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DELA
,
CRITIQUE DE LA FACULTE DE JUGER
par
Alexis PIDLONENKO
PARIS
LIBRAIRIE PIIlLOSOPIIlQUE J. VRIN
6, place de la Sorbonne,V e
·-
En application du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment de ses articles
L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle
fàite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Une telle représentation ou reproduction constituerait un délit de contrefaçon, puni de
deux ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.
Ne sont autorisées que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et
courtes citations, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la
source.
© Librairie PhilosophiqueJ . VRIN, 2010
Imprimé en France
ISBN 978-2-7116-2260-3
PRÉLUDES
Le présent volume, consacré à la Critique de la faculté de juger a
d'abord été rédigé sous forme de notes destinées à servir d'appui au
développement de leçons données à !'École normale supérieure de Saint
Cloud. Puis, repris pendant le début de mon enseignement comme assistant
en histoire de la philosophie à la Sorbonne, il fut l'objet d'une première
rédaction concernant !'Analytique du sublime et accompagné d•une nou
velle traduction de 1• œ uvre de Kant. Une autre version en fut confectionnée
à mes débuts comme professeur à la faculté des lettres de Genève, et le
doyen Bernard Gagnebin put prendre connaissance de mes papiers et
m•encouragea, en dépit de tous mes doutes, à en poursuivre la rédaction.
Mais je ne voulais pas m'engager dans une recherche sur la pensée de
Rousseau et de Kant et prenant conscience du désastre, je mis le tout dans
une corbeille à papiers de la Faculté de Genève, texte et notes. Ceci eut lieu
vers les années 1970 et je le regrettai - bientôt il ne me restait qu'une copie
imparfaite et très lacunaire.
Par la force des choses, j'ai été amené (en vue de mes leçons) à
reprendre la copie, à la recompléter en l'allégeant dans les notes - les pages
bourrées de notes ne sont pas de la philosophie - et cela considérablement.
En outre,j'avais déjà commenté ailleurs certains passages (par exemple la
célèbre note 1 du § 65 qui sert d• orientation pour les études de philosophie
politique de Kant et de Fichte); d'un autre côté, citant très peu, Kant avait
néanmoins fourni le modèle d•une riche recherche philosophique. On
devait pouvoir l'imiter. Dans cet esprit, j •a i aussi laissé « en marge » toutes
les notes d· essence philologique qui accompagnent la traduction.
DU MÊME AUTEUR
A LA MÊME LfflRAIRIE
L 'œuvre de Kant. La philosophie critique - l. La philosophie pré-critique et la
critique de la raison pure, 1969, 6e éd. 1993.
L 'œuvre de Kant. La philosophie critique - 2. Morale et politique, 1972, 5 e éd.
' 1993.
L 'œuvre de Fichte, 1984.
L'école de Marbourg. Cohen - Natorp - Cassirer, 1989.
Essais de philosophie de la guerre, 1976, 2 e éd. 1988.
Études kantiennes, 1982.
La liberté humaine dans la philosophie de Fichte, 1966, 3 c éd. 2000.
Théorie.êipraxis dans la pensée morale et politique de Kant et de Fichte, 1968,
:r
~ éd. 1988.
Schopenhauer, Une philosophie de la tragédie, 1980.
Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, 1984 (3 volumes).
La théorie kantienne de l'histoire, 1986.
La jeunesse de Feuerbach (1828-1841). Introduction à ses positions
fondamentales, 1990 (2 volumes).
Qu'est ce que la philosophie ? Kant et Fichte, 1991.
Lecture de la Phénoménologied e Hegel, Préface, Introduction, 1994.
Métaphysique et politique chez Kant et Fichte, 1997.
La philosophie du malheur - l. Chestov et les problèmes de la philosophie
existentielle, 1998.
La phi1osophie du malheur - 2. Concepts et idée, 1999.
Commentaire de la Phénoménologie de Hegel. De la certitude sensible au
savoir absolu, 2001.
La destination du jeune Fichte, 2008.
Traductions
KANT( E.), Qu 'est-ce que s'orienter dans la pensée?, 2002.
KANT( E.), Critique de la/acuité de juger, 2000.
KANT( E.), Réflexions sur l'éducation, 1993.
KANT( E.), Métaphysique des mœurs - 1"' partie : Doctrine du droit, 2002.
KANT( E.), Métaphysique des mœurs-2c partie: Doctrine de la vertu, 2000.
HEGEL( G.W.F.), Foi et savoir. Kant, Jacobi, Fichte, 1988.
FICHTE (J.G.), Œuvres choisies de philosophie première: Doctrine de la
Science, 1794-1797, 1990.
FICIITE (J.G.), Écrits de philosophie première: Doctrine de la Science, 1801-
1802, et textes annexes, 1987.
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COMMENTAIRE
DELA
CRITIQUE DE LA FACULTÉ DE JUGER
par
Alexis PHILONENKO
PARIS
LIBRAIRIE PIIlLOSOPIIlQUE J. VRIN
6, place de la Sorbonne, Ve
2010
En application du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment de ses articles
L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle
faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Une telle représentation ou reproduction constituerait un délit de contrefaçon, puni de
deux ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.
Ne sont autorisées que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective. ainsi que les analyses et
courtes citations, sous réserve que soient Indiqués clairement le nom de l'auteur et la
source.
© LibrairieP hilosophiqueJ . VRIN, 2010
Imprimé en France
ISBN 978-2-7116-2260-3
www.vrin.fr
PRÉLUDES
Le présent volume, consacré à la Critique de la facultt de juger a
d'abord été rédigé sous forme de notes destinées à servir d'appui au
développementd e leçons données à }'École normale supérieure de Saint
Cloud. Puis, repris pendant le début de mon enseignementc omme assistant
en histoire de la philosophie à la Sorbonne, il fut l'objet d'une première
rédaction concernant l'Analytique du sublime et accompagné d'une nou
velle traductiond el' œuvre de Kant Une autre version en fut confectionnée
à mes débuts comme professeur à la faculté des lettres de Genève, et le
doyen Bernard Gagnebin put prendre connaissance de mes papiers et
m'encouragea, en dépit de tous mes doutes, à en poursuivre la rédaction.
Mais je ne voulais pas m'engager dans une recherche sur la pensée de
Rousseau et de Kant et prenant conscience du désastre,j e mis le tout dans
une corbeille à papiers de la Faculté de Genève, texte et notes. Ceci eut lieu
vers les années 1970 et je le regrettai - bientôt il ne me restait qu'une copie
imparfaitee t très lacunaire.
Par la force des choses, j'ai été amené (en vue de mes leçons) à
reprendre la copie, à larecompléter en l'allégeant dans les notes - les pages
bourrées de notes ne sont pas de la philosophie- et cela considérablement.
En outre,j'avais déjà commenté ailleurs certains passages (par exemple la
célèbre note 1 du § 65 qui sert d'orientation pour les études de philosophie
politique de Kant et de Fichte); d'un autre côté, citant très peu, Kant avait
néanmoins fourni le modèle d'une riche recherche philosophique. On
devait pouvoir l'imiter. Dans cet esprit,j 'ai aussi laissé « en marge.»t outes
les notes d'essence philologiqueq ui accompagnentl a traduction.
En ces quelques dizaines d'années, mon travail a subi des mutations.
C'est le contraire qui serait étonnant. Par exemple, la théorie de la
prisentation a été complètementr ewe. Il s'agit, il est vrai, d'un moment
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central et il devait, de ce fait, être reprii-avec une attention toute parti
culière. Certes, ce n'était pas le cas de tous les développementsd e 1'a uteur
de la Critiqued e la raisonp ure. Pour être siir de ne rien omettre cependant,
j'ai le plus souvent, mais évidemment pas toujours, suivi l'ordre des
paragraphes - réservant certains passages d'une nécessité peu évidente -
par exemple la fin de la Méthodologied u goOtq ui n'est qu'un exercice de
logique morale appliquée: à mon avis, ce n'est pas la vision englobantea u
point de devenir totalitaire qui doit primer, mais l'acte niant le détail pour
mieux saisir l'essentiel. C'est en ce dernier sens quej e me suis orienté.
La Critiqued e laf aculté dej uger-dont la phase terminaled e rédaction
date de la fin des aimées 1780 - a pu faire l'objet de leçons, non pas prise
comme un tout, mais d'après des fragments issus de textes antérieurs ou
précritiques (notamment les Observationss ur le Beau et le Sublime) et
parfoiss"oignés. De là suivirent deux idées. D'une part on s'explique
l'asiSect très «rhétorique» de l'architecture générale de l'œuvre. Par
rapport à l' Analytiqued u sublime,l ' Analytiqued u beau est fluette et assez
pauvre en exemples.K ant ne commented ans ce texte aucun poème, aucune
œuvre d'art, aucune pièce musicale. Il semble s'en tenir à la beauté
naturelle. Ensuite, voici la seconde idée, la Critiqued e la faculté de juger
est le produit d'une réflexion sur 1'o bjet et non un travail dialectique inté
rieur à l'objet et en dégageant les phases avec nécessité. Ainsi, dépourvue
d'unité formelle, l'œuvre n'est pas non plus une genèse dialectique. Les
choses ont pu aller trop loin. Dans sa thèse sur Le jugement réfléchissant
chez Kant, Michel Souriau trouvait un passage de la logique scolastique
(qui pesait encore dans la Critique de la raison pure sur la théorie du
jugement) à l'idéalisme de L.Brunschvicg, qui repoussait les catégories,
mort de l'esprit. Tout cela possède un semblant de vérité, mais au total le
premier à souffrir de ces prétendues ré-orientations,c 'est Kant lui-même.
On me dira que tout grand penseur traverse une période où il doit davan
tage se méfier de ses amis que de ses ennemis. Nous y consentons, notant
seulement que le dénigrement de l'idéalisme transcendantal coïncide
historiquementa vec la naissanced e sa gloire.
On sent bien, en lisant ces simples propos, que l'on va découvrir
l'ouvrage d'un ami de Kant. Et de fait, désespérant d'y parvenir, nous
avons cherché à résoudre les difficultés.L e plus difficile fut de contourner
et de dépasser la métaphysique développée dans 1'E sthétique transcen
dantale de 1781: Kant s'appuie sur les concepts de chose en soi, de supra
sensible, qui suggèrent et s'abîment dans un phénoménisme qui évoque
celui de Berkeley. Au demeurant, la théorie du phénomène est quasi
absente dans la Critiqued e la/acuité dej uger, qui s'est pour ainsi dire we
PRÉLUDES 9
refoulée à l'extérieur de la philosophie transcendantale.K ant semble avoir
cru qu'une métaphysique populaire pouvait servir de fondement pédago
gique à une Esthétique transcendantale. Peut-être aussi a-t-il ressenti le
besoin de ne pas tout reprendre, puisqu'il avançait en âge et éprouvait des
difficultés liées à son cerveau vieillissant. Ces raisons fort importantes,
quoique psychologiques, expliquent peut-être également que Kant, en
dépit de son sésir d'aller vite, se soit très surveillé dans la dernière partie de
son ouvrage où il y a peu de fautes, peu de répétitions, peu de phrases
cotonneuses,m ais des longueurs.
Mais ici se manifeste la grande faiblesse de Kant : il n'a pas vraiment
cherché, partant de ce niveau/orme[ métaphysiquement faible, à élever le
débatsur l'art, qu'il sépare sans convictiond e la belle nature. Qu'est-ce que
la nature? Platon nous guide en parlant « le soir venu des hennissementsd es
chevaux fous cavalcadant sur la plage, du mugissement des taureaux, des
murmures des rivières et du fracas de la mer». L'art consiste à apaiser en
nous ces bruits par la médiation de la main de l'homme qui perçant un
roseau en fait une flOte,e t en fait propose un passage ( Ubergang) du bruit à
la mélodie. Or curieusement, Kant n'a pas approfondi ce moment. Et ses
propos (o n ne saurait parler de doctrine) sur la musique sont d'une pauvreté
insigne. C'est à croire que la gloire l'auréolant, il en venait à regarder ses
propres idées sans esprit critique. Il ignore, semble-t-il, tout du déchiffre
ment musical, ne voit pas que le principe de virtuosité suppose une révo
lution (F. Liszt); il ne cite aucun grand musicien et l'on pense avec chagrin
que la publicationd e la troisièmeC ritique est contemporained u Requiem et
del' agonie de Mozart. Bref, en un mot comme en mille, Kant était démuni
d'un solide bagage esthétique. C'est la raison pour laquelle un simple
historien de la philosophie de Kant ne peut se soutenir contre un véritable
théoriciend el' art au pont de vue technique.E n outre il y a des arts - suivant
la danse des muses -qui sont absents du corpus kantien. Je citerai l'histoire
et la rhétorique (Gibert, La rMtorique ou les règles de l'éloquence, 1730).
Quant à l'histoire, un philosophe «conséquent» se doit d'en indiquer les
nervures,m ême s'il juge avec Hérodote : « Eadem sed aliter».
Il est difficile d'indiquer ce qui, dans la tradition de la philosophie,a fait
de la Critique de la faculté de juger un texte majeur. Si la partie esthétique
manque à ce point de valeur, au moins dans son contenu, la seconde partie
consacrée à la biologie est bien informée, mais est un peu étriquée, si j'ose
dire. Cette seconde partie se divise en deux sections : I. L'analytique du
jugement réfléchissant (mal construite : Kant traite une démonstration à
cheval sur deux paragraphes); Il. La dialectiqued u jugement réfléchissant.
À ces deux parties, Kant joint dans une annexe la méthodologie. Cette
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longue annexe - qui n'appartient pas à la~ritique de laf aculté de juger -
pose le problème clans une perspective inattendue. Cette méthodologie est
bien écrite et tend la main au premier ouvrage de Fichte, la Critiqued e toute
révélation. Pour mieux nous faire comprendre, nous dirons avec M. de
Gandillac que seul dans tout l'idéalisme allemand, Fichte fut un véritable
écrivain. Après lui, il faudra attendre. Donc dire que par la médiation de la
Méthodologie Kant tend la main à Fichte, ce n'est pas un mince honneur, et
cela explique déjà la place de la Critiqued e laf aculté dej uger dans la tradi
ti~n philosophique allemande. Ensuite, Kant a traité avec ordre et élégance
un sujet qui était actuel : la place de la théologie naturelle dans la philo
sophie. Certes, tempérée par l'absence d'un exposé de la théorie de la
raison transcendantale, l'analyse manque de profondeur; elle est même
scolaire. Toutefois nous avons été si impressionné par la démarche de Kant
que noUMtVonsr epris le texte de notre traduction, éliminant maintes scories
et pljraseslé gèrement boiteuses. Nous avons alors compris cette pensée de
Gœthe qui dit à peu près ceci: quand on entre par ce côté clans le donjon de
Kant, on pénètre dans des salles très éclairées et bien rangées. Il ne faut pas
craindre de maximaliser l'idée de lumière et de clarté. Sur son lit de mort, le
grand Gœthe s'exclamera- ce furent ses dernières paroles -Mehr Licht!
[davantaged e lumière]. La Méthodologie reste l'éclair qui sublime la
dernière Critique. Aussi faudrait-il peut-être cesser de tenter de sauver
l'écriture de Kant par l'idée d'un style de chancelier. Peut-être: c'est que
partout il y a de beaux passages (il est vrai, moins que chez Moïse
Mendelssohn, et moins longs que la Méthodologie). Mais décidément il y a
quand même chez Kant trop de longueurs, de redites interminables. Seuls
Heinz Wizmann et Luc Ferry ont su tirer leur épingle du jeu avec la Critique
de la raisonp ratique.C omme il l'a dit dès le début, et comme l'attestent ses
manuscrits, Kant est d'abord et avant tout un Forschere t ensuite un écri
vain. Fichte serait tout l'inverse : un Schriftstellerc onverti à la Fo rschung.
Il resterait à reprendre le texte de la Méthodologie. Nous n'en avons pas les
moyens mécaniques et moraux. Nous pouvons supposer que le texte revu et
corrigé a été ajouté au corps de la Critiqued e laf aculté de Juger et de fait,
son contenu fait l'objet d'une application de la théorie du jugement réflé
chissant, ce qui exclut une rédaction contemporaine des autres parties. On
peut alors se demander si le texte de la Méthodologie est antérieur à
l'ensemble, puis adapté à celui-ci. L'époque de sa rédaction se situerait dès
lors dans l'orbite de la Critiqued e la raisonp ratique. Mais ce serait, sans
doute, reculer par trop la rédaction. Restent alors les années 1787-1788 -
hypothèse limite, qui n'a pour elle que le pessimisme politique des écri
vains lors du décès de Frédéric le Grand. Kant aurait voulu faire obstacle à