1919 LETTRES DE GODEFROY de MISCAULT A SA FEMME

453 Pages·2016·2.4 MB·French

1914 – 1919
LETTRES DE GODEFROY de MISCAULT
A SA FEMME
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AVERTISSEMENTS.
Le texte présenté est constitué d’un mémoire écrit dans les années 1960 (9 pages) et de lettres
envoyées par Godefroy de Miscault à sa femme Germaine. La période couverte commence le
24 juillet 1914 pour se terminer en juin 1919 (la dernière lettre datée est du 25 juin).
Nous avons rencontré, au moment de la transcription des lettres, un certain nombre de
difficultés qu’il nous parait indispensable de citer pour expliquer les erreurs et les imperfections
du texte.
Très souvent les lettres sont écrites sur le front dans des conditions souvent précaires
(bombardements, interruptions au moment de la rédaction, fatigue extrême...) Ces difficultés
peuvent générer un style haché, des oublis, des répétitions, et dans certains cas des
incohérences.
Le manque de moyens (papier, ou encre), fait qu’assez souvent les lettres sont difficiles à lire
car elles sont écrites au crayon, en très petits caractères, et éventuellement en surcharge (la
page étant écrite une première fois du haut en bas de la page puis en travers).
Le déchiffrage des lettres est également problématique pendant deux périodes ou Godefroy de
Miscault blessé, à la main en 1914, puis aux bras en 1915, est à l’hôpital ou en convalescence.
Pour toutes ces raisons, quand l’identification d’un mot devient trop difficile, nous maintenons
des accords qui ne paraissent pas judicieux, mais qui peuvent s’avérer juste, si une autre
interprétation, elle aussi possible, change le sens.
D’autres difficultés résultent du type même de cette correspondance. Godefroy de Miscault écrit
à sa femme, ils se comprennent à « demi-mot », très souvent Godefroy fait allusion à des
personnes, à des lieux, ou à des évènements qui ne nous sont pas connus. Cet inconvénient
est partiellement compensé par des notes et remarques que Thérèse et Henri de Miscault ont
insérés dans les lettres.
Dans le même ordre d’idée les allusions à des faits militaires, ou politiques, qu’il était très facile
de lire dans les communiqués ou dans les journaux de l’époque, sont un peu oubliés
aujourd’hui, pour les rendre intelligibles, dans la mesure du possible, nous les évoquons
succinctement en les résumant dans le texte.
Toutes ces remarques, compléments, et interprétations, sont enregistrés en italique et sont
encadrés par des parenthèses ( ), suivis éventuellement d’un (?). Les emplacements des mots
illisibles sont également signalés. Aucune coupure n’a été effectuée.
Pour terminer il faut également signaler que la plus grande partie des lettres ne sont pas datées
complètement, le bon archivage effectué par Thérèse et Henri de Miscault, qui s’appuie très
certainement sur le classement effectué pendant la guerre par Germaine, supplée, en partie à
cet inconvénient.
Nous avons apporté des modifications dans le classement, si la date est très imprécise, et dans
les cas où le texte fait allusion à des événements manifestement décalés par rapport au
contexte. Pour effectuer ces corrections nous avons tenu compte ; des faits évoqués, de
l’affectation, du lieu de cantonnement ou du secteur postal, néanmoins des erreurs subsistent
pratiquement impossibles à corriger, en particulier dans les années 1916, 1917.
Enfin pour faciliter la compréhension de l’ensemble nous ajoutons une chronologie des
évènements, composée par Thérèse et Henri de Miscault, et une liste des principaux
personnages cités, élaborée à partir d’informations transmises par René Lefeuvre.
Pour terminer nous nous excusons des inévitables erreurs générées à la saisie.
Jeanne et Richard Veuve.
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GODEFROY de MISCAULT QUELQUES SOUVENIRS DE GUERRE DE 1914 1918
(Cette amorce de « mémoires » écrite dans les années 60 par Godefroy de Miscault, nous est
parvenue sous la forme d’un brouillon. Inachevée, elle apporte des précisions sur des faits qui
ne sont pas toujours relatés dans les lettres (du fait de la censure). Pour le rendre plus lisible
nous avons fusionné 2 textes en remettant les évènements dans l’ordre ou ils se sont passés).
En septembre 1914 je me trouvais en congé de convalescence à Evian à la suite d’une
scarlatine. La bataille de la Marne battait son plein ; je sentais mes forces revenues quand, le
12 septembre, la bataille se terminant par le repli des Allemands, je résolus de ne pas attendre
la fin de mon congé, qui ne se terminait qu’au début d’octobre et me décidai à rejoindre
immédiatement mon régiment, le 153e, que je croyais encore engagé à l’est de Nancy, sur le
Grand Couronné. Je ne voulais pas retourner au dépôt, alors à Béziers ; étant en congé, je me
considérais comme libre de mes mouvements. Je pris le train pour Nancy ; là j’appris que le
153e avait fait mouvement, un renseignement pris à la gare régulatrice d’Epinal m’indiqua que
ce régiment avait été transporté au nord est de Paris. Je gagnai la gare régulatrice du Bourget ;
grâce à la complaisance du commissaire de gare, je pris place, le 27 septembre à minuit, dans
un train de ravitaillement, en partance sur Amiens.
A 5h le train me déposa en gare de Vilben-Bretonnaux (cette ville est introuvable sur la carte.
Nous pensons qu’en réalité la gare est à Villers-Bretonneux qui se trouve à une trentaine de
Km de Chaulnes vers Amiens) ; on entendait une violente canonnade dans l’est ; je pus profiter
de l’offre d’un officier du Génie qui, avec sa section, était dirigé sur Chaulnes, pour y réparer la
voie qu’on croyait encore libre.
Mais, après avoir roulé 2h aux tours de roue, et (après) de nombreuses alertes, nous fûmes
définitivement bloqués dans la gare de Rosières-en- Santerre, aux abords de laquelle la bataille
faisait rage. Des troupes du 13e corps montaient en ligne d’un pas alerte ; du front refluaient de
nombreux blessés, des obus éclataient au dessus de la gare. Un officier d’état-major m’indiqua
que le 20e corps, auquel appartenait le 153e, devait se trouver à quelques kilomètres au sud. Je
résolus de gagner cette direction. La Providence me fit rencontrer un paysan conduisant une
charrette vide, moyennant 20 francs, il consentit à me charger et à m’emmener vers le sud dans
la direction de Roye.
Ce trajet en arrière du front de bataille ne manquait pas d’intérêt ; c’était pour moi, qui venait de
l’arrière un spectacle tout nouveau ; aux abords de la route, je croisais des groupes de
cavaliers, abrités derrière chaque obstacle, talus, boqueteaux, etc, (et) des troupes d’infanterie
en tirailleurs, dans les fossés de la route.
Au bout de quelques kilomètres nous nous trouvâmes sous les obus, et mon charretier ne
consentit plus à avancer plus loin. Je continuai donc à pied, j’étais assez en peine, seul, debout
sous un soleil ardent dans la plaine Picarde, mais la Providence veillait sur moi, et au moment
où je me demandais si j’arriverais jamais au but, de derrière une meule de paille, à une
centaine de mètres de la route que je suivais, je vis surgir un groupe de fantassins accourant
vers moi. C’était, oh ! surprise les gars de la s.h.r. du 153e dont, comme adjoint au colonel,
j’avais le commandement à Toul ; ils avaient reconnu leur chef.
Bien surpris de cette heureuse rencontre, je demandais au sergent-major Conter de m’indiquer
le PC de la brigade (Général de Lobit que j’avais connu capitaine à St-Cyr). Je me dirigeais sur
Parvillers (Parvillers-le-Quesnoy) où se trouvait le PC, mais je n’y trouvais personne, mais l’on
m’indiqua que le 153e était en pleine bataille à la Chavatte, dont les boches avaient été chassés
la nuit précédente.
Sans plus tarder je me dirigeais sur ce village, distant de 3 km, un mouvement de terrain me le
masquait. Je gravis cette petite crête ; arrivé au sommet j’aperçus la lisière du village à 200 m à
l’est. La crête que je traversais semblait occupée par une ligne de 50 tirailleurs en position de
tir, mais ils étaient tous morts, fauchés probablement par l’ennemi qui avait occupé le village.
Le cycliste Deblis arrivait derrière moi apportant au 153e un ordre d’attaque, il m’indiqua le
chemin à suivre pour atteindre la Chavatte sans trop de risques.
Le long de la lisière ouest de la Chavatte le commandant Notel, qui venait de remplacer le
colonel blessé, se trouvait, avec sa liaison, au milieu des tirailleurs du 153e abrités derrière les
murs ; il y avait là de nombreux cadavres allemands, des blessés, des prisonniers qui
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attendaient la nuit pour gagner les lisières.
« Vous tombez bien, (me dit le commandant Notel, que j’avais eu comme chef de bataillon à
Toul en 1912) mon adjoint vient d’être blessé, vous allez le remplacer, et tout de suite
communiquer au 1e et 2e bataillon cet ordre que je viens de recevoir : A 18 heures le 153e
attaquera sur Fransart ». Le premier bataillon était au nord de la Chavatte, le deuxième au sud.
Je me portais d’abord au 1e bataillon ; dans un chemin creux, à la sortie du village, je tombais
sur le capitaine Bonnabelle que j’avais eu comme lieutenant à Pont-à-Mousson ; il commandait
maintenant la compagnie de mitrailleuses. Jeune officier très allant, intéressant, sympathique,
je l’aimais bien, j’avais assisté à son mariage avec Melle Bertinet, au mois de juin précédent.
« Je continue ma mission, lui dis-je, puis (quand) je reviendrai, ce sera l’heure du dîner, vous
me ferez plaisir en profitant des provisions que j’ai rapportées de Nancy, où j’étais hier
encore ».
Je le quittai, traversai le village et, après avoir donné au commandant du 2e bataillon les
instructions qui le concernaient, je revins trouver Bonnabelle, et nous partageâmes gaiement
les quelques morceaux que contenait mon rucksac.
La nuit tombait, l’heure H sonnait, et le village de Fransart, notre objectif, à 500 m devant nous
était illuminé par les éclatements d’obus de 75 qui l’arrosaient comme grêle ; puis les
mitrailleuses de Bonnabelle ouvrirent le feu à leur tour, et ce ne fût pas long, en quelques
minutes l’artillerie allemande nous pris sous son feu ; des obus passaient au-dessus de nous,
brisant les branches des peupliers qui bordaient le chemin, puis d’autres éclatèrent devant
nous. « Le prochain sera pour nous » dis-je à Bonnabelle, à l’instant même je reçus un choc
formidable qui me projeta au loin, j’entendis encore à mes côtés le dernier soupir de
Bonnabelle, et je n’oublierai jamais ce corps sans tête qui gisait à mes côtés. L’obus avait
éclaté sur lui, et j’étais couvert de son sang et de sa cervelle. A proximité le commandant Notel
qui avait installé son PC derrière une meule de paille était aussi blessé.
Le cycliste Deblis me ramassa, me hissa sur une charrette et m’emmena à l’ambulance à
Parvillers. Là je fus accueilli par l’excellent abbé Bachelier qui, courant au plus pressant, me
donna l’extrême onction, et eut la gentillesse d’envoyer un télégramme à Germaine.
Le lendemain, j’étais évacué sur St-Germain à l’hôpital bénévole de Mme Tuffier, femme du
chirurgien.
Plus tard, en 1924, me trouvant à Paris, je fus accosté par un agent de police au moment où
me rendant 57 rue Violet, je traversais la place des Invalides, « Mais n’êtes-vous pas le
Capitaine de Miscault que j’ai ramassé blessé près de la Chavatte, et que j’ai conduit à
l’ambulance le 29 septembre 1914 ? » me demanda-t-il. A 10 ans d’intervalle nos trajectoires se
recoupaient.
Après de longues semaines passées à l’hôpital, et en convalescence à Nancy, je rejoignis le
dépôt du 153e à Béziers, où je pris le commandement d’une compagnie.
Au début d’avril 1915 cette compagnie fut incorporée au 416e de récente formation, et dirigée
sur le front de Champagne, puis sur la Somme. Nous occupâmes un secteur à Frise, puis je fus
appelé au début de mai au commandement du 2e bataillon du 226e en Artois.
Fin avril 1915, j’occupais avec ma compagnie du 416 le village de Frise sur la Somme (à 10 km
à l’ouest de Péronne), au contact immédiat des Allemands dont les tranchées bordaient à 200
M de nous le bois de Mérancourt et le village de Curly (ces noms sont inconnus nous
proposons Maricourt et Curlu qui sont très voisins au nord de Frise) j’avais mon PC dans une
ferme, au milieu du village, dont les hautes murailles nous cachaient aux vues de l’ennemi.
Chaque jour je réunissais la compagnie, sauf les sections qui se trouvaient aux tranchées, pour
lui dire le rapport et prendre contact avec les hommes. Lors d’une de ces réunions, une après-
midi, mon sergent major, à mes côtés, au milieu du carré que formait la compagnie, lisait des
instructions, lorsque subitement il s’effondra. Je crus d’abord qu’il venait d’être atteint
d’insolation ; en ouvrant sa capote pour lui donner de l’air, j’aperçus dans son dos entre les
deux épaules, un trou minuscule sanguinolent. Une balle lui avait traversé les poumons, il était
mort sans phrases. C’était une balle de mitrailleuse provenant des tirs indirects dont les Boches
arrosaient le village. A partir de ce jour je supprimai naturellement tout rassemblement, et tout
mouvement de groupes dans l’intérieur de Frise. Ce pauvre sergent major, un parisien, fut le 1e
tué à l’ennemi de la 5e du 416. Son corps fut ramené à Capuy (Cappy), à 4km en arrière. La
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pauvre veuve put venir à son enterrement et fut admirable de courage et de résignation
patriotique.
Le lendemain du jour où nous entrions en ligne dans les tranchées de Frise, nous reçûmes
deux mortiers qu’on utilisait pour la 1e fois. Ils lançaient des bombes de 20 kilos chargées de
mélinite et produisaient de sérieux dégâts. Avec le capitaine Ourset commandent la 2e
compagnie, qui était en ligne avec moi, nous décidâmes de lancer quelques bombes à la lisière
du bois de Mérancourt (Maricourt ?), où l’on entendait travailler les Boches, on voyait même de
temps à autre des madriers dépassant le haut de la tranchée. Nous venions d’envoyer trois
bombes quand le capitaine s’affaissa ; il venait de recevoir une balle dans les reins, et mourut
en quelques minutes.
Au cours du mois de juin 1915, étant en ligne sur les pentes de Notre-Dame de Lorette, j’avais
fait placer un canon de 37 en un point où l’on apercevait très bien les tranchées boches autour
de Souchez. J’avais pris comme objectif un carrefour de boyaux où régnait une certaine activité
et faisais lancer sur ce point quelques obus. Quand un peu plus tard nous saisîmes dans un PC
boche quelques documents, l’un d’eux attira mon attention, c’étaient quelques observations du
commandant du secteur (qui indiquait) « on devrait prendre des dispositions pour mieux
dissimuler nos latrines, chaque jour un certain nombre d’hommes sont atteints sur ces lieux ».
Le 33e corps, sous les ordres du Général Pétain, s’était couvert de gloire dans les attaques au
N.E. d’Arras. La bataille faisait encore rage. Le bois de Carency, bois tout verdoyant sous le
soleil de mai, à peine y étions-nous installés sous les abris à peine ébauchés que le
bombardement d’obus de tous calibres se déclencha et dura sans arrêt pendant les 4 jours que
nous passâmes dans ce charmant séjour, à une cadence de 4 (coups) par minute ; c’était
énervant. Quand nous le quittâmes, relevés par un bataillon de chasseurs, il ne restait plus un
arbre debout, et nous eûmes la plus grande peine à nous tirer de ces abatis qui obstruaient le
terrain. Mon bataillon avait, hélas, subi de lourdes pertes, mais je me demande par quel miracle
les ¾ des hommes ont pu s’en tirer.
En tête à tête avec le chef de bataillon de chasseurs, en attendant que la relève soit terminée,
je fus frappé de sa nervosité ; je crois que le malheureux s’aperçut de mon étonnement, il
s’excusa « voilà 10 mois que j’ai tout supporté de cette guerre, mais je n’en puis plus, je suis à
bout de nerfs ». Rentré au cantonnement j’appris dans l’après midi que ce pauvre commandant
avait été tué par un obus quelques minutes après mon départ.
Et les semaines s’écoulèrent dans ce secteur agité, puis ce fut l’attaque de la crête Viny à partir
du 25 septembre. Le 29, mon bataillon fut chargé de l’attaque de la cote 140 qui dominait à
l’ouest Souchez, et à l’est la plaine de Lens. A midi mon bataillon partit bravement à l’assaut ;
mais nous tombâmes sous un feu violent de mitrailleuses qui faucha littéralement la 1e vague
que j’entraînais ; c’était un beau spectacle que cette ligne de baïonnettes qui s’avançait sous
les balles et les obus. Toute ma liaison et moi-même fûmes blessés ; je pus transmettre mon
commandement au capitaine Missoffe. Nous occupâmes la tranchée allemande, mais j’avais
perdu la moitié de mes hommes.
Le soir à l’ambulance, quand je sortis des vapeurs de chloroforme, je reconnus le lieutenant
Quérin de mon bataillon qui venant d’être amputé du bras droit et qui occupait le lit voisin du
mien ; il me dit « vous avez vu le lièvre, mon commandant, c’est le caporal X qui l’a pris ; ils
doivent le manger maintenant à son escouade ». Oui, j’avais vu ce lièvre qui pendant des
semaines a vécu en paix dans le no man’s land et qui fut salué à son départ par les cris joyeux
de nos soldats qui couraient à la mort.
Nouvel et long intermède à l’hôpital de Mme Tuffier, puis en convalescence à Eclaron, au dépôt
à Mâcon, puis, à la demande du brave colonel Betbéder, je lui fus affecté comme adjoint au
centre d’instruction d’Eclaron. En avril je fus nommé commandant au centre d’instruction de
l’armée Humbert dans l’Oise, (avec son) P.C. à Mouy ; période de quelques mois très
intéressante, dans ce joli coin de l’Ile de France ; je voyais beaucoup de fantassins qui venaient
du front expérimenter les armes nouvelles. Le Général Humbert, et son état major, venaient
souvent assister à nos exercices. Il me manifestait la plus grande bienveillance, et je garde de
ce grand chef un souvenir ému. Puis en février 1917, je fus appelé au commandement d’un
bataillon du 174e, (dirigé par le) lieutenant-colonel Dubroca.
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C’est avec ce bataillon que je pris part aux combats au nord de Reims. Je fis la connaissance
du sergent Feltin, sergent infirmier au régiment, qui est actuellement Cardinal Archevêque de
Paris. Le jour de la fête de Jeanne d’Arc, au repos à Tinqueux, j’invitai le Cardinal Luçon, qui
nous dit la messe, à déjeuner à notre popote, il conquit tous mes officiers par sa simplicité et sa
bienveillance.
Nous arrivions en Lorraine ; j’avais rejoins le 174e à Benney, puis, le 15 avril, la 67e division
commandée par le Général Schmidt, dont faisait partie notre régiment, fut transportée par
chemin de fer à Joulgogne (Jaulgonne ?) près de Château-Thierry ; (de là) mon régiment fut
dirigé au nord de Fismes et entra en ligne à l’est de la ferme du Godat, entre le fort de Brimont
et Berry-au- Bac. Le bataillon que je relevais venait aussi de Lorraine. Pendant les quelques
heures que je passais avec le commandant que je relevais, en attendant l’arrivée de mon
bataillon, que j’avais précédé, nous gibernions tous les deux, le commandant me dit : « nous
arrivons de Lorraine, je viens d’y faire un bien agréable séjour dans une propriété aux environs
de Champenoux, près de Laneuvelotte, je ne sais quel est le bourgeois jouisseur qui l’a
aménagée, mais elle est bien jolie et confortable », (je lui répondis) « Eh bien mon cher
camarade, c’est moi ce bourgeois que vous sembler bien envier ».
Le mois de mai, dans ce secteur, fut bien agité, nous y subîmes beaucoup de pertes sans
grands résultats. Puis ce fut l’échec de l’offensive Nivelle, la crise de démoralisation de l’armée,
qui heureusement n’affecta pas le 174e, dont le moral resta satisfaisant, mais qui eut pour nous
comme conséquence de nous maintenir plusieurs semaines sans relève dans ce mauvais
secteur. Nous le quittâmes pour aller dans le nord de Reims, à Courcy.
Un jour, je reçus l’ordre d’effectuer un coup de main au sud de Brimont qui me semblait fort
occupé, bien garni de barbelés, soutenu par la très puissante artillerie de Brimont. Je ne voyais
pas bien ce que cela pouvait rapporter en dehors de très fortes pertes, certaines. J’allais trouver
à Reims le Général Lavigne-Delville, commandant l’I.D., après avoir obtenu la permission du
colonel Dubroca, qui me laissait la responsabilité de cette démarche.
J’exposai au général les difficultés de l’opération, le résultat douteux, et la certitude d’une forte
réaction de l’ennemi qui nous causerait des pertes bien inutiles, puis je terminai en disant : « Si
l’ordre d’attaque est maintenu, je partirai en tête de la troupe ; pensez-vous que cela vaille la vie
d’un chef de bataillon ? » Le Général donna le contre-ordre. Mais quelques jours plus tard, on
m’enleva mon bataillon, et je fus nommé adjoint au colonel commandant le centre d’instruction
divisionnaire. Je restai à ce poste jusqu’au mois de février 1918, et alors, cédant à mes
instances, et je crois aussi, grâce à l’appui du Général de Boissoudy, je fus nommé adjoint au
colonel commandant le 174e.
Le régiment tenait alors, entre Gérardmer et Colmar, le secteur du Bonhomme. La compagnie
de 1e ligne occupait la tête des Faulx, à 1250 m d’altitude.
Le colonel Dubroca, sur le point de partir en permission, me passa le commandement. La veille
de son départ, à la popote, la conversation tomba sur la durée de la guerre. Le colonel soutint
mordicus, et paria 2 bouteilles de champagne que la guerre se terminerait fin mars. Il s’appelait
Joseph Dubroca. Le 18 il rentrait de permission, « eh, bien mon colonel lui di-je en nous mettant
à table, je crois que vous avez perdu votre pari, il en convint, et puisque nous sommes à la
veille de la saint Joseph, buvons ce champagne ; à la guerre on n’est pas sûr du lendemain ». Il
ne croyait pas si bien dire, et il ne savait pas qu’il avait gagné son pari et que la guerre était
finie, pour lui, avant la fin mars.
Le lendemain, au lever du jour, il partait en reconnaissance à la tête des Fanly. A 9 h du col du
Bonhomme, je recevais ce coup de téléphone : « Le colonel est ici au plus mal, il demande
qu’on lui envoie le sergent Feltin », aussitôt j’alertais le sergent Feltin et le médecin. A midi
après s’être confessé, ce brave colonel expirait.
Quelques jours plus tard, nous arrivait son successeur, le lieutenant-colonel...., que je ne
nomme pas pour en parler plus librement. Très brillant, et très jeune officier, mais très
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froussard.
Fin avril, nous vînmes en repos à Granges, mais ce repos fut de courte durée ; depuis fin mars,
les Allemands avaient lancé l’offensive de paix et, en cette fin de mai, après avoir enfoncé les
lignes du chemin des Dames, ils menaçaient Paris comme en 1914.
Notre régiment fut transporté en chemin de fer à Jalons-les-Vignes, près de Châlons, le 30 mai,
puis en auto au sud de Dormans. Le 2 juin nouveau transport en camion à l’ouest de la Ferté-
sous-Jouarre. Nous passons la Marne à Ussy (Ussy-sur-Marne), en aval de le Ferté-sous-
Jouarre, puis la nuit tombée, nous nous tenons en éveil, en formationde combat, couchés à
même le sol, c’était le 2 juin, et la nuit était tiède, l’horizon était éclairé des lueurs de l’artillerie
et des éclatements d’obus. Les avions qui déjà à cette époque, bombardaient les arrières,
passaient au dessus de nous.
Au lever du jour, le régiment se porta vers le nord jusqu’à Marigny-en-Orxoy ; notre 1e ligne vint
border le ruisseau du Clignon sur la rive gauche ; les Boches occupaient la rive droite. Les
Américains, à notre droite tenaient le bois Bellan (bois Belleau ?) dont ils avaient chassé les
Allemands les jours précédents, après de durs combats.
Quand, dans la matinée du 3 juin 1918, le régiment atteignit Marigny-en-Orxoy, je me portais
avec les éclaireurs jusqu’aux lisières du village de Bussiares, sur la rive gauche du Clignon.
J’avais mon revolver à la main ; de la dernière maison du village surgirent 2 boches, ils
disparurent si rapidement derrière la pente que je n’eus pas le temps de presser la gâchette ;
l’image des 2 sacs poilus de ces 2 boches m’est bien restée dans la mémoire.
Nous restâmes des semaines sans histoire dans ce secteur ; au bout de ce temps, notre
position était devenue très solide et nous attendions le choc inévitable en toute confiance ; je
connaissais parfaitement le terrain que j’avais parcouru en tous sens ; les Américains avec qui
j’avais des rapports journaliers m’étaient devenus très familiers.
Le 15 juillet, les Allemands attaquèrent les 4e et 5e armée sur le front de Champagne, la
montagne de Reims et la Marne de Dormans ; l’ennemi est arrêté sur l’ensemble du front, sauf
sur la Marne qu’il réussit à passer entre Château-Thierry et Dormans ; il s’avance de 5 km au
sud de la rivière. Le 18 juillet les Français passent à la contre-attaque, de la forêt de Villers-
Cotterêts à la Marne.
Le 174e attaque le long du Clignon en liaison avec les Américains qui débouchent du bois Bellot
(bois Belleau ?). Après un premier succès à Bussières (Bussiares), on se heurte à une farouche
résistance au château de Monthiers, mais le 20 au matin, l’ennemi cède sur toute la ligne. Le
régiment le poursuit, mais nous sommes arrêtés derrière la voie ferrée de Château- Thierry à
Oulchy (actuellement 2 villages existent dans la région Oulchy-le- Château et Oulchy- la-ville),
toute perspective pour déboucher de cette ligne est arrêtée par des feux violents qui partent de
la ferme de la Goutière.
Après l’enlèvement du château de Monthiers, je m’étais porté en tête des éclaireurs ; le général
Cot qui commandait l’I.D. m’y rejoignit et décida qu’il fallait pousser vigoureusement en avant.
Mon colonel qui se tenait en arrière, m’envoyait estafette sur estafette m’enjoignant de
m’arrêter. Comme nous étions sous un feu d’artillerie assez vif, je supposais chaque fois que
l’estafette avait été tuée, ne tenant aucun compte des injonctions du colonel, dont je
connaissais le manque de caractère. Nous avançâmes de 10 km en ordre parfait. J’étais
vivement impressionné, chaque fois que je regardais en arrière, par le spectacle (du régiment)
avançant en ordre parfait au milieu des blés sans se laisser ébranler par les obus qui tombaient
assez drus. Arrivés à la ligne de chemin de fer Château-Thierry Oulchy ; nous dûmes tout de
même nous arrêter.
Dans le P.C. boche du château de Monthiers, j’avais trouvé une carte boche au 1/10.000 sur
laquelle était tracée une ligne bleue. C’était la ligne sur laquelle les Allemands devaient
s’arrêter ; elle suivait la ligne de chemin de fer que nous venions d’atteindre.
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Le 21 au lever du jour, je pars en reconnaissance avec mon ordonnance Fercquel pour
m’assurer de ce qu’il y a dans cette ferme ; j’y arrive sans difficultés, l’ennemi l’avait évacuée
pendant la nuit. Le communiqué relata que les Américains avaient enlevé la ferme à la
baïonnette ; quoi qu’il en soit, la division poursuivit son avance victorieuse, 10 km plus loin
jusqu’à Beuvardes, où elle se heurta de nouveau à une vive résistance. C’est là que mon
colonel voulut reporter son P.C. en arrière, « vous avez le droit de porter votre P.C. en avant,
mais pas en arrière », lui dis-je.
Je le laissai dans son trou et, avec le capitaine Rudondy, nous nous portâmes en avant ; la
pente boisée où nous nous arrêtâmes était sous un feu violent d’artillerie et, au milieu des
éclatements d’obus, nous n’avions pour abri qu’un tas de fagots, « mon cher Rudondy, lui dis-
je, cela me rappelle la Chavatte, nous n’avons plus qu’à faire notre acte de contrition » ; « vous
êtes gai », dit Rudondy. Sur cette position, nous fûmes relevés après être restés 2 mois en
ligne et avoir subi beaucoup de pertes ; nous gagnâmes un cantonnement de repos à Vendrest.
C’est là que je fus nommé lieutenant-Colonel à titre temporaire, et je pris le commandement du
régiment. Mon colonel, que je relevais, me demanda : « Vous ne me méprisez pas trop ? », « je
ne vous méprise pas, je vous plains ».
Après quelques jours de repos, nous fûmes affectés à la 4e armée, sous les ordres du général
Gouraud, sur le front de Champagne. Nous occupions, au nord de Suippes, les abords de la
ferme Navarin. Le 15 août le général ;pour remercier son armée de la victoire du 15 juillet, offrit,
à tous les chefs de corps de l’armée, un banquet à son Q.G. de Châlons-sur-Marne. Il trinqua
avec chacun de nous. Il se rappela avoir été mon caporal à St-Cyr, 30 ans auparavant, et fut
des plus gentils.
Mon P.C. était installé à 3 km au nord de Suippes, sur les pentes faisant face à la butte de
Souain que les Boches occupaient. Forcément, toutes allées et venues autour du P.C. étaient
vues de l’ennemi. Un matin, nous fûmes soumis à un violent bombardement d’obus à gaz qui
causa la mort de notre fidèle chien de guerre, asphyxié par les gaz ; les tranchées furent
nivelées. Il fallut nous installer ailleurs.
Mon régiment me donnait les plus grandes satisfactions : les hommes étaient pleins d’allant, la
plus grande camaraderie régnait entre les officiers et leur troupe. Les pertes que nous avions
subies en juin et juillet avaient été comblées, j’avais reçu entre autre un jeune chef de bataillon
de 24 ans, le commandant Frénot, maintenant général, dont je ne tardai pas à apprécier la
valeur.
Nous exécutâmes quelques coups de main heureux, notamment l’enlèvement du bois
Guillaume où nous prîmes un abondant matériel, une vingtaine de mitrailleuses, et 15
prisonniers, ce qui valut à la compagnie Gindre qui l’avait exécuté plusieurs croix de guerre.
Au début de septembre 1918, avant l’offensive qui (devait) s’achever (par) la victoire, nous
avions reçu l’ordre d’effectuer quelques coups de main pour faire des prisonniers, afin
d’identifier les unités ennemies qui se trouvaient en face de nous. A la veille de partir en
permission, j’avais préparé un de ces coups de main sur un saillant des tranchées boches. Ce
coup de main devait s’exécuter la nuit qui suivait mon départ. Comme il savait que j’étais très
intéressé à connaître le résultat de cette petite opération, le capitaine Rudondy, mon adjoint,
m’envoya ce court télégramme : « pris trois cochons » (traduction : nous avons trois
prisonniers).
Quelques jours auparavant, en étudiant les photos aériennes du secteur, je remarquai un boyau
partant de la tranchée boche s’avançant d’une centaine de mètres dans le no man’s land. Je
convoquai le caporal qui devait commander une patrouille ce soir là. Sur la photo je lui montrai
l’itinéraire à suivre en avançant jusqu’à 50 m de la tranchée boche, puis (comment) il devait se
rabattre jusqu’au boyau en revenant vers nos lignes, (au moment de l’exécution) il y avait deux
sentinelles qui surprises par derrière, se rendirent sans résistance. Le caporal eut la croix de
guerre.
Encore dans le même secteur où nous avions pris la place d’une unité américaine. A la tombée
de le nuit, un soldat allemand (se présenta et dit ) (c’était un Lorrain de Cheminot, en Alsace-
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Lorraine, près de Pont-à-Mousson), « voilà plusieurs jours que je veux lâcher les Boches, mais
jusqu’à hier je n’entendais parler qu’anglais, et je me méfiais des Américains. Ce soir j’ai
entendu parler français, alors j’arrive ».
Au début de septembre, je partis en permission de 8 jours. Dans la division un seul colonel
pouvait être absent. J’étais à Eclaron depuis 2 jours quand je reçus de mon camarade Charlet,
qui commandait le 170e, la lettre suivante : « tu serais bien gentil si tu pouvais raccourcir ta
perm pour que je puisse partir à mon tour. J’éprouve un désir inexprimable de revoir ma famille
avant les premières attaques », deux jours plus tard, pour satisfaire à ce désir, je rejoignis le
front.
Le 26 septembre l’armée attaqua la butte de Souain, s’en empara ; le jour suivant l’attaque se
poursuivit, victorieuse. Au cours de cette attaque le colonel Charlet fut tué par un obus ; je me
félicitai grandement de lui avoir laissé l’occasion de revoir sa famille.
Au cours de ces attaques le régiment remporta un brillant succès, qui lui valut une citation à
l’ordre de l’armée et l’octroi de la fourragère. Sur la deuxième position, qui s’étendait au sud de
Somme-Py, les Boches étaient fortement retranchés, en particulier dans une redoute dont les
chars n’avaient pu venir à bout. Le général de division mit 2 groupes de 105 à ma disposition et
me donna l’ordre d’enlever cet obstacle. C’est le bataillon Frénot qui était en ligne. Je lui
dis : « A 17 heures l’armée avec ses 24 pièces exécutera un bombardement de 20 minutes ; à
17 heures 20 vous partirez à l’attaque, après vous être emparé du fort ; vous vous porterez
aussi loin que possible sans vous préoccuper de vos flancs que je fais garder par les deux
autres bataillons ». Le succès fut complet, les pertes presque nulles ; le bataillon fit 250
prisonniers, prit une vingtaine de canons et s’avança de 3 km, arrêté par la nuit qui tombait.
J’obtins la légion d’honneur pour le commandant Frénot.
Au cours de la nuit, je portai mon P.C. à 3 km en avant.
Le lendemain, le 2e bataillon dépassait le bataillon Frénot, (et) s’installa 1 km en avant de lui,
bordant un chemin de fer de campagne qui reliait la position allemande à la région de Reims.
Au cours de la nuit, un train amenant des renforts vint déposer dans nos lignes un détachement
d’une centaine d’hommes qui fut fait prisonnier.
Lors de notre attaque du 26 septembre 1918, sur la butte de Souain, après avoir progressé
assez rapidement jusque vers 12 h, nous fûmes stoppés par de violents feux de minenf, et de
mitrailleuses qui nous clouèrent au sol. Accompagné de mon fidèle Ferquel, je gagnai la 1e ligne
où je trouvais un certain désarroi. Le capitaine Martin commandant la 1e compagnie de
mitrailleuses venait d’être tué d’une balle dans la tête, un minenf avait écrasé 20 hommes dans
un arbre. Le commandant Fenoul du 1e bataillon était blessé. Je prescris au capitaine xxx qui le
remplaçait de cesser d’attaque de front et de tenter 2 attaques simultanées de chacune de ses
2 ailes. Rentré à mon P.C., j’y reçus un coup de téléphone qui m’annonçait que le mouvement
avait réussi et atteint les pentes nord de la butte de Souain ; (résultat) un certain nombre de
mitrailleuses, 1 centaine de prisonniers.
Relevés par une division américaine, nous appuyâmes vers l’est, en face de la ferme Médéah
et d’Orfeuil, et le 2 octobre, nous partîmes de nouveau à l’attaque. Le 2e bataillon (commandant
Chapuis) enleva les bois le long de la vallée d’Aure. Le commandant Chapuis fut grièvement
blessé et remplacé par le capitaine Le Rasle. Le 3e bataillon attaqua la ferme Médéah et
s’empara d’une batterie de 4 pièces.
Puis nous fûmes relevés et passâmes 4 jours au repos au nord de Vitry-le-François.
Fin octobre la division quitte la 4e armée et passe à la 5e, au nord de Reims.
En octobre 1918 nous traversions Reims en ruines et atteignîmes les bords de l’Aisne à
Guignicourt, où un pont de bateaux permettait de franchir la rivière, car les ponts du chemin de