anaphoriques qui
construisent ces chaînes anaphoriques.
Mais il était difficile de tout analyser : il fallait opérer des choix permettant d’étudier
la fonction anaphorique de la façon la moins biaisée possible. C’est pourquoi ont été
principalement retenues les chaînes anaphoriques faisant intervenir le pronom
personnel sujet de personne 3 ou 6 masculin, il/ils/ilz, du fait de la richesse du corpus
mais également de la possible ambiguïté morphologique de ce pronom en fonction de
sujet ce qui offre une approche d’autant plus intéressante quant aux stratégies mises
en place afin de pallier d’éventuels faux-sens ou ambiguïtés sémantiques. Cependant,
lorsque cela sera nécessaire et pertinent, nous nous permettrons d’étudier les chaînes
anaphoriques de personne 3 ou 6 de référent présenté comme féminin.
1.4.1. Corpus
Pour réaliser cette étude, nous avons fait le choix d’un corpus qui permet à la fois
une comparaison diachronique et une comparaison de genre, voire une comparaison
dialectale7. Ce corpus se compose de trois textes allant du XIVème à la fin du XVème
siècle : les Quinze Joyes de Mariage (désormais QJM)8, les Chroniques de Froissart9
et les Mémoires de Commynes10. Nous avons limité notre corpus à environ quarante
pages de chacun de ces trois textes parce que ce volume était d’une ampleur
suffisante pour extraire, tester et comparer de façon fiable les phénomènes récurrents
que nous avons pu mettre au jour.
Les passages que nous avons sélectionnés dans ces trois textes sont les suivants :
- pour les QJM, nous avons travaillé sur les cinq premières joies (hors
prologue) – soit dans l’édition de Rychner (1967) les pages 6 à 48 ; ce corpus
sera étendu à l’ensemble des QJM pour les études du DD et du DI pour des
raisons que nous évoquerons plus loin.
- Pour les Chroniques de Froissart, nous avons étudié le texte du chapitre
CCXLVII au chapitre CCLVI inclus du livre I – soit dans l’édition de G. T.
Diller de 1972 les pages 810 à 856 ;
- Pour les Mémoires de Commynes, nous avons étudié les huit premiers
chapitres du livre III – soit dans l’édition de J. Blanchard de 2001 les pages
217 à 257.
De plus, ces trois textes présentent tous les mêmes expressions anaphoriques se
relayant au sein des chaînes anaphoriques de sorte que leur comparaison permet
d’obtenir des résultats probants. Ils offrent également tous une représentation de
7 Notons tout de même que nous ne connaissons pas suffisamment de choses quant à l’opposition
dialectale pour véritablement inclure cette dimension à notre étude d’autant plus que nos résultats
ne reflètent pas de réelle influence du dialecte. Cependant, le texte du manuscrit de Rome (Reg.
Lat. 869) des Chroniques s’oppose à celui des QJM et des Mémoires en cela qu’il est de scripta
picarde (composite) alors que les deux autres textes (bien que celui des QJM comporte quelques
indications qui rapprochent du dialecte du Poitou) ne montrent pas véritablement de traits
dialectaux affirmés.
8 D’après l’édition de J. Rychner de 1967.
9 D’après la dernière rédaction du premier livre des Chroniques de Froissart édité par G. T. Diller
(1972).
10 D’après la dernière édition des Mémoires par J. Blanchard publiée en 2001.
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