Table Of ContentBLABLA RÉPUBLIQUE
Crédit photo : Olivier Roller
ISBN 978-2-37344-083-6
© Lemieux Éditeur, 2017
11, rue Saint-Joseph – 75002 Paris
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Philippe-Joseph Salazar
BLABLA
RÉPUBLIQUE
AU VERBE, CITOYENS !
Il y avait autrefois, mais il y a bien longtemps de cela,
un temps où la société se divisait en deux camps : là,
des gens d ’élite, laborieux, intelligents, et surtout doués
d’habitudes ménagères ; ici, un tas de coquins faisant
gogaille du matin au soir et du soir au matin. Il va sans
dire que les uns entassèrent trésor sur trésor, tandis que
les autres se trouvèrent bientôt dénués de tout. De là la
pauvreté de la grande masse qui, en dépit d’un travail sans
fin ni trêve, doit toujours payer de sa propre personne, et
la richesse du petit nombre, qui récolte tous les fruits du
travail sans avoir à faire œuvre de ses dix doigts.
Karl Marx, Le Capital, VIII, 26.
Marx, qui sait ironiser, aurait pu tout aussi bien parler
de la parole politique : ceux qui thésaurisent le parler poli-
tique, font ripaille de parole ; et ceux qui sont laborieux
et diligents mais se retrouvent dénués de parole. Ou,
pour le dire autrement sans qu’il soit nécessaire de croire
en Dieu mais seulement en l’homme de bonne volonté :
Jésus dit à Satan : « Il est écrit : L ’homme ne vivra pas
de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu ».
Évangile selon saint Matthieu, 4 : 4.
Ou de la bouche de République.
prologue
UN MANQUE DE PAROLE
Nous vivons au bord d’une catastrophe politique. Nous
devons donc mettre en mots aussi exacts que possible la
nature de cette catastrophe.
Depuis janvier 2015, même si le mal remonte à plus
loin, la France se trouve dans une situation de drôle de
guerre qui ne sait pas dire son nom.
« Même pas peur » rétorque-t-on de l ’Élysée à l’homme
de la rue, ou plutôt des écrans ? Pour la première fois depuis
l’occupation prussienne de 1871, des élections nationales
se tiennent sous état d ’urgence. En 1871 Bismarck avait
imposé les élections. Impossible de ne pas faire un paral-
lèle : en 2017, si le Califat de l ’État islamique ne nous
impose pas ces élections, il impose sur elles (et sur nous)
de bien peser en quoi la parole politique s’est montrée
indigente face au péril. Et de cette constatation navrée
découle cette autre question : en quoi la parole politique
est-elle désormais capable de répondre à tout autre péril,
qu’il soit économique, social, idéologique, politique, et
qui menace la Patrie ?
Après les attentats de masse de 2015 et 2016, le peuple
déclamait relax : « Même pas peur ! » Oui, on peut tou-
jours le déclamer (mais d’ailleurs on ne le déclame plus).
Pas peur de quoi exactement ? Il faudrait au c ontraire
s’inquiéter très sérieusement de ces parleurs politiciens
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Blabla République
qui constituent le vrai danger de l’époque. Car les effets
de leur parole publique, qu’ils utilisent sans vergogne,
sont dévastateurs.
Et s ’impose alors cette batterie de questions : quel est
le test de l’efficacité de la parole politique ? À quoi voit-on
que parler met en danger la vie politique ? Quand voit-on
que la parole politicienne est un danger pour notre vie
même ? Quels sont les registres du parler politique, du bas
en haut de la gamme, en mode majeur et en mode mineur ?
Arrêtons-nous un instant sur ces paroles produites par
les attentats djihadistes. Le terrorisme islamique est un
cas exemplaire de cette prise de parole désastreuse que
j’appelle « effet-parole » : il a fait couler autant de mots que
de sang, sinon plus. Après chaque attaque de commando
ou de partisan solitaire, une bonde verbale saute : décla-
rations de la classe professionnelle politicienne, blogs
des gouvernés, autopersuasions en selfies. Nous parlons.
Beaucoup. Ils tuent. Beaucoup.
Mais eux publient des c ommuniqués de victoire pleins
d’élan martial ou de froide détermination même dans leur
langage tweeté. Leurs chefs laissent passer un jour. Ils
observent nos dirigeants s’empâter la bouche d’explications
diverses, « Le Califat a-t-il ou n’a-t-il pas commandité ? » ; et
puis ils enfoncent la dague dans la gorge et sous la lame nos
gouvernants alors éructent : « Islamophobie ! », « Apologie
du terrorisme ! », « Détraqué ! », « Déradicalisation ! »,
« Intolérable ! », « Sans merci ! », « Islam de France ! ». On
n’a pas toujours c ompris que c’est une guerre idéologique,
où le volontarisme personnel joue un grand rôle, c omme
dans un mouvement révolutionnaire et une guerre de
paroles. On n ’a toujours pas dit – ou mal dit – au peuple
français q u’il s ’agit d ’une guerre idéologique, religieuse
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Prologue
et culturelle à mort, et non pas d ’attentats terroristes. Il
faudrait l’expliquer en classe, à la télévision, à la radio.
Dire, encore et encore, comme la puce enregistrée
d’une poupée dont on remue la tête, « Nous sommes
en guerre, nous sommes en guerre, nous sommes en
guerre » ne suffit pas, il faut qualifier cette guerre, il faut
l’expliquer, il faut en montrer les acteurs et les bénéfi-
ciaires, désigner les traîtres et les alliés. Bref faire ce qui
se nommait, jadis, un effort de guerre. Et cet effort doit
pour commencer par être un effort de parole stratégique,
et non pas une agitation verbale. L ’effet-parole des atten-
tats ? Une malversation verbale.
Malversations verbales de la république
Exemple : le 14 juillet 2016, après un défilé avec fifres
et tambours, une parade qui entre désormais dans la pro-
grammation des festivals estivaux – bref un festival qui
n’est plus La Fête Nationale –, le président nous annonce
donc que l’état d’urgence n ’a plus lieu d’être car tout est
bien tenu en mains. On plastronne sous les marronniers
élyséens, et presque aussitôt on massacre sous les palmiers
de la Riviera.
Deux jours plus tard après le carnage de Nice, le
ministre de la police nous annonce, de ce ton sévère et
pédant dont il s ’est adroitement fait un label, que ses
services ont déminé j usqu’à cette nuit fatale de nombreux
attentats – pas celui qui c ompte, encore une fois, mais là
n’est pas le plus cruel de cette déclaration. Car où est donc
la logique entre les deux déclarations ? Celle du président
annonçant que le danger étant passé on peut penser à
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