Table Of Content4468_Pages_departs:4217_Pagesdeparts 31/07/08 17:02 Page 1
RECUEILS POUR LES CONCOURS
CAPES
2009-2010
AGRÉGATION
Pouvoirs, Église et société
dans les royaumes de France,
de Bourgogne et de Germanie
aux e et e siècles
X XI
(888-vers 1110)
Michel Lauwers
Professeur à l'université de Nice-Sophia-Antipolis
Laurent Ripart
Maître de conférences d'histoire médiévale à l'université de Savoie
4468_Pages_departs:4217_Pagesdeparts 31/07/08 17:02 Page 2
Composition/miseenpage:Lasergraphie
©HACHETTELIVRE2008,43quaideGrenelle,75905ParisCedex15.
www.hachette-education.com
ISBN:978-2-01-145972-5
Tousdroitsdetraduction,dereproductionetd’adaptationréservéspourtouspays.
LeCodedelapropriétéintellectuellen’autorisant,auxtermesdesarticlesL.122-4etL.122-5,d’unepart,
queles«copiesoureproductionsstrictementréservéesàl’usageprivéducopisteetnondestinéesàune
utilisationcollective»,et,d’autrepart,que«lesanalysesetlescourtescitations»dansunbutd’exempleet
d’illustration,«toutereprésentationoureproductionintégraleoupartielle,faitesansleconsentementde
l’auteuroudesesayantsdroitouayantscause,estillicite».
Cettereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,sansautorisationdel’éditeurou
duCentrefrançaisd’exploitationdudroitdecopie(20,ruedesGrands-Augustins,75006Paris),consti-
tueraitdoncunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCodepénal.
4468_Pages_departs:4217_Pagesdeparts 31/07/08 17:02 Page 3
Sommaire
Introduction à la question..................................................................5
I. Analyse de trois articles « classiques » disponibles sur persee.fr :
Vivre en conflit dans une France sans État.
Typologie des mécanismes de règlement de conflits (1050-1200) ............31
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/
ahess_0395-2649_1986_num_41_5_283335
Patrick Geary
La mutation féodale a-t-elle eu lieu ? ....................................................33
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/
ahess_0395-2649_1992_num_47_3_279072
Dominique Barthélemy
Penuria scriptorum : le mythe de l’anarchie documentaire
dans la France du Nord (Xe-première moitié du XIe siècle) ......................35
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/
bec_0373-6237_1997_num_155_1_450857 délit
un
Olivier Guyotjeannin est
orisée
aut
II. Analyse d’un article récent traduit de l’anglais disponible non
pie
sur hachette-education.com : oco
ot
ph
Les cours de Mâcon au Xe siècle et les dangers du structuralisme en histoire : –la
0)
reconsidération des institutions judiciaires bourguignonnes ....................39 11
1
http://www.etudiants.hachette-education.com/pi/fiche.php?idArticle= 8-vers
306279 88
(
Stephen White ociété
s
et
glise
É
III. Sept articles majeurs sur la question : oirs,
ouv
P
–
FQetrueladelrq«iucreéCsvorhéleufylteeixotitnoenfséosduarllea»v.i.o..l.e.n..c.e..,..l.a...r.é..c.o.n..c..i.l.i.a..t.i.o..n.................................43 Hachettelivre
©
3
4468_Pages_departs:4217_Pagesdeparts 31/07/08 17:02 Page 4
Pouvoirs, Église et société (888-vers 1110)
L’aristocratie méridionale autour de 1100 ............................................61
Hélène Débax
De la France du Nord à l’Empire. Réflexions sur les structures
de parenté au tournant de l’An Mil ......................................................77
Régine Le Jan
Amitié et rupture de l’amitié. Moines et grands laïcs provençaux
au temps de la crise grégorienne (milieu XIe – milieu XIIe siècle) ..............97
Florian Mazel
La place idéale du laïc à Cluny (v. 930-v. 1150). D’une morale statutaire
à une éthique absolue ? ......................................................................127
Dominique Iogna-Prat
Lieux d’inhumation et espaces consacrés.
Le voyage du pape Urbain II en France (août 1095-août 1096) ..........147
Élisabeth Zadora-Rio
L’épiscopat du haut Moyen Âge du point de vue
de la médiévistique allemande ............................................................161
Steffen Patzold
Bibliographie sélective....................................................................183
délit
un
est
orisée
aut
on
n
pie
o
oc
ot
ph
–la
0)
1
1
1
8-vers
8
8
(
ociété
s
et
glise
É
oirs,
ouv
P
–
Hachettelivre
©
4
4468_intro:4468_03_Laplaceide(cid:0)ale... 31/07/08 17:09 Page 5
Pouvoirs, Église et société
dans les royaumes de
France, Germanie et Bourgogne
(fin e – début e siècle) :
IX XII
un parcours historiographique
en guise d’introduction
L
e programme du concours place les candidats dans un champ historique tout à
lafoiscomplexeetmouvant.Complexe,parcequel’espaceétudiéaétésillonné,
en France et en Allemagne, par deux historiographies différentes, qui, bien
qu’elles aient toujours entretenu des liens institutionnels, n’en ont pas moins fonc-
tionné de manière relativement étanche pour des raisons qui ne sont pas seulement
linguistiques1. De part et d’autre du Rhin, les problématiques du programme ont été
ainsi abordées à l’aide de méthodes et de concepts souvent divergents, ce dont les délit
candidatsauconcoursdoiventavoirconscience.BienquenileCAPES,nil’agrégation un
ne leur impose de lire les travaux allemands, qui n’ont été que très rarement traduits est
eentdlaencgoumepfrraennçdariseel,eilcloenutreexsttenhéisatnomriooginrsapnhéicqeusesadiraensd’leenquceolninlsaîotrnetléetségrréaanlidséess.lignes autorisée
Au-delàdelacomplexitéinduiteparcestraditionshistoriographiquesdivergentes, non
le champ couvert par le programme du CAPES et de l’agrégation est aussi mouvant, opie
parcequ’ilafaitl’objetcesdernièresannéesdereconsidérationstrèsimportantes,en otoc
particulier, mais pas seulement, du côté français. En l’état actuel, la recherche sur les ph
Xe et XIe siècles est traversée par des débats compliqués, qui ont parfois pris un tour 0)–la
polémique:silescandidatsn’ontbienévidemmentpaslesmoyensdelestrancher,il 11
1
hesisttonériaongmraopihnisqnuéecsedsesaliereurqsule’iclstuernesa.ientconnaissance,afindepouvoirsaisirlesenjeux 8-vers
8
8
(
situTeerldeasntslelesbudtébdaetsceqtuioturvarvaegrsee,ndtelsetipnréogàrapmermmee.ttProeuarucxelcaa,nildsidtraotusvdeeropnotudvaonisr csee société
vporélusemnetatuionnedinetroondzuecatirotinclegsé(ntréoriasleétuàdle’hsis«tcolarisosgiqraupehsi»eddesealnanéqeuses1t9io8n0,estu1iv9i9e0d,a’uinnsei Égliseet
que huit travaux récents, publiés dans les années 2000, dont deux sont traduits de oirs,
l’anglais). Enfin, ils se verront proposer une bibliographie sommaire, présentant une ouv
P
sélection de travaux importants sur la question au programme, dans laquelle, cons- –
mcmieaennstudsreeq,,uleeenslaeansugtcelaauinsrsd.idoanttspornivtilséoguiévelnets urénféarcecnècsesdieffniciflreanaçuaxistreatv,aduaxnesnunlaengmueoinadllere- Hachettelivre
©
5
4468_intro:4468_03_Laplaceide(cid:0)ale... 31/07/08 17:09 Page 6
Pouvoirs, Église et société (888-vers 1110)
I. Une double tradition historiographique
Si l’on met de côté le royaume rodolphien de Bourgogne, qui ne joua jamais
qu’un rôle mineur avant d’être absorbé dans l’Empire durant les années 10302,
l’espace envisagé correspond aux deux royaumes de France et de Germanie, autre-
ment dit à deux ensembles politiques qui se séparèrent durant notre période. Alors
quel’histoirepost-carolingienneduroyaumedeFranceestcelledureculdupouvoir
royal, de la formation des principautés et de l’essor des pouvoirs locaux, celle du
royaumedeGermanieestenrevanchecaractériséeparunemonarchieforte,capable
d’imposersonhégémonieauxpouvoirsaristocratiques,maisaussidedisposerd’une
puissance expansive suffisante pour s’affirmer en Italie et en Europe centrale, ce qui
permitàsessouverainsderecevoir,pourlapremièrefoisen962,lacouronneimpé-
riale3.
Pour renvoyer à une réalité indéniable, cette opposition est toutefois largement
amplifiéeparlesapprochesetproblématiquesdifférentesqueleshistoriensfrançaiset
allemands ont développées depuis le XIXe siècle. Traditionnellement, les travaux fran-
çaissesontconcentréssurlaformationdespouvoirslocaux,amplifiantainsil’impres-
siondefaiblessedupouvoirroyal,dontl’étudeaenrevancheétépresquetotalement
délaissée. Du côté allemand, les historiens ont en revanche privilégié l’analyse de
l’empireottonien,cequilesasouventconduitàsous-estimerlavigueurdespouvoirs
locaux, qui ont été peu étudiés. Les oppositions traditionnelles qui distinguent le
royaumedeFranceetceluideGermanierelèventdoncaumoinsautantdestraditions
historiographiques qui les ont fondées que des faits. Aussi la compréhension des
postulats qui fondent les historiographies nationales est-elle essentielle pour saisir la
portéedesdébatsactuelsautourdesquelss’organiselarecherchehistorique:c’estce
que nous essaierons ici de faire, en dressant à grands traits un tableau des grands
postulatssurlesquelsreposentlesétudeshistoriques,departetd’autredelafrontière
franco-allemande.
1. La tradition historiographique allemande
Dans la tradition historiographique allemande, les Xe et XIe siècles font partie inté-
délit grante du haut Moyen Âge (HochMittelalter), ce qui amène les historiens de la
un période ottonienne à se situer bien plus fortement qu’en France dans la continuité de
est l’âge carolingien. Les historiens allemands – mais aussi ceux de Belgique qui ont
orisée souventadoptélamêmedémarche–replacentparexemplelesinstitutionsecclésias-
aut tiques des Xe et XIe siècles dans le contexte ouvert par les réformes de l’âge carolin-
non gien4,alorsqueleurscollèguesfrançais,moinssensiblesàcettecontinuité,sontplutôt
opie enclinsàensoulignerlesnouveautés.Demanièresemblable,leshistoriensallemands
otoc situent généralement la seigneurie rurale des Xe et XIe siècles dans la continuité du
–laph glersanrudpdtuormesaidnaencsaleroslimngoideens5,daeloprsréqlèuveemlesenhti.stIolerinenesstfrdaençmaiêsminesicsotenncteernnarnetvlaenscéhteudseusr
0)
11 surl’aristocratie,où,àladifférencedeshistoriensfrançais,l’historiographieallemande
1
88-vers ciniescnrcietddaynnsasletiqteumepesntlorenglel’IXheisetotilreeXdIIeeslaièncloeb6.lesseetdesaprogressiveprisedecons-
8
(
société tardSifi,laeustrXeemetenXtIedsiitèculnespsroonlotndgoenmcepnetrdçuusmeonnAdlelecmaraoglninegiceonm,mceelaunnehsaiguntiMfieotyoeunteÂfogies
Égliseet dpeaslaqpuéeriloedsehicsatororileinngsiennenseo.iSeanntspêatsreseennsviibslaegséàelcaormupmtueruenpcoaltitaicqluyesmqeuemcaojenusrt,itluaedliaspfain-
oirs, ritiondeladynastiecarolingienne,quienGermanieaperduréjusqu’àlamorten911de
ouv Louis l’Enfant, est perçue comme une césure importante de l’histoire allemande.
P
– Traditionnellement,lerègnedeConradIer(911-919)etsurtoutceluid’HenriIer(919-936),
Hachettelivre fépopanrodqlaauteefounrrmoduaevtieolalnleddqy’nuuian,sttpoieruetomettineornseiReesniinctuhea,gnsteordnmatnacsnoilnqasuciedo.énrCtéienstutceitoémpcémariroeodlilinesgaptieiooninnntea,déeetsétdécdapisraacrcutttédére’iusnéauee
©
6
4468_intro:4468_03_Laplaceide(cid:0)ale... 31/07/08 17:09 Page 7
Introduction générale
coursdesdernièresannées,etcertains,commeCarlRichardBrühl,considèrentmainte-
nantquelagenèsed’unÉtatallemandclairementséparédelaFranceestlerésultatd’un
processus qui s’inscrit dans la longue durée et ne s’achève véritablement qu’au
XIe siècle7.LafondationdelaGermanieottonienneaudébutduXe sièclen’endemeure
pasmoins,avecdesnuances,l’unedesclefsmajeuresduphasageclassiquedel’histoire
allemande.
L’histoire ottonienne, à laquelle on rattache classiquement celle de la dynastie
salienne qui succéda aux Ottoniens en 1024, fait du reste partie des pages
glorieuses de l’histoire nationale allemande. Pour rendre compte des caractères
originaux et du succès de la monarchie ottonienne, au sein d’une histoire de
l’Allemagne plutôt pauvre en termes de construction étatique, les historiens alle-
mands ont décrit le fonctionnement d’un État fondé sur les liens personnels privilé-
giés qu’entretenaient les souverains avec les grands aristocrates (ce que Theodor
Mayer appela un Personenverbandsstaat). L’aristocratie royale ou impériale
(Reichsaristokratie), que définissait sa proximité avec le souverain, fit l’objet de
travaux importants, animés dès les années 1930 par Gerd Tellenbach, puis, après-
guerre, par Karl Schmid. Dans cette perspective, le succès de la domination royale
fut expliqué par la mise en place d’un modèle tout à la fois personnel et institu-
tionnel original qualifié à la suite de Leo Santifaller, dans les années 1950, de
Reichskirchensystem («système d’Église impériale»)8. Selon cette analyse, les
souverains ottoniens seraient parvenus à contenir les tentatives d’émancipation de
l’aristocratie laïque, en confiant systématiquement l’exercice des pouvoirs publics
aux évêques et aux abbés. Ne pouvant avoir de descendance légitime, ces grands
dignitaires ecclésiastiques n’auraient pas été en mesure de patrimonialiser les
honneurs et les bénéfices royaux, comme cela avait été le cas dans le royaume de
France.LeReichskirchensystemauraitainsiconstituélefondementdelafortunepoli-
tique des souverains ottoniens et saliens, expliquant le maintien en Germanie, par
opposition à la France, de solides institutions publiques.
LeconceptdeReichskirchensystempermitégalementauxhistoriensallemandsde
rendre compte de la dimension tout à la fois impériale et sacrale prise par la royauté
germanique.CommeleReichskirchensystemsupposaitquelesouverainconservâtun
contrôletrèsétroitsurlesélectionsépiscopalesetabbatiales,afind’imposerdescandi- délit
dats issus de la chapelle du palais royal (la Hofkapelle, surtout étudiée par Josef un
Fploeuckveonirsstepiunb9)licest,dleessh’iasstosurireenrsaainllseimdaendlasofindtélvituéddaensceceutxteànqéuceisislitaéval’ietxcpolinccaétidoénldees oriséeest
la dimension quasi sacerdotale de la royauté ottonienne et salienne. Soucieux d’as- aut
surersonassisesurl’Eglise,lessouverainsgermaniquesauraientétéamenésàrecher- non
cher le port du titre impérial qui, dans la tradition constantinienne, permettait à ses opie
détenteurs de disposer des pouvoirs d’un «vicaire du Christ», légitimant ainsi l’auto- otoc
ritésuprêmequelesOttoniensetSaliensexerçaientsurl’institutionecclésiale. ph
–la
EnmettantleconceptdeReichskirchensystemaucentredeleuranalyse,leshisto- 0)
1
1
riens allemands ont aussi été amenés à accorder une très grande importance à la 1
réforme entreprise par le pape Grégoire VII et à la querelle des investitures qui, en 8-vers
modifiant la nature même du pouvoir impérial et les conditions de son intervention 88
(
dAauntesulresd’éulnecptiroenmsieérpliisvcroepiamlepso,rataunrat,iepnutbslciéelelénl1’é9c3h6e,csudrulamqoudeèrleelloetdtoensieinnveetstsitaulireens,. société
rqautiiomnepttaaritleanpéavpidaeuntéceglarérguoprtieunrenedadn’suln’hinsotouivreeld«eol’rÉdgrelis»ehqiuérearrcehpirqéusee,ntraéitsol’liunmsteaun-t Égliseet
clérical, G. Tellenbach revint longuement, dans sa synthèse de 1988 sur «l’Église en oirs,
EuropeoccidentaleduXeaudébutduXIIesiècle»,surlesfonctions«religieuses»struc- Pouv
turantes exercées par les souverains germaniques dans la société d’avant la querelle –
ditmiqespueoisnéevstespstaoitrcuirlaeelsp.qauApiueaxGvayréietguocxiarredaucVtéIgIrrirasoénmdjpuhisriqesutno’taridleoenrsmplareontimeèsroetannddtre,amlgeaestrimqnouaeunvilqe’éuaqeuu1x0i.lipbArrievnecpcipoellies- Hachettelivre
©
7
4468_intro:4468_03_Laplaceide(cid:0)ale... 31/07/08 17:09 Page 8
Pouvoirs, Église et société (888-vers 1110)
concordatdeWorms(1122),unepagedel’histoireallemandeseseraitdonctournée:
désormais concurrencée par la papauté et privée de son ancienne dimension sacer-
dotale, la royauté germanique perdit son ancienne hégémonie sur le clergé, ce qui
l’aurait empêchée de se doter d’un véritable État, à l’image de celui qui devait se
mettre en place aux XIIe et XIIIe siècles en France et en Angleterre11. La centralité du
concept de Reichskirchensystema ainsi conduit les historiens allemands à considérer
queledébutduXIIesiècleconstituaitunecésuremajeure,plusfondamentaleetbrutale
quelatransitionentrel’EmpirecarolingienetlaGermanieottonienne.
En 1982, la pertinence du concept de Reichskirchensystema cependant été mise
encauseparl’historienanglaisTimothyReuter,l’undesmeilleursspécialistesdel’his-
toireottonienneetsalienne12.Selonsonanalyse,ceconceptdonneuneimagecarica-
turaledesrelationscomplexesquiunissaientlesgrandsdignitairesecclésiastiquesaux
souverains ottoniens. Loin de relever d’un «système», le contrôle de la monarchie
germaniquesursesévêquesseraitenpratiquerestérelativementaléatoire,lesprélats
allemandssevoyantdurestetoujourscommelesserviteursdel’Égliseromaineetnon
commedesimplesagentsdupouvoirimpérial.T.Reuterremettaitsurtoutenquestion
l’originalité du modèle ottonien, en constatant que le fonctionnement de l’Église
germanique n’était structurellement guère différent de celui des autres Églises natio-
nales,qui,àl’exempledelaFranceoudel’Italie,entretenaientaussiavecleurssouve-
rains des relations très étroites13. L’analyse de Reuter a connu en Allemagne une
réception contrastée : si elle fut tout d’abord vivement critiquée14, ses conclusions
s’imposèrentprogressivement,G.Tellenbachadmettantparexemple,danssagrande
synthèse de 1988, le caractère problématique des notions d’«Église impériale» (au
singulier,alorsqu’ilyavaitenfaitdansl’empiredesÉglises,enrelationaveclesouve-
rain) et a fortiori de «système»15. Comme tend à le montrer l’article récentde Steffen
Patzold réédité dans ce volume, l’historiographie allemande s’interroge aujourd’hui
sur la réalité de la Reichskirche, en l’envisageant moins comme une émanation de la
royauté ou de l’aristocratie que comme une institution à part entière, participant à
l’Egliseuniverselle.
Par ailleurs, l’influence des sciences sociales, sensible depuis une vingtaine d’an-
nées chez les historiens allemands, les a incités à s’écarter quelque peu d’une
délit approchejugéetropinstitutionnellequiavaitprévaluchezleursprédécesseurs,enclins
un à valoriser la consistance étatique du Reichottonien – même s’il s’agissait pour eux
est d’un État fondé sur des liens «personnels». Très caractéristiques sont, de ce point de
orisée vue,lestravauxqueGerdAlthoffconsacredepuisplusieursannéesauxrituelsdansla
aut GermaniedesXeetXIesiècles16.Parleurperspective«sociale»etlalecturestructurale
non desconflitsetrituelspolitiquesqu’ellesproposent,cesrecherchesdressentuntableau
pie qui n’est pas sans rapport avec les modèles élaborés par les historiens anglo-saxons
o
otoc et, plus récemment, français à propos de la «société féodale» : les relations entre les
ph groupes sociaux, ainsi que les litiges et les conflits qui les opposaient ou les traver-
–la saientauraientétégéréspardesprocéduresrituelles,quifurentmisesaupointàpartir
0)
111 de l’époque carolingienne avant de se diffuser vraiment, selon Althoff, aux Xe et
8-vers eXIteàsièlaclseosc.iCéteésdrietuseelsrpeperrmodeutitraeiesnatnasusxoamcbteruerrsdsaoncsialu’axnadrech«iceo.mIlmcounnviqieunetrt»oeuntetrfeoiesudxe,
8
8
( remarquerquel’étudedesrituelstellequel’envisagentleshistoriensallemandsporte
ociété généralementsurdescérémoniesbiencodifiées(etd’ailleursmisesenscènedansles
s
et documents qui en rendent compte) et concerne prioritairement les rapports entre les
glise grandsetlesouverain,beaucoupmoinslespouvoirsàl’échellelocale.Encesens,les
É
ouvoirs, lé’œtuduevsrempeinoénensièarcetuqeul’leumnePnetrceynEArlnlesmt Sacghnreamsumrleasvariittecsonnesascornétepàaslasa«nssyrmenboouliqerueavdeec
P l’État»17.
–
Hachettelivre 2. LDaantrsadl’hitisiotonriohgisrtaoprhiioegfrraapnçhaiiqseu,ecf’reasntçàails’aeune du concept de féodalité que fut
©
jaugée la période post-carolingienne. Se référant souvent au capitulaire de Quierzy,
8
4468_intro:4468_03_Laplaceide(cid:0)ale... 31/07/08 17:09 Page 9
Introduction générale
parlequelCharlesleChauveavait,en877,garantiàsesfidèlesqu’ilspourraienttrans-
mettrehonneursetbénéficesàleurshéritiers,leshistoriensfrançaisonttraditionnelle-
mentconsidéré,àlasuitedeMontesquieu,quel’empirecarolingienavaitfaillilorsque
s’était imposée l’hérédité des fiefs. Les «temps féodaux» succédèrent donc aux
«tempscarolingiens»(751-888),pourreprendrelapériodisationadoptéeentreautres
parl’historiendudroitJean-FrançoisLemarignier,danssonmanuelclassiquede1970
surlesinstitutionsmédiévalesenFrance18.L’affirmationàlafinduIXesiècledel’héré-
dité des bénéfices parut constituer une rupture d’autant plus fondamentale qu’elle
correspondait aussi aux invasions normandes, que l’historiographie française perçut
longtempscommeunvéritablecataclysmeaucoursduquell’ordremonarchiquecaro-
lingien aurait définitivement périclité19. Dans l’histoire événementielle, l’accent fut
alorssouventportésurl’échecdurègneducarolingienCharlesIII(morten888),déchu
pouravoirétéincapablededéfendresessujetscontrelesattaquesdesVikings,etsur
l’électionroyaleducomterobertienEudes–ancêtred’HuguesCapet–quelesvassaux
«français» auraient choisi, parce qu’il était parvenu à mettre en échec les Vikings lors
dusiègedeParisen885-88620.
La nette césure introduite par l’historiographie française entre la période carolin-
gienneetlesdeuxsièclessuivants,quinerelèventtraditionnellementpasenFrancedu
«haut Moyen Âge», a masqué, dans les études relatives à l’«âge féodal», les éven-
tuelles«continuités»carolingiennes.Làoùleshistoriensallemandsvoyaientunelongue
et progressive évolution d’un monde à l’autre, les historiens français se sont attachés
auxruptures,nesituantparexemplequetrèsexceptionnellementlesinstitutionspoli-
tiquesoureligieusesduXIesiècledansleprolongementdesréalitéscarolingiennes.Très
emblématiqueestdecepointdevuel’historiographiedumouvementdelaPaixetde
la Trêve de Dieu, qui a été traditionnellement perçu en France comme l’une des plus
originalesinnovationsdel’âgeféodal21,alorsmêmequel’historiographieallemandele
situaitplutôtdanslacontinuitédumagistèreépiscopalcarolingien22.
SilarupturedelafinduIXesièclefutdoncbienmiseenvaleur,puisqu’elleouvrait
unâgeféodalquineserefermeraitdéfinitivementqu’aveclaRévolutionfrançaise,les
historiensfrançaisontconsidéréquelasecondemoitiéduXIeouledébutduXIIesiècle
constituait un autre tournant. Ils évoquèrent l’essor démographique et économique,
qui,selonl’expressiondeMarcBlochauraitscellédèslemilieuduXIesièclelafind’un délit
«premier âge féodal», l’apparition dès la seconde moitié du XIe siècle du mouvement un
communal,quiouvraitl’histoireduTiers-État,ouencoreunrétablissementdupouvoir est
royal, particulièrement sensible sous le règne de Louis VI (1108-1137). Aussi, bien orisée
qu’elles fussent fondées sur des postulats différents, les périodisations traditionnelle- aut
ment en vigueur dans les historiographies française et allemande n’étaient pas sans on
n
point commun : du moins conduisaient-elles de part et d’autre du Rhin à analyser en pie
o
bloclesXeetXIesiècles. otoc
entrAeul-edseltàraddeitsiopnsrohbilsètmoreiosgdraepphihqauseasgeallcehmroannodleogeiqtufrea,nlçaaidseivetiregnetnacuexfopnedrsapmeecntitvaeles 0)–laph
1
adoptées : l’approche française se caractérisa très tôt par une analyse plus sociale 11
(nqituio’innsmtitêumtioendnuellceo),nvcoeipret dsoec«ioféloogdiaqluiteé,»c.eLqeutienremfeu,tqpuaisasvanaistcàonl’soériqguineencuensusernlasdjuérfii-- 88-vers
8
ndoiqbulees,sreednvuodyoamntaiàneunpurbélgicim,aecqauriisttuonceradtiiqmueenfsoionndébiesunrpllausgleasrtgioenlohrséqréudeitMaiarercpBalorclha ociété(
s
définit la «société féodale» comme un système englobant rapports de production, et
liens de parenté, institutions sociales et politiques23. Souvent associée au concept de glise
É
«féodalisme», qui dans l’historiographie de tradition marxiste désigne le mode de oirs,
productionseigneurial,letermede«féodalité»pritainsisouslaplumedeshistoriens ouv
françaisunsenstrèséloignédesasignificationpremière,puisqu’ilqualifiaunsystème –P
sdoacniLsa’lliendssattnirtsauvtlieaoqunuxeedcleclaslésqspiuaéescstiitaqioluisnetednsu’ofrfcaiecnfuçpjaoeisuagdiuteèulranefrédôoeldepatllriaètcése.sSdeicalonenssdrl’aaœiisroeun.vsreddeeceMtt.eBalboscehn,cnei Hachettelivre
©
9
4468_intro:4468_03_Laplaceide(cid:0)ale... 31/07/08 17:09 Page 10
Pouvoirs, Église et société (888-vers 1110)
sont multiples, on ne saurait sous-estimer l’impact qu’eut le divorce de l’État et de
l’ÉglisesurvenuenFranceaudébutduXXesiècle:àpartirdecemoment,l’histoirepoli-
tique et institutionnelle, qui devint histoire sociale, et l’histoire de l’Église, qui devint
plus tard histoire religieuse, se développèrent de façon distincte. Ainsi les travaux
françaissurl’Églisemédiévaleont-ilssurtoutétéréaliséspardeshistorienscatholiques,
commeAugustinFliche,quinesesouciaientguèredelaquestiondespouvoirs,sice
n’estpourconsidérerquel’ÉgliseduXesièclesetrouvait«aupouvoirdeslaïcs»,c’est-
à-direprisonnière,jusqu’àcequelaréformelancéeparlapapautéla«libérât»dansla
seconde moitié du XIe siècle24. Si cette conception caricaturale de la réforme grégo-
rienne fut ensuite révisée, l’idée d’une distinction immuable entre l’institution «spiri-
tuelle» que représentait l’Église et des pouvoirs qualifiés de «temporels» - qu’ils
fussent royaux, princiers ou seigneuriaux - demeura fortement ancrée, de même que
l’habitudedeséparerl’étudedel’uneetdesautres.J.-Fr.Lemarignierestl’undesrares
historiensqui,sansremettrefondamentalementencauseuneinterprétationcatholique
de l’histoire de l’Église, s’efforça cependant, dès les années 1950, de replacer le
phénomène de la réforme ecclésiastique dans le cadre d’une histoire des pouvoirs et
delasociété:ilmontranotammentquel’immunitéaccordéeauxmonastèrespouvait
meneràlaseigneurieecclésiastique,etquelaquestiondes«coutumes»àl’âgeféodal
étaitindissociabledel’affirmationdesidéauxderéforme25.
Au milieu du XXe siècle, la chronologie traditionnelle et la définition même de la
«société féodale» ont été remises en cause par les travaux de Georges Duby sur les
chartes de l’abbaye de Cluny26. Celui-ci avait fait le pari, audacieux dans les
années 1940 et 1950, qu’il était possible de faire l’histoire d’une société à partir de
l’étude des chartes conservées et/ou retranscrites au sein des monastères et des
grandes églises. L’étude du Mâconnais s’était d’ailleurs imposée à G. Duby en raison
de l’abondance des actes écrits liés à l’abbaye de Cluny depuis sa fondation (en 909).
Étudiant tout d’abord les notices de plaids comtaux du Xe siècle, Duby considéra que
lesinstitutionsdecettepériodeprolongeaientenquelquesortecellesdel’âgecarolin-
gien, puisqu’en l’absence du roi, le pouvoir comtal était parvenu à maintenir vivantes
lespratiquesjudiciairessurlesquellesétaitfondél’ordrepublicquistructuraitlasociété
du haut Moyen Âge. Considérant que les institutions carolingiennes s’étaient donc
délit maintenues tout au long du Xe siècle, il avança que la rupture ne serait intervenue
un qu’autour de l’an mil, lorsque l’émergence d’une nouvelle classe de guerriers profes-
est sionnels, formée de châtelains et de chevaliers, fit péricliter la justice publique. Les
orisée anciens pagiauraient alors cédé la place à une mosaïque de nouvelles châtellenies, le
aut plaid comtal à une justice seigneuriale assise sur un nouveau droit coutumier, tandis
on que se serait estompée la vieille opposition entre libres et asservis, laissant la place à
n
pie unesociétédanslaquellel’ensembledelapaysannerieauraitdûsesoumettreàl’aris-
o
oc tocratiemilitaire.Cettenouvelleformationsocialeseseraitorganiséeautourd’unmode
ot
ph deprélèvementinédit,lesmaîtresdeschâteauxmettantenplaceuneseigneuried’un
–la type nouveau, que Duby définissait comme une seigneurie «banale», parce qu’elle
0)
1 trouvaitsonfondementdansl’appropriationdesanciensdroitsdubanroyal,paroppo-
1
1
8-vers psirtéiotantiàonl’asn’caipepnunyeasiteisgunreluesriem«uflotinpclieèsreco»ndfolintstejonutrisesamieonintelessemtacîhtrâetesldaiunssoqlu.eCedtétecriinvteenr-t
8
(8 les actes de Cluny et qui auraient trouvé leur origine dans un affrontement de légiti-
ociété mités seigneuriales, la seigneurie banale des châtelains mâconnais se superposant à la
s seigneuriefoncièredesmoinesclunisiens,provoquantdetrèsvivestensions.
et
Église Danslesannées1960à1980,lemodèleproposéparG.Dubyfutreprisetamplifié
oirs, pardenombreusesmonographiesrégionales,dontlaplusinfluente,enFrance,futsans
ouv doutecellequePierreBonnassieconsacraàlaCatalogne27.Cestravauxdonnèrentune
P
– nouvellevigueuràlathématiquedela«révolutiondel’anmil»enlatransposantàtous
Hachettelivre laqeuussinspiirvpeenaarauilxteasdloeértlsuasdroeencshesesursrcohpreee,undpFelrealm’nhceisent.ot,Lir’ceaonénacdloyitsnieoonmdneiaqlnauteféaàoindcseaillliletaédrpeercolh’piedrréecohàleolagaitrerca,hdeéintoiolponagsfisrqaaunne-t
©
10
