Table Of ContentAdorable Caroline
Magaret Rome
HARLEQUIN S.A. 80, avenue Victor Hugo, PARIS XVIe
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre
THE MARRIAGE OF CAROLINE LINDSAY
© 1977, Magaret Rome.
© 1978, Harlequin S.A. Traduction française.
ISBN 2-86259-042-8 ISSN 0182-3531
1
Les derniers visiteurs venaient de partir. Caroline, épuisée,
s'assit devant la cheminée, et présenta ses mains à la
flamme.
Depuis la mort subite de son père, trois jours plus tôt, il lui
semblait être dans un état second.
Une partie d'elle-même continuait à vivre, se nourrir, parler.
Elle s'était acheté des vêtements de deuil, avait contacté
l'homme d'affaires de son père. Elle avait remercié ses
proches pour leur sollicitude, leur avait assuré qu'elle allait
bien, que rien ne lui manquait.
Mais, derrière cette façade, se cachait une autre Caroline.
Et celle-là gémissait, le cœur brisé par la disparition de la
seule personne qui comptât pour elle.
C'est à son père qu'elle pensait, enfin seule, dans la lueur du
feu. Il était si gai, si optimiste ! Il refusait toujours de voir
le mauvais côté des choses. Il avait coutume de dire,
lorsqu'il était confronté à un problème : « Une bonne nuit
là-dessus, et tout s'arrangera ! »
Les dettes chez les commerçants ne disparaissaient pas
toutes seules, bien sûr. mais Caroline n'en parlait pas. Elle
les réglait avec ses quelques économies, plutôt que de voir
son père contrarié.
Rien d'étonnant à ce que sa garde-robe fût réduite à
l'essentiel, et qu'elle fît durer ses vêtements le plus
longtemps possible... Mais cela lui était égal, car elle
adorait son père.
La mère de Caroline était morte quelques mois après l'avoir
mise au monde. Charles Lindsay l'avait énormément aimée
mais il avait vite compris qu'il lui fallait une femme à ses
côtés. Il s'était donc rapidement remarié.
Il n'y avait aucune passion entre Mildred et lui. Mais
chacun d'eux avait ce que désirait l'autre. Elle était mère
célibataire et avait besoin d'un père pour sa petite fille,
alors âgée de deux ans. En retour, elle offrait à Charles et à
son bébé les soins attentifs d'une bonne femme d'intérieur,
affectueuse et économe. La maison était toujours propre, et
les petites filles décemment vêtues. En adoptant la petite
Dorinda, Charles avait apporté à Mildred ce qu'elle
recherchait par-dessus tout : la respectabilité.
En fait, ils avaient formé une famille heureuse. Les petites
filles s'entendaient bien, partageant leurs joies et leurs
peines comme de vraies sœurs. Mais, en cas de gros
chagrin, c'était malgré tout vers Charles que se tournait
Caroline, et sur l'épaule de Mildred que Dorinda se
reposait. Aussi, lorsque Mildred était morte, trois années
plus tôt, sa fille s'était-elle trouvée complètement perdue.
Tout l'amour de son père et de sa sœur adoptifs n'avait pu la
consoler. Elle se sentait un peu étrangère.
Charles n'avait donc pas été étonné que Dorinda lui
annonçât calmement, trois mois après ce décès, qu'elle
allait partir pour Londres.
– Pour Londres ? avait demandé Caroline, incrédule. Mais
pourquoi ? Que vas-tu y faire ?
– Eh bien, tu sais que ma grand-mère m'a laissé un petit
héritage. J'ai décidé de m'inscrire à une école de
mannequins. Ils garantissent l'emploi à la sortie, et c'est un
métier qui m'a toujours tentée. Je suis sûre que cela
marchera. D'ailleurs, j'ai déjà payé, et le trimestre
commence dans deux jours...
Caroline l'avait suppliée de changer d'avis, mais en vain.
Elle partit pour Londres, promettant d'écrire régulièrement.
Et c'était la dernière fois que Caroline l'avait vue. Elle
n'avait jamais reçu de ses nouvelles...
Une bûche s'effondra dans l'âtre, faisant sursauter la jeune
fille. Au même moment, la sonnette de la porte d'entrée
retentit. Qui cela pouvait-il bien être ?
Elle resta un instant interdite devant la longue et élégante
jeune fille qui se tenait sur le seuil. Puis soudain, avec un
cri de joie, elle se jeta dans ses bras.
– Dorinda ! Oh, chérie ! Je savais que tu viendrais !
Elle l'entraîna dans le salon, où rien n'avait changé depuis
trois ans. Dorinda regarda sa sœur, dont un rayon de soleil
éclairait la chevelure d'or, et s'écria, étonnée :
– Caroline, comme tu as grandi ! Tu es magnifique ! Si
René te voyait !...
– Qui est René ?
– C'est le photographe pour qui je travaille comme modèle.
Tu le mettrais en transes, s'il te rencontrait !
Caroline eut un petit rire incrédule, en s'imaginant un
photographe célèbre et entouré de beautés, entrant en
transes devant une petite Anglaise banale et mal fagotée
comme elle... Elle était absolument inconsciente de son
charme, de la régularité de son petit visage triangulaire, de
la transparence de son regard bleu pervenche, et de l'éclat
de sa superbe chevelure blonde. Dorinda se demanda
comment un homme découvrirait cette petite fille toute
simple, dans ce trou perdu, pour en faire une femme
épanouie...
– Dorinda ! Tu ne peux pas savoir à quel point je suis
heureuse de te voir ! Viens t'asseoir près du feu. Je vais te
préparer quelque chose à manger. Tu dois être gelée...
Dorinda lui sourit en s'asseyant dans le vieux fauteuil de
son père.
– Je suis aussi contente que toi, ma chérie. Je meurs d'envie
d'une tasse de thé. Et surtout d'une grande conversation !
Nous avons tant à nous dire...
Elles grignotèrent toutes les deux devant la cheminée. Le
vent hurlait aux fenêtres de la petite maison, tandis qu'elles
se racontaient ce qui s'était passé durant ces trois années de
séparation. La pendule sonna minuit.
– Regarde l'heure, dit Caroline. Nous n'avons même pas
encore fait ton lit... Et le vieux M. Wilkins vient à dix
heures demain, pour lire le testament de Papa.
En prononçant ces mots, la jeune fille réalisa que, depuis
l'arrivée de sa sœur, elle n'avait pas pensé à son père.
Dorinda s'en aperçut et la prit dans ses bras.
– Je suis navrée de ne pas avoir été près de toi en ce
moment difficile, ma chérie. Mais, comme je te l'ai
expliqué, mon métier me force à voyager par tout le monde.
Chaque fois que j'ai voulu t'écrire, j'en ai été empêchée. Il
fallait refaire une série de photos, ou quelque chose de ce
genre... Et puis, tout à coup, j'ai connu la gloire, et tout le
monde me demandait. Ma vie est devenue trépidante.
Cocktails, soirées, avions... J'étais montée sur un manège
endiablé, sans un instant pour me retrouver.
Caroline la regardait, émerveillée.
– Cela doit être fantastique d'avoir le monde à ses pieds !
Voyages, aventure, idylles... Tu as dû en rencontrer des
hommes séduisants ! Es-tu tombée amoureuse ?
Le visage de Dorinda devint soudain d'une pâleur de cire.
Caroline poussa un cri et vint lui mettre son bras autour des
épaules, mais sa sœur la repoussa et recula hors de la zone
de lumière que dispensait le lustre.
– Je suis épuisée, Caroline. Excuse-moi.
Sans attendre de réponse, elle grimpa les escaliers quatre à
quatre et courut dans son ancienne chambre. Caroline
entendit la clé tourner dans la serrure. Elle resta un moment
interdite, blessée, hésitant à frapper à la porte. Puis elle se
dirigea lentement vers sa propre chambre. Toute la nuit, elle
fut hantée par l'expression de désespoir qu'elle avait lue sur
le visage de sa sœur. Elle était pleine de remords en pensant
que c'était sa sotte question qui l'avait provoquée.
Elle s'endormit enfin à l'aube et fut réveillée par le
sifflement d'une bouilloire. Elle se rappela tout à coup que
Dorinda était de retour ! Après une douche rapide, elle
s'habilla et courut jusqu'à la cuisine.
Dorinda faisait griller du bacon et elle se retourna pour lui
adresser un radieux sourire.
– Le petit déjeuner est juste prêt, Caroline. Veux-tu servir le
café ?
La jeune fille décomposée de la veille semblait n'avoir
jamais existé. Dorinda chantonnait gaiement en s'affairant
au milieu des casseroles. Pourtant, Caroline s'aperçut
qu'elle avait les paupières gonflées malgré le maquillage
habile, et qu'il y avait une profonde détresse au fond des
grands yeux verts.
– Tu vas bien, Dorinda ? Pourquoi as-tu fermé ta porte hier
soir ? As-tu dormi correctement ? Est-ce que je t'ai
contrariée ? Je ne le voulais pas...
– Hou ! Une question à la fois, Caroline ! Et après le petit
déjeuner, s'il te plaît. Assieds-toi et mange ! M. Wilkins
sera là dans une demi-heure. Il faut qu'il nous trouve à peu
près en forme !
Voyant l'air hésitant de sa sœur, elle lui prit la main et
poursuivit :
– Je t'en supplie, Caroline. Donne-moi un peu de temps. Je
te promets que je te dirai tout...
Caroline lui jeta les bras autour du cou et déposa un gros
baiser sur sa joue.
– J'ai tellement honte ! dit-elle. Je n'ai pas le droit de te
poser des questions et j'essaierai dorénavant de m'occuper
de mes affaires. Mais souviens-toi que, si je puis t'aider, tu
n'as qu'à me le demander,
– Tu es un amour. Il est fort possible que j'aie recours à
toi... En attendant, oublions ces choses sérieuses !
Ce fut un repas joyeux. Elles s'employèrent ensuite à
nettoyer la maison pour la venue de M. Wilkins, qui arriva
à dix heures sonnantes.
Si la présence de Dorinda le surprit, il ne le montra pas. Il
lui adressa un bref sourire, et un rapide coup d'œil par-
dessus ses lunettes. Puis il entreprit la lecture des dernières
volontés de Charles Lindsay.
Ce fut vite fait. Tout revenait à Caroline, la maison et les
meubles, quelques actions et ses objets personnels. Il n'était
pas question de Dorinda, et Caroline s'en indigna,
observant que sa sœur avait autant de droits qu'elle à
l'héritage paternel.
– Ma chère enfant, répliqua M. Wilkins, laissez-moi finir, je
vous prie. Vous ne semblez pas réaliser, et votre père non
plus, que, lorsque toutes les dettes auront été payées, il n'y
aura plus rien à partager avec personne... Je lui ai conseillé
cent fois de vous faire donner une formation, afin que vous
puissiez, le cas échéant, gagner votre vie. Mais, chaque fois
il a éludé le problème, prétendant que vous étiez fort bien à
la maison, et qu'il aimait vous avoir sans cesse près de lui.
Je crains que ce n'ait été une attitude très égoïste. A présent,
vous vous trouvez dans une position extrêmement difficile.
Mademoiselle Dorinda a une situation beaucoup plus
enviable que la vôtre. Elle a un métier entre les mains, et
son avenir est assuré. Tandis que vous, vous êtes
complètement démunie...
Dorinda prit Caroline dans ses bras. Celle-ci regardait le
notaire avec de grands yeux effrayés.
– Vous voulez dire qu'il va falloir que je vende la maison ?
murmura-t-elle en jetant un coup d'oeil circulaire sur les
chers objets familiers.
M. Wilkins s'éclaircit la voix.
– Eh bien, peut-être pourrons-nous sauvegarder cela. Mais
vous n'aurez plus un sou...
Il ramassa son chapeau et sa serviette et se dirigea vers la
porte, en hochant la tête. Il ne pensait visiblement aucun
bien du père de Caroline, qui l'avait, contre tous avis,
laissée dans ce pétrin. Il ne restait plus à la jeune fille qu'à
se marier... Bien que célibataire endurci, le vieux notaire
reconnaissait le charme de sa jeune cliente...
– Je vous appellerai dans quelques jours, pour vous donner
de plus amples détails concernant votre position financière
exacte. Mais en attendant, jeune fille, je ne saurais trop
vous conseiller de vous trouver du travail. J'ignore ce qu'il
vous restera pour vivre...
Après son départ, les deux sœurs s'absorbèrent dans leurs
pensées. Dorinda réfléchissait de toutes ses forces au
moyen de trouver de l'argent. Que vais-je faire ? se
demandait-elle. Quelle catastrophe ! Comment pourrai-je
me débrouiller ?
Caroline pensait aussi à l'argent. Il disparaissait entre les
mains de son père, qui n'avait jamais su résister à l'attrait
d'une œuvre d'art qui lui plaisait. Caroline ne le lui avait
jamais reproché, sachant le plaisir que lui procurait la
beauté. Elle se rappelait aussi avec tristesse ce qu'il lui
